Nos 25 morceaux du deuxième semestre 2021
RAP FRANCOPHONE

Nos 25 morceaux du deuxième semestre 2021

Résumé en vingt-cinq titres de six mois de rap en français, avec ses tendances et ses marges, ses têtes d’affiche et ses artistes moins exposés.

Photo Sam’s par Brice Bossavie pour l’Abcdr du Son
Photo Lalcko et Vîrus par AL pour l’Abcdr du Son
Photo EDGE par antoine ott

Les morceaux de cette sélection sont à retrouver sous la forme d’une playlist sur Spotify et Deezer.


Mairo – « Eritriste »

Après 95 monde libre en 2020, Mairo a continué à vomir son « rap dégueu-conscient » (l’expression est de lui) cette année, et le Genevois a passé un cap dans la maîtrise de son art. « Eritriste », issu de l’EP Rougemort, est une démonstration à double titre. La technique est au point, et c’est rien de le dire, les rimes y sont construites après des études de terrain, les placements tombent dans le cœur de la cible et ça compte double. Et derrière ça, M.A.I.R donne une épaisseur à son écriture. Comme le veut la tradition du rap local, la conscience repose en grande partie sur les contrastes qu’implique une vie de pas riche dans une ville comme Genève : « J’connais Lidl, Aldi, Leader Price, vingt-cinq ans j’viens juste d’acheter un lit deux places. » D’origines érythréenne et indienne, il puise également dans l’histoire de ses ascendances la matière à penser qui enrichit son morceau. « Mes khouy’ de Gorée, j’ai pas la trouille d’les honorer ; ils veulent nous faire tourner l’dass’, la chtouille, le gonorhée » lâche-t-il entre une ligne egotrip sur ses doigts inflammables et une référence à Jacquees et Alicia Keys. En bousillé de musique et particulièrement de rap, le frère d’Hôpital (son beatmaker, auteur du splendide double instru du titre en présence) ne manque pas non plus de multiplier les namedroppings : Mc Solaar, Griselda, Marekage Streetz… Sous la casquette de Mairo, il y a un durag, sous le durag, il y a des idées, des souvenirs, des connaissances, des ambitions et une fougue de plus en plus contenue, « Eritriste » en est la preuve, alors « merci Mairo pour les travaux et bravo pour les gros bravas ! »B2

Niro – « Sale môme » feat. Le Rat Luciano

Aux premières secondes de la production menaçante et apocalyptique de Wealstarr, le cri perçant d’un aigle se fait entendre. À des kilomètres au-dessus d’un feu suggéré par la pochette de l’album de Niro, c’est le flow du Rat Luciano nouveau qui plane majestueusement, et salement, au-dessus de “Sale môme”. Si le couplet de Niro est propre, c’est bien l’apparition du Rat qui propulse le morceau dans d’autres sphères. Comme d’habitude, aurait-on presque envie de dire. Après une décennie 2010 en quasi mode veille (il y a quand même eu quelques couplets légendaires), les récentes et nombreuses apparitions de Christophe Carmona remettent du baume au cœur. Celle sélectionnée ici renforce quelques évidences concernant l’omniprésence de Luch’ dans les tops des rappeurs. Que ce soit parmi la vieille garde (récemment cité par Akhenaton, Rim’K ou Rohff) ou la nouvelle garde (Djado Mado) et surtout par toute la scène locale marseillaise, le plébiscite est unanime. Le Rat laisse encore des traces avec son timbre de voix si particulier, proche de la nonchalance de feu Prodigy, et un flow actualisé derrière lequel on sent toute sa passion du rap et de son évolution. De l’argot au kilogramme, des tournures de phrases sorties d’un chapeau de magicien et des mots coupés par une lame courte préalablement chauffée (“loup-ga / tout paga’ / Nouga”), ou au contraire rallongés pour rentrer dans les temps (« la valaguiz »). Quel rappeur peut prétendre après vingt-cinq ans de carrière dans les pattes être toujours aussi actuel, percutant et innovant ? Niro a raison : avec ce featuring, il réalise un rêve de collégien, celui de rapper avec son idole. – JuldelaVirgule

La Fève – « Mauvais payeur »

Phénomène des ces derniers mois, La Fève devait confirmer. Car si le projet KOLAF avec le producteur Kosei était une des belles surprises de la fin d’année 2020, on se demandait encore si briser l’alchimie avec le producteur marseillais serait une bonne ou une mauvaise nouvelle pour l’artiste du 94. Et puis il y a eu « MAUVAIS PAYEUR ». Dévoilé en octobre 2021, le titre s’est instantanément imposé comme un des morceaux marquants de cette fin d’année. Sans doute parce qu’on y entend un La Fève au sommet de son art, sur une production signée Demna à aussi mettre  en avant. Sorte de pont temporel entre deux époques du rap français, l’habillage sonore de « MAUVAIS PAYEUR » fait se rencontrer rythmique trap lancinante des années 2010 et piano violon du rap français tendance années 90-début des années 2000 à l’aide d’un sample tiré du jeu vidéo Hollow Knight. Un paradoxe sonore qui fonctionne à merveille, et sur lequel La Fève se balade lui aussi, en mélangeant couplet précis et « BOUNCE » réguliers. Comme si le Soundcloud rap et les limiers du rap français des années 90 ne faisaient définitivement qu’un. – Brice

Mani Deïz – « Tornado Bees » feat. George Eddy

C’était trop difficile de choisir. Trente-six pistes, une cinquantaine de rappeurs invités sur deux CDs aux allures de reboot de la compilation Marche Arrière du Gouffre, non, vraiment c’était trop compliqué. De Lucio Bukowski à JeanJass & Caballero, de Char à Sameer Ahmad, de Flynt à Vîrus, Mani Deïz a rassemblé tous ses contacts et leur a distribué ses instrus, ceux qu’il appelle « ses moelleux ». Alors que faire face à cette compilation mixée qui marquera à coup sûr le rap qualifié d’indépendant, comme Appelle-moi MCExplicit 18, les cassettes Maximum Boycott ou Neochrome ont pu le faire par le passé ? Rien si ce n’est ne pas bouder son plaisir. Et surtout, rendre hommage au Maître de Cérémonie le plus évident et pourtant le plus inattendu de cet incroyable All Star Game : George Eddy !  L’entendre ouvrir les hostilités est la meilleure manière d’écouter cette mixtape en dunkorama. Branchez vos magnétoscopes, il y a ici plus d’un rappeur qui a shooté du parking. – zo.

Alkpote – « Belles »

Être un auditeur de la première heure d’Alkpote est une source inépuisable de frustrations et de paradoxes. Au cœur des années 2000, l’Empereur de la Crasserie était fascinant. Vulgaire, violent, triste, sale, touchant, drôle aussi. Durant plus d’une décennie, il a erré dans les tréfonds du rap français, peinant à se faire entendre plus haut que le sous-sol et plus loin que les sites spécialisés. Pourtant, il y avait dans la musique d’Alk des tentatives de séductions, des simili-ouvertures, mais ça ne prenait pas. Alors que son binôme Katana raccrochait plus ou moins les gants, John H. voyait son copain Seth Gueko s’approcher du succès, et lui continuait de s’accrocher. Il disait son dégoût de l’industrie, du rap, de lui-même, mais n’arrivait pas (disait-il) à s’arrêter. Puis, au milieu des années 2010, les spotlights vinrent timidement éclairer son art. Vald lui amenait un peu de lumière, Butter Bullets l’aidait à affirmer mieux sa proposition, la nouvelle génération le respectait et Alkpote lui-même commençait à modeler sa musique, à faire des concessions. C’était plaisant de le voir passer un misérable plafond de verre, en revanche l’horrible gargouille puante qu’il était se transformait progressivement en bête de foire caricaturale. Si bien que l’enthousiasme finit par céder sa place à la lassitude dans le cœur de beaucoup d’anciens auditeurs, peu réceptifs à ce qui se voulait pourtant être du fan service. La créature leur échappait. Là n’était pas le plus important pour Alk, qui n’a jamais caché son visage de mercenaire du rap, prenant l’argent où il y en a. Et puis il arrivait aussi des accidents, des heureux hasards où le personnage clownesque et l’artiste singulier se croisaient, donnant lieux à de bons moments (sur un beat de Myth Syzer, dans un studio avec Philippe Katerine, invité par un jeune rappeur, ou au fond d’un album indigeste…). « Belles », issu d’Ogre, dernier album en date du rappeur, est à classer parmi ces improbables éclaircies. Produit par BBP, qui a fourni à L’Empereur ses meilleurs écrins musicaux des dernières années, le morceau tend vers la chansonnette. Or l’Aigle royal de Carthage ne chante pas juste, et c’est précisément ce qui redonne ici un intérêt à sa proposition pop. Quand il veut aseptiser son art, il y a un hic, un dysfonctionnement duquel naît l’événement. Il est certes drôle par son second degré, ses hyperboles et son autodérision, mais ici Alkpote est aussi amusant par sa maladresse, tant vocale que textuelle. Il ne sera jamais un chanteur de variété, mais essayer d’atteindre ce statut donne à cet absurde « Belles » une consistance inespérée. – B2

« « La Table » est aussi fourni qu’un menu de fête en traits d’esprit, leçons de vie, madeleines de Proust achetées en lot à Aldi. »

Lalcko & Vîrus – « La Table »

C’est un peu l’équivalent du « Different Worlds » d’Alchemist et Big Twins. Sauf qu’au lieu de comparer leur jeunesse dans des contextes sociaux et géographiques distincts comme leurs vis-à-vis américains, les Seinomarins et amis de longue date Vîrus et Lalcko se mettent à table pour raconter leurs repas familiaux d’enfance sur une flûte traversière entêtante, mise en boucle par Allagrande. Long comme un repas de réveillon du haut de ses six minutes et cinquante-trois secondes, « La Table » est aussi fourni qu’un menu de fête en traits d’esprit, leçons de vie, madeleines de Proust achetées en lot à Aldi aux côtés des « crêpes sous vide » et autres « boîtes de sardines » évoquées dans le morceau. Avec leur style singulier – humour aigre-doux et mots valises pour Vîrus, sens de l’image aussi saisissante qu’insaisissable pour Lalcko – les deux rappeurs soulignent à quel point le rapport à la nourriture est culturel et social. En rimes condensées chez Vîrus, version famille franchouillarde, ça donne : « La symphonie des couverts devant du porc pas cher, et si ça sent l’graillon : on aère. C’est là qu’ça pose problème car on chauffe pas dehors. Dans les coeurs c’est l’hiver. Bon moi j’y vais. Enfin j’reviens, enfin je sors ». En prose complexe chez Lalcko, version famille camerounaise voisine, ça donne : « Mais tu sors d’où ? La daronne a déjà fait la table. Elle a fait un plat en sauce : ici, ça vaut de l’or. Rien qu’le fait qu’il soit chaud a fait prier mon oncle. Parfois la vie est simple : j’ai vu des gens pleurer à chaudes larmes juste parce que la nourriture était bonne. » Il y a vingt ans, Kimto de Less du 9 disait de son quartier : « Chez moi y a pas de ghetto de neg’, juste celui des galériens. Dans ma rue on se serre les coudes et ça nous rend daltoniens. » Lalcko et Vîrus serrent les leurs autour d’un banquet de souvenirs généreux là où ça coûte de l’être, même si on ne compte pas dans ces moments-là. Mais attention à ne pas laisser de la chair autour de l’os. – Raphaël

Veust – « 7 Cieux »

Le Sud-Est et le littoral niçois ont l’habitude d’avoir de grandes journées bleues et ensoleillées. Mais il ne faut pas oublier que quand le temps se gâte, cela peut rapidement devenir très violent. Les orages sont brefs, soudains et intenses. Avec un instrumental de Dojo The Plug, « 7 cieux » donne l’impression de circuler sous un ciel gris virant au noir. Veust va appuyer sur le champignon d’un bolide pendant deux minutes en multipliant rimes foudroyantes et éloquence du tonnerre. Le géant de Vallauris met le turbo mais reste en pilotage automatique. Après un calendrier inachevé de trois saisons, des featurings chez Alpha Wann, Infinit’ ou Veerus, il est sur son solo Alley Oop en légère restructuration. Les punchs fusent toujours à une cadence infernale mais les subs ont remplacé les caisses claires. Il faudrait presque une analyse Genius pour « 7 cieux » quand la métrique de Veust enchaîne « On se met à l’envers comme M6 W9 / Et on double les keufs dans des BMW neufs » puis « Y a que des cailloux, moi j’me vois ailleurs que dans le fire / Ou parmi les voyous pistés par les voyeurs comme dans The Wire ». Bon, ça n’a l’air de rien écrit et lu comme ça, mais prononcé par la voix épaisse de Veuveu et son flow tout-terrain, vous comprendrez pourquoi beaucoup de rappeurs veulent devenir ses neveux. « 7 Cieux » est un modèle d’egotrip puissance 06 avec beaucoup de chevaux sous le capot. Et si la production plus actuelle de Alley Oop peut dérouter les anciens à la première écoute, la force de frappe du Lyricist fait toute la différence et met, sur le long terme, tout le monde d’accord. – JuldelaVirgule

BiG.C – « Rap Rap » feat. Hill-G & L’Expert

Ce n’est pas parce que ça a déjà été discrètement écrit ici que ça va s’arrêter : il y a en Suisse une clique qui pratique un boom-bap exigeant et intransigeant. Menée par DJ Eagle, la SWC sort chaque année un à deux disques. Parmi le roaster de MCs qui entourent Eagle, l’activité n’est pourtant pas linéaire. Cette année était celle de BiG.C, qui a sorti Dogma. Le titre de ce maxi est tout sauf un hasard tant la Supreme War Click défend un rap orthodoxe. Des galettes toujours soigneusement pressées, où le sample occupe une place prépondérante, où le hip-hop est sans cesse défini et précisé à chaque couplet, et où les scratches sont partie prenante. Le tout est trempé dans les influences new yorkaises mid 90s, ce qui n’étonnera personne. Quant à BiG.C, comme d’autres du SWC, il assume l’influence d’une autre légende, française celle-ci : Hill-G des X-Men. Le collectif a donc mené au bout sa fascination et invité le rappeur des X-Men. Une collaboration qui s’appelle « Rap Rap ». Un titre logique, puisqu’avec Eagle et consort, il ne s’agit tout simplement que de ça. – zo.

Charly Kid – « Très concentré »

En s’introduisant « straight gogol, super mongol » en ouverture de « Très concentré », Charly Kid pose avec franchise l’atmosphère de son morceau, peu cérébrale. Pas de thème, un instru qui tape fort ambiance south : « rajoute des basses j’ai un sample d’eurodance sur le réchaud ! » À l’instar du court album Attention de son auteur, ce titre alterne références macabres et légèreté, et peut prendre au dépourvu par son sens de l’humour, comme quand Charly Kid rend successivement hommage à Koopsta Knicca, DJ Rashad, Bram’s et…. « REP T-shirt blanc. » En un couplet encadré de deux refrains, le rappeur de Namur reste très concentré, « fait fumer [son] cerveau » dans son coin de la pièce et laisse les pensées fuser librement sans beaucoup de sens. Pêle-mêle on repense à l’année 2001 et à Akira, à écouter Bun B et Pimp C à quinze ans, à mourir à vingt-deux ans (« je peux m’en contenter »), à arracher des grillz. Le Kid concentre toutes sortes d’images en son cerveau, il est bizarre. – B2

Orelsan – « Manifeste »

Comme il démêlait dans La Fête est finie son histoire personnelle pour y voir plus clair sur son présent, OrelSan s’interroge sur son époque pour mieux préparer son futur dans Civilisation. Et à ce titre, « Manifeste » est à ce quatrième album ce que « Défaite de famille » était à celui sorti il y a quatre ans. Mais plutôt que la mosaïque de personnages familiaux en autant d’archétypes contemporains, Orel dissèque sur « Manifeste » certains maux actuels dans le contexte d’une manifestation autour de quatre personnages. Une journaliste carriériste, branchouille mais précaire ; un vieux pote resté dans son jus adolescent et qui voit le monde à travers le miroir déformant des infos en continu et des vidéos YouTube non sourcées ; une connaissance de jeunesse devenue mère seule et infirmière, allégorie d’une France en pleine crise sociale ; et le rappeur lui-même, « pas concerné par la société » car « putain d’artiste » et moitié conscient de ses travers egocentrés. Des personnages qui évoluent dans sept minutes de storytelling finement écrites, où OrelSan passe de la vue subjective aux flashbacks, du récit in situ à leur restitution en temps réel mais trahie sur Twitter et les chaînes 15 et 16. Surtout, en usant à la fois d’humour et de compassion dans cette foule qui affronte une violente répression sociale, Orel montre bien plus de justesse et de nuances sur son constat du climat social et politique actuel que sur la piste qui succède à « Manifeste », « L’Odeur de l’essence ». Un premier single efficace et intelligemment sorti avant l’album, dans lequel OrelSan donne des indications sur la direction de son Civilisation autant qu’il en désavoue certains de ses propos, notamment sur la simplification des idées et la dictature de l’émotion. Un écueil justement évité sur ce « Manifeste ». – Raphaël

« Écrit sur une période de plusieurs mois, « Le Fond de la classe » est un morceau à cœur ouvert qui ne cache rien. »

Jul – « Dans la cour »

Oui, JuL a sorti son vingt-sixième album. Qui aurait pensé écrire « le vingt-sixième album » d’un artiste, l’écouter et le commenter positivement dans ces colonnes ? Qui plus est, 2021, pour le Marseillais, c’est quatre albums de minimum quinze titres et de nombreuses collaborations extérieures. Les quelques combinaisons réussies du Classico organisé ont été un regain de fraîcheur dans la longue liste de ses propositions musicales. Dans celles où le rappeur est présent, comme « Loi de la calle », il démontre qu’il est capable de tenir le kickage tout en amenant les variations qui lui sont propres. Dans l’ensemble de l’album, il s’impose de nouveau comme fédérateur en regroupant cette fois cent cinquante-sept rappeurs du nord au sud pour créer des featurings qu’on n’aurait jamais imaginés. Ces expérimentations continues, l’audace et l’indépendance du rappeur-producteur donnent de la consistance à ce vingt-sixième album, justement intitulé Indépendance. Pour preuve, « Dans la cour », un morceau de cinq minutes aux allures de freestyle dans lequel JuL alterne entre egotrip propre à l’exercice et retours personnels contre la traîtrise. Il débute par « Ouh la prod j’lui fais l’amour / Niquer l’game je suis là pour » et finit avec « J’avais le cerveau plein mais mon cœur s’est enrayé / Les gens j’ai pas confiance j’vais mettre un glock sous l’oreiller » : parallèle totalement résumé lorsqu’il ajoute « J’suis pas bon en amitié moi je suis bon qu’à découper ». Rien de nouveau sous le soleil ici au niveau des thèmes du Marseillais mais on sent un Ovni en plein déploiement. Favorisé par une prod de Mehsah qui lui offre un dynamisme sans le contraindre – le producteur signe trois instrus sur le disque –, l’Ovni est aussi percutant dans la découpe que touchant lorsqu’il dit à sa mère qu’il l’aime. Le rappeur a pris en assurance et s’autorise pleinement à se vanter de sa place actuelle dans le rap français tout en rendant hommage à des anciens comme Le Rat Luciano ou Diam’s. Nul doute, les classicos ont confirmé la légitimité de JuL, renforçant sa filiation rapologique, mais ont surtout donné plus d’assurance à Julien qui affiche sa capacité à s’ouvrir davantage dans les années à venir. – Ouafae

Sam’s – « Le Fond de la classe »

Comme une brise froide, « Le Fond de la classe » arrive en fin de parcours pour mettre un point final à un album profondément mélancolique. Le temps de sept minutes, le titre nous raconte pourquoi son auteur, a mis six années à sortir un deuxième véritable album entre douleurs et questionnements. Si on l’a vu au cinéma et à la télévision (Validé, Patients, La Vie scolaire) Sam’s a pris son temps pour revenir en musique. Il y a bien eu plusieurs EPs, des singles et des featurings, mais pas de véritable album solo. Comme s’il voulait prendre son temps et un peu de recul pour mieux se raconter ensuite. A l’écoute du « Fond de la classe » on comprend sans doute mieux pourquoi : le temps de sept minutes, Moussa Mansaly vide son sac d’une rage contenue et mélancolique sans refrain que la production aérienne et mélancolique de Céhashi met en valeur. Dépression, perte de son père, amitiés brisées, insomnies… toutes les noirceurs de la vie du rappeur bordelais défilent sans interruption, au gré des flows de son interprète. Écrit sur une période de plusieurs mois, comme Sam’s nous le racontait récemment, « Le Fond de la classe » est un morceau à cœur ouvert qui ne cache rien. Une impudeur d’autant plus forte que son interprète ne laisse rien transparaître face aux autres dans sa vie. Et qui fait de ce titre une véritable porte ouverte vers les émotions de Sam’s. – Brice

Malo – « Prévu »

En intitulant son premier EP FROIDCOMMEDEHORS, Malo a plutôt bien retranscrit la distance qu’il impose entre l’auditeur et lui. Il n’ouvre pas vraiment son cœur, ne donne que peu d’indices sur son parcours. « Pas là pour me faire des potes mais pour me faire de l’oseille », « aucun sentiment sauf pour avec qui je mange », rappe-t-il sur cette introduction finement produite par Platinumwav. S’y entendent plusieurs éléments qui font l’intérêt des vingt minutes que dure ce premier projet. C’est froid et ça se passe dehors. Rien de fondamentalement novateur jugeront certains, et à raison. Associé à ce qu’il convient désormais d’appeler la new wave, proche de Khali, La Fève, J9ueve et toute la compagnie, le Franco-Américain est peut-être celui de la bande ayant la proposition la plus classique de la bande. Dit ainsi, ça ne semble pas élogieux, et pourtant ! Malo s’est introduit à l’auditoire avec une musique familière, des codes connus, mais avant tout, il est arrivé en maîtrisant ses skills. Sûr de son karaté, il envoie avec « Prévu » une des meilleures pistes d’ouverture du semestre, pour un des meilleurs EPs sur la même période. – B2

Ben PLG – « Chrysalide »

Quiconque a vu BEN plg en concert a pu s’en rendre compte : l’élocution est claire et l’énergie est contagieuse. Sur son troisième album Parcours accidenté sorti cet automne, le rappeur de Tourcoing monte encore en puissance. Beaucoup en font un « Jul du Nord », il y a en effet des similarités dans la façon de dresser un portrait de sa localité et d’extérioriser son vécu de façon honnête. Mais là où le rappeur marseillais se démarque par une multitude d’albums depuis maintenant huit ans, BEN a condensé son art sur ses deux derniers disques et plus particulièrement le dernier. Parmi les titres marquants, « Chrysalide » se démarque par un beat synthwave et uptempo. Sans les coups de burin de BEN qui viennent tailler la composition électronique de Murer, on pourrait s’imaginer dans le warm-up d’une rave, au milieu d’un hangar isolé avec beaucoup de réverbération. « Elevé au y a-mieux-mais-c’est-plus-cher », le rappeur a peaufiné ses formules : invoquer le royaume d’Hyrule pour décrire l’errance sur son boulevard, saluer ses nouveaux problèmes en leur disant « Enchanté ! », citer plus Manny que Tony et souhaiter à ses frères d’atteindre tous ensemble la ligne d’arrivée. Tantôt rappées avec véhémence sur les couplets, chantées sur les ponts, hurlées sur les refrains, BEN alterne les tempos et amplifie le voltage déjà bien chargé de la production. Le rappeur presque trentenaire passe un nouveau cap avec cette fusion rap-électro tirant même sur la variété française, notamment sur une deuxième partie de refrain plus souple et moins mécanique. Alors oui, pour reprendre l’introduction du morceau, 2021 est sûrement l’année où le talent de BEN plg a éclaté. Et si 2022 ne nous prive pas de concerts, il y a fort à parier que « Chrysalide » soit un temps fort de plusieurs nuits de folie… – JuldelaVirgule

Ziak – « Vrai / Faux »

Qui est Ziak ? Voilà une question qui a particulièrement agité le rap français et les réseaux sociaux en cette fin d’année, tant son apparition dans le paysage musical aura été fulgurante. Masqué et grand représentant de la drill à la française, la noirceur de ses textes auront eu pour effet de soulever des débats sur sa légitimité et sur la notion de fiction et de réalité dans le rap. Sur son album Akimbo, le rappeur a lui aussi joué – sans doute en clin d’oeil – avec cette notion sur « Vrai / Faux » : construit dans l’écriture sur une alternance entre les deux mots « vrai » et « faux », le titre donne une vraie profondeur à la personnalité de Ziak, qu’on avait jusque là beaucoup entendu dans des titres uppercut parfois à la limite du sensationnalisme dans leur description de la violence. Comme un pas de recul, le rappeur effectue ici un constat global sur la société, de la jeunesse des quartiers en passant par le monde politique et les médias, rappelant un peu dans l’idée (mais pas dans les sonorités) un certain Kery James. Révélé avec des titres très forts il y a quelques mois, Ziak semble vouloir montrer sur son premier album qu’il est plus qu’un simple drilleur, capable d’aller aussi sur d’autres sonorités et thématiques. « Vrai / Faux » existe dans ce sens. Et rends curieux pour la suite de sa musique. – Brice

« En plein crescendo, le rappeur de La Caution laisse entrevoir au micro autant qu’à la production à quel point l’album désormais annoncé de son groupe pourrait être une sacrée claque. »

Svinkels – « Rapido »

C’est l’histoire d’un mec qui a arrêté de boire, de sortir, de faire le con, de vivre au jour le jour. Bref, c’est un type qui s’est rangé. Puis un jour, il entend une rumeur en ville : ses anciens potes de comptoir sont de retour. Il s’est tellement marré avec eux, mais pourtant, ça ne le fait plus rêver. Il ne voit plus bien ce que pourraient lui apporter ces mecs. Il n’est même pas sûr qu’ils soient encore marrants ces trois Bistrot Boys. Mais tout de même, cette vieille époque le travaille. Il y pense. En allant faire ses courses, en allant au boulot, tous les souvenirs remontent. Cette fois où Nicolas a dégueulé sur le Tapis Rouge du bar de l’hôtel de luxe sur les grands boulevards. Cette autre fois où Gérard a jeté son slip en l’air lors de vacances au camping de Clamecy. Puis cette fois où Xavier a planté la bagnole dans ce putain de virage alors qu’il hurlait aux deux autres qu’ils étaient bons pour l’asile. C’était le bon temps quand même se dit-il. Puis en passant, il les voit, derrière la fenêtre du bistrot, rougeaud comme jamais à la même table qu’il y a dix piges. Comme s’ils n’étaient jamais partis. Son premier réflexe est de se cacher. Puis non, en fait. Allons voir. Il rentre. Les trois autres le reconnaissent. Accolades, tapes dans le dos, vannes affectueuses en plus des quelques insultes de Xavier, mais normal c’est le tarif. Puis Nicolas glisse un demi devant lui. Lui demande à la cantonade des nouvelles, comment ils se portent. Et lorsque Gérard lui répond : « Quand j’regarde Nekfeu, j’me dit qu’il est pas si beau, j’m’observe dans la glace et j’me dit qu’j’suis pas si gros, plus ça va, plus j’ressemble à Valérie Damidot, j’vais dépasser les zones de mon pass Navigo », il éclate de rire. Et sait que c’est foutu. Il rechute. – zo.

Hemo – « Les premiers, les derniers » feat. Ron Brice

Distributeur de nombreux formats courts depuis début 2020, dont trois cette seule année, Hemo développe un rap tout en flow lent sur des instrumentaux millésimés, entre samples chauds et rythmiques étouffées. Anciennement Mom’s dans les années 2000, il fait partie de ce réseau de rappeurs, dont certains avec déjà beaucoup de bouteille, qui font de la musique comme de l’artisanat d’art, à l’instar du duo M City, de Raph GPW, de Perso, d’Eloquence et Joe Lucazz, de Gizo Evoracci ou de l’équipe 12 Monkeys. C’est d’ailleurs avec l’un des rappeurs de ce label, Ron Brice, que Hemo croise le verbe sur « Les premiers, les derniers ». Un morceau où il est question de survie dans la précarité, d’espoirs déçus ou toujours vifs chez ceux qui « n’ont pas besoin de leur grand oui pour [se] faire un petit nom. » Sur la production lumineuse de Cluz, comme un soleil rasant d’hiver, Hemo joue sur la répétition des rimes, soulignant ainsi la moindre nuance dans les phonèmes, le moindre sursaut dans son flow avec parfois des accents camronesques. Ron Brice, lui, enfile les images limpides pour dessiner les impasses et les chemins de traverse de l’illicite (« Si la rue est une garce, pourquoi vouloir lui mettre la bague ? ») et cette voie de sortie par le rap (« J’le fais pour la culture et pour que mes blessures s’réparent »). Chez l’un et l’autre se dégage ce discernement propre à ceux qui ont tiré des leçons d’un parcours sans dorures mais toujours avec passion et motivation. – Raphaël

Waïv – « C’est bon »

En décembre 2021, pour la deuxième fois de l’année, WaïV figure au casting du programme #PTC du label Guette L’Ascension (Feuneu). Pour cet épisode six, le rappeur-chanteur de Bobigny passe en quatrième position et ne manque pas de relever un détail sur les artistes avec qui il partage le son : « c’est bizarre, tout d’un coup ils ont tous dit mon blase dans leur couplet ! » Il est vrai que Tipeck, qui ouvre le bal, et 1TM qui lui succède reprennent tous deux à leur compte un refrain de WaïV : « J’crois qu’ils ont capté là c’est bon ! » La phrase est issue de « C’est bon », morceau le plus fameux de l’artiste à ce jour, sorti autour de la rentrée des classes et propagé sur Tiktok dans les semaines suivantes. La raison principale de cette viralité se trouve au refrain, qui propulse un morceau simple et léger au statut de mini-tube, et révèle surtout un interprète comme le public les aime. La voix de WaïV lui permet de varier les hauteurs, changer de tons et se devine un potentiel fou, n’étant pas sans rappeler les premiers exploits de Gims ou plus récemment les propositions de Tiakola. Autre élément notable de « C’est bon », son auteur développe un élément de langage récurrent dans sa musique, la guelangue, une déclinaison supplémentaire du javanais, sans V comme à Paris, sans Z comme à Boulogne, mais avec des G comme à Boboch’. Enfin, à l’instar du reste de ses chansons, ce premier succès de WaïV est exempt de toute vulgarité, et laisse deviner une volonté de piété dans sa musique. Les suites de ce morceau ? Sur le plan artistique, elles se font encore attendre ; sur le plan du développement commercial, elles sont logiques : un passage réussi dans le WSH de Booska-p et une signature en major. – B2

Ninho – « No Life »

Ninho est sans doute aujourd’hui la plus grosse star du rap français. Et il a fait de sa mélancolie une de ses plus grandes forces. « No Life », présent sur son dernier album Jefe, le prouve merveilleusement bien. Si certains pourraient regretter le virage parfois pop de sa musique, ses albums contiennent toujours un ou deux moments de rap pur, coupés des calculs de ventes, de streams ou de certifications. Le temps de 4 minutes, « No Life » offre à nouveau cette respiration : sur un piano solennel accompagné de voix aériennes, presque mystiques, Ninho y raconte son parcours le temps d’un long couplet unique, suivi d’un court refrain. Comme sur « Goutte d’eau » auparavant, le morceau est une démonstration des capacités techniques de N.I., mélangé à un vrai savoir faire émotionnel, qui emmène le morceau sur un terrain bien plus intéressant que s’il était un simple freestyle. Les rappeurs qui mettent leur technique au service de leur vécu sont généralement les plus passionnants à écouter. « No Life » en est une nouvelle fois la preuve. – Brice

RCKNSQT – « Six Millions » feat. Nikkfurie

Il y a ce que Squat dit, et il y a ce qu’il fait. « Six Millions » épargne l’auditeur des prises de consciences politiques de la tête pensante d’Assassin. Ici, c’est plutôt dans la veine de 432Hz, sorti l’an dernier : il fait de l’egotrip cosmique et de la thérapie quantique. C’est ésotérique, mais c’est bien, ça fait un sujet à évacuer. Il est donc possible de se concentrer sur ce que Squat fait. Ici, il invite Nikkfurie. En plein crescendo, le rappeur de La Caution laisse entrevoir au micro autant qu’à la production à quel point l’album désormais (enfin !) annoncé de son groupe pourrait être une sacrée claque. Entre atmosphère épique, tension latente et accords synthétiques plaqués sur clavier, il y a ici un air d’insurrection futuriste, une sorte de cyber-menace de rue sur laquelle ne cracheraient pas des auteurs de science-fiction pour en faire la bande son d’une scène de leur thriller techno-futuriste. Une haleine d’Asphalte Hurlante goudronnée au désœuvrement du vingt-et-unième siècle. Et le scratch de Cutty Ranks et ses six millions de façons de mourir à choisir, exécutés par le regretté DJ Duke, ne font que renforcer l’atmosphère oppressante du tout. – zo.

« On imagine EDGE se frotter les mains sur un banc sous une volute de fumée jaunâtre s’échappant du seul moyen d’évasion en sa possession. »

Tuerie – « Tiroir bleu »

En littérature, une antonomase est une figure de style qui consiste à changer un nom propre en nom commun. Dans le langage courant, on dit d’un gros radin qu’il est un harpagon, d’un mec qui se tape plein de meufs qu’il est un dom juan. Notre rap français lui, connaît le phénomène inverse : il change des noms communs en noms de rappeurs, et pas n’importe lesquels. C’est le cas, entre autres, de Souffrance – coup de coeur collectif de la rédaction – d’Enfantdepauvres – sur lequel l’Abcdr s’était attardé il y a quelques années. Mais aussi de l’auteur d’un remarquable huit titres sorti cet été, Tuerie. Un nom sorti de la bouche d’une petite de Boulogne, à l’occasion d’une battle auquel le rappeur participait. « Parfois, c’est le blaze qui te choisit », commente-t-il au micro de Pascal Cefran. Au début, c’est Luidji qui faisait ses premières parties. Puis de (modestes) projecteurs se sont tournés vers le pourfendeur peiné des meufs filtrées d’Instagram et auteur de Tristesse Business : Saison 1. Le grand Tuerie, après une pause, est devenu son backeur. Derrière Bleu Gospel, il y a donc Foufoune Palace. Mais surtout : Kedyi. Un beatmaker à la culture musicale variée, comme le sont souvent les bons beatmakers. Kedyi a notamment travaillé avec Beeby. S’il n’est pas seul à la composition, sa patte se ressent dans l’éclectisme, brandi comme une fierté, de l’EP : rap jazzy, boom-bap, hommages à Nina Simone… et gospel, forcément. La forme de musique avec laquelle il est impossible de mentir. Tuerie y ajoute un brin de chanson française. Et surtout, un storytelling qui ne laisse personne de marbre, « Tiroir bleu ». Triple changement de prods (les trois sont signées du délicat Ryan Koffi), de cadences, d’intonations – du ton haut perché, entre l’ironie et la plainte, en intro, aux chuchotements accélérés de la fuite. Qui aurait cru qu’un auditeur des storytellings de Disiz aurait donné ce genre de morceaux ? Les variations sont bienvenues : pas le temps de s’ennuyer. Ni de sombrer sous une chape de plomb, alors même que le sujet est particulièrement lourd. Il est conté avec des voix décalées, comme parfois dans la vie, pour dire quelque chose de trop brutal, il faut singer une intonation, faire une blague. C’est aussi ce que peut la musique et que ne peuvent pas les articles : raconter ce genre de choses autrement qu’avec des gros sabots, piétinant ce qui doit rester ineffable. Bref, pas de spoil ici. Pour savoir ce dont il est question, il faut visionner le clip de « Tiroir bleu ». Et, pourquoi pas, s’attarder sur quelques perles musicales ou lyricales délicatement déposées au sein de Bleu Gospel. – Manue

Vin’s – « Manifeste »

Depuis quelques années, le rap outre-Atlantique sait se nourrir de son propre catalogue historique via un sampling ou une réadaptation de certains de ses classiques (parfois, aussi, de manière paresseuse). En France, malgré les trois décennies de discographie du rap français, les occurrences sont plus rares. Droits trop coûteux ? Manque d’érudition musicale des jeunes rappeurs ? Absence d’une culture de l’autocélébration ? Sur « Manifeste », le Montpelliérain Vin’s fait un clin d’œil appuyé au fameux titre de Shurik’n et Akhenaton, du nom du morceau à l’échantillon « beau à pleurer » d’Alex North posé ici sur une rythmique plus sautillante que l’original de 1998. Mais quand les deux membres d’IAM rappaient leur consternation face au climat social et politique du 13 à la fin des années 1990, le manifeste du membre du Waza Crew est davantage une affirmation de ses valeurs face à ses propres travers et ceux de son époque. Sur ce son où Vin’s dédicace « des potes chez qui des cases déconnent, ceux qui cassent des clopes pour ne plus voir c’décor », il rappe sur le fil, rêvant de changer ses mauvaises habitudes sans juger celles des autres, et de percer dans le rap sans devenir un parvenu. Une forme de conscience de classe diffuse, nourrie par ces scratchs piochés chez la Fonky Family, Keny Arkana, les Psy 4 de la Rime et la Scred Connexion. « Manifeste » est la démonstration d’un jeune rappeur porteur d’un héritage sans tomber dans le mimétisme désuet et artificiel. – Raphaël

Zesau – « Garder larguer » feat. Hache-P

Zesau est une légende du rap français à laquelle il faudra tôt ou tard rendre les hommages dus. Actif il y a plus de vingt ans aux côtés de Nessbeal et Koryaz (Dicidens), l’existence du classique « De larmes et de sang » est à mettre à son actif, sur le non moins classique album HLM Rézidants. Peut-être insultant pour les lecteurs expérimentés, ce bref rappel contextuel s’impose pour la jeunesse de l’auditoire rap. Après Dicidens, Zes’ a charbonné dans l’underground, posé pendant une décennie avec beaucoup de monde à travers toute la région parisienne et n’a jamais perdu de son niveau. Enfin, son activité sur les deux dernières années prouve que Zesau en a encore largement sous la pédale. Avec D.E.L en 2020 et Coup classique en 2021, il a maintenu un cap que peu de rappeurs de sa génération sont encore en mesure de tenir. Et pour mieux le prouver, il a invité des Georgio, Freeze Corleone, Stavo, Nahir, YL, Benjamin Epps… Et donc Hache-P, sur ce sympathique « Garder larguer ». L’ancien membre de feu la MZ offre un passage exceptionnel au cœur de son couplet : « Libérez les frères au chaud et embrassez-les, par contre les pédophiles, gardez-les, faut les stranguler avec des barbelés. » En dehors de ça, d’aucun regretteront le décalage entre le couplet de Zesau et celui de son invité, qui hormis le temps de ce chiasme de toute beauté, reste bas de plafond sur les thèmes développés : trahison, argent, « concu' » et célébration, quand l’ancien teinte son discours de conscience sociale et de rancœur politique. Ce déséquilibre est dommage car Hache-P est capable de proposition plus dense (on se souviendra de « Noir c’est noir » il y a six ans). Le titre n’en reste pas moins une belle collaboration, certes plus à l’avantage d’un des participants. – B2

Edge – « Schémas monotones »

Paru en plein automne, « Schémas Monotones », avec ses accords de guitare acoustique et le chant brumeux tout en douceur de EDGE, attire de suite l’attention. L’hypnotisante mélodie de Johnny Ola et les paroles du chanteur-rappeur restent collées au cerveau. Tout y est minimal et espacé. Froid. On imagine EDGE se frotter les mains sur un banc sous une volute de fumée jaunâtre s’échappant du seul moyen d’évasion en sa possession. Du blues du dix-neuvième arrondissement parisien, qui en l’an 2 après covid-19, résonne encore plus sèchement. « Du mal avec les infos, je crois que le bonheur on se l’est mis à dos », EDGE est sur une routine forcée par la marche du monde qu’un seul individu ne saurait enrayer. La double fiscalité des élites, ces Pandora Papers finalement trop peu épluchés que le rappeur évoque indirectement sur son second couplet, n’est finalement qu’un coup de plus porté au moral. Un spleen cyclique qui revient en permanence, comme une drogue. C’est aussi l’effet que procure ce morceau si particulier, prolongeant le cloud rap que PNL a installé dans la décennie précédente. Une réussite à retrouver sur Offshore, son dernier album. – JuldelaVirgule

R.E.D.K – « Welcome »

En avril dernier, son « Simple constat 7 » était un beau coup de semonce et une manière ferme d’annoncer son retour aux affaires avec Sale d’attente. Non pas qu’il ait été absent de la musique ces dernières années. Mais R.E.D.K. n’avait pas sorti d’album à son nom depuis son Chant de vision en 2014. En sept ans, beaucoup de choses ont changé dans le rap hexagonal, mais pas la direction du marseillais qui sert un nouvel album dense. « Welcome », intro de de ce seize titres, en est un parfait condensé. Toujours cette passion dévorante et tenace pour le rap. Toujours cette consternation face à pairs qui tombe dans l’illicite, et ce respect pour ceux qui se maintiennent droit. Toujours cette impossibilité d’être impassible sur des propos subis quotidiennement (« Dans les médias, y a rien qui va, y a des insultes qu’on n’oublie pas. J’allume la télé, y a deux/trois chroniqueurs à qui j’ferai bien bouffer mes tibias »). Idem sur les violences policières, face auxquelles Kader montre du dépit (« J’mate le décompte dans les décombres et compte le nombre de cris d’alerte. Jeune du béton jugé très con, donc personne répond quand on crie à l’aide »). Sur tous ces thèmes éculés mais ici traités avec adresse, le membre de Carpe Diem ne se montre jamais abattu sur sa manière de les rapper, où la multisyllabique est reine, où les références au foot sont malines, où les placements de flow sont millimétrés, qu’il rappe en triolet ou accélère sur un double temps à mesure qu’il avance sur l’instru funeste de Ladjoint et Alexis Caliendo. « J’m’étais juré d’arrêter le rap, il m’a suivi, m’a rattrapé par l’col », admet R.E.D.K.. Ça tombe bien : son rap est au diapason et tire par l’oreille celui qui veut bien l’écouter. – Raphaël

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