Soso Maness, le rap à temps plein
Interview

Soso Maness, le rap à temps plein

Des guinguettes des quartiers nord à « Minuit c’est loin » en passant par ses apparitions sur les albums de JuL, le rappeur de Font-Vert, après tâtonnements musicaux et péripéties de la vie sort son premier album, Rescapé. L’enjeu : se trouver, définir les contours musicaux du style Soso Maness. Entretien, à l’image du personnage, entre humour et gravité.

Photographies : Christophe Sterenzy

Marseille n’a pas de scène au sens d’Atlanta ou de Chicago, unifiée par un style musical inédit et identifiable. Pourtant, l’expression « rap marseillais » convoque forcément des sons, des styles, des accents singuliers. Ce sont les beats à 130 bpm d’une électro plus ou moins raffinée, issus des premières expérimentations de Pone et du Rat Luciano, repris jusqu’au sommet des charts par JuL ; les mélodies enfantines pour narguer et danser en club ou en cellule (« Recherché », Naps, « Cellule », Guirri Mafia) ; la chanson française loubardisée ( « l’amour la passion ça se braque avec un glock » ), percutante, l’indignation sans leçons, les refrains en équipe, le rap comme technique qui doit s’accompagner d’éthique : l’authenticité, rapper directement ce que les yeux voient. S’il y a bien quelqu’un qui « représente la ville comme personne », c’est l’héritier de Zampa en veste Stone, le Tmax sur béquille centrale au milieu du quartier, Soso Maness. Il a l’humour décalé, l’argot truculent, la tête dure car Algérien et Marseillais, le sang chaud et le cœur immense. L’esprit de la ville. Si « Marseille l’a fait »« Marseille l’a fait souffrir » : la mélancolie douce-amère est aussi une spécialité phocéenne, la douleur sous le soleil, les balafres derrière un sourire un peu fou, informé par les litres de Ricard, les mélanges dans la Cristaline. Là où la haine semble parfois être le sentiment-roi de ce rap de rue francilien sans pitié, le sud, comme Soso, ferait malgré tout primer le cœur. Même quand il s’agit de déplorer la pire des violences et les rictus au cimetière.

Ancien gérant, il se dégage parfois de sa musique l’idée que le rap est un business comme un autre – l’industrie musicale ne paraît pas lui parler uniquement comme à un artiste, mais aussi à quelqu’un qui sait ce que c’est que de gérer de l’argent. « En interview, les journalistes disent que je suis un bon client ? C’est bien la première fois ! » En réalité, il se pourrait qu’il soit bien plus artiste, au sens fort, qu’on ne le pense. Jeté dans le rap pour se sauver de lui-même et peut-être un jour, sauver les siens.

Prémisses

Abcdr du son : Tu as commencé le rap très jeune. Peux-tu parler de Sales Mômes ?

Soso Maness : Sales Mômes, ce sont les prémisses de ma passion. Je tombe amoureux du hip-hop via la scène en réalité. On est à une époque où il n’y a pas de studio, mais il y a les fameuses guinguettes dans les quartiers nord – des plateaux à Font-Vert, la Castellane, la Savine. Un groupe comme Psy4 de la rime s’est fait comme ça, sur scène. Avec mon pote Soso qui est toujours en prison depuis dix ans, à chaque été on se précipitait pour pouvoir montrer ce qu’on avait fait chez lui. On était un peu les coqueluches des grands de la tess, c’est comme ça que je tombe amoureux du rap, de la scène plus précisément. Je ne sais même pas ce qu’on faisait en réalité. [Rires] Mais on avait tous les deux un grand-frère qui écoutait beaucoup de rap, donc on a baigné dedans très rapidement.

A: Pourquoi as-tu voulu mettre ces débuts, Sales Mômes, autant en avant dans ta promo ? Dans la vidéo « Rescapé » que tu sors cet été par exemple.

S: Au moment où je signe chez Sony, je me dis que je dois faire table rase de mon passé. Donc le seul moyen de faire comprendre au public que je ne sors pas d’un featuring avec JuL, c’est de montrer qu’il y a une histoire, notamment avec ce groupe, les Sales Mômes, et le featuring avec Intouchable sur un album que je considère aujourd’hui comme un classique, Les points sur les I. Ça fait partie de moi, ça fait partie de mon histoire, je ne peux pas le zapper. Je ne parle pas que de ça, je parle aussi de ma vie, ma rencontre avec Kalif et JuL, la détention, la sortie. C’est une petite préface, tu sais comme dans les livres, sur ma vie et ses grands axes.

A: C’est à ce moment-là que tu décides de préparer ton album ?

S: À ce moment, je me prépare surtout psychologiquement à entrer en guerre. Parce qu’avant ma signature chez Sony, je suis persuadé d’être une arnaque. J’étais convaincu de ne pas avoir de talent. Je doutais. J’ai toujours douté de tout, tout ce que j’ai entrepris. Cet album, Rescapé, c’est finalement la première chose que j’aboutis dans ma vie. Quand je signe en maison de disque, je me dis que des gens croient en moi, que je ne suis pas là pour rien. Je n’ai pas fait comme les autres qui ont dépensé leur avance dans une Rolex et sont allés faire le tchatcheur sur Insta. Au contraire, je me suis mis à travailler dix fois plus. Si tu écoutes mes sons d’avant ma signature et ceux de cet album, c’est le jour et la nuit. Je le ressens à Paris, à Marseille et dans mon quartier. Ils sont très difficiles avec moi, très exigeants. C’est la première fois que j’ai fait l’unanimité à Font-Vert. La première fois qu’ils me disent « là Soso, il y a quelque chose, ça devient intéressant. » Mais c’est passé par beaucoup de travail, de prises de tête, d’énervement, je l’ai fait en mode préparation de guerre. Je me suis imposé une gymnastique psychologique pour écrire, réfléchir, lire et regarder des séries, pour ne pas m’enfermer dans une vision étroite de ce que peuvent être Marseille et les quartiers nord. J’ai aussi fait quelque chose que je ne faisais pas avant, de l’espionnage industriel – quand je te dis ça c’est drôle, mais je suis allé voir tout ce qui marchait, à Marseille, Paris, Lyon, ça m’a permis d’affiner ma musique, mieux la détailler. Je suis à peine en train d’entrevoir la lumière de ce qui pourrait être l’apogée de mon art. J’ai galéré à essayer de me trouver musicalement.

A: C’était un peu l’enjeu avec cet album…

S: C’était l’enjeu, j’ai tout essayé. J’ai pris des risques, je me suis cassé les dents, mais je n’ai jamais été abattu. Parce que je suis un rescapé. Je ne peux pas ! Maintenant la vie est belle, l’histoire est magnifique : je suis chez Sony, on sort un album, j’ai des featurings de fou, je suis content de moi et je suis, enfin, un petit peu la fierté de mes parents. Alors que ça aurait pu être une toute autre histoire, si je n’avais pas pris les choses en main. Et l’unanimité du quartier, c’est important. Je suis nationaliste font-vérien, c’est petit et malheureusement tristement célèbre, mais il y a une mentalité, une identité fortes. Tu sais que quatre-vingt dix pour cent de l’argot marseillais vient de chez nous ? « Clins » [client, NDLR], « la boco » [parler trop, NDLR] « la guitare » [arme, NDLR] tous ces trucs-là sortent de Font Vert.

A: Tu parlais des séries que tu as regardées et de livres que tu as lus pour essayer de t’ouvrir à d’autres choses, tu as des exemples ?

S: J’ai lu des autobiographies parce que c’est ce que j’aime, les histoires de vie : Pablo Escobar, Malcolm X, un livre qui s’appelait Femmes de dictateurs à propos de leur importance dans le pouvoir. Dans les séries, j’ai commencé Game of Thrones et Peaky Blinders qu’on m’a conseillées mais la seule que j’ai terminé c’est Stranger Things parce que j’ai vraiment kiffé la BO. Le délire années quatre-vingt c’est magnifique. Et juste après, PNL sortent le titre « 91’s », ils ont tout compris. À l’origine, je suis un passionné de musique des années soixante-dix, quatre-vingt : Supertramp, Chris de Burgh, Fleetwood Mac, R.E.M. Johnny et Renaud aussi. Mais c’est vrai que ce son quatre-vingt revient grave à la mode ; après, je n’arriverais pas à le faire. Souvent dès qu’un courant devient une tendance, que ce soit de l’afro, du reggaeton, du baile funk, de la trap, on va se précipiter dessus. J’ai essayé, je n’ai pas réussi. Il faut se trouver et ne pas inventer, sinon tu te perturbes et perturbes ton public. Comme je t’ai dit, avec cet album, je suis en train d’entrevoir ce que sera mon style. Et c’est là que je vais kiffer. Les fameuses phrases à quarante mille : très imagées et percutantes, comme « on a vendu la mort pour se venger de la vie. » C’est là où on m’attend : dans la description de mon vécu, celui d’un mec cool mais à qui il ne faut pas chercher des noises parce que je peux être méchant. Sanguinaire.

A: Pour revenir à tes débuts, il y a ce son  « La Relève » dont tu as parlé, à ce moment est-ce que la Mafia K’1 Fry t’a appris des techniques en termes de rap ? 

S: J’ai le souvenir de Demon One qui essaye de me placer sur la prod. Après c’est très difficile de parler de cette période-là, j’avais dix ans. J’ai des flashs, à Paris, le souvenir du train, que les grands nous avaient dit de garder leur shit dans les chaussettes et d’une pizza à la merguez. C’était la première fois que je voyais ça, à Paris ! Bon, Rohff et tout aussi c’était ouf, mais je les avais vus déjà vingt-cinq fois à Marseille, ils venaient souvent [Rires]

A: C’est une période où le rap du 94 était très proche des quartiers nord de Marseille non ?

S: Mais oui, on a toujours été affiliés. C’est dans le cœur tu sais, « 9+4=13 », c’est un morceau de Black Marché à l’origine, avant d’être le feat Rohff et Guirri Mafia. Encore une fois, si on s’intéresse à « l’étymologie », ça sort de Font-Vert. [Sourire] On a été très connectés pendant des années, ils kiffaient l’ambiance et la douceur de vivre du coin. J’ai le souvenir d’une fois où la gendarmerie vient chercher Dry, en concert – ils étaient en train de faire « Hold Up » – parce qu’il n’avait pas fait son service militaire. C’est mon grand-frère qui l’a fait s’évader, il est parti le chercher à la caserne. En termes d’amitié, c’est plus la génération de mon grand-frère. Demon, Dry, dont j’ai encore souvent des nouvelles, j’étais plutôt leur petit, et ça me fait plaisir. Quand ils ont choisi le titre « La Relève », j’ai envie de me dire peut-être qu’ils ne s’étaient pas trompés. Reste que la Mafia K’1 Fry est venue à Marseille avec le cœur, pas parce que c’était tristement célèbre. Ceux qui viennent parce que quand ils tapent « Font-Vert » sur Google ils tombent sur des trucs de fou, je les vois comme des rappeurs qui surfent avec des tombes. Si tu ne fais pas de feats avec des gens de Marseille, ou si tu ne donnes pas de la force, tu vas te faire foutre. J’ai déjà dégagé des rappeurs qui arrivaient à Font-Vert avec des caméras. Casse-toi de là ! Soit tu fais un feat avec les petits, soit tu partages, mais tu ne viens pas pisser sur nos morts. Pourquoi, moi, j’ai pu clipper à Grigny, à la Grande Borne ? Parce que les gens me connaissent. Je ne suis pas venu chercher une crédibilité, seulement ce sont mes amis, je me sens bien là-bas donc je clippe dans les endroit où je me sens bien.

A: C’est ce que tu dis dans « Je rentre tôt ». J’ai l’impression qu’il y a une version où tu dis « je vois les rappeurs clipper dans les quartiers nord » et une autre où tu dis « je vois ces reportages dans les quartiers nord ». J’ai rêvé ?

S: Tu n’as pas rêvé, il y a une version Spotify et une version YouTube. Mon entourage pensait que la phase sur les rappeurs étaient trop violente, mais je suis comme ça, je suis un artiste donc je me suis battu pour que la vraie phrase reste. Que les personnes qui se sentent visées se sentent visées. Ce n’est pas le morceau qui a le mieux marché, mais c’est la vérité.

A: C’est mon préféré.

S: Voilà, c’est le morceau sur lequel vous avez écrit, qui m’a fait basculer chez Yard , Jarod, pour moi dans le top trois des rappeurs des dernières années, partage le clip derrière. J’ai des retombées de fou sur cette phrase en particulier, où des mecs de Marseille m’ont dit que j’avais raison, qu’il ne fallait pas se laisser faire. J’ai essayé d’éveiller les consciences en bas. Arrêtez de mettre le tapis rouge à des gens qui vous pissent dessus. Parce que c’est triste, à la base, ce qui arrive dans notre ville. Pourquoi tu irais surfer sur des morts ?

A: Tu te rappelles, en 2012, le succès du featuring entre Booba et Kaaris où le refrain fait « Sors les kalashs comme à Marseille » ? 

S: Il y a des jours où je vais me lever et ne voir ce genre de choses que du côté négatif. Je vais dire « c’est des fatigués, des clowns » et d’autres fois où je vais me dire « c’est de l’art, ils ont le droit et ils sont super forts quand même. » C’est l’éternel combat que j’ai avec moi-même. Comme tu as pu le voir dans la vidéo que j’ai balancée pour annoncer Rescapé, la scène de fin c’est mon double, Sofien, qui va tuer Soso Maness. Mais en fait, qui est réellement Soso Maness dans cette vidéo-là ? Celui qui marche, qui est cool, qui embrasse le petit, joue au foot et qui se fait braquer sous une cagoule par Sofien Manessour ou est-ce que ça n’est pas le contraire, c’est celui-là qui est Soso Maness, l’artiste, qui braque Sofien, l’homme ? Est-ce que c’est ma vie réelle qui tue l’artiste ou l’artiste qui tue l’homme ? Je ne peux même pas te dire. C’est un éternel combat. Il n’y a que moi qui puisse me tuer. J’ai eu une période dans ma vie où c’était presque du suicide conscient, de l’autodestruction, de faire la fête, boire, m’embrouiller tout le temps. Ça c’est quand je ne rappe pas. La musique, ça m’a sauvé. Le succès de JuL, aussi, ça m’a montré que c’était possible. C’était quelqu’un qui travaillait avec acharnement, qui n’avait pas tout ce qu’il a aujourd’hui et qui le mérite amplement. Plus que personne même.

« C’est triste ce qui arrive dans notre ville. Pourquoi tu irais surfer sur des morts ? »

Marseille l’a fait

A: Avec ton parcours, on peut presque retracer l’histoire de la scène marseillaise. Dans ce qui sera le premier clip de Rescapé, « Minuit c’est loin », tu places Akh et Shurik’n au début et à la fin. Tu l’as conçu comme un hommage ?

S: Incroyable hein ? Ce morceau aussi m’a fait entrevoir ce que c’était mon style, ce que c’est vraiment « Soso Maness. » On peut faire un « Mal luné » super bien fait, ça marche, mais là où les gens veulent me voir, c’est dans le style de « Minuit c’est loin ». Et évidemment, c’est un hommage à ce que je considère être le plus grand titre du rap français, « Demain c’est loin ». Surtout la phase « Polo Dsquared, survêtement du Milan », c’était un petit clin d’oeil [« Polo Façonnable, survêtement minable » NDLR], la prod aussi fait penser à « Demain c’est loin ». Mais, c’est un constat d’échec : eux l’ont fait en 1998, moi vingt ans après, et c’est toujours la « même merde derrière la dernière couche de peinture ». Chez nous, même les impacts de balle ne sont recouverts que par la peinture. [Silence] C’est même pire aujourd’hui, c’est le sens de leur regard à la fin du clip.

A: C’est toi qui leur a demandé de venir ?

S: On est passés par Saïd leur chanteur. C’est comme un frère, il m’envoyait des lettres en prison, il prend le temps de me voir en studio alors qu’il a sa carrière, que le groupe IAM est en tournée mondiale. Et même quand je ne rappais pas, il a toujours eu des conseils pour moi, tant dans ma vie sentimentale, qu’aujourd’hui dans la musique. C’est quelqu’un que j’estime énormément.

A: Il y a aussi un artiste marseillais que tu connais depuis longtemps, avec qui tu as plusieurs featurings, c’est L’Algérino, produit par AKH au début…

S: Par qui il n’a pas été produit aussi L’Algérino ! Dans cinq ans je pense que c’est moi qui le signe. [Rires] Non, l’Algé, je le rencontre parce que c’est mon surveillant au collège Clair Soleil, entre les Rosiers, la Marine, Font-Vert. À cette période-là, il voit que je suis déjà hip-hop, donc il me fait découvrir Mobb Deep…

A: C’est L’Algérino qui t’a fait écouter Mobb Deep ? [Sourire]

S: Et oui ! Parce que L’Algé à la base c’est un kickeur et surtout un gars qui écrit. Avant le délire raï, Marseille c’était New York aussi. Pas plus tard que la semaine dernière, je lui ai dit : « tu te rends compte, la plume que tu avais ? Et maintenant c’est va bene ma bella ? » 

A: Il tue ce morceau ! [Rires]

S: Et oui il tue, on l’a même écrit ensemble! Mais avant, rends-toi compte, il rappait dans un morceau : « Dans ce monde il y a trop de sang qui coule parce qu’on est différents / Et notre point commun reste notre indifférence / Universelle est la race humaine (…) » [« Étoile d’un jour », feat Soprano, NDLR] À la base, c’est un mec qui écrit, mais c’est aussi le propre de ces années-là. C’était très… révolutionnaire tu vois ? Il n’y avait pas de showcase. [Rires] Le mélange rap et raï, j’aime bien parce que je m’ambiance avec mes potes dessus. Mais ce n’est pas que ça : la manière dont on en a parlé m’a indigné aussi. D’ailleurs je suis quelqu’un qui s’indigne beaucoup. Je m’indigne dans le sens où, quand L’Algérino ou Soolking font des quatre cents millions de vues, je suis content de fou, mais on n’en parle pas, pourquoi ? Parce qu’on va dire que ce sont des vues du bled. De l’Algérie, du Maroc, de la Tunisie. Mais ça veut dire quoi ça ? Que l’adolescent d’Alger vaut moins bien que le petit jeune de Washington ? Parce que s’ils faisaient des millions de vues aux États-Unis, ce seraient des stars, ils passeraient sur 7à8. Nous-mêmes, on se met des bâtons dans les roues en dévaluant les vues « du bled ». Mais les petits, c’est les mêmes dans le monde entier, ils ont le même cœur, ils aiment tous énormément la musique. J’étais avec L’Algérino en Hollande, vingt mille personnes ! C’est fou. Et c’est le seul rappeur avec qui j’ai ce lien vraiment affectif, c’est-à-dire qu’on va s’appeler et s’insulter par exemple. Tu ne le fais qu’avec des gens dont tu es proche. On n’est pas du tout dans l’hypocrisie constante qui existe dans la musique. Tu ne peux pas t’imaginer combien de fois on se dispute. Même dans ma vie passée, il me disait de faire attention, de ne pas sombrer dans ce truc d’autodestruction. Mais j’étais égoïste, je n’écoutais pas. Aujourd’hui, même si on n’est pas d’accord sur tout, c’est quelqu’un qui compte énormément pour moi.

A: Après, il y a eu toute la période entre Psy4 et JuL, où on identifie souvent un creux dans le rap marseillais. Pourtant c’est la période Black Marché, Kalif, Puissance Nord… Tu dois quoi à cette scène ?

S: Et oui, Alonzo aussi à ce moment, très important. Je leur dois un héritage très fort, surtout à Black Marché, pour avoir braqué différemment les lumières vers les quartiers nord, et en amenant cette manière de détailler la rue comme le fait si bien Kalif. C’était une période où à Marseille on n’écoutait que des Parisiens, Booba, Salif, mais les gens avaient quand même tous l’album de Black Marché dans la voiture. Ça a déteint sur moi puisqu’ensuite j’ai travaillé avec Kalif. Lui, tout ce qu’il touche, il le transforme en or : JuL, Naps… Il a fait les premiers albums de JuL, maintenant il est directeur artistique de Naps, moi il m’a encouragé à continuer…

A: Vous êtes tous les trois, JuL, Kalif et toi, sur un morceau de Vendredi 13 [album de Kalif Hardcore sorti en 2015, NDLR] « Soleil », et en l’écoutant, on voit clairement que vous avez quelque chose en commun.

S: Oui, on ne connaît pas assez ce son d’ailleurs c’est dommage. Je pense que ce qu’on a en commun, c’est d’abord qu’on aime énormément cette musique et qu’on la respecte. On a aussi tous les trois cette façon très marseillaise de détailler le réel. Moi, ça va être beaucoup dans le dark, JuL dans la vie de rue, et Kalif un mélange des deux.

A: C’est d’ailleurs JuL qui enregistre ton premier morceau, « Toto Riina ». Il t’a donné des conseils en studio ?

S: Oui, c’est lui qui m’apprend à gérer l’auto-tune. À la base, je voulais chanter sans, je pensais que j’avais une belle voix mais ce n’est clairement pas le cas [Rires]. À la fin de « Toto Riina » d’ailleurs tu entends les voix de JuL. C’était une période très intéressante où entre nous il n’y avait que de la musique. De la musique et de la drogue. [Sourire] Moi je ne touche à rien, mais j’étais le fournisseur, donc je leur ramenais plein de shit et de weed, et on passait des après-midi comme ça. J’ai jamais fumé de ma vie tu te rends compte ?

A: Tu as aussi le clip sorti cet été qui était pas mal écouté à Marseille, « Pochon Vert », avec ce côté très marseillais de refrains en équipe, de IAM à JuL.

S: Oui JuL c’est un truc qu’il fait depuis longtemps, il avait aussi fait un feat avec Font-Vert sur Lacrizeomic. Je reprends certains des rappeurs qui étaient sur ce titre, « Terter », on fait un petit clin d’oeil à 13ème art [le titre fait référence à l’album Pochon bleu de Naps, NDLR] parce que ce sont des gens dont nous sommes proches, mais on l’a vraiment fait avec le cœur, on ne pensait pas du tout que ça allait marcher. Avec ce petit succès, les frérots veulent maintenant monter un collectif, se lancer dans la musique. Leur collectif s’appelle CPAC (« Cherche Pas A Comprendre »). Elle est là ma vraie victoire: quand ils se disent si Soso l’a fait, on peut le faire. Quand j’ai signé en maison de disque, je n’ai fait que voyager pour clipper, Londres, Miami. Comme ça, quand je rentre à Font-Vert et que les petits me demandent « comment c’est là-bas ? » je leur réponds : « si tu travailles, toi aussi tu pourras partir! »

A: Dans ce clip, il y a un gars qui porte le tshirt #Fraté de la marque de Julien Tanti, avec qui tu as eu un petit souci suite au morceau « Sosorina » [Julien a menacé Soso Maness de porter plainte en raison des paroles « je ressors je vends de la pure à Julien des Marseillais », NDLR]. C’est fait exprès ?

S: Mon fraté préféré. [Rires] Mais oui, évidemment, je suis allé l’acheter le matin ce tshirt,  placement de produit. Ce sont des petits trucs que je fais qui sont contrôlés. Je sais que ça va faire parler. Après cette phrase, c’était un truc de fou, même LCI, 20 Minutes sont allés jusqu’à en faire des articles. Il faut comprendre que c’est un personnage public, c’est un truc classique de rappeurs de faire des punchlines autour de personnages publics. C’est juste que moi, je suis connu pour ça, et que lui… voilà… Ça a fait un grand bordel qui fait que tout le monde s’est demandé si c’était vrai ou pas. Mais je ne le dirai jamais, déjà que j’ai du mal à balancer, me balancer moi-même c’est impossible. [Rires]

A: Et enfin, dans les rappeurs actuels, il y a Chris Karjack, que tu as rencontré à la prison des Baumettes, qui m’a parlé de certaines de tes expressions, point fort de ton écriture. Notamment celle de « CPE du rap ». Tu peux expliquer ?

S: C’est vraiment un bâtard ce Chris Karjack. [Rires] Non ce n’est pas méchant je voulais juste parler des rappeurs qui pendant une période avaient plus un discours de CPE, « petit frère, ne vends pas la drogue. » Et le pire c’est que ceux auxquels je pense, quand ils ont vu que ça ne marchait pas de faire les CPE, ils sont devenus narco-trafiquants, ils sont passés de « ne vends pas petit frère » à [imite un flow « trap » saccadé] « je débite des tonnes tous les jours. » [Rires] Chris en effet, on restait des après-midi en cellule à écouter des prods, on bossait. Je me souviens qu’il était abasourdi de mon style : en promenade je marchais en jean, ceinture Ferragamo, lunettes Christian Dior. [Sourire]

A: Oui, il a aussi dit que tu l’avais guéri du « cancer du swag ».

S: Et oui, ça a été très difficile mais je l’ai soigné. C’est une expression que j’ai dans un feat avec L’Algérino. « Cancer du swag t’es en ballerines. » Après notre détention aux Baumettes on a été mis en semi-liberté, et à cette période on était carrément dans la même cellule, c’est à ce moment que j’ai pu le guérir. C’est mieux non là maintenant, son style, ses visuels ? En plus c’est quelqu’un dont je connais l’histoire, et même s’il n’est pas de Marseille, je le considère comme plus marseillais que beaucoup de Marseillais. Il était avec moi aux Baumettes, c’est un passionné de musique, il est technique et il a vraiment galéré, pas pour acheter du Ruinart Blanc de Blancs, mais pour faire sa musique. Puis il est bien entouré maintenant, Red Out Black [son label, NDLR] a ouvert ses locaux, c’est bien, c’est une équipe solide. C’est avec eux que j’ai réalisé la vidéo pour annoncer le tracklisting.

« Notre musique doit rester urbaine. On ne sort pas du Conservatoire mais des ténèbres.  »

A: C’est Ladjoint qui a réalisé Rescapé c’est ça ?

S: Quatre-vingt pourcent. Parce que je pense que pour ne pas perturber les auditeurs quand tu sors un projet, il lui faut un squelette, et ce squelette passe par le recours à un beatmaker. C’est quelqu’un avec qui je me sens bien, lui et moi on commence à se trouver. Pendant très longtemps, on croyait chacun en l’autre, mais on n’arrivait pas à réellement travailler ensemble. Mais on n’a pas lâché l’affaire, ni moi en allant voir ailleurs, ni lui en se concentrant uniquement sur d’autres artistes. Avec l’album, ça a changé. Je n’arrivais plus à faire sans lui. Puis il m’a dit qu’il recevait des messages tous les jours de gens qui attendaient l’album. C’est ça qui me fait dire que j’ai sauté un cap : maintenant, les gens m’attendent. Et je pense que je peux prendre une place à Marseille que personne n’a.

A : Tu la verrais comment, cette place ? 

S: J’ai un créneau qui n’est pas forcément à la portée de tous les autres, déjà parce que ce que je dis, c’est vrai. De une. De deux, et c’est lié, je pense que j’ai une façon de décrire la rue très dark mais avec des détails concrets, auxquels tu ne peux pas penser si tu ne les as pas vus. Moi, je suis le Tmax sur béquille centrale au milieu du quartier ! Tu vois ? Quand SCH dit dans « Anarchie », un son que j’aime beaucoup, « Maman tire les rideaux y’a le crime en-bas », elle tue cette image, tu te rends compte ? Mais moi je raconterais plutôt ce que j’ai vu. Ce à quoi j’ai assisté à Font-Vert, c’est que lorsqu’il y a un mort, tu as toutes les mamans au balcon. Aucune ne tire les rideaux. C’est une vision que j’ai très différente, beaucoup moins cinématographique.

A: C’est vrai qu’on t’identifie plus pour ta manière d’écrire, ton sens du détail, que pour la musique réellement, tu as dès l’intro cette image qui reste gravée en tête, tu parles de ta mère lors d’une perquiz : « elle m’a fait boire de l’eau j’ai senti ses mains trembler. »

S: Si je dois retenir une image, de ma carrière, de ma vie de pseudo-trafiquant, c’est cette image-là. Je suis menotté, il y a des policiers partout, ma mère pleure et je suis essoufflé, je lui demande de l’eau. Elle me donne un verre et ses mains tremblent. C’est resté gravé dans ma tête. C’est comme ça qu’elles me viennent ces phases percutantes. Je peux replonger très rapidement. Peut-être que j’y suis encore. Dans le genre j’en ai d’autres, « je suis au cimetière je vois vos rictus », l’image, je l’ai vue en face de moi, je ne l’ai pas vue dans Le Parrain. Elle est réelle, ancrée en moi. Un son comme « TP », qui décrit une journée type dans le four, je pense qu’il est tellement réaliste qu’il faut le clipper en mettant une GoPro aux charbonneurs. Je te jure je veux faire ça. Tu ne peux pas faire plus détaillé dans un temps plein. C’est vraiment ça. À la fin, je ferais une accélération où se succéderont plusieurs journées types, et la dernière finira avec les policiers. Parce que l’issue elle est là. Tu peux monter, descendre dans la hiérarchie, l’issue c’est la prison ou la mort. Et en prison, soit tu es intelligent et tu as mis de côté, soit tu as vécu à deux mille, tu as fait la mala et tu n’as même pas une clope une fois dedans. Un patron de boîte à qui tu as donné des milliers pour du champagne tu crois qu’il va t’appeler en prison ? Il va t’appeler quand tu sors, pour te demander s’il te réserve ton carré VIP. C’est là où si tu es intelligent tu lui dis d’aller se faire foutre normalement. Mais on est tellement fragiles, tellement faibles aussi. On est capables de lui dire « ça va, j’arrive. »

A: Il y a peut-être en plus de cette écriture un truc dans l’album qui t’identifie musicalement, ce sont les refrains sous auto-tune : entre usage très contemporain du logiciel et presque des chants du stade, à plusieurs. Dans « Rescapé » par exemple.

S: C’est fou que tu dises ça, parce que « Rescapé » c’est le dernier titre qu’on enregistre, et c’est celui où je pense qu’effectivement on entrevoit la couleur musicale de ce qui sera le deuxième album. Des refrains autotunés à plusieurs mêlés à une narration de la rue hyper détaillée dans les couplets.

A: Tu es un mec du stade, tu penses que les chants ont joué dans tes idées de refrain ?

S: J’ai même déménagé au Prado pour pouvoir voir le Vélodrome de mon balcon. Je me lève le matin et je vois ce stade que je trouvais magnifique petit, les fois où j’avais la chance de passer devant – des quartiers nords au Prado, c’est loin quand même. C’était un rêve. Je pense que la culture du stade joue dans mon approche de la musique. Parce que j’ai fait bordel au stade, même si devenir un peu connu m’a cassé le délire. J’aime vivre, j’aime lâcher les vannes. Sous Ricard avec mes collègues. Mais maintenant si c’est pour finir sur un snap à chanter avec un plot sur la tête…

A: Tu sembles aussi avoir digéré certaines influences US aussi, il y a plus d’ad-libs qu’avant par exemple.

S: Ah les « skusku » ? [Rires] Oui, il faut se mettre à la page. J’ai eu la chance à vingt-deux ans d’habiter à New York, six mois. Je vivais à Brooklyn, Fulton Street. C’était un peu chaud pour moi à Marseille, je devais partir. Je kiffe les States, quand j’y vais j’ai le cerveau en éruption, j’ai plein d’idées, je suis à deux mille. Miami, pour te dire comme je suis déterminé, pour le tournage du premier clip, on m’autorisait à faire venir un collègue à moi. À la place j’ai choisi un deuxième réalisateur pour en faire un autre. Après cette ville, je ne l’ai pas tellement choisie pour sa tradition musicale très variée, je sais pertinemment pourquoi j’y vais. Dans la musique, il ne faut pas avoir peur des clichés, Miami c’est un cliché, à l’image il va s’en dégager un format très télévisuel – même si en réalité, il n’y a que des vieux.

A: Un instrument qui revient souvent dans l’album c’est la guitare : la guitare électrique à la fin de l’intro, dans « Minuit c’est loin », et le feat avec Hooss « On vous guitarise » tourné à Londres. C’est parce que tu aimes le rock, le punk anglais ? 

S: Dans ce genre de musiques, il y avait toujours un solo d’instrument, en plein milieu, que ce soit guitare, saxo ou quoi. Je trouvais dommage que ça n’existe plus. Chez Supertramp, Dire Straits, beaucoup. J’ai toujours aimé cet instant-là [il imite un solo de guitare électrique]. Le mec, tu as l’impression qu’il rappe avec son instrument. Pour « Le Vent tourne », je n’arrivais pas à faire un deuxième couplet au niveau du premier. Donc je me suis dit, je vais mettre un solo de guitare à la place. Un gars est donc venu au studio avec une guitare électrique et a joué ça pendant que j’étais avec lui.

A: Dans ce titre avec Hooss, vous faites deux références aux gilets jaunes. « Y’a les gilets jaunes et les gilets Stone »« je vends des trucs bizarres à des mecs en gilets jaunes ». Qu’est-ce que vous vouliez dire ?

S: C’est très intéressant ça. C’est une façon de voir la vie. Je suis pour leur combat, je suis de tout cœur avec eux, mais ce n’est pas le mien. Ça fait quinze ans que l’ascenseur est bloqué en bas de chez moi. Ça fait quinze ans que les fins de mois sont difficiles. Ça fait quinze ans que je connais les abus de la police et je n’ai pas attendu 2019 et BFM pour m’en rendre compte. Je suis de tout cœur avec eux, mais ce n’est pas mon combat, mon combat est dans les quartiers nord. On est oubliés, délaissés : il n’y a même plus de centres sociaux. Avant on partait. On allait dans les Alpes, en Corse, ça m’a ouvert l’esprit direct. J’ai été capable de partir dans d’autres pays dès mes dix-huit ans. Ça n’existe même plus, aujourd’hui nous devons nous-mêmes organiser les activités pour les petits pendant la période scolaire. Des tournois, par exemple, mais tout sort de notre poche. Si je pète demain, j’ai un kif à réaliser. Le plus gros projet de ma vie ce serait d’ouvrir la plus grande bibliothèque de Marseille dans les quartiers nord. Tu te rends compte ce que tu laisserais à tous ces petits ? J’ai déjà le truc en tête, avec des conférences tous les dimanches, de personnes issues des quartiers nord, pour montrer à tous ces jeunes que c’est possible. Que la rue, la facilité ce n’est pas ça, et qu’ils n’y sont pas condamnés. Franchement c’est sûr et certain que je vais le faire. Je ne dirais même pas que c’est moi. Mais je le ferai.

A: Il y a à la fin de l’interlude, une reprise de « Manu », la voix de Renaud qui te dédicace. Quel regard tu portes sur les liens entre rap et variété, ou chanson française ?

S: Oui, je dis souvent que Renaud c’est le premier rappeur, je connais toutes ses musiques. J’espère qu’en ayant placé cet enregistrement après la reprise il ne me fera pas un procès, parce que par contre, j’avais eu un problème avec ma reprise d’Aznavour [« Emmenez-moi », NDLR]. Mais ce qui est fou, c’est que Renaud c’est un loubard qui fait de la variet, et c’est le côté loubard qui fait basculer vers le rap. On est un peu ses petits-enfants. Mais aujourd’hui c’est le rap qui bascule vers la variet ! C’est ça qui me fait peur. Au début je trouvais ça bien que la frontière entre différents styles soit de plus en plus minime. Mais si tu regardes bien, pourquoi le rock est mort ? À cause de cette frontière minime avec la pop et la variet. Notre musique doit rester urbaine. On ne sort pas du Conservatoire mais des ténèbres. À la base on doit rapper la rue. C’est là où je ne me réjouis pas avec tout le monde des nouvelles tendances. Le rap peut devenir le rock de demain et le rock a disparu. Je ne peux pas faire de feat demain avec Shy’m ! Et on ne peut pas choisir de revenir à l’urbain juste parce que c’est ce qui marche aujourd’hui. Soit tu donnes ta vie à l’urbain, soit basta cosi.

A: Le choix des featurings, c’est cent pour cent DZ, et en ce moment beaucoup d’artistes algériens, notamment rappeurs, soutiennent les manifestations contre le cinquième mandat de Bouteflika. Tu as l’air très attaché à l’Algérie, qu’est-ce que tu en penses ?

S: Je soutiens évidemment. Je suis très attaché à mon pays, à l’histoire de mon père, je sais où je vais quand je vais au bled, où est mon grand-père, je suis de Chlef, 02. Mais je ne peux pas donner un avis sur un pays où je ne vis pas par contre. Je vois ces jeunes dans la précarité se révolter, je suis avec eux ; mais prétendre comprendre et connaître leurs revendications, c’est très difficile. Ce serait égoïste de ma part, on est en France, à Marseille, tout va très bien en réalité, même si on se plaint. Ce sont des degrés de précarité très différents. Et à l’inverse j’ai connu beaucoup de gens qui ont traversé la mer pour arriver en France, et qui se sont dits très vite « je vais retourner en Algérie, je n’en peux plus. » La France, ce n’est pas le même rythme, la même pression de vie. Donc je ne peux pas avoir une opinion claire sans y avoir habité au moins six mois par an par exemple.

A: Tu as quelques phases de temps en temps sur le sujet « je sais qu’on appelait nos anciens bicots / Qu’on rêvait de nous renvoyer en classe éco », « de loin je t’aime Palestine »

S: Oui il y a des choses qui m’indignent, comme je t’ai dit, il faut s’indigner, c’est le plus important. Quand tu ne t’indignes pas, c’est le début de la mort. Il faut se révolter tous les jours. Écris-le dans l’Abcdr : il faut lire le livre de Stéphane Hessel, Indignez-vous. J’ai adoré ce livre.

A: Le rap pour toi, est-ce que, comme tu le dis parfois, est un business comme un autre ?

S: C’est vrai que si je n’avais pas signé, j’aurais ouvert une boîte de prod, un studio, j’aurais fait quelque chose, parce que j’aime trop le rap, la musique. Mais sans bénef, évidemment que j’arrête de rapper. Quant à ceux qui s’inventent une vie pour vendre, dans quatre-vingt pourcent des cas ils me révoltent. Mais j’alterne. Je les ai même rencontrés, certains. Quand ils me disent que ça leur permet d’aider leur mère, forcément je suis touché. Ils jouent avec ma corde sensible, je suis quelqu’un de trop gentil. Je n’ai jamais clashé aucun rappeur, je ne le ferai jamais, je suis trop un homme pour faire ça. Une fois je me suis disputé avec l’un d’eux, je lui ai tiré les oreilles : je n’en ai pas dormi de la nuit. Ma femme m’a dit que c’était parce que j’ai voulu le faire hagar. Parce que je savais qu’il ne pouvait rien me faire. J’ai regretté. Après si tu m’attaques, je réponds de manière proportionnelle, c’est de la légitime défense.

A: Tu n’as pas peur qu’à cause de cette conception, on s’intéresse plus à ton histoire qu’à ta musique ?

S: Oui c’est le risque. Mais je pense que ma musique est forte. Souvent les gens qui ont du gros vécu ne savent pas rapper. La différence c’est que je sais quand même le faire et que mon vécu rapologique est aussi fort que mon vécu de rue : j’ai commencé avec la Mafia K’1 Fry ! Dans les astres de la musique française, je reprends 2014 avec JuL ! Entre temps, mon surveillant de collège, c’est L’Algérino ! Tu vois qu’il y a des signes. Des signes que c’est ce que je dois faire.

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