Souffrance, <br>labeur de gloire
Interview

Souffrance,
labeur de gloire

Sur son deuxième album, Tour de magie, Souffrance transforme l’adversité rappée sur son précédent disque en ténacité transmissible.

Photographies par Raphaël.

« J’ai eu pas mal de défis en tête sur cet album. L’objectif était d’apporter la surprise et ne pas rester sur ce qu’on connaissait de moi. » La conversation informelle, avant la première question, vient à peine de commencer que Souffrance montre déjà son envie de raconter la genèse de Tour de magie. Sur ce nouvel album qui sort ce 14 octobre 2022, le membre de L’uZine semble mesurer à la fois le chemin parcouru, à 36 ans, pour en être là où il en est aujourd’hui, mais aussi et surtout la route qui lui reste à faire. Les titres de certains morceaux dévoilent l’un des fils conducteurs de ce deuxième album : le Montreuillois cherche à atteindre l’autre « Rive », celle du confort social, tout en restant « Solide » dans sa musique et réussir un « Plan annulé » qui a été réactivé depuis 2021.

L’an dernier, Souffrance sortait son premier album, Tranche de vie, bilan à date d’un trentenaire à la vie cabossée sans être misérabiliste, et d’un rappeur à mi-temps déterminé à se faire entendre dans ce panier de crabes qu’est devenu le rap francophone. Tranche de vie a été, à l’échelle de son auteur, un tour de force. « À part Demi P, cite moi un Arabe qui réussit dans l’boom-bap ? », ironisait-il en ouverture de « Racialiste », un de ses singles. Sans avoir réussi à atteindre encore les sphères de son confrère de Sète, Souffrance a pourtant eu accès en quelques mois à des canaux (Skyrock, Clique, Le Code, Rentre dans le cercle) auxquels les artistes de son rang, style et circuit ont plus difficilement accès. Est-ce sa hargne contenue, parfois explosive ? Ses confessions touchantes et lucides sur ses blessures internes ? Ses réflexions sociétales, au point de vue légèrement « débullé », suffisamment à l’oblique pour être original sans être désaxé ? La densité « noire moite » de l’album, des textes à la musique et les quelques lueurs qui ressortaient par moments (l’éclaircie « Simba ») ont permis à son auteur de se faire remarquer même par des pairs au succès grand public comme Jul, Vald et SCH, et de rapper avec des tauliers comme Rocca et Seth Gueko.

Mais après le tour de force, Souffrance cherche donc maintenant le « tour de magie ». Pas de l’ordre de l’esbroufe proposé par d’autres artistes, simplement celui qui lui fera « quitter le hood », comme il le rappe sur le morceau-titre de l’album, sans pour autant sacrifier sa vision artistique forgée et soudée au sein de L’uZine. Dans Tour de magie, le rappeur est en phase avec la porte qu’il s’est ouverte à coups de pied dans des lives radio mémorables, seul ou en groupe, des scènes avec L’uZine et surtout grâce à la maîtrise de son précédent album. L’idée d’un « nouveau ancien son » défendu sur son album précédent est alors encore plus prégnante sur ce Tour de magie, où des rythmiques millésimées sont enrichies de roulements de charleys, les kicks et snares sont moins crasseux, certains beats ralentissent en BPM. Seuls restent ces boucles où les mélodies de pianos et synthés ternes ou orageuses dominent, qui avec quelques scratchs rappellent une certaine conception du rap français. Une direction musicale qui porte un rap et une interprétation toujours alertes et des textes où la détermination de Souffrance est intacte, voir ravivée. Tour de magie est un album moins « intérieur » que le précédent, par un artiste qui veut transmettre sa ténacité.


Abcdr du Son : Tranche de vie, ton album sorti l’an dernier, se terminait avec « Dernier texte » et « Outro », deux morceaux qui donnaient vraiment l’impression que ce disque était ta dernière carte. Quel bilan en fais-tu ?

Souffrance : En fait, c’était aussi la première carte, en réalité. La première vraie carte, le premier jeu de cartes que j’ai balancé. Dans « Dernier texte », il y a aussi cette phrase : « Si ça ne marche pas, je referais un album de bâtard. » [sourire] Mais c’est vrai que pour moi, c’était la dernière chance de me faire un nom et de rentrer dans un train. Si après cet album, je n’étais pas rentré dans un train et que j’étais encore sur le quai, ça aurait été quand même beaucoup plus compliqué aujourd’hui. Et peut-être que l’album n’aurait pas du tout la même gueule que ce Tour de magie.

A : Un nouvel album qui sort donc un an et demi plus tard. Il s’est passé pas mal de choses entre-temps. Comment tu as vécu cette exposition à laquelle tu n’avais jamais eu accès jusque-là ?

S : Au fond de moi, je me suis toujours dit que j’allais tout niquer. Je disais à TonyToxik [NDLR : rappeur, beatmaker et ingénieur du son de L’uZine] : « On va tout niquer. » J’ai toujours dit à tout le monde que j’allais tout niquer et tout le monde me calmait : « Tu vas être déçu. C’est dur la musique. » Donc moi, j’ai l’impression d’avoir tout niqué à mon échelle avec Tranche de vie. Je ne me prends pas la tête avec l’exposition. Je suis plus un gars des chiffres qu’un gars des paroles, de l’exposition, de l’encensement. Mais je l’ai évidemment bien pris et surtout, ça m’a fait kiffer qu’un album comme ça, que j’ai lâché en pleine sincérité, sans concession, touche des gens et touche des gens de partout aussi. Des mecs de campagne, des mecs d’autres pays. Ça m’a fait vraiment plaisir. Et puis il y a eu l’exposition par rapport au milieu. Des gars, comme 7jaws qui m’ont invité à Planète Rap alors qu’on ne se connaissait pas du tout. J’ai fait Rentre dans le cercle avec Fianso. Donc j’ai rencontré pas mal de monde. Il y a eu SCH qui a partagé un de mes sons… J’ai rencontré aussi Zeg-P ! Des mecs qui n’ont donc rien à voir avec mon univers, plutôt dans un autre style de rap. Cool ! Je me dis : voilà, depuis très longtemps, dans ma tête, c’est ce que je dois faire. Et aujourd’hui, j’ai quand même une confirmation que je n’étais pas dans l’erreur depuis tout ce temps. Donc ça apporte quand même une certaine confiance et aussi une certaine pression pour rebondir.

A : Tu parlais de TonyToxik. J’ai l’impression – je me trompe peut-être – que cet engouement sur ta musique est non seulement inédit pour toi, mais aussi collectivement pour ton groupe, L’uZine. Vous en parlez ? Est-ce qu’il y a une prise de conscience qu’effectivement il se passe un truc depuis l’an dernier ?

S : Oui. Il y a quand même eu un premier engouement en 2014, à la sortie de À la chaîne et après la scène du Nouveau Casino. Il y avait eu aussi un engouement à la sortie de l’album de Ça vient des bas fonds de Cenza, mais qui était quand même à des niveaux différents. Il avait fait pas mal de bruit dans le milieu indépendant. Ce qui s’est passé avec Tranche de vie, c’est que ça a redonné du boost à tout le monde. On a enchaîné direct. Là, on bosse sur l’album L’uZine qui va faire suite à Jusqu’à la vie, qui faisait déjà des bons streams par rapport à ce dont on avait l’habitude. Mais l’exposition de Tranche de vie a augmenté les streams de tout le monde dans l’équipe.

A : Pour revenir à cette phrase de « Dernier texte » où tu rappais « Il est temps que ça paye. Et si ça paye pas j’referai un album de bâtard, j’marche encore à l’espoir » : l’état d’esprit a-t-il été celui-ci dans la création de Tour de magie ?

S : Alors non, parce que Tranche de vie avait bien payé en réalité. Quand je faisais Tour de magie, je savais que des gens allaient l’attendre. Alors que Tranche de vie, personne ne l’attendait. Enfin, si : les mecs qui avaient écouté Le Peuple a faim. Ils étaient 600 à l’attendre. [sourire] Pour Tour de magie, j’étais moins pessimiste. Ça y est, j’étais dans le train et maintenant c’étaient d’autres défis qui arrivaient à moi.

« Arriver comme si c’était ton premier album et créer un vent frais. Dans Tour de magie, j’ai essayé de le faire à chaque morceau. »

A : Pour l’écriture de Tour de magie, est-ce que l’inspiration a été facile à trouver en enchaînant immédiatement ? De se creuser la tête pour ne pas faire un Tranche de vie 2, d’une certaine manière ?

S : Je voulais faire mon deuxième album rapidement parce que je suis rentré dans la course. À un moment donné, je suis sur un marché : le marché du rap. J’ai balancé un produit qui était Tranche de vie. Aujourd’hui, dans le rap, il y a des dates de péremption. Mon produit vit encore, c’est cool, mais il faut que je balance. Donc j’ai conscience d’être dans une course. J’ai conscience qu’il y a des gens qui attendent et j’ai conscience que si je veux en faire mon boulot, ma vie, de cette passion, il faut bosser dur. Pour Tour de magie, j’avais une vision avant de sortir l’album : si je fais un Tranche de vie 2, je vais faire moins bien, c’est sûr. Je ne suis pas dans le même état d’esprit. Ma vie est différente. Et des gens ont répondu à mon signal. Donc je me suis dit qu’il fallait que je me réinvente, que je fasse quelque chose de différent de Tranche de vie, sans que ça ressemble forcément à ce qu’on écoute actuellement, en gardant mon originalité et mon âme, sans me travestir. Et ça, ça passe surtout par le choix des instrus.

Donc j’ai décidé de m’ouvrir au niveau des instrus mais de rester fermé au niveau de la voix, c’est-à-dire de ne pas utiliser de vocodeur. [sic] Et voilà donc comment j’ai vu Tour de magie dans ma tête. Quelque chose de plus moderne, peut-être. Parce que ce qu’en fait, dans le boom-bap, ce qui me dérange, c’est que je peux lui faire le même reproche qu’à la trap : on peut dire que tout le monde rappe pareil à un moment donné. Je suis un artiste, je fais de la recherche artistique. Mon objectif, c’est de créer aussi la sonorité Souffrance. Qu’avec trois notes, tu te dises « ça va être du Souffrance », même si c’est totalement différent.

A : Donc le premier défi pour toi pour Tour de magie a été sur une exigence de direction artistique ?

S : Oui, c’est ça. Sur les textes, je continue à fonctionner pareil. Moi, j’écoute l’instru, il me met dans un mood, j’imagine des choses, je me fais des histoires dans ma tête. Et puis ensuite je commence à écrire sur l’instru. Mais je me suis assez pris la tête parce qu’il y a des textes où je voulais faire quelque chose de différent, comme « Rive ». Je voulais une manière de poser différente. Et puis il y a des textes comme « Playback » où j’ai pu laisser glisser le bordel. Et aussi, peut-être qu’il y a certains textes où j’ai laissé un peu la technique de côté. Dans « Playback », pour moi, il y a des moments quand je réécoute, je me dis « bon, là, quand même, t’aurais pu placer un truc plus technique ».

A : Et pourtant, il y a aussi des morceaux dont ressort un travail sur les placements. « Solide », « Sourire », « Bipolaire », « Plan annulé ». Ce sont des textes que tu retravailles, réécris beaucoup ? Ou c’est plus simplement une prise de confiance depuis que tu as renfilé le bleu de chauffe ?

S : Encore une fois, c’est l’instru. « Solide », le premier couplet est sorti comme ça. Après il fallait que j’écrive un deuxième couplet : j’écoutais le premier et me disais « putain comment je vais faire pour écrire un deuxième couplet ? » [rires] C’est hyper difficile. Et à la base, « Solide », je l’avais proposé pour l’album de L’uZine et les mecs m’ont dit : « Non en fais-en un solo. » Donc après j’ai écrit le deuxième couplet. En fait, aujourd’hui, j’écris tous les jours, même quand je n’ai pas d’inspiration. Des fois, tu as des inspis qui te viennent du ciel et tu écris tout seul. Et ça glisse.

A : L’inspiration, c’est parfois aussi de la discipline.

S : C’est ça. Il faut entraîner le cerveau à écrire tous les jours, il s’habitue. Et puis tu prends du niveau tout le temps. Et par contre, des morceaux comme « Plan annulé », là, j’ai fait un premier jet avant de revenir sur le texte. Je suis revenu sur deux ou trois touches. J’écris mes textes en corrigeant petit à petit. Tu vois, je fais un quatre, je le répète. Après je refais un quatre et je vois si ça s’emboîte bien. Et je suis déjà dans la correction pendant l’écriture, en réalité. Donc c’est très rare que je revienne sur mes textes. Je ne vais pas faire quatre cent textes pour un album. J’ai mis peut-être quasiment tous les textes que j’avais écrits pour cet album. Après, il y a des morceaux que j’avais créés avant, comme « Kill Them ». Il aurait pu être dans Tranche de vie mais il n’avait rien à voir avec le bordel. Donc j’ai préféré le garder pour Tour de magie.

A : Donc il y a très peu la place pour des hésitations, des questionnements, des retours en arrière dans la création de l’album ?

S : Franchement, non. Je n’ai pas eu d’hésitation, je balançais les morceaux. Je travaille beaucoup avec Tony et l’équipe. Donc chaque fois que je fais un morceau, je l’envoie et les mecs me valident ou pas. Généralement c’est validé. Je ne me suis pas questionné de ouf. En fait, je n’aime pas le côté intellectuel du rap. Ce qui me fait aussi kiffer, c’est des trucs qui ne veulent rien dire, qui n’ont ni queue ni tête. Donc je pense qu’à partir du moment où tu essayes de trop intellectualiser ton texte, tu vas perdre ta saveur originelle. Après, ça dépend des thèmes que tu as envie d’aborder. Effectivement, si tu veux aborder des thèmes conscients, tu es obligé de te prendre la tête un peu.

A : « Kill Them » a un côté ovni lorsqu’on découvre l’album. Aussi bien pour l’instru que pour le texte. D’où te vient ce morceau ?

S : Je sentais un truc mystique. Je voulais parler des croyances, de toutes ces choses qui sont fausses ou vraies qu’on peut croire. Je me suis raconté une histoire, en fait. « Kill Them », c’est un storytelling, avec plusieurs grilles de lecture. Je pense que même si tu l’écoutes cent fois, tu ne sauras pas où je veux en venir et tu vas te faire ta propre idée de ce que tu penses du truc. Je l’ai écrit en imaginant l’histoire d’un gars qui est au RSA, qui se blinde de vidéos de complots, de religion, qui se convertit à l’Islam mais qui continue de bouffer KFC, qui ne vérifie pas ses informations – parce que Bob Dylan n’est pas mort ! Et ensuite il pète un plomb et tape une Columbine. Ça, c’est la première intention. Après tu peux le prendre avec des phrases comme « C’est pas cette bande de serpents qui nous humanisera ». Ça, c’est un peu le peuple face à l’élite l’élite qui, par exemple, va te dire pendant le covid « faut tous rester chez soi » et tu vas les voir en train de taper des fêtes alors que dans le peuple, des gens sont morts seuls. Ou des mecs qui essaient de te faire la morale alors qu’ils sont très loin de cette morale. Et ensuite il y a encore une autre grille de lecture, autobiographique : c’est si Tranche de vie n’avait pas marché. Quand je dis : « J’ai descendu le bum-al du mont Sinaï, ces fils de pute vénèrent des vaches et ils pillavent. »

Donc en fait, ce morceau a énormément de lectures, mais après, sur des phases comme « Peuvent nous tuer, on ressuscitera, Jésus le califat, personne nous neutralisera », je voulais parler du supérieur, de l’immatériel par rapport au matériel. Jésus est encore vivant : on entend parler de lui, ça fait pourtant plus de deux mille ans qu’il est mort. Le califat, c’est l’État musulman qui a été bombardé de partout, mais les gens ont encore la foi. Voilà, c’est un morceau avec tellement de grilles de lecture. Et moi je regarde un peu les commentaires, je rigole parce que des mecs le prennent au premier degré. Et je ne réponds pas, je les laisse dans leur truc. Je voulais apporter une musique qui tue, où les gens se disent « mais qu’est ce qu’il raconte ? » « Kill Them », c’est ça.

A : Quand on écoute « Kill Them », mais aussi « Hall 26 », « Plan annulé », « Symphonie », « Au milieu des ombres », il y a une variation de cadences beaucoup plus que dans Tranche de vie. Ces changements étaient recherchés ? Tu voulais te challenger ?

S : Toujours. Pour moi, c’est un peu le BPM qui va constituer ton écriture, tes placements et ta façon d’écrire. Donc en réalité, si tu veux apporter quelque chose de nouveau, à mon sens, il faut que tu ailles sur des choses sur lesquelles tu n’as pas l’habitude de poser et de trouver une manière à toi de poser dessus. Or la manière à soi, c’est difficile à dire, parce qu’on a plein d’inspirations qui viennent de partout. Donc forcément, ça peut te faire penser à untel ou untel. Mais en tout cas, c’était mon objectif. Et aussi, j’aime bien les directions artistiques où tu ne sais pas où l’artiste va t’amener au prochain album. Et c’est pour ça que je finis aussi avec « Au milieu des ombres ». Parce qu’après ce morceau, comment tu peux savoir comment va être l’album prochain ? C’est impossible. J’aime bien entretenir cet effet de surprise et je pense que tu dois toujours arriver comme si c’était ton premier album et créer un vent frais. Et dans Tour de magie, j’ai essayé de le faire à chaque morceau. Même s’il y a des morceaux qui peuvent aller dans la même famille, j’ai essayé d’apporter plusieurs univers différents dans Tour de magie et plusieurs points d’accroche qui peuvent te plaire, tout en gardant le texte.

A : Avec quels producteurs tu as bossé ?

S : Tony, qui est énormément présent sur l’album. Ensuite j’ai bossé avec Gash, un producteur belge avec qui on a l’habitude de travailler. J’ai bossé avec Itam, Mani Deïz, avec qui j’avais déjà bossé sur Tranche de vie, James Digger, avec qui on travaille sur L’uZine et qui a fait l’instru de « Solide », complètement incroyable. En fait, quand tu reçois un instru comme ça, c’est l’instru qui te guide. C’est comme quand j’ai reçu l’instru de « Simba », je n’avais pas le choix. [NDLR : sur l’album Tranche de vie] Le beatmaker me met une pression. Qu’est-ce que tu vas faire d’un instru comme ça ? Tu n’as pas le choix que de sortir une tuerie. L’instru t’emmène trop loin.

A : Il y a vraiment ce côté mosaïque, avec des participations diverses.

S : C’est ça. Et tu vois Mani Deïz, quand tu écoutes « Plan annulé », jamais tu te dis que c’est une connexion Souffrance / Mani Deïz, ce n’est pas possible. C’est ça aussi que j’aime : créer l’effet de surprise. Dans mon rap, j’ai toujours essayé de créer l’émotion chez les gens. Je rappe beaucoup pour les gens, en vérité. Je le fais pour moi parce que je kiffe mais je suis pressé de le montrer pour voir comment les gens vont se le prendre. J’ai envie à chaque morceau de créer la surprise et que les gens prennent un kif… ou une déception ! L’important, c’est que ça provoque une émotion, quelque chose et que tu dois te positionner.

A : Qui t’a accompagné dans la direction artistique ? Tony ?

S : Oui, on a fait la direction artistique Tony et moi. Je vais prendre un instru, je vais poser dessus, je vais l’envoyer à Tony. Et si Tony me dit dans l’instant « on ne peut pas », je vire direct. On bosse vraiment ensemble parce qu’il a un regard beaucoup plus beatmaker. Il va moins s’attarder sur le texte que sur l’instru, l’univers du morceau.

A : Sur Tour de magie, il y a un sentiment de recherche d’équilibre entre des directions musicales actuelles mais toujours une sorte d’attachement à une forme un peu éternelle de rap français : des scratchs, un refrain par un chanteur dancehall sur « Sourire ». Dans cette réflexion sur ton identité artistique, cet attachement à ces facteurs-là est-il conscient de ta part ?

S : Ah oui, totalement conscient. Je ne renierai jamais le rap 1990. C’est même plutôt 2000, en réalité. Moi, le rap qui m’a touché, c’est le rap qui arrivait après ce que j’appelle le rap moralisateur, où il y avait beaucoup de messages. Moi, j’ai aimé le rap de cité qui est arrivé avec Mafia K’1 Fry, Lunatic, Tandem. Ärsenik aussi qui faisait un peu ce style de rap où il n’y avait pas forcément de morale à te donner. Donc oui, c’est d’où je viens, ce sont les morceaux qui m’ont fait kiffer. Aujourd’hui, je n’écoute plus forcément de musique, je n’écoute que des instrus. J’écoute le rap comme un mec qui fait de la veille concurrentielle en réalité, qui regarde ce qui sort, sans trop écouter, parce que j’ai toujours peur d’être trop inspiré. Je ne peux pas me taper le même album d’un gars pendant six mois, sinon forcément il ressortira dans mon truc. Donc oui : le côté 1990, le côté 2000, scratch, base du rap, c’est un truc que j’ai envie de garder parce que c’est quelque chose qui me suit.

« Pour moi, le monde du travail, c’est une tragédie grecque. Quand tu signes un CDI, tu n’as plus d’emprise sur ton destin. »

A : Qu’est-ce qui est le plus difficile pour toi à écrire ? Des morceaux où tu te dévoiles comme « Solide » ou « Au milieu des ombres » ? Ou des choses plus egotrips ou thématiques ?

S : Je pense que des morceaux comme « Solide », je ne peux pas en écrire quarante sur un album. Pour moi celui-là, il est venu du ciel. En tout cas, cet album, j’avais envie qu’il soit moins personnel, parce que Tranche de vie, tu rentres en apnée, tu rentres vraiment dans un tourbillon qui va t’absorber. Tour de magie, je le voulais plus léger mais dans le bon côté de la légèreté : pas plus léger en termes de consistance et de densité, mais plus léger en termes de thèmes abordés, de paroles, qu’elles soient un peu moins sombres, même si ça reste du Souffrance.

Un pote à moi m’avait dit ça : « Tranche de vie est lourd. Mais frérot, comment je l’écoute, moi, quand je suis en voiture, que j’ai envie de m’ambiancer ? » [rires] Et beaucoup de potes de la cité me disaient : « Écoute, c’est lourd, mais je ne peux pas l’écouter. » Donc j’ai fait aussi Tour de magie en pensant à la cité, avec des morceaux comme « Hall 26 », qui est très cité, très rue.

A : C’est particulièrement vrai dans « Hall 26 » et « Comme en 2009 », où il y a vraiment cette impression que tu repenses à cette vie dans la rue comme on tombe sur des vieilles photos dans un album, et dont on tourne la page.

S : Je regarde ça dans le rétro mais c’est une page qu’on ne tourne jamais. Je disais dans un vieux morceau de L’uZine « Baise l’État, c’est avec l’argent sale que je paie mes taxes ». Parce que même quand t’as un travail, tout le monde a des petits trucs à côté : il y en a un qui va faire de la mécanique au black, il y a un tas de trucs. Donc en réalité, quand t’as été là-dedans et que c’est une méthode, un fonctionnement que tu connais pour gagner de la thune, tu peux y retourner à tout moment. Je connais des mecs qui vendent encore, ils ont cinquante balais. Mais ce n’est plus comme avant bien sûr, tu vois, ça reste un petit surplus. Donc moi je suis content aujourd’hui de ne plus en avoir besoin. Mais si c’est vraiment la merde, on fera tout ce qu’il faut pour s’en sortir.

A : Quand dans « J’ouvre le feu » tu dis : « J’arrête pas de changer de chemin, j’arrête pas de me tromper », c’est pour ces chicanes de la route qui t’ont amené jusque-là ?

S : Mon parcours c’est un labyrinthe dont je trouve difficilement la sortie. En fait, j’ai fait plein de tafs différents, j’ai changé. Même quand j’étais plus jeune à l’école : j’ai fait STI et ensuite je suis revenu en STT. Et là, aujourd’hui, je suis dans le labyrinthe de la musique. Cette phrase, c’est aussi pour dire aux gens : « T’essaies un chemin, tu te trompes, mais en réalité, tu sais pas, un jour tu vas trouver le bon chemin. » À la sortie de Tranche de vie, j’avais prévu d’enchaîner, mais pas tout de suite. Parce que j’ai retrouvé du taf le jour où j’ai sorti l’album. J’étais comptable dans un théâtre à Noisy-le-Sec. Ça se passait cool pour moi : j’avais fait mon truc et j’allais continuer, mais à côté du taf. Et ce qui s’est passé, c’est que Tranche de vie a pris tellement d’ampleur qu’à un moment donné, j’avais des rendez-vous liés au rap. Donc j’ai pris la décision d’arrêter le taf, même si financièrement, la musique ne me permet pas forcément de l’arrêter complètement. J’ai pris ce risque encore une fois parce qu’avant Tranche de vie, j’avais déjà arrêté le travail pour le faire et parce que je ne pouvais pas ne pas sortir un album. Et donc j’ai dû arrêter à nouveau le travail pour assumer la promotion de Tranche de vie. Et aujourd’hui, je suis toujours financièrement à la limite. Comme toujours, en réalité ! [rires] Comme toute notre vie, je pense qu’il y a pas mal de monde dans ce cas, surtout au niveau des artistes ; 95% des artistes galèrent financièrement jusqu’à la mort, pour ceux qui persistent.

A : Donc ça veut dire que par rapport à cette réalité très prosaïque de gagner sa vie, entre Le Peuple a faim et Tranche de vie, tu avais arrêté complètement le rap et tu as travaillé.

S : En fait, à ce moment-là, je me réinsère dans la société, c’est-à-dire que je taffe pour me remettre au niveau. Donc je reprends mes études, je repasse le bac, un truc qui s’appelle le DAEU [NDLR : diplôme d’accès aux études universitaires] et je passe un diplôme de comptable en un an parce que j’avais accès qu’à des tafs de merde. Des tafs au Smic, où t’as pas forcément d’évolution possible, où tu te saignes à la tâche. Donc voilà, j’ai eu ma gosse, j’étais avec ma femme. J’avais l’impression que mon mode de vie n’allait plus non plus avec le rap et j’ai eu l’impression d’avoir perdu l’inspi, tu vois. Et c’est grâce au Grünt 17 de Big Budha Cheez [NDLR : en 2014], quand j’ai vu tous les commentaires par rapport à mon freestyle, que je me suis dit : « Je ne peux pas arrêter, il faut que je reprenne. » Mais il a fallu que je réécrive. Et là, ça a été dur quand même. Le premier texte, je me suis dit : « Putain, tu pues la merde mec ! » [rires] Ça a été compliqué. Donc j’ai dû écrire, écrire, écrire, écrire, jusqu’à arriver à un niveau où je me suis dit « ouais là, ça va quand même ». En plus, j’ai dû me refaire à la scène aussi parce que je suis avec L’uZine, un groupe de scène. Et tu vois, j’ai pas forcément un rap qui ressemble à celui de L’uZine. Et avec le groupe, c’est une grosse école de la scène que je fais, qui m’apporte énormément.

A : Ce sujet de la vie quotidienne et de la difficulté de trouver sa place dans le monde du travail pour des profils comme les tiens revient par touches sur Tour de magie. J’en cite pêle-mêle : « J’expérimente des tas d’techniques sur le dos des Assedic » (« J’ouvre le feu ») ; « Dans l’taf on connaît nos chances et c’est sans suite » (« Solide ») ; « Je cherche une planque mais y a pas de métier tranquille » (« Playback ») ; « On parle pas de drogues on parle de RSA » et « Ils cherchent des gens dociles pour leur emploi » (« Bipolaire »). Une réalité qui est devenue très peu visible dans le rap.

S : C’est dû aussi à ma percée tardive. Le monde du travail, je l’ai vraiment vécu. Et pour moi, le monde du travail, c’est une tragédie grecque. C’est-à-dire que quand tu signes un CDI, c’est tragique. Tu n’as plus d’emprise sur ton destin. Ce n’est pas toi qui décides si on augmente ton salaire. Tu ne décides de plus rien de ta vie par rapport au travail. Donc il y a un côté extrêmement tragique dans le travail, je trouve, théâtral. Et oui, je n’ai jamais trouvé ma place dans le travail. En fait, j’ai essayé plein de boulots différents et toujours à un moment donné, je me sentais compressé dans un étau. Et je pense qu’il y a énormément de personnes qui se lèvent tous les matins en faisant un travail dont ils n’ont rien à foutre. Et j’en avais parlé aussi dans « Matin », le son que j’avais sorti sur Noctambus à l’époque, qui a fait un petit buzz quand même.

A : Et ce qui est remarquable c’est que sur cet album où tu racontes en filigrane comment tu deviens un artiste avec des ambitions et une autre réalité, il y a toujours ces réminiscences du monde du travail, ces prises avec la réalité.

S : Parce qu’au final, je ne suis pas loin du monde du travail. La musique, ça peut s’arrêter après demain, on ne sait pas. Après, il y a encore dans le rap ce truc du monde du travail, mais c’est souvent par rapport aux parents. J’ai vu mon père aller travailler. Et je suis ce père un peu aussi. J’ai vécu ce monde du travail et il n’a pas changé par rapport à nos parents. Je suis de la troisième génération : mon père, mon grand-père, on a vu des gens se lever, qu’on traite de merdes et qui n’ont pas bougé de leur quartier. Et pas mal d’enfants ont regardé ça en disant : « Non, j’ai pas envie de ça, j’ai vraiment pas envie. » Et aujourd’hui, la valeur travail qui est mise en avant partout… moi, je vomis quand on me parle de valeur travail. Le travail, c’est important, on est d’accord, mais la valeur travail n’est pas la valeur soumission, ce n’est pas la valeur de s’oublier. C’est carrément de l’abnégation pour aller au travail maintenant. Mais je suis sûr qu’il y a énormément de personnes aussi qui s’épanouissent dans leur travail et qui kiffent aller au boulot tous les matins. Force à eux. C’est le meilleur que je puisse leur souhaiter.

A : Dans Tranche de vie, il était déjà question du fait de gagner sa vie, de s’élever socialement. C’est encore le cas parfois sur Tour de magie, mais dans des morceaux comme « Rive » et « Tour de magie », le levier devient ta musique. Est-ce que c’est un espoir un peu lointain et abstrait ? Ou est-ce que justement, aujourd’hui, tu crois sérieusement en ta musique pour y parvenir ?

S : C’est simple. Moi, je vis la vie de tout le monde : je suis en couple, j’ai un loyer, j’ai un frigo à remplir, j’ai une meuf qui me regarde évoluer. D’ailleurs j’en parle aussi dans « Au milieu des ombres » : dans un couple, une femme qui regarde un mec qui a l’impression qu’il s’enfonce. En fait, ce n’est pas devenir riche, avoir des millions, acheter des Ferrari. C’est trouver la chose qui te plaît et qui te permet de vivre décemment, aller en vacances, avoir un crédit, tout ça. Depuis que je suis petit, comme tous les mecs de cité, je cours après le million. On cherche toujours des raccourcis pour essayer de faire le million. Tous les raccourcis que j’ai pris n’ont pas amené au million, donc j’y crois encore avec la musique et, moi, mon but c’est de faire le million. Si je me déchire autant, en réalité, c’est pour l’argent. Il faut dire la vérité, parce que si je m’en foutais royalement de l’argent, je ne ferais pas de clips. Mon album ne serait pas sorti un an après le précédent. J’aurais peut-être gardé mon taf. La motivation est financière et le manque de finances et la situation financière instable créent énormément d’inspiration. Je pense que c’est un moteur pour ce thème-là et c’est une inspiration de te dire que t’as le seum. Waly en parle aussi dans son Colors. [NDLR : plus précisément dans le morceau « Broke »] « J’vois des mecs y arriver. » J’en parle aussi : « Je rappe tellement sale que j’dors mal. » Mais pourquoi je dors mal ? Parce qu’il y a des mecs que je vois, qui ont un niveau mais je ne considère pas être en dessous d’eux, et qui y arrivent. Et à un moment donné, ça te fout le seum. Pas contre l’autre : c’est contre toi-même. C’est pas de l’aigreur, même si ça peut le devenir. Faut faire gaffe, mais c’est un seum contre toi-même qui te dit : « Bouge ton cul, fais un truc. »

A : On perçoit le sentiment que tu décris dans « Tour de magie », quand tu rappes : « J’envoie que des collectors, s’ils lâchent pas faut les mordre, ils ont mangé comme des porcs, c’est des merdes, c’est des lords. Souffrance c’est de l’or pur fondu sur leur corps. J’pratique l’art des futurs pendus, souvent par des vendus. »

S : En fait, moi, le défi que j’ai, c’est de rester toujours aussi sincère dans ma rime. Parce que je pourrais faire un album dans lequel j’utilise les mêmes champs lexicaux, les codes actuels. Le défi que j’ai, c’est de sortir des rimes qui pour moi sont ultra hardcores. Pour moi, le rap est forcément hardcore, sinon ce n’est pas du rap. Après, c’est ma vision. [sourire] Donc : comment tu fais pour rester hardcore dans ce milieu qui est assez cadré, lissé. C’est aussi dans mes choix de partenariats avec les gens, des choix de business. Si aujourd’hui je suis signé en distribution chez Urban Pias, ça fait aussi partie des choix musicaux. En distrib’, tu gardes ton indépendance artistique et moi, le but c’est de gagner de l’argent, mais de ne pas me travestir et prouver que c’est possible. Mais après, t’es obligé aussi de travailler ta musique. C’est quoi le fond dans la musique, en fait ? Est-ce que c’est le texte ou l’instru derrière ? Mais en tout cas, mon défi est de rester tout aussi hardcore, avec des phases transgressives, subversives et qui font réfléchir ; des trucs où le mec va se dire : « Mais il est taré, qu’est ce qu’il raconte ? » T’écoutes « Singe savant », il y a des phases ultra hardcore dedans.

A : C’est vrai qu’avec ce refrain, certaines personnes auraient déjà pu te tomber dessus.

S : Ouais. [sourire] Et moi, ça me fait toujours rire comment les mecs prennent de façon très extrême ce que je dis. Alors que la dernière fois, je parlais avec un gars qui faisait un cours de dessin avec des gars qui viennent d’arriver d’Afrique, des migrants. Il me dit : « Six d’entre eux ont fait des drapeaux français et moi, ça m’a mis mal à l’aise. » Et il ne connaissait pas encore « Singe savant » ! Je lui ai dit : « Ça me fait plaisir ce que tu me dis, parce que c’est vrai, ça ramène une ambiance chelou. » Mais pour ces gars-là, le drapeau français, c’est le drapeau d’arrivée, c’est la liberté. Ils n’ont pas le même sens du drapeau français.

A : Un symbole est ressenti différemment selon qui le reçoit.

S : Exactement. Et moi par rapport à mon âge, le drapeau français, c’est Marine Le Pen, c’est toute une autre histoire. C’est la flamme du FN. Après, je ne suis pas un mec extrémiste en réalité, dans ce truc-là, mais je peux avoir des phases hardcores.

« J’espère que ma musique donne de la motivation. »

A : En tout cas, pour revenir à cette interrogation de départ de gagner ta vie sans te trahir, c’est la question de l’intégrité. Tu n’es pas prêt à tout.

S : Non, non. Après, ça me fait aussi kiffer de faire des morceaux cool, mais ce sera pas sur mes albums. Par exemple, si on m’invite en collab’ et que je vois que le mec est dans un truc plus cool… J’ai fait des morceaux plus cool, comme avec Mani Deïz pour sa compilation. [NDLR : « Je m’en bats », sur ALL STAR GAME – Tornado Bees] Il m’envoie la prod, je ne me voyais pas dire des trucs incroyables sur cette prod, je l’ai fait à la cool.

A : Sur cette envie, même ce besoin de réussite, et en même temps garder à la fois son intégrité et presque une forme de liberté spirituelle, tu as cette phrase dans « Tour de magie » : « J’suis en BM double pieds mais c’est un V12 » – d’ailleurs tu citais Ärsenik tout à l’heure, Lino disait « J’aime les gros BM, mais j’oublie pas que la liberté, ça marche à pieds. » [rires] J’ai l’impression que par moments, tu exprimes aussi un détachement au matériel.

S : Le truc c’est que pour moi, la réussite n’est pas que matérielle. Par exemple, la dernière fois, j’étais sur un clip, il me fallait un pull en dernière minute. Il y a notre styliste, Hanna, qui me ramène un pull Kenzo. Je lui ai dit : « Non, je ne mets pas de marque italienne. » Je refuse en fait de rentrer dans ce truc-là, de la marque chère. Mais l’argent t’apporte… [il réfléchit] La réussite immatérielle, c’est simplement dans le cerveau. C’est te dire : « Ça y est, je peux souffler, j’ai atteint l’autre rive. C’est bon, je suis dessus, je peux poser mon transat. Tout est sécurisé. » La sécurité, c’est pas un Ferrari. C’est de te dire que tout roule, t’as un toit, t’auras de la bouffe dans dix ans. C’est ça, la sécurité. C’est plutôt un état d’esprit, la réussite. Parce qu’il y a plein de gens qui visent la réussite matérielle et qui se retrouvent à Cash Converters près d’un an après en train de tout vendre. D’ailleurs, cette phrase sera dans le prochain album. Je préviens tout le monde. [rires]

A : Dans « Playback », il y a une phrase qui synthétise sans doute ces sujets dont on a parlé et qui traversent ton album : « Je n’ai pas de rêves à réaliser, juste un destin à accomplir. » C’est quoi ce destin ?

S : Le destin, c’est vivre ma musique. C’est ça mon destin. J’aime pas cette notion de rêves, de « réalise tes rêves ». Déjà, tous les discours de motivation, ça me donne envie de vomir. Oui, il y a des choses qui peuvent te motiver. Mais pour moi, c’est pas un rêve en fait. Il y a des mecs qui vont dire : « C’est aux autres de dire que t’es artiste. » Moi je leur dis : « Non, c’est à toi de savoir qui tu es. » Si tu ne te connais pas, ce ne sont pas les autres qui vont te connaître à ta place, à part peut-être ton père, ta mère ou des gens vraiment très proches. Faut savoir ce que tu as envie de faire et le faire. Et ce que t’as envie de faire, c’est ce pourquoi on t’a mis sur terre. Ton destin. Malgré le fait que je ne suis pas très religieux, je suis très croyant d’un autre côté. Je crois en un être unique qui a créé le monde. Et je crois qu’on est tous là pour quelque chose et que le plus dur, c’est de trouver pourquoi. Mais une fois que tu as trouvé pourquoi, faut plus écouter personne : il faut foncer. Après, si tu te trompes, tu changes de chemin. C’est ça qui est plus dur. Et les mecs qui y arrivent, ce sont les mecs qui à treize ans se disent : « Moi je sais pourquoi. Moi je veux être avocat, ça me fait kiffer. »

A : Et ça revient aussi à la détermination dont tu parles dans « Rive », « Plan annulé », « Solide ». Tu parlais aussi d’abnégation il y a quelques minutes. Finalement, est-ce que d’une certaine manière, cet album n’est pas aussi de la musique de motivation ?

S : Ouais. [Il réfléchit] Malgré le côté sombre de mon blaze et de mes sons, il y aura toujours de l’espoir. Un truc qui te dit :« Bouge toi le cul, tu vas y arriver. » C’est super important pour moi de garder ce truc-là. On peut le faire, tu peux le faire. Trouve. Si toi ton kif c’est de faire de la menuiserie, frérot, tu peux être le meilleur menuisier du monde et te retrouver à New York en train de faire des meubles incroyables. Regarde un gars comme Mehdi Maïzi : son kif, c’était d’écouter du rap. Comment quand t’es jeune, tu dis : « Moi mon kif, c’est d’écouter du rap » ? On va te dire : « Mais ferme ta gueule, mon pote, c’est le kif de tout le monde. » [rires] Il a écrit dessus, et aujourd’hui, Mehdi Maïzi est Mehdi Maïzi. Il a trouvé que ce qu’il aimait : c’était écouter du rap, un truc à la con comme ça tu vois. Et il a réussi avec ça. Donc c’est pour ça, je dis : « Trouve ce pourquoi t’es là et ce qui te fait vibrer vraiment ». Et j’espère que ma musique donne de la motivation parce que je sais que les gens qui écoutent ma musique ont besoin de force. Quand t’écoute Souffrance, c’est que t’as besoin de force. Et moi, je suis encore dans cette vie où j’ai besoin de force aussi. Je suis toujours sur le fil du rasoir, je suis toujours comme eux. Et puis quand je serai riche, je rapperai ma richesse. Il n’y aura pas de galères. [sourire] On restera intègres par rapport à ce qu’on fait.

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