Sidekicks

Il y a des albums qui, un peu comme lorsque James Cole débarque par erreur en pleine Première guerre mondiale dans L’Armée des 12 singes, semblent débouler dans la mauvaise époque. Dont le casting donne l’impression de déjà connaître le projet tant ses auteurs ont un style identifié et en dévient peu. Mais qui finalement, sans rien avoir de révolutionnaire ni surprendre, forcent le respect par leur solidité et font parfaitement leur office : faire bouger la tête pendant la quinzaine de titres les composant puis appuyer sur Repeat. C’est le cas de War Poetry, réunissant Bronze Nazareth et Dom Pachino, disponible depuis le 15 août en version digitale et également en édition CD limitée. La combinaison entre les deux Wu-Affiliates ne déçoit pas : les productions soulful à la fois amples, sombres et martiales du premier conviennent parfaitement aux rimes de l’ex-P.R Terrorist de Killarmy et de leurs invités – on est à ce sujet toujours contents de réentendre Killa Sin, qui multiplie depuis une quinzaine d’années les allers-retours entre studios et prison, et de se rappeler à quel point ce type marchait sur l’eau à l’époque de Killarmy et de Soul in the Hole. Après Time Flys, Life Dies… Phoenix Rise, en collaboration avec Canibus, c’est le deuxième projet sorti des machines de Bronze Nazareth en 2015. Une productivité qui fait plaisir quand on imagine à quel point les mois qui ont suivi le décès de son frère Kevlaar 7 (en décembre 2014) ont dû être durs.

Collaboration

Mood est de retour

Notamment auteur en 1997 du classique Doom, le groupe Mood reviendra dans les bacs le 18 septembre avec un nouveau projet, Into the Mood, qui sera disponible en CD, vinyle et digital. Autrefois produits par Jahson et Hi-Tek, les MC’s Main Flow et Donte se sont cette fois-ci alliés au beatmaker parisien Mil, membre du label français Effiscienz sur lequel sortira l’album. « C’est par l’intermédiaire de Mil que s’est faite la connexion entre Mood et Effiscienz, précise Loscar, CEO du label et producteur exécutif de l’album. Avant d’être signé chez nous, il avait déjà enregistré un titre avec eux puis fait appel à Effiscienz pour que DJ Djaz place des scratches sur un second morceau ». Le beatmaker et ingénieur du son rejoindra ensuite le label et poursuivra la collaboration à distance avec Mood pour finalement donner naissance, après trois ans de travail, à ce Into the Mood composé de 10 titres « dark, jazzy et classes » pour reprendre les termes assez justement employés par Loscar pour définir le style de Mil. 2015 est donc encore une grosse année pour Effiscienz, déjà à l’origine de quatre projets… Et les choses ne devraient pas s’arrêter là : le label prépare d’ores et déjà, entre autres, la sortie des nouveaux albums de DJ Brans, de Lone Catalysts, de Fel Sweetenberg, de Rasco et de Main Flow qui, après l’enregistrement du projet de Mood, a demandé à faire un disque avec Mil.

Derrière la superstar Eminem et le regretté Proof, Bizarre est probablement le troisième membre de D12 à avoir marqué les esprits. À coups de name dropping et de blagues potaches, son spoken word captait systématiquement notre attention et ses couplets étaient toujours des mini-événements au sein des morceaux collectifs du groupe. Si la vague D12 est passée depuis quelques années, Bizarre continue son bonhomme de chemin et enchaîne les mixtapes à un rythme régulier depuis 2008. Tweek Sity, la dernière en date, est de bonne facture et a le mérite de mettre un coup de projecteur sur plusieurs rimeurs talentueux issus de Detroit (au premier rang desquels figure l’excellent King Gordy). A écouter en se remémorant l’année 2001 (le bon vieux temps quoi).

NxWorries ou l’association entre un caméléon ultra-polyvalent et un beatmaker stakhanoviste. Figure récurrente du dernier bulldozer ensoleillé de Dre, Anderson .Paak est aujourd’hui surtout un électron libre insaisissable, dribblant constamment les genres musicaux. À la fois chanteur, rappeur, batteur et producteur, l’autre double A est une forme de diamant brut, avec un pied partout. Avec l’ultra-prolifique producteur lo-fi Knxwledge en compagnon de route, le duo rassemblé sous l’égide de Stones Throw ébauche en ce moment même un long format. Tout juste mis en images, « Suede » donne le ton, entre virée post-descente et dribbles croisés.

Récemment, on vous a (un petit peu) parlé du label Awful Records. D’abord en revenant sur Father lorsque nous présentions nos révélations 2015. Ensuite lors de notre rétrospective autour du premier semestre de R&B. Enfin, dans notre report du festival SXSW au cours duquel Abra a fait forte impression. Honte sur nous : nous n’avons pas encore pris le temps de mentionner Tommy Genesis et l’excellent album World Vision sorti au mois de juillet. Réalisé par Tommy elle-même, le clip de « Hair Like Water Wavy Like The Sea », morceau hypnotique à souhait, est l’occasion de nous rattraper et, accessoirement, d’imaginer un spin-off long format de la vidéo qui verrait Tommy et Abra en Thelma et Louise modernes. Laissez-nous rêver.

Il y a un peu plus d’un an sortait Mafioso Psalms de $ha Hef, une très bonne mixtape confirmant les espoirs suscités par le rappeur new-yorkais depuis son couplet sur cette merveille de rap planant. Il revient aujourd’hui avec un nouveau projet, Super Villain (sa quatrième tape, si nos comptes sont bons), disponible gratuitement depuis quelques jours. L’occasion de constater que Hunnit Round Hef continue de progresser sur sa sombre voie et n’est toujours pas décidé à chanter l’amour et le printemps. De ce mélange hétérogène mais d’une égale noirceur émergent deux perles glaciales et hypnotiques : « Predicate Felon », single hivernal dont le clip a été mis en ligne début juillet, et l’obsédant « No Safety », sur deux productions signées H.N.I.C – également à l’origine de plusieurs beats du dernier projet de RetcH, le très recommandable Finesse the World.

2015 est-elle l’année de Compton ? Entre Kendrick Lamar, Dr. Dre, OT Genasis, le retour imminent de YG, le Documentary 2 de The Game et le film autour de NWA, on en a énormément entendu parler ces derniers mois. Derrière ce casting quatre étoiles, le rappeur AD a également essayé de se faire une place en soleil en sortant la mixtape Blue : 89 en avril dernier. De très bonne facture, elle mélange résurgences post-Mustard (« Get Out My Way » avec OT Genasis justement), déclarations de guerre (« Blew it ») et collaborations soignées (Skeme, Lil Durk, Gillie Da Kid et Dave East sont présents sur le projet). Surtout, Blue : 89 contient « Juice », véritable hit en puissance qui pourrait permettre à AD de passer à la vitesse supérieure.

Il est difficile de définir Jorrdee uniquement comme rappeur. Il est immergé dans son époque, celle de Drake, The Weeknd ou PartyNextDoor. Les étiquettes n’existent plus et la fine limite entre rap, RnB et pop est complètement annihilée. Cette vision plus globale de la musique lui permet d’explorer sans limites, mélangeant les repères 666 de Memphis, les compositions électroniques aériennes et une écriture proche de la chanson française, une poésie par ellipse.

Il intègre sa voix atypique à l’intérieur d’un univers très riche qu’on retrouve dans le visuel de son « Rolling Stone » : froid, dérangé et cosmique. Le jeune Lyonnais tient là son titre le plus abouti, au potentiel grandissant. Un spleen d’époque, codé et référencé, rempli d’amour violent et insolent.

Pour continuer sur ce rythme, il présente La 25ème heure, une mixtape à la production ciselée, aux nappes prenantes et expérimentations en tout genre. La complexité de l’ensemble est en décalage avec la facilité apparente de réalisation. En quelques mois, Jorrdee n’a cessé de surprendre avec des projets nombreux et aboutis. Une future tête d’affiche de la scène française.

Avec la sortie imminente dans les salles françaises du film autour de N.W.A, il est de bon ton de revenir sur l’histoire du groupe mythique. Interprété par Paul Giamatti dans le long-métrage de F. Gary Gray, Jerry Heller, le fameux associé d’Eazy-E, a joué un rôle déterminant dans la carrière des auteurs de Straight Outta Compton. Lors d’une interview accordée un peu plus tôt dans l’année, tonton Jerry a retracé toute l’histoire du groupe, de son amitié indéfectible avec Eazy à la jalousie maladive d’Ice Cube en passant par la scission survenue lorsque D.O.C a ramené Suge Knight dans l’équation. Passionnant.

Future a sorti un des albums importants de l’année avec Dirty Sprite 2. Toute son énergie se déploie dans une noirceur décomplexée et implacable, le retour du roi à Atlanta après avoir perdu à Waterlo(h)ollywood. Parmi les éclats, une ritournelle avec Drake qui ne s’arrête jamais : « Where You At ». Un format qui se veut presque anti-pop, une répétition sans fin, sans but, un refrain infernal sur 3 minutes qui devient la norme de la musique rap en 2015. Future a réussi ce tour de force, ce changement de jeu qui lui permet d’avoir un tube (qui n’en est pas un) avec la plus grosse star actuelle. Comme si la rupture, la fin n’était que le point de départ (Coucou Ciara). La vidéo achève les derniers récalcitrants, Metro Boomin et Dj Esco volant la vedette avec des pas de danse lunaires sur un rooftop de Toronto. La dernière touche pour rendre le tout culte.  Apprécie !