Nos 25 morceaux du premier semestre 2022
rap francophone

Nos 25 morceaux du premier semestre 2022

Artistes confidentiels, rappeurs célèbres, MCs gardiens du temple, auteurs et interprètes sans complexes ou du genre à renverser la table, voici la teneur d’un semestre de rap francophone éclairé en 25 titres choisis par la rédaction.

Photographie de Une : Fifou

Photographies dans le texte :
Disiz : Brice Bossavie
C.Sen : zo.
Seth Gueko : Promo / DR
Lazuli : Boris Stakhanov
Gino : Clément RPT
Hyacinthe : Martin Colombet

Akkai – « Valeurs&Principes » feat. MLKWAV et Klemee

En ces temps de chaloupes autant audibles dans les dorénavant nombreuses déclinaisons de la drill, les multiples incursions afro-caribéennes ou encore les rythmiques électro-latines qui s’étendent depuis Marseille, un morceau comme « Valeurs&Principes » d’Akkai est encore plus anachronique et exceptionnel qu’une certaine résistance du boom-bap. Depuis son MAUAJI: Chapitre I en 2019, le membre de LaKonfréry épouse de plus en plus des grooves sud-californiens actuels. « Valeurs&Principes », sur lequel il convie ses comparses MLKWAV et Klemee de LaKonfréry, assume totalement cette inspiration angeleno, de la prod dodelinante d’Elijah Melo aux couplets lubriques d’Akkai et MLKWAV, interprétés à voix basses, comme des confidences sur l’oreiller. « J’ai des valeurs et des principes » rappe Akkai au refrain, repris par Klemee sur un pont chanté par ses soins : à l’écoute des pérégrinations hédonistes des deux rappeurs, les contours de ces « valeurs et principes » sont flous. En revanche, la direction du morceau est aussi droite qu’une ride nocturne sur une autoroute pour aller passer la nuit avec un plan cul, son lascif et lourd en basses à fond. –  Raphaël

Mozo Badazz, Mayindra, HMZ & Djex – « Style OWG »

Près d’un quart de siècle après Code 147, Grigny en Essonne conserve son identité musicale propre, voyant naître des rappeurs souvent imperméables aux tendances nationales et cultivant toujours leur style. Il y a eu évidemment La Comera, LMC Click et tous les noms gravitant autour du label DGC Records, mais en 2022 ce sont les Mayindra, Rosdagang, Mox Kri, etc. qui font l’actualité. Certains proviennent de Grigny même, d’autres de Ris-Orangis ou de Viry-Châtillon. Ils ont réuni leurs forces en ce début d’année à travers la compilation OWG913, derrière Mozo Badazz et Original Crew Records. « Style OWG » est un des morceaux au tracklisting de cette mixtape, et synthétise justement son esprit. Sur l’instrumental légendaire de « Still Tippin' » de Mike Jones, Slim Thug et Paul Wall, quatre rappeurs déroulent leur style et roulent des mécaniques. Ils sonnent on ne peut plus local, que ce soit par l’emploi du slang grignois (boug, floko, bad wo…) ou par le flow de Djex qui n’est pas sans rappeler Juicy P. De l’intitulé « OWG » aux diverses références citées en passant par le choix de la prod, tout est fait pour donner l’impression d’un titre de 2005 parfaitement conservé dans le formol, d’ailleurs… « c’est toujours d’actualité les émeutes. » Des rappeurs qui accueillent broliqués en Sergio Tacchini, pour reprendre leurs propres dires, et s’affichent très américains comme le veut la tradition du 91350, bandana, grillz et bijoux sans complexe. Une preuve de plus que cette scène est unique dans l’hexagone, l’occasion aussi de voir qu’elle est encore vivante, et surtout, une excellente prestation sur un instru déjà surexploité. –  B2

Disiz – « Rencontre » feat. Damso

Avant de monter sur scène pour défendre son nouvel album L’Amour, Disiz semble avoir pris une habitude : diffuser en dernier morceau le titre electro « Topdown » au groove sensuel de Channel Tres. Mais qui aurait cru qu’un morceau influencé (entre autres) par la house du rappeur de Compton serait le plus écouté de France pendant plusieurs semaines en 2022 ? Au début du printemps, « RENCONTRE » de Disiz et Damso a pourtant été numéro 1 sur toutes les plateformes de streaming du pays. Il faut dire que la collaboration était attendue de longue date par ceux qui suivent les deux artistes : des photos du duo, qui avait enregistré plusieurs titres ensemble par le passé (sans jamais les sortir publiquement) étaient disponibles depuis plusieurs années sur les réseaux sociaux. Et lorsque Disiz a annoncé lui-même qu’une collaboration musicale allait enfin voir le jour avec le rappeur belge, c’est toute une partie des auditeurs de rap français qui s’est interrogée. L’attente et les espoirs allaient-ils en valoir la peine ? Et vers quelle direction allait tendre cette collaboration entre deux artistes aux intentions artistiques communes, mais aux univers éloignés ? Plutôt que de chercher un compromis, Disiz et Damso ont finalement décidé d’assumer leur dualité. Pensé comme un choc entre deux mondes, « RENCONTRE » oublie – malgré la présence de Damso – toute logique commerciale (ou presque) en proposant une œuvre en quatre temps compactés en trois minutes, alternant entre le chaud et le froid, le feu et la glace. En jonglant entre la noirceur étouffante de Damso et l’optimisme retrouvé d’un Disiz apaisé, « RENCONTRE » fait se croiser boucle de guitare mélancolique, piano aérien bourré de reverbs, production trap sèche tout en utilisant en fin de parcours une dernière carte redoutable : celle de la house joyeuse et solaire, dans le veine de Channel Tres ou de Kaytranada. Si le featuring est devenu ces dernières années une évidence dans l’industrie musicale, il est souvent source de déceptions. Enregistrées à distance et souvent réalisées dans une logique plus commerciale qu’artistique, les collaborations dans la musique sont aujourd’hui au cœur d’une machine dont on a parfois du mal à voir le moteur créatif. Avec « RENCONTRE », Disiz et Damso décident finalement d’être libres dans tous les sens du terme. Entre peine et joie, stress et fête, Damso et Disiz signent un hymne torturé puis apaisé, qui semble vouloir faire passer un message : derrière les soucis se cache toujours une lueur d’espoir. C’est tout le propos de Disiz, ying d’un Damso aux airs de yang désabusé.  –  Brice

« Rencontre jongle entre la noirceur étouffante de Damso et l’optimisme retrouvé d’un Disiz apaisé. »

Gizo Evoracci – « Tribulations d’un bluesman » feat. LILI O

Dans une période où sort une mixtape intitulée Zizi Caca (aussi sérieuse soit la blague) et où une chaîne de vidéo à la demande diffuse un télé crochet sauce rap, il est bon d’entendre les tribulations d’un bluesman sans prêter attention au cirque ambiant. Don’t believe the hype disait Public Enemy. Après tout, personne ne nous oblige à écouter ou à regarder les divertissements en vogue du moment. Personne non plus ne nous force à écouter Gizo Evoracci. Lui qui a pourtant sorti un des meilleurs EP l’an dernier et dont la production racée et féline aurait dû faire plus de gros titres dans la presse spécialisée. Mais le grignois d’origine capverdienne semble préférer travailler dans l’ombre, dans son corner, loin des lumières d’un rap jeu qui vire parfois à l’auto-parodie. Son dernier album Tesla coupe Deville, suit la ligne tracée en fin d’année dernière, prolongeant sur un plus long format l’atmosphère de velours de Miracle & Stacy Adams. L’artwork de la pochette est sobre et dessine une ambiance feutrée dans une berline noire confortable immatriculée “Suave House Kid”. Les productions jazz sont fouillées et nous feraient presque croire que l’on est en terres nord-américaines si Gizo ne venait pas rapper, ou plutôt murmurer, en français. Le morceau d’introduction suffit à mettre en place l’univers de son interprète. La production de Nicky Santoro et de Pitchbull semble sortir d’un film de Spike Lee où Denzel Washington a le premier rôle. C’est d’ailleurs le doublage français de ce dernier qui ouvre le morceau suivant (« Rideau dans berline » avec un Tedax Max en toujours en forme olympique) quand c’est celui d’Al Pacino dans Le temps d’un weekend qui est samplé ici pour clôturer le morceau : « vous tuez l’esprit même que cette institution prétend faire naître […] Tout ça c’est du pipeau […] Mais l’âme de Charly n’était pas à vendre. » Ou l’art de dénicher le meilleur ingrédient pour servir son plat. L’illustration choisie par Gizo vient épaissir ses propos tout en donnant la touche finale à sa peinture, celle d’un OG qui n’a besoin de personne pour être validé. « La nostalgie est un truc à caresser avec prudence » avertit-il en début de morceau avec sagesse. Gizo a retenu les leçons et vit avec son temps comme un survivant d’une époque révolue. « Avant c’était différent. Maintenant c’est différent. » –  JuldelaVirgule

Radou – « Surf »

L’autoproclamé surfeur du 18ème, jeune prince, El Mielista, Joggo Bae, est une sorte de romantique, un dandy de la street en baskets impeccables. Amoureux de RnB et de rap UK, défourailleur d’open mic Paris/Banlieue, il traîne généralement sa mélancolie sous des maillots de foot vintage, dans les alentours de Paris nord. « Surf » n’est pas sa première tentative d’adaptation de sonorités anglaises, mais c’est une réussite. À l’heure où les rappeurs hexagonaux prennent la rythmique 2-step pour en faire un peu n’importe quoi, Radou sait l’habiter de sa ride. Le paysage et le quotidien sont déplorés autant que célébrés. Il veut les quitter, comme tous les gens sympas, mais ne peut pas s’empêcher de les aimer. La mélodie du refrain a été enregistrée en one shot, conçue en freestyle deux heures avant l’ouverture du studio. Cet aspect chanté, doux mais pudique, vient d’ailleurs renouer avec l’ancrage RnB de la 2-step. C’est peut-être ce qui explique l’aspect addictif (la « replay value » comme disent les startuppers) du résultat final. –  Manue

M City – « Jardin de Tivoli »

Des deux côtés de l’Atlantique, les figures de parrains italiens, de hood lords et de narcotrafiquants en tout genre occupent une place centrale dans la mythologie du rap. Frank Lucas, Marlo Stanfield, Pablo Escobar et bien sûr l’inévitable Tony Montana. Le nom de Clement “Dudus” Coke est moins souvent cité. En France, l’histoire du seigneur de Tivoli Gardens et de la guérilla qui a embrasé les rues de Kingston en 2010 quand le gouvernement jamaïcain a lancé une opération pour l’arrêter dans le but de le faire extrader aux Etats-Unis n’est plus gravée que dans la mémoire des OGs. Black P est de ceux-là. Sur un beat aussi sobre et élégant que la garde-robe d’Alejandro Sosa, armé d’un sens de la métrique aussi inflexible que le code d’honneur d’Omar Little, il déroule un discours huilé comme le barillet du flingue d’Ivanoë “Ivan” Martin. Il dit en somme que les lois de la rue et sa réalité brutale sont les mêmes de Paris à Kingston. Et montre par l’exemple que c’est souvent le rap le plus orthodoxe qui les incarne le mieux. –  Beufa

C.Sen – « Tolérance zéro »

En titrant son album Confidentiel, le C.Sen le confesse : « Je suis pas dans la marge, je suis sorti de la page. » Lui qui évolue dans le dix-huitième arrondissement entre deux voyages au Brésil (et ailleurs) file ensuite la métaphore : « j’écris sur le décor, et la réalité déborde. » Douze pistes durant, le rappeur croque effectivement des moments de vie(s), dessine des figures locales autant que des ombres de quartier. Le tout est condensé dans des rimes pleines de jolis traits d’esprit, ornées de scratches par DJ Pone sur des boucles aux humeurs new-yorkaises mid 90s orchestrées par Le Chimiste. Un rap qui sous ses aspects bavard, car bien rempli en texte, dit beaucoup de choses en peu de mots. Chez le C.Sen, c’est le sens de la formule qui fait la concision et le regard qui fait la densité, y compris quand il s’agit de se regarder lui-même. Sans jamais s’accabler, le rappeur n’a cessé de s’égratigner tout au long de sa discographie, entre humour noir et sourire jaune. C’est encore le cas avec ce « Tolérance zéro », qui est à l’image de la musique de l’artiste de Paris Nord (et d’ailleurs) : un rap exigeant avec lui-même car « adulte », mais pas chiant car « coupable et libre ». De quoi ? De petits plaisirs, d’un peu de désordre et de beaucoup de passion(s) entretenue(s) comme un feu sacré. « L’album de la maturité, c’est pas pour tout de suite » dit-il. Il faudra penser à répondre à Pierre Cesseine que c’est très bien comme ça. Ne te dépêche pas !  –  zo.

« Chez le C.Sen, c’est le sens de la formule qui fait la concision et le regard qui fait la densité. »

Lesram – « Cnn »

Lesram est de ces rappeurs qui racontent les tentations de l’illégal sans le glorifier : il en souligne précisément les travers plus que les éphémères bénéfices. Sur l’intro de son Wesh Enfoiré, le membre de Panama Bende estime qu’il est « facile de faire des rimes, plus dur des dire des choses. » Un enjeu auquel il tente d’être à la hauteur dès la piste suivante, « Cnn », où il pointe autant du doigt le cercle vicieux de la mauvaise influence sur les plus jeunes que la violence policière. Lesram pioche chez Mehsah un instru où le piano pleure, comme souvent avec le producteur de La Chronik, mais où la rythmique plus lente sautille sur des contretemps de rimshot, des roulements de hi-hats et des silences. Un écrin qui permet à Lesram de jouer encore plus de l’élasticité de sa voix mâte et de son ton monocorde, avec des césures dans sa cadence en triolet. L’entrain rythmique ne dissimule pourtant pas une sensation tenace sur ce « Cnn ». « Ça fait d’la peine, comme voir son frère couler ou un p’tit qui voit tout le temps son père bourré. J’sortais avec une paire trouée, dans les coins sombres on s’est retrouvé ». D’une tonalité peinée, qui colle autant à la mélancolie de l’instru de Mehsah qu’à sa voix monocorde, le rappeur du Pré-Saint-Gervais dégage sur ce « Cnn » une tristesse qui flotte dans l’air de sa rue comme une humidité nocturne. –  Raphaël

Testos – “Le Pont du Queens »

Au mois de février, L’Abcdr saluait le retour de Testos. C’était avec le titre « Génération Wu Tang » et le rappeur y avançait ses pions avec une sagacité cinglante. Technique, gimmick, ambiance digne des bords de l’Hudson, le rappeur d’ATK montrait qu’il était de ceux qui savent parler du passé en ayant toujours un coup d’avance sur l’auditeur. Cette formule, il l’a confirmée avec « Le Pont du Queens », introduction du bien-nommé album Calmez votre ancien. Sur une ronde de notes de piano angoissantes, le rappeur du dix-neuvième arrondissement part cette fois de Queensbridge. Et en moins de soixante-dix secondes, le regard en coin mais lucide, l’élocution rauque et le verbe vrai, il y fait un redoutable aller-retour entre les trente-six dessous de la vie de quartier et les 36 chambres d’un rap aigre et offensif. Menaçant juste comme il faut et « possédé par le démon QB », ce court soliloque ressemble à une mise en garde prononcée sous le pont d’un métro aérien qui desservirait aussi bien la station Jaurès à Paris que celle du mythique Pont du Queens à New-York, en étant passée par celle de Stapleton sur Staten Island. De toute façon, Testos le dit neuf pistes plus tard, son style c’est Hell on Earth. Le titre s’appelle « L’Ancien », et ceux qui ont ce genre de classiques en références ne sont pas du genre à se calmer. –  zo.

Lazuli & King Doudou – « Casse ton dos »

Lazuli n’est pas rappeuse, son précédent EP, Zero (produit par le Lyonnais Izen) donnait plutôt dans le baile funk, un genre musical que Sadek avait vaillamment et en vain tenté d’entériner en France. Si elle s’inscrit dans le hip hop, sa musique marque par la variété de ses ancrages : chant, rap, rythmiques reggaeton… Tout ce qui peut donner envie de danser jusqu’à luire de sueur, ou d’ouvrir un strip club, c’est selon. Pour ce genre d’artistes, poser sa voix sur un beat est une affaire d’intuition. Le talent probablement, et le fait d’être tombée dans la marmite des musiques d’Amérique latine quand elle était petite. Mais à la différence d’autres, Lazuli a su donner un écrin parfaitement produit à son don. C’est ce qui explique, alors qu’elle n’a pas une carrière très longue, la qualité de son deuxième EP, Cardio, produit par King Doudou (PNL et J.Balvin, si besoin de rappeler le CV du bonhomme). Pour « Casse ton dos », ce dernier a pris des musiques hip-hop des favelas leur mélange de violence et d’érotisme. L’originalité de l’instru, épurée, tient à son aspect concret : un bruit de bécane au démarrage agressif (ou d’une tronçonneuse), de temps en temps le clic d’une arme en guise de beat. Par dessus, une Lazuli envoûtante, qui scande des impératifs entre le coup de pression et le susurrement sensuel. Attention hommes sensibles, dans le clip (production lyonnaise là encore, Boris Stakhanov) ce sont les femmes qui font le gang, et c’est un danseur qui « twerke comme Cardi. » –  Manue

« Chant, rap, rythmiques reggaeton, la musique de Lazuli marque par la variété de ses ancrages : tout ce qui peut donner envie de danser jusqu’à luire de sueur, ou d’ouvrir un strip club, c’est selon. »

H Jeune Crack & Beamer – « Demi tour »

Extrait de Mauvaise Musique, l’EP commun entre H Jeune Crack et Beamer du Summum Klan, « Demi tour » en est un des titres les plus réussis et surtout les plus touchants, à la fois de par la mélancolie qui se dégage de l’instrumental mais aussi de par l’humilité, la sincérité et l’humour des deux rappeurs, qui se renvoient phrases sur phrases l’un à l’autre durant trois minutes. H Jeune Crack est actuellement l’un des rappeurs les plus intrigants de France, une pépite qui scintille à chaque apparition, tendre et pure. Ceux qui travaillent avec lui ou même le suivent simplement de près s’en rendent bien compte, et Beamer le relève d’ailleurs à la fin de ce « Demi tour », dans un joli dialogue :  « (B) – J’ai des projets, j’ai mes projets… / (H) – Sa mère, j’espère j’en serai là quand j’aurai ton âge. / (B)– T’inquiètes, t’en seras déjà là dès l’année prochaine ! / (H)  – Cimer’ ! J’toublie pas le jour où j’touche un gros chèque. / (B)  – Bien vu, en tout cas j’pense qu’on a fait du bon boulot ! » Et cela ressemble à un passage de témoin entre deux générations tant la musique évolue vite désormais… –  B2

Bricksy & 3G – « Could u forget » feat. Babysolo33

Babysolo33 fait partie de ces divas en puissance qui ont émergé des profondeurs de SoundCloud ces deux ou trois dernières années. Elle s’inscrit dans un courant qui hérite des expérimentations de la scène emo rap pour chercher à mettre en musique des émotions sous une forme aussi brute que possible. Le texte dès lors ne suffit plus à porter cette charge émotionnelle, et la voix n’est en quelque sorte qu’une couche de l’instru parmi d’autres. La rappeuse girondine excelle dans l’art de nicher au coeur d’une production son timbre à la fragilité sensible exacerbée par l’Auto-Tune et sa collaboration avec le duo de producteurs bordelais 3G&Bricksy, issus de la prolifique scène du 33800, lui offre un terrain de jeu à sa mesure. En résulte notament ce “Could u forget” lancinant, chanté le coeur au bord des lèvres et les larmes à fleur de voix. –  Beufa

Seth Gueko – « Cali Cali » feat. Roi Heenok & Jason Voriz

Encore une annonce de dernier album. Cette fois-ci, c’est Seth Gueko qui s’y colle. Un album en forme de baroud d’honneur pour le barlou qui invite un casting allant de la jeune génération (son fils Stos, Benjamin Epps) jusqu’aux vieux de la vieille (Le Rat Luciano, Sat ou Akhenaton) traversant l’hexagone de Paris à Marseille. Mange tes morts est un album somme, une sorte de best of inédit, où les univers manouche et loubard fusionnent sous la diction impeccable de Seth Gueko, lui qui a porté le rap Neochrome sur le devant de la scène dans les années 2000. Le MC manie la langue de Molière sans langue de bois avec des tournures crues et des sorties dignes du magazine Fluide Glacial. Sur « Cali Cali », il est accompagné par le Roi Heenok et Jason Voriz. Le refrain ne manque pas de marquer les esprits en reprenant un standard de Biggie, traduit par les soins du québécois. La production de DJ Weedim dessine un décor nocturne futuriste où semblent filer des néons rouges sur de longs couloirs obscurs. Jason Voriz gratifie le morceau d’un couplet saillant (les onomatopées ont rarement été aussi bien rappées) comme il l’avait fait en 2016 sur un « Je roule au ralenti » codéiné, toujours invité par Seth. Quant à l’hôte de cette assemblée extraordinaire, il reste droit dans ses sneakers, fidèle aux jeux de mots et aux packs de multisyllabiques qui ont fait son succès. C’est gras, ça tâche, cela aurait pu être Gérard Baste mais c’est encore un autre degré de trash attitude. Parfois facile (« ça fume comme des pompiers, ça sent la déforestation »), parfois alambiqué mais toujours avec de gros souliers (« faut niquer la police comme à Minneapolis, je fais pas du rap pour que les minets applaudissent, on veut de la tisse-mé à peau lisse »), les punchlines ne laissent pas de marbre : c’est une langue de drôles d’oiseaux à laquelle on a affaire. « Cali Cali », avec son refrain qui retourne le cerveau, reste un défouloir extrême à hurler dans la gova à l’abri de la bienséance et du politiquement correct. Tout le sel de Gueko pour son dernier set. –  Juldelavirgule

« Un défouloir extrême à hurler dans la gova à l’abri de la bienséance et du politiquement correct, c’est tout le sel de Gueko pour son dernier set. »

Shay – « DA »

« DA » est un titre qui avait tout pour faire date. Après quasi deux ans de silence, laissant ses jolies garces attendre son retour avec une impatience grandissante, Shay revient avec ce qu’elle sait faire de mieux. Attitude arrogante et vénéneuse, clip à l’esthétique fouillée, débit soyeux : la bad bitch en chef du rap francophone est enfin de retour, prête à réduire la concurrence en cendres et les détracteurs au silence. Le morceau peine pourtant à trouver une caisse de résonnance auprès du public, réception en demi-teinte dont on aurait peine à parler sans évoquer les aspects extra-musicaux qui biaisent forcément l’écoute. Il y a le prisme latent du patriarcat qui vient altérer la manière dont les morceaux des rappeuses sont entendus. Il y a aussi l’actualité médiatique de l’artiste, dont l’apparition dans le télé-crochet de Netflix Nouvelle Ecole a quelque peu écorné la sulfureuse aura de mystère dont elle était entourée pour en faire un personnage public de plus. Mais une fois le bruit des commentaires incessants des réseaux retombé, il reste la musique. Il reste surtout ce refrain infectieux, qui vient se loger quelque part derrière le lobe frontal, et que l’auditeur fredonne de manière un peu plus obsessionnelle à chaque réécoute. –  Beufa

Gros Mo x Nekfeu – « Paradis Artificiel »

Mi-crooner désabusé mi-bandit à la retraite devenu papa poule, Gros Mo est un artiste aussi versatile que fascinant. S’il a longtemps mis en avant les aspects les plus sombres de sa personnalité dans sa musique, son dernier album en date, Grozo Social Club, est teinté d’une forme d’apaisement mélancolique. L’artiste s’y montre moins torturé que par le passé, trop expérimenté à présent pour se laisser embarquer dans les tourment d’une passion trop dévorante. C’est un thème qu’il partage avec Nekfeu, lequel arrive tout en maîtrise sur quelques mesures rappées avant que sa voix vienne se fondre dans l’esthétique générale du titre, qui est plus proche d’une ballade mélancolique que d’un street banger. Gros Mo et Nekfeu y font figure de poètes romantiques, chantant les affres trompeuses de la passion et leurs désillusions – le tout sur un ton presque nostalgique, comme si les deux tout juste trentenaires étaient déjà de vieux briscards jetant un regard ému sur leurs erreurs de jeunesse.  –  Beufa

Primero – « Trac »

Depuis qu’il s’extirpe en solo depuis deux ans, le rappeur belge Primero semble affronter ce qui bout en lui depuis de nombreuses années. Déjà aperçue au sein de son groupe L’Or Du Commun, la mélancolie du natif de Bruxelles savait même régulièrement toucher là où il fallait, sans non plus trop s’épancher. Maintenant seul, Primero donne finalement à la complexité de ses questionnements la place qu’elle mérite, notamment sur « Trac », issu de son EP Fragments part 1 : dévoilé après deux années sans sortir de musique en solo, ce nouveau morceau devait affirmer les intentions entrevues sur son EP Serein en 2020. Plus qu’un retour bien amorcé, « Trac » est en fait une affirmation de style : entre paroles introspectives et efficacité musicale, le titre fait remonter en un temps record les doutes et les inquiétudes qui surviennent au moment du passage à l’âge adulte (« Moi qui pensais que rien ne pourrait m’envahir, fallait que j’approche de la trentaine pour voir qu’un mental en béton ça s’entraîne ») tout en emportant son auteur dans un tourbillon de questionnements et de constatations. Aujourd’hui prêt à se livrer, Primero donne depuis le début de l’année sur ses EPs Fragments de plus en plus de matière à sa musique et à ses pensées. « Trac » est en sans doute une des plus belles réussites, notamment dans son constat clair et lucide en fin de morceau : « Mon métier c’est faire semblant de parler des autres pour parler de moi même. » Ça a le mérite d’être honnête. Et c’est tout ce qu’on demande. –  Brice

Gino et Relo – « Pone »

Il y a dix ans, la nostalgie était aux rythmiques mid-tempo et samples filtrés du New York des années 1990. La vague n’est pas équivalente, mais ces derniers mois les cadences plus rapides et droites de titres comme « Legend » de Rohff et Jul ou « À l’aube » de Soso Maness et Dinos rappellent un style de rap au début des années 2000 qu’on entendait notamment dans le rap marseillais à travers la musique de la Fonky Family, de Carré Rouge, de Puissance Nord. Une école de rap dans laquelle ont baigné Relo et Gino, jeunes vétérans d’une « autre scène » marseillaise qui continuent de porter la flamme de leurs prédécesseurs, sans nostalgie forcée, sur l’EP 13 au carré. Un rap de proximité, où il est question de « représenter les siens » comme d’autres représentaient « nos proches avant nos poches. » À ce titre, « Pone » est un morceau symbolique et lumineux, une étincelle comme l’est l’existence de l’ancien producteur de la FF depuis qu’il vit sous assistance respiratoire. L’instrumental signé Nef, sa mélodie de piano appuyée de quelques voix féminines et notes de synthés célestes, a un souffle d’espoir collant à merveille à l’entrain du beat, simple, dépouillé, et rappelle en effet le style de Pone époque 2000/2001 par cet allant derrière des teintes aigre-douces. Duo informel, Gino et Relo déroulent sur cet instru une belle complémentarité, entre la voix âpre du premier et celle basse du second. Dans le premier couplet, Relo rappe les petites et grandes épreuves du quotidien des habitants des quartiers Nord de Marseille (« Les jours de Janaza, on prie sur des City ») ; dans le deuxième, Gino détaille les raisons de les surmonter (« Une pierre qui n’encaisse pas les coups ne sera jamais une statue »). « Quand on n’a pas grand chose, on s’contente de rien », rappellent-ils humblement au refrain : ils détiennent pourtant là un morceau « doux et puissant ». –  Raphaël

« Relo et Gino cultivent un rap de proximité, où il est question de « représenter les siens » comme d’autres représentaient « nos proches avant nos poches. » »

Tar One – « Bronx 97 »

Tar One a toujours trempé son rap de homeboy dans des références à de solides figures de la culture hip-hop qui bordent l’Atlantique Nord. Pas plus tard que lors de son précédent disque, il s’était pris pour le regretté Sean Price durant tout un morceau. Une projection passionnée et hyper-respectueuse, à laquelle faisait suite un autre titre cette fois consacré à Griselda. Mais pour ce nouvel album, c’est un tout autre angle que choisit le Belge, celle d’une figure de quartier qui devient un chef de gang redouté à New York. C’est l’époque de l’épidémie du crack dans la ville, et de petite frappe, Peter Rollack devient assassin notoire, dealer de mort et spécialiste des règlements de compte, lui a qui a tendance à voir des snitches  partout. De cette activité, il gagnera des millions de dollars, le surnom de Pistol Pete et une peine de prison à vie avec un isolement encore strict ce jour, la justice américaine craignant que la moindre de ses paroles qui franchiraient les murs du centre de détention réenclenchent la spirale de la violence que fut celle de son gang, les Sex Money Murda. Sans fascination ni voyeurisme mal placé, c’est cette vie que Tar One raconte. « Bronx 97 » est un storytelling aux allures de biographie. De façon très humaine, le rappeur verviétois décrit les différents tournants qui ont fait l’ascension – mais aussi la soif de pouvoir sanguinaire – de Pistol Pete. C’est rappé sans jugement, et écrit dans une imbrication ultra sophistiquée de rimes. Une impression renforcée par une production délicate, aux claviers donnant l’impression d’une prise de hauteur. Un storytelling qui s’approche avec brio du travail d’un auteur de polar, tout comme il pourrait évoquer une version moderne de ces balades de l’époque du far west qui décrivaient la légende de tel ou tel desperado. En bref, Tar One est définitivement un beau narrateur. Il faut juste lui laisser un peu de temps, celui de produire ce qui est finalement la seule bonne musique d’affranchis. –  zo.

Bob Marlich – « Gossip »

Auteur d’un très bon trois titres en début d’année (Gro Club), Bob Marlich a dévoilé « Gossip » fin juin, toujours en compagnie du beatmaker Thxnk. Affilié à la « next gen » si tant est que cette expression ait un sens, le rappeur a pour lui son aisance double : écriture et flows. Bob ouvre « Gossip » par un constat simple : « Quand j’vois ce qu’ils font avec le rap, j’me sens bébar’… » S’il est à jour sur les tendances, il a pourtant des références de OG, et se sent d’ailleurs « vieux comme Pat Project », avant de citer consécutivement Pimp C et Zesau, dont il partage le département. De prime abord, le morceau semble être une succession hachée de phases sans que celles-ci ne soient liées entre elles, pourtant il ne manque pas d’épaisseur. Tantôt très premier degré tantôt plus abstraites, les lignes s’enchaînent pour dépeindre le style de vie du rappeur (« J’suis à la page mais tu peux pas m’classer, j’aime les belles comme Vincent Cassel, j’aime pas les racistes, j’aime pas les Bassem »), son avenir (« Peut-être que dans dix ans j’serai grand-père ») mais aussi l’époque actuelle (« Ma fille, elle a huit ans, bientôt l’iPhone », « T’es comme Macron, tu captes même pas que tu gènes »). Il en résulte un morceau a priori léger offert par quelqu’un qui semble avoir beaucoup à partager et à raconter. –  B2

Rouge Carmin – « Enfants perdus » feat. So La Lune

Jeudi 31 mars, Nouveau Casino. Le lendemain, Rouge Carmin sort son premier EP, Radio Futurista vol.1. Pour la première partie de son ami So La Lune, il interprète plusieurs morceaux de sa composition. À un moment du concert, une exclu : les premières notes d’« Enfants perdus », le nouveau (sixième?) featuring du duo aux blases poétiques (avec ses variations, « Papilune », « Tsuki/Papillon ») résonnent dans l’enthousiasme général. Elles ont l’allure d’une comptine de boîte à musique, avant d’enchaîner sur un bpm rapide et un beat sec. Pas de doute, les deux artistes travaillent ensemble, se nourrissent de la sensibilité de l’un et de l’autre. Ils « rêvent en grand comme des gamins », résume So dans le très introspectif « Interlune ». En effet, Rouge Carmin a l’écriture d’un enfant rêveur mais peiné (il évoque les gens qui regardent mal dans le bus et qu’il n’arrive plus à aimer, le papa parti) mais aussi les variations de voix et le talent de mélodiste d’un Don Toliver – auquel SCH, à l’occasion d’une des multiples interviews données pour la promo de Nouvelle Ecole, avait d’ailleurs comparé So La Lune. Ce dernier signe un couplet nonchalant-torturé dont il a la recette, au flow toujours un peu décalé, titubant, attiré par la faille mais tombant toujours juste – « J’me sens comme plus terrien, ça y est j’suis stenda, flow panda, ramenez-moi le roi et le valet »… Au-delà du featuring, Rouge Carmin offre avec Radio Futurista vol.1 un des EPs les plus touchants de l’année. –  Manue

Hyacinthe – « Papaoutai 2 »

L’absence d’un père est un trou noir autour duquel la carrière de Hyacinthe gravite depuis le début, l’une des raisons pour lesquelles c’était « technique dès le départ. » Par allusions, par images et par lignes obliques, il avait déjà presque tout dit à son public, mais jamais encore il ne s’était montré aussi frontal. Ici, il n’y a guère plus que la mélodie accrocheuse et le clin d’œil un poil moqueur à Stromae derrière lesquels se cacher. Ici, enfin, la figure de l’absent est traînée devant le regard du public, dans toute la noirceur dont l’ont parée les années et la rancune. Le temps d’un premier couplet douloureux, Hyacinthe adopte sa voix, recrache les horreurs qu’il lui a dites autrefois et que sa voix lancinante continue de lui seriner dans la tête. Aborder le sujet de son père de front, c’est finir le travail de deuil amorcé depuis quelques temps – dans « Juice WRLD », il disait déjà « ma grand mère est morte, je sais qu’après l’enterrement je verrai plus jamais le daron. » Peu de choses sont plus émouvantes que de voir un artiste qu’on a longtemps connu aux prises avec ses démons parvenir petit à petit à s’en défaire : c’est ce qui se produit sur ce titre. –  Beufa

« Hyacinthe traîne enfin la figure de l’absent devant le regard du public, dans toute la noirceur dont l’ont parée les années et la rancune. »

Tali G 17 – « Légendaire II »

 

En intitulant son EP De Detroit à Lille, Tali G17 a joué cartes sur table : il rappe comme le font les gars de Detroit. Choix de prods, flows, placements, langage, et même en un sens les thèmes qu’il aborde, le jeune rappeur de Northside Record veut ressembler à ses artistes préférés. Quiconque est familier de la scène du Michigan, en maîtrisant le slang et les codes, risque de ne pas adhérer à ce qui n’en est qu’une importation, comme le rap français sait plus ou moins bien les faire depuis les US et depuis toujours. En l’occurrence, Tali G17 sur ce « Légendaire II » réussit son pari, et c’est d’ailleurs vrai pour sa proposition globale. Le flow et le discours trahissent une urgence : course à l’argent, fuite en avant, il faut aller vite le long d’un ravin sans tomber dans le précipice. Le rappeur le dit lui-même, « pied au plancher sur l’autoroute, putain c’que j’aime la vitesse », évoquant par ailleurs la possibilité de « tomber dans l’fond pour mieux s’relever » et l’idée d’avoir « failli dead à [ses] 17, 15, 9 et à [sa] naissance. » S’il tire son nom de scène d’une arme de poing vieille de quarante ans, le G17 est lui bien à jour sur la nouvelle criminalité technologique à base de scams sous VPN, l’accompagnant d’histoires de Perico-deal, le tout avec une certaine violence verbale et quelques menaces physiques justifiées avant tout par l’oseille. « L’industrie, j’lui pisse dessus : ces esclaves sous contrat s’font tous malmener. » Les bases sont posées, à Tali G17 maintenant de montrer qu’il peut durablement imposer ses techniques au game. –  B2

Rocca – « Sabotage »

Avant son décès, DJ Duke a initié la production d’un album avec Rocca. Malgré la disparition du producteur, le Général n’a pas déserté le champ de bataille et a continué le combat. Après un featuring avec Souffrance publié dans le cadre des (magnifiques) maxis 45 tours French Series, c’est désormais l’introduction de l’album qu’a dévoilé le rappeur de feu La Cliqua. Elle existe en version française autant qu’espagnole, et ce sera le cas pour l’ensemble du disque. Ce dernier s’intitulera Cimarrón, il comportera dix-sept titres et tout porte à croire que Rocca y sera un gardien du temple offensif, lui qui expliquait déjà sur “Mash Up” condenser trois décennies sur un son boom-bap. Ici, il impose clairement le respect qui lui est dû. Une reprise de pouvoir, une démonstration de force, une posture de résistant, voilà ce que présente l’auteur de “Comme une sarbacane” et d’Entre deux mondes. Alors Rocca râle, certes. Mais Rocca rappe, surtout. “Listen all y’all, it’s a sabotage”.  –  zo.

Kyo Itachi – « One Punch Man » feat. Hifi

L’écriture de Hifi est à tiroirs. À la première écoute de « One Punch Man », on est séduit par une tournure de phrase. On n’en a pas encore saisi toutes les subtilités qu’une autre ligne arrive pour nous déconcentrer. Alors on appuie sur repeat. Pas tout de suite, l’album de Kyo Itachi est assez costaud pour l’écouter d’une seule traite. Mais après la digestion de sa quinzaine de titres aux invités prestigieux, il y a quelques morceaux dont la replay value est indéniable. On connaissait déjà « Puissance Feu » avec Rocé, on est très content de retrouver Nikkfurie pour « Sombrero » ou Alpha Wann pour « 99 en peuf ». « One Punch Man » avec Hifi fait aussi partie de la bande avec ses trois couplets sans refrain. La partition d’Itachi a ses bases dans le son new-yorkais, le producteur originaire du Blanc-Mesnil a déjà oeuvré pour Ruste Juxx, Dirt Platoon ou Blaq Poet, la boucle ici est chaleureuse, ample et s’installe comme une routine où Hifi donne libre cours à son spleen. Un rap doux amer où les tournure de phrases doivent s’écouter plusieurs fois pour bien les saisir. Les double entendre pleuvent, il n’y aura pas assez de place ici pour toutes les écrire mais entre « Y’a plus d’bonhommes; personne tire / Et y’a plein d’trous d’balles »  et « celle-là elle tourne les jambes en l’air / Mais elle fait pas la coupole », Hifi n’épargne à peu près personne derrière des sentences accrocheuses où l’on devine les cibles avec un sourire narquois. Que ce soit les rappeurs arrivistes et opportunistes (« Le Hip-Hop meurt tout-par / Mais personne n’est coupable / T’es pas Biggie, Tupac / La musique adoucit les morts »), la société mondaine (« Les soirées du showbiz / Les sourires ont jaunis / Comme à la mort à Johnny ») ou encore le manque de révolte de ses contemporains (« Où sont les soldats / Le style est jeune et joli / Depuis l’temps qu’on s’bat / Le gilet jaune a jauni »), le sens de la formule colle aux basques de l’ex-membre de Time Bomb et du 45 Scientific. Son apparition sur Solide est inespérée, elle éclabousse au final de virtuosité. Hifi n’a pas de message vraiment précis, son écriture est abstraite, composant un puzzle de mots et de pensées que l’on a pas encore tout à fait fini d’assembler. Et rien que pour ça, on y reviendra encore. –  Juldelavirgule

Rémy – « 97 mesures »

Au tout début de ce siècle, une partie du public rap trouve dans un rappeur aux origines péruviennes l’écho aux secousses de l’empire américain. Le MC s’appelle Immortal Technique. Derrière son nom pompeux, un rap hyper-conscient, avec tous les travers autant que les qualités que cette notion comporte. Tech’ frappe coup sur coup avec deux albums intitulés Revolutionary et empile les titres qui deviendront cultes dans l’underground du début des années 2000. Parmi eux ? Une chanson qui s’appelle « Dance with the Devil », sorte de confession de vie posée sans refrain sur un piano d’Henri Mancini. Cet enchaînement de notes de clavier, c’est celui que reprend Rémy. Cette intention d’un one-shot sans ritournelle, c’est également celle que reprend Rémy. Sauf que lui se raconte à la première personne, lucide mais résilient, avec les cruautés de l’enfance en filigrane, l’hypocrisie du succès en fil conducteur et Aubervilliers en toile de fond. Chacun sa façon de danser avec le diable selon où il se situe. Paris c’est pas New York disait Fabe, et apès tout Auber c’est pas le Pérou non plus. Mais dans ce one shot dénué de refrain, il y a du Rémimmortal Technique chez l’auteur de ces 97 mesures.  –  zo.


Ces sélections sont disponibles en playlist sur Spotify et Deezer.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*