Nos 25 morceaux du second semestre 2020
Rap francophone

Nos 25 morceaux du second semestre 2020

Une sélection musicale, ce n’est pas seulement consacrer des tubes déjà relayés partout. C’est aussi aller chercher des titres qui reflètent la diversité du rap, peu importe leur exposition. La preuve en vingt-cinq titres.

Rocé – « Puissance feu »

Parmi tous les projets en chantier prévus mais repoussés en cette année pénible, celui d’un nouvel album de Kyo Itachi, Solide, cette fois-ci tourné vers le rap français après ses collaborations transatlantiques sur Night Life en 2018. Le producteur masqué et maître ès boom bap a rebranché sa MPC sur une prise ronde triphasée, en attestent Canon fumant avec Fizzi Pizzi et l’annonce d’un projet commun avec Rocca. Pour Solide, Kyo a envoyé deux singles en éclaireurs : « Mensonges et make up » des X avec Maj Trafyk et « Puissance feu » de Rocé. À l’image de sa présence sur Twitter, « Puissance feu » est un condensé de l’état d’esprit de Rocé face au climat politique et social contemporain : amer, révolté, mais non sans une pointe de sarcasme (« ils enfermeraient les fleurs pour pouvoir privatiser l’odeur, la mettre en sachet »). Dans « Puissance feu », il y a toutes les nuances de réactions à vif possibles face aux injustices et tartufferies du discours libéral-conservateur : la colère comme moteur, la résignation par épuisement (« la vie m’fera redescendre de force, à force que j’force »), l’espoir nécessaire (« on s’met pas à genoux, sauf si c’est pour faire grimper un p’tit sur l’dos. Un jour ils nous porteront à leur tour parce qu’il le faut »), le besoin de recul analytique (« votre oseille n’est pas une prouesse, d’ailleurs n’importe quel récit des colonies explique mieux vos richesses qu’un précis d’économie »). Sur un beat sec mais au groove entraînant, la boucle travaillée par Kyo Itachi mêle à la fois rage et tristesse, au diapason de l’humeur de Rocé. Un son millésimé mais intemporel, comme le coup de gueule porté par le rappeur. — Raphaël

OCKNEY – « COLIS PIÉGÉ »

L’influence et les gimmicks viennent de la clique la plus en vue de 2020. Descendante directe du son crade Mobb Deep/Wu-Tang des années 1990 puis de celui plus soyeux du Roc-A-Fella/Dipset du début de la décennie 2000, l’équipe Griselda a quadrillé l’année d’une pléthore de disques redoutables. Cette scène a évidemment trouvé écho dans les oreilles averties de la vieille garde du rap français (mais aussi la nouvelle avec récemment Benjamin Epps), tour à tour citée par Akhenaton, Ill (devenu Hill G), ou Muge Knight . C’est aussi le cas d’Ockney pour qui le rap technique et gritty de La Grosse Pomme a toujours été érigé en modèle. Sur « Colis Piégé », l’ambiance sombre et menaçante plantée par le producteur Didaï aurait pu avoir sa place dans un score de John Carpenter. L’urgence souterraine qui se dégage de la composition minimaliste de l’ancien partenaire artistique de Rimcash va de paire avec un groove suffocant. Des flashs de Piège de cristal, Seven ou Metal Gear Solid sautent tour à tour à la gueule de l’auditeur sous l’impact du slow flow caractéristique d’Ockney. Frontal et direct, l’underdog parisien n’a pas pris de gants pour exécuter le travail. L’exercice est certes simple et convenu, la chasse aux faux MCs, mais « Colis Piégé », de par son ambiance et sa concision, est un prototype. Ockney, tout le long de son album B.K.S (« Best Kept Secret »), semble vouloir s’échapper d’une musique devenue trop sucrée pour lui et revenir sur ses bases, en terrain connu, avec un rap de tradition comme fil rouge, ou bleu, à ne surtout pas couper. — JuldelaVirgule

Norsacce – « Headshot »

Si Lyon reste un lieu important pour l’équipe des complotistes sous lean, Norsacce lui, vient du 95 – du même quartier qu’un certain taulier du groupe Sniper, ayant récemment repris du service. Et il se démarque sensiblement par plus d’egotrip, moins d’ésotérisme ; plus de punch, moins de drogues. « Headshot », dans un autre genre que le mélodique « Dans la tête » de l’été 2019 n’est pas moins précis. Il s’agit encore de viser juste, tout au long d’un marathon apocalyptique. Sur une prod drill d’outre-tombe (Flem, toujours), jouant entre échos aigüs et basses saturées, Norsacce déploie détermination et technique, sautant à pieds joints d’une cadence à l’autre. Des échantillons vocaux restent gravés dans la tête (« ouh Norsacce fils »), éclipsant presque cette phrase bien intentionnée quoique maladroite, selon le point de vue : « Jamais de haine l’ami, t’inquiète on sait ce que c’est le racisme (…) Viens à mes concerts même si t’as une Magen David ». Bien sûr, le simple fait de devoir le préciser est louche, mais si ça peut faire chier les nazillons fans du 667, c’est toujours ça de pris. La progression est perceptible, la prestance semble innée. « Headshot » fait réaliser à quel point la drill est affaire de placements charismatiques plus que d’écriture – bien que cette dernière soit loin d’être fainéante. Et le charisme et de la technique, ce sont deux choses dont Norsacce ne manque vraiment pas. — Manue

Deen Burbigo – « P2 » feat. Esso Luxueux

Deen Burbigo aura pris trois années pour faire son retour dans le rap français. Trois années nécessaires pour repenser sa musique, prendre le temps de la recherche et analyser ce qu’il veut vraiment faire. Pour obtenir une réponse aussi simple que clairvoyante : « Ma spécialité le rap comme à New York. » Deen Burbigo est un rappeur aussi érudit qu’esthète, un amateur de bon mots et de placements précis qu’il aime déboucher pour les grandes occasions. C’est exactement la sensation que donne Cercle Vertueux, album pensé par lui pour lui, en compagnie de quelques soldats sûrs comme Esso Luxueux. Sur une production nocturne et pensive, Deen et Esso rident dans leurs pensées embrumées, tout en gardant leur exigence musicale intacte. Pas de refrain chanté, pas de rengaine pop, juste un échange entre deux bousillés de rap qui donnent l’impression de poser au fond du canapé sans forcer. — Brice

Connaisseur Ticaso – « La Rue m’appelle encore »

OG parmi les OGs de Montréal, Connaisseur Ticaso rappait déjà avant le nouveau millénaire. Connu dans chaque arrondissement de sa ville et écouté par tous les rappeurs québécois, l’Original Chilleur est reconnu là-bas comme patron incontesté d’un rap dont l’histoire n’a eu que peu d’écho en France. Pourtant, il a fait attendre son public. Il y a neuf ans, quelqu’un a posté sur Youtube son titre « La Rue m’appelle » avec la légende que voici : « Track de Ticaso qui sera sur son album… S’il le sort un jour. » Et il ne l’a jamais sorti ! C’est avec la suite de ce morceau, « La Rue m’appelle encore », que Le Connaisseur a annoncé l’arrivée de son « premier album » Normal de l’Est dans la nuit du 31 décembre 2020 au premier janvier 2021. Dans la droite lignée de ce qu’il proposait il y a vingt ans déjà, le rappeur délivre un rap de rue brut et plein de savoir. Sur « La Rue m’appelle encore », Connaisseur Ticaso met littéralement une claque de daron, ses skills sont exceptionnels quel que soit l’élément sur lequel on se concentre. Le flow et les placements sont majestueux, dans la pure veine Queensbridge, le choix des mots est ultra précis, chaque voyelle et chaque consonne trouve un écho dans une construction millimétrée sans que le sens ne soit évacué un instant. Si l’ensemble du morceau est excellent, difficile de faire honneur au deuxième couplet, sur lequel les superlatifs devraient pleuvoir. Connaisseur Ticaso rappe comme peu le peuvent, il marche sur l’eau. Et étant donné son parcours de vie et les sujets qui l’inspirent, l’album à venir devrait ressembler à une bénédiction. — B2

Sinik – « Insociable »

Ringardisé à la fin des années 2000 par un grand zouave désormais installé à Miami et lui-même devenu une caricature, mais également par des choix artistiques douteux sur la fin de son parcours en major, Sinik a repris ces dernières années le cours de son œuvre. Il y a eu le second volume d’Immortel en 2015, puis Drone en 2017 et un album deux ans plus tard. L’Assassin y a progressivement ressuscité ses fondamentaux, le principal étant l’art de l’impact, le même que celui sur le miroir de la pochette de l’album qui l’a définitivement consacré en 2006. Sinik, c’est ce rappeur qui transforme chaque rime en coup de poing sur caisse claire. C’est ce taiseux dont le silence à des allures de bouillonnement, et qui à chaque fois qu’il a ouvert la bouche « a tué des MCs partout en fumant vingt-cinq joints par jour ». C’est cet artiste qui marche désormais seul au point de se dire « l’enfant seul comme Oxmo ». De ce portrait, Sinik en a fait une signature, et il y a sur l’album qu’il a sorti ces dernières semaines un titre qui a tout de l’allure de carte d’identité. C’est la troisième piste de Huitième art et comme Trust, Sinik y fait son « Antisocial ». Sauf que lui n’a finalement rien perdu de son Sang froid. — zo.

13 Block – « Babi »

Pourquoi la musique de 13 Block rend si triste ? Dans le fond, ils ne semblent que décrire, loin du dope boy blues flagrant de PNL, une vie précise, factuelle. Le Perrier du matin – contre le Jack de la veille, le souffle d’Aguëro, un complice nommé Djalil, du taga mousseux. Pourtant, leurs grands morceaux sont ceux qui créent une atmosphère de sanglot contenu dans un sourire sadique, un regard noir, dont on ignore s’ils menacent ou demandent à l’aide. Portée par un son clair, parfaitement mixée malgré la variété des voix, des ad-libs, des petits détails de production, la musique du meilleur groupe de rap français actuel est pleine d’une froideur qui laisse tout sauf indifférent. Les envolées du refrain font place, pour le dernier, à quelques notes mineures de piano, renforçant ce contraste entre violence sophistiquée et tristesse simple. Zed a déjà exprimé, comme ça, au détour d’un des multiples reflets de cette trap fourmillante, l’envie de mourir – « Papa, Maman, je veux vivre longtemps c’est ce que j’kiffais dire à cinq ans  / maintenant j’me demande, vingt-quatre ans / J’gratte mes veuchs, gros j’meurs dans combien d’temps ? » (« Calibre »). Oldpee, ici, reprend la comparaison avec cet air de comptine adulte qui les caractérise : « Plus jeune, c’était la BAC qui m’voulait décrocher / Plus grand, j’sais plus vraiment si j’ai décroché ». Les meilleurs morceaux de Blo II sont des morceaux de groupe, pas des featurings, où chaque syllabe, chaque contretemps, chaque silence, est rythmiquement juste, des mélodies sans pleurnicheries de Zed aux saccades gelées de la numérologie de Stavo. 13 Block, et « Babi » le prouve encore, c’est le cœur qui se soulève en restant tiré à terre, entre les flammes de l’émeute et le soleil noir de la mélancolie. — Manue

Damso – « Intro »

Il y a deux ans sur ce site, on regrettait le manque d’introspection de la musique de Damso sur Lithopedion, à l’exception d’un « William » aussi furtif que touchant. Deux années plus tard, c’est sur un album entier que Damso se livre, le cœur ouvert, et les portes musicales en courant d’air. Une œuvre aussi déroutante pour les fans de la première heure qu’elle se révèle riche en détails et en nuances au fil des écoutes, à l’image de cet « INTRO » conclusif. Dévoilé en début d’année alors que le monde était en train de chavirer, le morceau frappe par sa mélancolie et sa justesse en fin d’album. Sur une guitare tout droit échappée d’un morceau rock mélancolique 90s Damso met nostalgie, remords et regrets dans l’interprétation d’un titre qu’on voit ensuite partir sur une interlude gospel, comme si le Damso rongé par la noirceur venait, au terme de trois albums, de s’extraire de ses démons. Pour mieux y replonger, le cœur plus apaisé, et le regard plus distancié. —Brice

Gazo – « Inceste »

Au terme d’une montée en puissance depuis le début d’année, Gazo a annoncé sa signature sur la nouvelle branche française du label Epic à la fin du mois d’août avec le titre “Inceste”. Il était la première recrue de l’écurie et le moins que l’on puisse dire, c’est que cela fut l’occasion de quelques rumeurs et spéculations quant à la somme déboursée pour sa personne. Quelle que soit la réalité du contrat, que l’on ignore ici en plus d’y être indifférents, ces bruits qui ont couru traduisent plutôt bien la place qu’a occupé “la drill” cette année dans le rap français. Tout le monde en parle. « Qui en fait ? Qui n’en fait pas ? Lui c’est drill, lui ça ne l’est pas.” Répétitif et lassant, le débat en a remplacé un autre que l’on a sûrement oublié, et sera bientôt évacué par une nouvelle tendance que l’on oubliera tout aussi vite. Ce sont désormais les règles d’un jeu qui va très vite, et donc, en 2020, la drill était le truc du rap français, et le truc du rap français avait besoin d’un chef à couvrir d’or : Gazo. Avec “Drill FR4” en compagnie de l’inévitable Freeze Corleone, l’apogée de Gazo est peut-être déjà passée mais “Inceste” est censé marquer le début de sa carrière. Par ce contexte le morceau est intéressant, mais il l’est également par ses qualités musicales, quand-même… Addictif surtout par son instru et son mix, le titre laisse entendre une interprétation tout en inspirations et en souffle long. Dans une montée sonore permanente, le jeune rappeur se pose d’ores et déjà en papa d’une nouvelle génération… Il est pourtant bien plus facile d’identifier les pères de Gazo que ses fils dans l’histoire du rap français, mais c’est un autre débat, qui attendra bien le prochain semestre et de nouveaux épiphénomènes. — B2

Lucio Bukowski & Oster Lapwass – « Personne ne gagne »

À la toute fin du vingtième siècle, un premier ministre en fonction déclarait ceci à l’attention des journalistes : « Quand vous aurez compris que je suis un dogmatique qui évolue, un austère qui se marre et un protestant athée, vous écrirez moins de bêtises. » Ici, on ignore évidemment si Lucio Bukowski est athée, ni même protestant – bien qu’il ait quelque chose de protestataire. Par contre plus sa carrière avance, plus il semble évident que c’est un austère qui se marre. Quelque part même, il y a un certain amusement à imaginer lui prêter les propos sus-cités. Car avec le temps qui passe, la figure la plus constante de l’Animalerie a l’air de sourire un peu plus. Et voir le rictus du Lyonnais gagner en espièglerie est réjouissant. Son sérieux devient impertinence, ce qui passait pour de la rancœur devient de la vanne aiguisée, et sa grossièreté sied parfaitement à la façon dont le rap épouse plus que jamais la société du spectacle. En effet, ses saillies sérieuses sur le grand cirque du rap français prennent de plus en plus les allures d’une jubilation trollesque. Alors sur un beat aux arrangements dignes d’un Prefuse 73, merci à Lucio d’avoir rappelé à tout ce petit monde qu’à la fin « Personne ne gagne ». Comme Jospin, auquel on s’excuse de l’avoir comparé ici. C’était pour la bonne cause, en espérant que l’austère se marre un bon coup en lisant les bêtises qui sont parfois publiées ici. — zo.

Luidji – « Boscolo Exedra »

Luidji aime être méprisable. Il n’a que faire des discours sur la masculinité toxique, pire encore, il semble vouloir en incarner le visage officiel. Le principe est le même : des histoires d’amour – ou lubriques – à durée variable. Les demoiselles convoitées sont souvent décrites de la même manière : un peu niaises, accros à leurs comptes Instagram, biberonnées à télé-réalité avec un penchant pour les marques de haute couture. Dans sa fable, Luidji est un personnage (quasi) omniscient, imbu de sa personne et intéressé par les plaisirs charnels. « Boscolo Exedra » – titre aussi de son EP – clôt une nouvelle escapade de l’intéressé. Les procédés sont connus : “Scroller le screen, trouver la rime, cracher le spleen.” Dans ce personnage qui “les collectionne comme des trophées”, l’auteur de Tristesse Business : Saison 1 se plaît à fissurer à des moments tout un pathos mis en place depuis ces dernières sorties comme en atteste cette ligne : “mon еgo fait d’la gonflette, j’deviens mon propre cliché.” Mais en réalité, Luidji a construit un arc narratif redoutable à son univers. Une facilité pour nous faire voyager à travers tous ces errements. Un talent d’écriture indéniable. Des frontières musicales gommées. Et une équipe de production sur-mesure pour soutenir tous ses questionnements. Tous les éléments sont en place pour aller encore plus loin pour Luidji. Plus loin sur son aura et son succès commercial. Plus loin dans sa substance et la profondeur de ses sujets. À cette occasion, l’artiste a même déjà entamé sa mue. Sur la toute fin du morceau, un échange avec une autre voix féminine (sa mère ?) lui conseille de suivre une thérapie car ses agissements ne seraient pas un cas isolé dans son code génétique. Un prolongement habile. Une porte qui s’ouvre pour jouer avec de nouvelles émotions, les siennes. — ShawnPucc

Rowjay – « OnlyFans »

Le rap peut parfois être une histoire d’attitude. Une musique ou parler du quotidien tourne parfois au sublime, quitte à ne pas utiliser beaucoup d’artifices. Sur « OnlyFans », le rappeur canadien Rowjay exploite entièrement cette notion. Le temps de trois minutes, le natif de Montréal rend hommage au hustle des utilisatrice de OnlyFans. Simple, fun, pas vulgaire, tout se joue ici sur la prononciation et la manière de poser de Rowjay dont le débit donne l’impression de rebondir sur la prod lancinante et synthétique signée Doom X et DJ Tempo. A l’image d’un Loveni en France, Rowjay s’inscrit finalement dans cette caste réservée des rappeurs francophones à comprendre le rap américain tout en le mélangeant à leur propre personnalité. Cool de toute évidence. — Brice

13 Organisé – « Je suis Marseille » feat. Akhenaton, Jul, L’Algerino, Alonzo, Fahar, Shurik’n, SCH & Le Rat Luciano

« Rien qu’à la vue du tracklisting tu saignes du nez ». Cette combinaison ferait vaciller la règle selon laquelle on ne peut rien certifier classique avant d’avoir entendu le résultat. Constat symptomatique de la compile dans son ensemble : la démarche a fait couler plus d’encre et de salive que la musique. Et pourtant, 13 Organisé, comme Chroniques de mars vingt-deux ans auparavant, est un disque solide. « Je suis Marseille » en particulier, est le fruit de négociations dans la bonne humeur. Comment faire poser ensemble trois générations de rappeurs marseillais, des puristes new-yorkais légendaires au héros en short de « Briganté », inventeur du rap Fruityloops aux bpm au-dessus de 100 – une sorte de son FF sans la sophistication et les références classes à la musique noire américaine  ? Une réponse : reprendre l’instru de « Marseille la nuit », un classique, mais pas usé jusqu’à la moelle, et y associer un refrain sous auto-tune. Ce refrain chanté, pris en charge par Fahar (Puissance Nord) sonnerait presque West Coast, une fois n’est pas coutume. Reprenant un sample similaire à celui du « Où je vis » de Shurik’n, la prod renoue avec la métaphore filée chère à IAM d’une « planète Mars ». Dans le clip, les protagonistes sortis du vaisseau de L’Adjoint plus que du beau livre de Ray Bradbury, font la découverte émerveillée d’une ville aux lumières oranges, vieille de trois millénaires. Depuis la colline, Notre-Dame veille, la pression tombe. Ils y trouvent des flics aliens – mais toujours violents – peints en bleus, des CD aux couleurs du seul Olympique distribués clandestinement dans des cités martiennes ; comme si on avait imprimé l’univers de Star Trek sur ces horribles chemises fluo vendues de la rue de Rome au marché de La Ciotat. Un brin de mauvais goût, mais la joie immense de représenter : ils sont Marseille. Une émotion douce submerge alors progressivement l’auditeur, du passe-passe entre Akh et l’Algé (décidément très en forme sur cette compile) au sourire ému de Jul à la fin du clip, des embrassades entre Alonzo et Luciano. Et surtout, un échange rêvé entre ce dernier et l’un des meilleurs rappeurs actuels, SCH: « Tu sais comment on est / Tu sais comment on fait / Tu sais comment on sait »… — Manue

Muge Knight – « Mugeland »

Le Muge est un poisson que l’on retrouve dans les eaux d’Endoume, village dans la ville de Marseille. Quand il sort de l’eau, on peut le trouver dans un bar où l’avenir et le passé fusionnent dans des récits locaux au ton burlesque, Pagnolesque pourrait-on dire, où une réalité touchante et juste se cache souvent derrière des prouesses humoristiques redoutables. Avant de proposer son album Mugeland, le quadragénaire en costume Cortez-peignoir italien a porté plusieurs noms (dont celui de Dédé Bras D’Enfant en featuring avec Jacky Claquette) et servi plusieurs plats à son assistance, souvent cloisonnée aux limites du sud rhodanien : Mets Les Gosses À L’Abri (2005)  avec Al1Man Staff, Marseillistan (2009) en tant que Mesrime puis Fini Parti (2016) en tant que Muge Knight. Avec « Mugeland », il met les deux pieds dans le plat, pâtes aux soupions de préférence. Le duo Just Music Beats concocte une production tonitruante, lacérée par des scratchs de l’incontournable DJ Djel piochant dans du M.O.P. de circonstance. Bon vivant, les phases du rappeur phocéen tournent autour d’un art de bien-vivre et posent les bases de son personnage avec des placements parfois hasardeux. Un manque de technique camouflé par une franchise “bat-les-couilles” bienvenue (« Je suis un rappeur mondialement reconnu ici pour ramasser les poubelles ») et des punchlines assaisonnées made in Marseille introuvables ailleurs (« J’ai quarante ans, j’ai le compte en banque, c’est une rue de Mossoul »). Pour grossir le trait, le Muge c’est un peu Gérard Baste ayant remplacé les canettes de 8.6. par une sauce aïoli, rappelant la bonne humeur de ses voisins reggae du Massilia Sound System ou de l’équipe des Films d’Espigoule (samplée dans l’introduction de son album). Une touche de social et d’humain, des codes rap maîtrisés lui évitant de sombrer dans un pastiche indigeste, “Mugeland” et les autres morceaux de son interprète font un bien fou dans une fin d’année sclérosée. Quant au run 2020 du duo Just Music Beats, il est tout aussi remarquable. — JuldelaVirgule

Ul’Team Atom – « Clasher l’ennui »

Dans le grand récit du rap français construit ces dernières années, une battle était régulièrement omise. Elle restait un souvenir rampant, de ceux qui circulent plus par le bouche à oreille que dans les pages d’un magazine comme l’Abcdr. Dégaine ton style est pourtant un événement hors-normes dans le paysage des années 2000. Problème, il avait lieu aux Ulis, l’autre bout du monde du rap français pour reprendre la définition qu’Express Di se fait des confins de l’Île de France. Les Ulis, c’est une ville sans gare, enclavée par le vide des champs et de zones commerciales dépeuplées. En 2020, un documentaire a pourtant pris le temps de revenir sur Dégaine ton style, afin que cette histoire ait enfin le droit à ses lignes dans le roman du rap hexagonal. Mais le film, réalisé par Yveline Ruaud, ne consacre pas seulement les joutes verbales qui ont vu Grödash, Sinik, Sadik Asken et tant d’autres se tester dans une MJC aux allures de chaudron. Il revient en profondeur sur l’histoire d’une ville et le sentiment de ses habitants, partagés entre amour inconditionnel pour leur territoire et lucidité sur les problèmes qui le peuplent. Ce n’est pas pour rien que le reportage a été titré « Clasher l’Ennui », car ce regard, c’est d’abord celui des Ulissiens, Ul’Team Atom en tête. Le groupe était à l’origine des battles qui se sont déroulées chaque année durant trois ans au Radazik. Ils en ont fait un titre, éponyme au documentaire, et il est indispensable de le livrer aux témoignages recueillis pour narrer l’Histoire du rap français, mais aussi et surtout à celle des quartiers franciliens. Car eux n’ont pas la mémoire courte. — zo.

Le Juiice feat. Meryl – « O NONO »

Depuis plusieurs mois maintenant, elle monte petit à petit en puissance : en à peine deux projets, Le Juiice s’est inscrite en 2020 comme une des vraies révélations rap français de cette année. Et son morceau avec Meryl ne fait que confirmer la chose : dévoilé au début de l’automne, « O NONO » nous ballade entre les couplets auto-tunés de Meryl et le flow tranché du Juiice, offrant une vraie couleur musicale au morceau. Porté par un refrain signé Meryl, experte parmi les expertes en matière de toplines, « O NONO fonctionne parce qu’il ressemble à une vraie collaboration. On ressent une véritable alchimie entre les deux interprètes, qui transmettent d’ailleurs cette complicité, en image (dans leur clip ou dans Rap Jeu) comme en musique. Gare aux éléphants en troupeau. — Brice

BEN plg – « Cœur propre et mains sales »

« Puissance feu » de Rocé cité plus haut est un constat en macro de l’état social de la France actuelle. « Coeur propre et mains sales » de BEN plg, qui ouvre son touchant premier album Dans nos yeux, est un témoignage en micro du quotidien de ceux qui subissent la loi du marché et qu’on voudrait diviser pour mieux régner. « On parle pour moi sans que j’l’ouvre comme un ventriloque » constate amèrement le nordiste, avec un « moi » qui pourrait être un « nous ». Enregistré en premier pour son disque mais finalisé en dernier, d’après le récit qu’en a fait l’auteur à nos confrères de Cul7ure, « Coeur propre et mains sales » plante le décor dans lequel évolue BEN sur la suite de son album. Il y a déjà cet amour du rap, à la fois porte de sortie autant que porteur d’envies et d’idées, incarné par des avatars variés (Niro, Salif, Jul, Noir Fluo). Même si les années passant, BEN plg a aussi appris à appliquer des règles de distanciation salutaires (« mes idoles sont shités, j’aime des artistes alors j’évite d’les croiser »). Il y a surtout la précarité, figée dans quelques symboles, des coquillettes au beurre demi-sel au jeux à gratter du paternel. Les plus fortunés sont méprisés, mais les raccourcis pour remplir le compte en banque aussi. Dans une opposition proche, Dosseh disait il y a dix ans pouvoir garder « les mains sales tant que les Nike Air sont propres ». Sur l’instru à la fois classique et actuel de Murer, avec ce piano mélancolique sur un beat trap, BEN plg pose une limite : charbonner, mais pas au point d’en noircir son âme. Celui qui dit vouloir « toucher les gens plus que j’touche mon 5S, des chèques, du bois, des espèces ou les ass’decs » réussit sur « Coeur propre et mains noirs » à trouver un morceau signature, un manifeste après plusieurs années de tâtonnement, résumées dans cette conclusion lucide :« j’élève une carrière comme j’ferais grandir mon propre fils. » Du rap de daron avant l’âge, à la fois mûr et immature. — Raphaël

Murmures barbares – « Magma »

Sur leur précédent disque, Idal et Hook expliquaient sortir d’un « Pompéï de béton ». C’était dans une chanson intitulée « Origamis ». Sept ans plus tard, les pliages japonais sont devenus des Mantras, et il y a quelque chose de réjouissant à voir ce second effort revenir d’entrée au pied du Vésuve avec un titre intitulé « Magma ». « Cherche un grain de sable dans un bain de sang » est la psalmodie d’entrée de ce disque, acerbe sur les rouages du monde d’aujourd’hui et la façon d’y évoluer. Les deux Suisses habillent d’un costume mortifère des symboles poétiques. C’est leur façon de mettre à nu les illusions du monde moderne. Les albatros voient des crocs surgir dans leur bec, les charognards y ont les honneurs, les pélerins sont recouverts de rouille, et comme en 2013, ces associations d’idées renvoient au choc lexical du nom du duo lui-même. La douceur des murmures qui se pare de la barbarie du monde. « L’époque, son épitaphe, ses croque-morts », et toujours cette volonté d’être l’infiniment petit qui évolue au nez et à la barbe des radars dans un grand corps reniant son propre déclin. Ça rappellerait presqu’un virus apparu fin 2019 dans l’agenda mondialisé de la civilisation humaine. Car après tout, qui est le véritable parasite ? « Cherchez nos cadavres » ajoute dans le titre suivant Idal. Comme les associations d’idées qui peuplent ses textes, ils sont exquis. — zo.

TripleGo –  « Que tu reviennes »

Certes, l’Abcdr écrit sur le duo montreuillois chaque année, mais il faut l’admettre : c’est toujours aussi bien, et jamais complètement pareil. Déplorer l’uniformisation du rap francophone en zappant TripleGo serait malhonnête. Avant le très solide 3 en décembre, Sanguee et MoMo Spazz ont sorti Twareg, du nom de leur label. Sur cet EP estival, une pépite parmi les pépites : « Que tu reviennes », à ce jour leur titre le plus proche d’un tube. Car si la qualité est toujours au rendez-vous, leur musique reste trop confidentielle. « Que tu reviennes » condensait pourtant tout. Les images sont simples, les rimes suivies semblables à la caresse d’un soleil doré – un or rêvé, pas réel. Les rythmiques tirent vers cette Amérique du sud que le rap français caricature trop souvent, avec un refrain à la fois profond et facile d’accès. Sanguee « voit l’infini dans peu » et c’est ce qui le sauve des « cicatrices du passé », bien que les ténèbres triomphent sur la sérénité. L’amour et la musique y sont pourtant invitations au voyage, vers un pays qui ressemble à la jolie puta, et où il serait possible de s’aimer sans douleur. Que leur musique décolle des sélections semestrielles de l’Abcdr et que le monde entier, du Maroc à la Colombie, s’épaississe l’âme au contact de ces psalmodies cloud rap. — Manue

Hill G – “Tom & Jerry (Freestyle) »

Démonstration. C’est le premier mot qui vient à l’esprit en écoutant “Tom & Jerry (Freestyle)” de la légende vivante du rap en français Hill G aka Ill des X-Men… Bref, le fameux Gilles, “faites vos devoirs, écoutez papa” comme il s’auto-cite sur “Paris 20ème OG (Freestyle)”. Un blitzkrieg de 1’38’’ où le flow spontané et millimétré inné du rappeur de Ménilmontant casse encore une fois la baraque. Leçon de style sur un sample très “bassé” de Miles Davis, le rap de “l’ancien” est racé et envoie une gifle de jeune grand-père bien tassée dans l’auditoire rap, aujourd’hui de vingt, voire trente années, son cadet. L’instrumental jazz et percutant de Maj Trafyk, pour lequel Les X ont collaboré en début d’année sur “Mensonges et Make Up”, est le court idéal pour les rebonds d’une phase à l’autre, les passages d’une assonance à une autre de Hill G, maître insolent et provocateur d’un exercice qui n’a plus de secret pour lui. Un retour musclé qu’on peut imaginer être influé par l’apparition sur le devant de la scène US ces derniers mois des Conway, Benny et Freddie. Son précédent freestyle tournant sur l’instrumental de “Where I’m From” du Jay-Z de 1997 fait d’ailleurs très bien la liaison avec les références fumées et recrachées ici. Du rap pour le plaisir du rap comme à son habitude, poursuivi par un explicite “Ta Tête Dans Un Bucket” en ce début de mois de décembre. Le roi de la technique est de retour mais il semble toujours, comme il y a vingt-cinq ans, se foutre de sa couronne. Retour aux pyramides, nique les … — JuldelaVirgule

Fayçal – « Seize à mes sources »

En 2015, l’Abcdr écrivait ceci : « Car si amour des proches, regrets et sentiment du temps qui fuit s’y interpénètrent, un spleen lancinant colle en définitive aux basques du morceau. C’est ce qui en fait, encore une fois, la beauté. » C’était à propos de Fayçal et de son titre « 29.5 ». Cinq ans plus tard – et quasiment quatre ans jour pour jour après son dernier EP, Bords perdus – les mêmes mots restent de mise. Alors qu’il dévoile la sortie – repoussée mais imminente – de Chants de ruines, Fayçal déploie avec « Seize à mes sources » cette magie que transporte chacun de ses titres lorsqu’ils ont des allures de bilan aussi bien personnel que collectif. « À nos amures devenues épées, à nos peurs devenues kevlar » commence t-il sur cette production de Keizan au piano joliment liquéfié et aux violons aux allures d’aria tranquille. Une longue énumération s’en suit, de celles qui remettent la douceur du cœur dans la rudesse de la vie, de ces mercis qui ne disent pas leur nom mais qui permettent de faire la paix avec ses erreurs et les absents. De toute façon, le rappeur bordelais n’a pas son pareil pour sublimer des sentiments universels et les rendre rassembleurs, dans une pudeur élégante et une franchise sans détour. C’est cette force qui est à puiser dans chacun de ses titres : celle de se tenir debout, digne et humain, blessé mais lucide, farouche mais généreux. Bref, Fayçal est un alchimiste, que l’or n’a jamais intéressé. Il y préfère ce que l’âme et l’encre ont de plus brillant. Mental précieux. — zo.

Alpha Wann – « la lune attire la mer »

Avec UMLA il y a deux ans, Alpha Wann avait parfait la formule rodée et esquissée sur la trilogie de ses Alph Lauren. Le plébiscite fervent d’une partie du public pour son premier album, également couronné d’un symbolique disque d’or cette année, a transformé le rappeur du 14e arrondissement de Paris en une sorte d’avatar, le tenant d’une ligne « ecclésiaste » qui pourrait tomber dans la caricature si Alpha ne sortait pas de temps à autres de ce qui pourrait être, paradoxalement, une zone de confort – ses featurings avec Nemir, Key Largo et Laylow ces vingt-quatre derniers mois en attestent. Sur la don dada mixtape vol 1, Philly Flingue joue évidemment à domicile, mais ne dispute pas exactement le même match que sur son album. Il tente par moments des nouveaux schémas de rimes, joue ça et là sur l’intensité et les inflexions de sa voix, tente de nouvelles directions musicales. Posé en conclusion, « la lune attire la mer » est une belle illustration de cette recherche sonore. La production dissonante de Binks Beatz et Bunkerworldd est au diapason du reste de la tape. Les deux producteurs, plutôt habitués à des rappeurs plus frontaux, adaptent leur goût pour les ambiances boueuses aux pistes explorées par Pi’erre Bourne depuis trois ans outre-Atlantique : nappes oscillantes et panoramiques, 808 saturé en lieu et place d’un réel kick. Sur cette prod où les hi-hats réguliers imposent une ligne droite mais l’alliance de la basse et la mélodie installe des chicanes, Alpha Wann slalome à coups de rimes croisées et embrassées pour crâner dans le premier couplet et exprimer sa consternation sur les travers de l’époque dans le second. S’il se décrit comme un « hypocondriaque, […] toujours trop soigné » dans un énième coup de menton, Alpha Wann est avant tout un asymptomatique de la rime : particulièrement infectieux sans en avoir l’air. – Raphaël

Hugo TSR – « Senseï »

C’est une cage d’escalier parisienne, avec un zonard comme tant d’autres assis sur ses marches. C’est une allumette qui allume un joint, puis qui est jetée encore flambante. Elle atterrit sur deux cadres vitrés, labellisés par un organisme de certification. Ils prennent feu. Deux disques d’or se consument. Ce sont ceux d’Hugo TSR, obtenus pour ses deux précédents albums. Si cela était venu de quelqu’un d’autre que le rappeur du dix-huitième arrondissement, brûler ses propres récompenses serait passé pour de la démagogie. Mais Hugo est une boussole, il incarne quelque chose de précieux : un repère, fiable et immuable. Sa parole est aussi rare que ses yeux sont souvent grand ouverts sur la réalité du monde. Il y a chez lui cet ascétisme, ce minimalisme dans le besoin, qui en fait une figure dépouillée de toutes considérations matérielles et compromissions. Cela peut sembler romantique, mais finalement, c’est la définition de l’art pour l’art. Et « Senseï » n’est que l’expression de cela : le rap pour le rap, la prise de temps et de hauteur pour parler des malheurs qui se déroulent au ras du sol et se reflètent dans des flaques de samples. L’exercice a beau avoir été tenté à maintes reprises (et même l’Abcdr s’y est cassé les dents), la musique d’Hugo ne se théorise pas. Elle est une attitude à lire sur la photographie d’un environnement, tantôt mouvement dans une image figée, tantôt arrêt sur image dans un monde en mouvement. C’est tout cela qui fait que sa musique échappe à toute dimension passéiste pour devenir intemporelle. Et quoi qu’en dise les tenants d’un rap qui devrait perpétuellement évoluer, c’est irremplaçable. Tant qu’on est là, c’est comme ça qu’Hugo avait titré son précédent album. « Senseï » indique cette fois ce que Hugo fera tant qu’il sera là : rapper « la tête haute tenue » sous une capuche. — zo.

JMK$ – “Unknown” feat. La F & Zeu

La deuxième partie de l’année 2020 a été marquée par un beatmaker, Flem. Certes productif, il a surtout été impérial par la constante qualité de son travail, seul ou en association comme c’est le cas pour “Unknown” de JMK$, coproduit avec Amin Farsi. Ensemble, ils délivrent un instrumental sobre sur fond de piano. La partition est triste, elle sonne comme un laisser-aller doux amer, un abandon dans lequel trois rappeurs se complaisent. Sans refrain, sans échange, sans thème non plus, ils se succèdent. Les couplets se juxtaposent et c’est La F qui ouvre par un entremêlement de peine et de violence. Son style est troublant, comme s’il faisait du rap par hasard, sans chercher à bien le faire et en imposant pourtant une maîtrise incompréhensible. Il n’est pas sans rappeler ces rappeurs français des années 2000 qui sortaient des street albums plus street qu’album. Derrière, JMK$ et Zeu enchaînent dans un ton similaire, les deux pieds dehors et sans vocalise. Finalement, le morceau est plein d’aspérités, on ne sait pas tellement ce qu’il raconte, mais on y entend des sentiments forts. L’instrumental et les interprétations laissent transparaître des peines et des lassitudes que les lignes egotrip ne sauraient cacher derrière l’ambition de ces trois jeunes rappeurs. — B2

Kalash Criminel – « Moments » feat. Bigflo & Oli

Kalash Criminel et Bigflo et Oli. Voilà un duo qui pourrait donner des idées à Kad et O pour leur jeu télé fétiche. A l’écoute de « Moments » c’est pourtant une belle surprise qu’offre ce duo aussi improbable que complémentaire. Depuis plusieurs années déjà, le rappeur cagoulé de Sevran et le duo à casquette toulousain se faisait des clins d’œils via les réseaux sociaux sans jamais collaborer. Sur « Moments » ils signent une association aux airs profondément tristes mais humains. Centré autour du thème de la mort, le morceau raconte la perte d’un proche et les souffrances qu’elles causent pour ceux qui voient les autres partir. Sur un registre bien plus dur qu’à l’habitude, Bigflo et Oli réussissent alors parfaitement leur incursion dans la musique de Kalash Criminel, en noircissant leur écriture pour signer un des collaborations les plus étonnantes de ces derniers mois. N’en déplaise à Kad et O. — Brice


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