Les mots de Soso
Interview

Les mots de Soso

Sur son deuxième album Mistral, Soso Maness prouve qu’il a grandi en tant qu’homme mais aussi en tant qu’artiste. Rencontre avec un débrouillard à la parole libre.

et Photographie : Brice Bossavie Photos

Il y a une continuité entre la musique, la vie et les interviews de Soso Maness : elles se nourrissent réciproquement. Dans le raout journalistique, on dit d’ailleurs de lui qu’il est un “bon client”. Une expression assez ironique – il s’en amuse souvent d’ailleurs – quand on connaît son parcours : celui d’un rescapé de la rue, de la prison, des embrouilles, voire de ce “suicide déguisé” sous des comportements bordéliques qu’il associe à un moment de sa trajectoire. Lui a pourtant décidé de s’en distancier, comme il le relate sur Mistral, deuxième album aux contrastes saisissants. Une fille qui sourit et un père qui ne sourit pas, un homme prêt pour la guerre tout en priant pour la paix, un esprit torturé mais plein d’espoir : assorties de moments de violence autant que de compassion, la vie et la musique de Soso sont faites de tensions, qu’il tente aujourd’hui de concilier. À la fois fidèle à son monde (il continue de rapper les fours des quartiers nord, on ne change pas un homme si vite, a fortiori après seize ans de terrain) et désireux d’en connaître (et faire connaître) d’autres, Soso Maness apparaît apaisé, plus sûr de lui, lorsqu’on le rencontre dans un appartement des beaux quartiers de Paris. Bavard mais toujours pris dans sa gamberge, le Marseillais aura pendant une heure et quart pris le temps de revenir sur la manière dont sa vie avait à la fois beaucoup et peu changé depuis notre entretien, il y a un an seulement. Une générosité bientôt légendaire qui nous a donné envie de laisser la parole brute du Marseillais s’exprimer au fil de quelques mots agrémentant constamment son discours. Celle d’un “bon client”, aujourd’hui devenu le chantre d’une parole authentique.

Projets

Avoir ce premier album, qui marche aujourd’hui plutôt bien, ça m’a permis de vivre de ma musique et comme je l’ai dit, de faire des projets. C’est ça qui est important. Je n’en avais jamais fait jusque-là. Tu te lèves, tu fais TP [temps plein, NDLR] tu te fais niquer, tu sors de prison… mais quand tu sors de prison, tu n’as pas de projet. Là, faire de la musique, sortir un album, avoir un petit succès et s’installer, ça permet d’avoir du temps et de la confiance. Quand on a sorti le premier album, on a vendu 1 000 disques la première semaine. Et là on arrive au disque d’or. C’est pour ça que j’essaye de casser les codes et de dire aux rappeurs : ne vous arrêtez pas à cette foutue première semaine. Défendez vos projets ! Si vous y avez cru, si votre entourage y a cru, vous ne devez pas vous décourager en vous disant que vous avez fait 2 000/3 000 en première semaine et qu’il faut passer à autre chose. J’ai vendu 1 000 disques la première semaine et après je me suis battu frère ! J’aimais trop cet album pour me dire que je passais à autre chose. Je l’ai défendu avec les interviews, et je pense qu’elles ont permis de montrer ce côté sympathique qu’on aime bien chez moi. Puis le clip de « TP » [clip tourné avec une caméra embarquée, suggérant immersion et réalisme dans le récit d’une journée-type de deal, NDLR] m’a fait monter d’une étape, et ensuite la série m’a fait encore plus péter. C’est ce qui était intéressant, j’avais une proposition qui n’était pas que musicale, c’était beaucoup plus vaste avec la série, avec “TP”, les interviews : il n’y a pas qu’un album. On a aussi sorti un filtre Instagram… Tu l’as vu le filtre ? On va aussi vendre l’album au réseau : c’est moi qui vais faire TP, avec la sacoche, le jour de la sortie. Il y a des artistes pour qui la musique seule suffit, d’autres pour qui il faut ajouter des choses, et c’est mon cas. Je sais qu’il y a des gens qui savent qui je suis, mais qui ne connaissent pas ma musique. Certains pensent que ce n’est pas bon mais moi j’estime que c’est ma force. Parce qu’à un moment, ils peuvent se dire « je vais aller écouter ce qu’il fait ». Et peut-être qu’ils vont accrocher. On parlait de ça avec Dinos il n’y a pas longtemps, quand je l’ai invité à Skyrock. Il me disait « Soso mais tu te rends compte ou pas ? » « Je me rends compte de quoi ? » « Tu es arrivé à un truc qui est fou. Tout le monde t’écoute, Blancs, Noirs, Arabes, et il y a des gens qui ne te connaissent pas mais qui connaissent ‘So Maness’. Ça c’est fort ». Je n’y avais pas fait attention jusqu’à ce qu’il me le dise, mais c’est vrai.

Croire

Sur la pochette de mon album, je regarde en direction de mon école à Font-Vert. Parce que nos petits de Font-Vert c’est le futur. Il y a mes neveux et mes nièces qui sont là-bas, et je me demande souvent : quelle image je vais donner ? Est-ce qu’ils vont prendre exemple sur le Soso d’avant qui vendait de la drogue et qui vivait en Ferrari, ou est-ce qu’ils vont prendre exemple sur le Soso qui travaille et qu’on a vu galérer pendant des années et qui s’en sort maintenant ? J’ai galéré. J’en parle pas souvent mais j’ai une période où je sors de prison, je décide de ne faire que de la musique, alors que j’avais un train de vie de fou avant de rentrer. Mais je ne voulais plus de ça et je me suis dit que j’avais une carte à jouer là-dedans. Et cette période-là, elle était dure. [Il s’adresse à son ami, également acteur dans son court-métrage, à l’autre bout de la salle, NDLR] Tu te rappelles ? On n’était pas beaucoup. Musicalement déjà, ce n’était pas ça : tout ce que je sors, je me casse les dents. Ensuite j’avais vraiment envie de retourner au réseau et gagner mes quatre cents euros par jour, revenir à ce train de vie que j’a quitté. Et j’ai vu le regard des gens changer envers moi mais dans un sens négatif. « Soso il a coulé », « Il a craqué avec sa musique ça marchera jamais ». Et regarde à l’heure d’aujourd’hui, ces mêmes personnes qui reviennent me voir… Il y a trois ans tu parlais mal de moi, je le sais ! C’est venu à mes oreilles. Tu sais comment c’est à Marseille, ça parle beaucoup… Mais j’étais convaincu qu’il pouvait se passer quelque chose. J’y ai cru, j’y ai cru, j’y ai cru… La signature en maison de disques m’a mis dans un premier temps dans une position un peu plus confortable. Ils me signent pour des cacahuètes, mais ils me mettent dans une position confortable pour pouvoir faire de la musique et sortir des clips. Quand je sors, ils me signent sur des morceaux de pop urbaine pétés, que moi-même je n’aimais pas. Je leur dis alors « OK, merci pour la signature, mais je ne vais sortir aucun des trucs que vous avez écoutés, je vais retourner travailler, je sais ce que les gens veulent de moi. » Donc là je reviens avec un premier court-métrage où je raconte ma vie, et surtout je fais « Minuit c’est loin », qui me replace automatiquement au même niveau que tous les rookies de Marseille, une certaine Ligue 2 du rap qu’il y a en ville, et où ils avaient un peu d’avance. À partir de là je sens que c’est ce que les gens veulent de moi. Je sens les étincelles, ensuite les braises… c’est dur hein ! C’est dur à faire, les étincelles, après il faut souffler sur les braises… et après viendra le brasier frère. On est bien. Ça tue.

Sourire

Je déteste quand on me dit que je suis un personnage, je ne supporte pas. Moi je suis Soso et c’est tout. J’ai toujours eu des amis de toutes les communautés parce que j’essaye d’être sympa. Et les gens ont eu ce sentiment-là en interview. Le sourire ça ouvre toutes les portes. Quand tu as le sourire, que tu sais bien te comporter, ça t’ouvre plein d’opportunités. Tout à l’heure j’étais à Skyrock et ils m’ont fait passer en direct live en pleine journée. Alors qu’ils n’ont pas à le faire ! Mais quand tu viens, que tu es heureux d’être là… Voilà, je suis heureux. Je suis toujours émerveillé. Je pense qu’on devrait plus sourire dans le rap. Mais de fou. Bon, certains, ce sont vraiment des guignols, alors pas eux. Mais je pense qu’on devrait plus le faire, et arrêter de s’inventer une carapace de la rue, parce que la plupart des rappeurs ne savent pas de quoi ils parlent. Et en plus de ça, les gens qui ont vraiment été dans la rue ce sont les gens les plus cool. Si tu es rescapé tu dois être automatiquement heureux. Tu ne peux pas être rescapé et être con. Quand tu es rescapé, tu ne peux que remercier et dire « j’ai eu de la chance. » Surtout, je crois vraiment que le bien t’apporte du bien. Je vais vous raconter une anecdote, je ne sais pas si je vous l’ai déjà racontée : quand je signe en maison de disques, la première fois, je rencontre Laurent Rossi l’ancien boss de chez RCA qui vient me voir à Marseille. On est à Marseille, et j’habitais aux Goudes. À un moment on prend le tunnel et on arrive sur le Vieux-Port, en VTC. Il est tard, 22h-23h. Je dois aller vers la corniche sur la gauche, et lui va au Hard Rock Café sur le Vieux-Port. Il y a des embouteillages de fou pour aller au Hard Rock Café qui est à cinq cents mètres, et le chauffeur dit à Rossi « Descendez, vous marchez cinq cents mètres et vous allez arriver, ça m’évitera d’être dans les embouteillages pendant quarante-cinq minutes. » Je vois Rossi descendre, et qu’est-ce que je fais ? Je descends avec lui. Il me dit de rester dans mon taxi et de rentrer à la maison. Je lui dis « Écoutez, on est à Marseille, il est 23h, je vous emmène au Hard Rock Café et une fois que vous êtes là-bas avec vos amis, ne vous inquiétez pas je rentre chez moi. » On marche, je l’accompagne, tranquillement, puis on se dit au revoir. Et quand on signe quelques semaines plus tard en maison de disques sur Paris, il raconte cette anecdote devant tout le monde, avant de dire : « Quand j’ai vu qu’il m’a accompagné, je me suis dit en marchant sur la route ‘Je le signe’ ». Elle est pas folle cette histoire ? Alors que moi je l’ai fait par éducation, parce que c’est normal !

« Le sourire ça ouvre toutes les portes. »

Bilal

Ma vie personnelle avance, mais celle de mes proches, non. Et parfois je me pose des questions : est-ce que je devrais culpabiliser de ce qui m’arrive ? J’ai travaillé dix fois plus pour ça, et en même temps, mon petit frère Bilal est rentré en prison. Alors que je suis censé avoir une audience et en profiter pour expliquer aux gens comment éviter les mauvais chemins, j’en suis directement affecté. Pourtant je lui parle comme ça, comme je te parle à toi, j’essaye de trouver les meilleurs mots possible, ceux que j’aurais aimé qu’on me donne à l’époque. Je l’ai fait sortir sous caution et on a fait le Ramadan ensemble : j’essayais de lui expliquer, de lui trouver un travail… Mais en même temps, je me mets dans sa position à vingt ans, c’était il n’y a pas longtemps. Et je ne voulais rien entendre. Je lui ai dit : « Tout ce que tu vis, je l’ai vécu. Et crois-moi il n’y a rien de bon dans le chemin que tu es en train de prendre. » C’est pour ça que j’ai fait mon morceau « Bilal ». C’est pour mon frère. Je le fais parce que j’essaye de lui faire passer un message. Je voyais que ça ne marchait pas en discutant alors je me suis dit que j’allais le faire par une musique. Peut-être qu’il se rendra compte qu’il a de la chance, par rapport à ce Bilal fictif. Il y a d’ailleurs beaucoup de gens de la zone qui ont aimé “Bilal” et qui n’étaient pas au courant de ce qu’il se passait réellement de l’autre côté de la Méditerranée. Mon but avec ce titre c’était d’informer sur ce qu’il se passe en Afrique mais aussi de sensibiliser les gens comme moi, rebeus, renois de quartier, parce qu’on se retrouve parfois à devenir raciste de ces gens-là. Alors qu’on était les premiers à dénoncer le racisme que nos parents ont subi ! “C’est un clandestin, c’est un clando”. T’imagines ce mot, “clando”, comme il est mauvais ? Alors que vous êtes pareils, tes parents ils ont vécu la même chose. Ressens l’histoire. Comprends ce qu’a vécu ce mec pour en arriver là. Et en Libye tu n’as pas que des Noirs, tu as des Tunisiens, des Marocains, des Algériens qui sont enfermés. Bilal dans mon son dit “Qu’est-ce que je donnerais pour voir ma terre et reprendre ma mère dans mes bras”. C’est ce qui sortait de la documentation que je m’étais faite avant d’écrire le morceau. C’était très important de faire ce son pour moi.

Mistral

Le mistral c’est un vent du sud, brutal, dur, qu’on ne trouve que dans le sud de la France, mais qui est nécessaire au beau temps. On a besoin du mistral pour avoir ce ciel et ce soleil. C’est lui qui chasse les nuages : il fait mal mais il est nécessaire. C’est un peu comme ma vie, le mistral. Ça a été violent, ça a été brutal, mais ça a été nécessaire pour atteindre ce que je suis en train d’entrevoir aujourd’hui. L’image elle est là, et c’est authentique du Sud. Avec le mistral tu ne peux rien faire, ça refroidit la mer, quand tu cries “Arrah” dans la zone, tu n’entends rien. Pour chasser le mauvais nuage, il faut passer par du mal. Et ce drap qui vole autour de moi sur la pochette, c’est mon histoire. C’est mon passé, il est là, il est en train de partir mais il me protège en même temps. Je suis aussi sur la place où j’ai fait mon premier concert et le bâtiment derrière, c’est un endroit où j’ai charbonné pendant longtemps. C’est très symbolique cet endroit. Je suis très content de la cover que m’a fait Discipline. Alors que Fifou, je n’ai pas aimé, il est venu, m’a fait une balafre sur la joue, il a shooté, merci bonsoir. Je pense qu’il devait se dire que j’étais certainement un rappeur de passade comme il y en a en maisons de disques. Je m’en fous. Mais en tant qu’artiste tu te dis quand même qu’il ne te respecte pas. En tout cas, pour mon deuxième album je me suis dit que j’allais essayer d’aller chercher un peu plus loin que ce que j’avais entamé sur Rescapé, sans me fixer de thème. J’ai aussi fait une bonne pause avant de repartir, j’avais envie d’apprécier et je n’ai pas voulu me reprojeter directement. Je pense que le cerveau, pour qu’il ait des idées, il doit s’aérer. Pour avoir l’inspi, il faut vivre. Et je préparais aussi le concert, à l’Affranchi, où j’avais vu Lunatic, mon premier concert. Ce concert il m’a mis une peur pas possible ! Le fait de voir que c’était complet, ça m’a reboosté par contre. En septembre, je n’avais pas de track et on est parti à Miami avancer sur le projet. C’était aussi important de partir, pour remettre du neuf dans mon travail créatif avec Ladjoint. Surtout, j’avais peur de devenir redondant dans mes couplets. Rescapé, je l’ai sorti à trente et un ans. Je sortais de seize ans de réseau tous les jours, matin et soir, donc c’était normal que ce soit autant présent dans mon projet. Dans Mistral on en parle, parce que c’est ma vie et je pense que dans le rap français on n’est pas beaucoup à pouvoir en parler avec autant d’authenticité et de réalité – même si tous se prennent pour des grossistes à l’heure d’aujourd’hui – mais je voulais proposer autre chose. Je me suis dit que j’avais acquis une fanbase, pas que je voulais éduquer mais… il fallait qu’on grandisse ensemble, qu’ils puissent découvrir d’autres aspects musicaux de moi et se dire “mais c’est bien !”. C’est par exemple pour ça que j’ai essayé de faire de la deep house sur un morceau comme “Dans mes rêves” avec Kore. Il m’avait d’abord fait une prod un peu à la Jul, j’avais commencé à écrire dessus et je lui ai dit : « Frérot, c’est vrai que la prod claque, mais à Marseille on ne m’a pas connu pour ce genre de son. » Il me dit « Tu veux quoi ? » Je lui dis que je veux faire de la mélancolie, et je veux que ça pète au refrain et là je pense à la deep house. Pas electro boom boom, plutôt celle où on boit un coup tranquille. [Sourire] Il est parti s’enfermer et il est revenu avec ça. Il a mis deux, trois heures, et il est allé au-delà de mes espérances.

Business

Le premier son que j’ai enregistré, vraiment, c’est avec Sat. Un truc de fou ! Dans ce titre, à un moment, il dit quelque chose comme “ils pensent qu’on est bons qu’à faire des gosses pour toucher les allocs sans les éduquer”. J’étais tellement jeune, je croyais qu’il parlait de moi ! J’étais là « mais mes parents ils m’éduquent moi ! » [Rires] Sat était super fort. Et les autres membres de la Fonky Family aussi, même Don Choa il était grave fort ! Il a un super solo dans Art de rue… La FF c’est quelque chose. C’est beau de voir qu’ils sont toujours importants à Marseille. Mais ils n’ont peut-être pas eu la vie qu’ils auraient dû avoir par contre.

Sat, Yassid, Sales momes & S.O.S - Mixtape Entre dans le 13

Je me suis occupé de fours qui n’étaient pas à moi mais qui faisaient trente mille euros par mois, j’ai eu cet aspect business très rapidement, très jeune. Quand je signe le premier contrat chez Sony, je signe pour des cacahuètes mais je sais où je veux aller. Maintenant que je suis en position de force, je parle avec eux. « Je veux ça, je veux ça, si vous ne voulez pas je m’en vais, il y a tout le monde qui me parle. » Certains de cette génération malheureusement, je pense qu’ils ont trop été happés par certains artifices. Mais c’était l’époque aussi ! Deux macarons une flûte de champagne, c’était facile d’oublier de faire du business. Booba par exemple, c’est le premier à nous avoir montré qu’il fallait faire du business avec les maisons de disques. C’est important. Mais je me dis que c’était une mauvaise période, c’est tout. Ils vendent des disques mais ils gèrent mal le truc. Ils mettent du temps à sortir des projets déjà. Il y a aussi la drogue… La drogue ça brise des carrières. Il y a des mecs à Marseille, ça fait des années qu’on nous dit que ce sont des légendes, et même moi quand je les entends rapper je me disais qu’ils allaient tout péter mais… Malheureusement l’alcoolisme, la folie, ça rend les choses difficiles. Tu seras toujours plus fort si tu travailles dix fois plus que quelqu’un qui a un talent inné. Moi je pense que j’ai travaillé.

« Tu seras toujours plus fort si tu travailles dix fois plus que quelqu’un qui a un talent inné. »

Marseillais

Ce qui m’a démarqué des autres rappeurs, c’est le fait d’arriver avec ma ville, mon authenticité. À aucun moment je n’ai essayé de me parisianiser dans les propos, dans mes habits, dans ma manière de parler. Je ne dis pas “mon reuf”, je dis “le sang”, c’est tout. Je suis chanceux d’être Marseillais, putain je le dis pas assez souvent. Je suis né à la Belle de Mai, tu te rends compte ? L’hôpital a fermé. “La chanson des enfants des quartiers nord”, je la chantais au centre social quand on était petits, je ne connaissais ni l’histoire, ni l’engagement qu’avait ce monsieur-là mais cet air je le fredonnais et avec le temps c’est resté dans un coin de ma tête. J’ai décidé d’ouvrir cet album avec ces paroles-là, ensuite j’ai connu toute l’histoire de cette chanson et j’ai trouvé ça tellement en adéquation avec ce que je fais aujourd’hui. Même Daniel Beaume me disait « Mais c’est fou ! Quarante ans après ! C’est la magie de la musique, quelqu’un des quartiers nord qui la reprend. Mais comment vous est venue l’idée ? » Je lui ai dit que je savais pas ! [Rires] Les anciens de chez moi, ceux de quarante-cinq, cinquante ans, ils étaient tellement fiers, c’était aussi leur musique quand ils étaient petits. « Nous sommes les enfants des quartiers nord et à pied ça fait loin jusqu’au Vieux-Port. » Tu te rends compte ? L’image, ça veut tellement tout dire. Et dans la musique, tu sais ce qu’il raconte par la suite ? La police nous fait rentrer dans des fourgons, ils nous prennent à coups de bâtons. C’est tellement d’actualité en 2020.

La question que je me pose à chaque fois c’est : comment Psy 4 ont pu ne pas le faire ? Comment Psy 4 ils l’ont pas fait ! [Rires] Là, Alonzo ou Soprano ils ont dû se mordre les doigts. Il m’a félicité Alonzo d’ailleurs. Mais le premier qui l’a entendu c’est L’Algérino, il l’a écouté, il m’a appelé, il criait. « C’est quoi ce son ?! » Mais vraiment il criait au téléphone, tellement que c’est une fierté ce son. Par contre, je ne sais pas comment j’ai fait pour me souvenir de cette chanson. Je pense que je la fredonnais en prison en 2016-2017, par rapport à un ancien de mon quartier qui s’appelle Steak, et c’est resté dans un coin de ma tête. Après je me dis que pour ouvrir l’album il n’y a rien de plus fort. Bilal, quand il marche et part de son pays dans le son de l’album, il cherche lui aussi son Vieux-Port. Mais nous, on part des quartiers nord. Lui, il part d’encore plus loin. Un Vieux-Port ça serait… l’endroit où tout se passe. C’est l’endroit dont on se dit « C’est mieux, il fait plus beau, les gens sont mieux. » Et depuis les quartiers nord, le Vieux-Port à pied ça fait loin. Putain. Sous la canicule. Finalement tu n’as plus envie d’y aller et tu restes au quartier. Mais moi j’y ai été. Elle est là l’image. J’y suis allé au Vieux-Port. À pied.

Police

Je voulais faire un interlude différent pour cet album. La police, en ce moment ça devient vraiment n’importe quoi, donc mon morceau arrive à un moment où il n’y a jamais eu autant d’exactions de la police. Ne serait-ce qu’hier, on a clippé un morceau sur Paris, la police a débarqué ils étaient cinquante… Quand on a la chance d’avoir une audience, il faut aller combattre ces gens-là. Et comme je dis “je suis pourri comme un membre de la bac nord”, je compte clipper ce son. Je vais le clipper comme “TP” en première vue, sauf que ce sera un policier cette fois-ci, ce sera de l’autre côté. Je vais écrire “BAC nord 2010-2011” au début pour ne pas avoir de problème avec la police, en référence à l’affaire de corruption où des policiers ont été condamnés. Mais il faut… Bon, il y a des policiers qui font bien leur travail, il ne faut pas mettre tout le monde dans le même panier. Mais là je me pose vraiment beaucoup de questions sur jusqu’où ça va aller. À Marseille, il y a l’histoire avec l’Afghan, le petit de 16 ans à qui ils ont cassé la mâchoire … à Argenteuil il y a deux jours ils ont tué un petit… On parle de trucs réels. J’ai l’impression qu’il y a une espèce d’aura… d’extrême-droite, qui existe parce que c’est une réalité, qui doit protéger. Tu as vu le policier qui s’est mis à rapper ? [il est possible qu’il s’agisse de Kaotik 747, qui n’est non pas policier mais soutien de la police, NDLR] Je l’avais prédit [Soso Maness fait référence aux propos qu’il a tenus dans cet entretien avec Vice, NDLR]. Même pour 6ix9ine, une balance, je l’avais prédit. Et le policier de la BAC nord, ou de la BAC 93, un jour il va arriver. Et vous allez voir il y aura des gens de chez nous qui feront des feats avec. C’est dangereux si le rap ne devient que du divertissement. J’avais peur à une période que ça devienne comme le rock, que ça disparaisse. Mais le rap a tellement de facettes qu’il ressortira toujours plus fort. Il faut que tes fondations restent hip-hop. Maître Gims, Soprano c’est des kickeurs de fou. Ils restent des rappeurs. C’est pour ça que de mon côté je fais en sorte que le rap ne soit pas que du divertissement, avec des sons comme “Bilal” ou celui-ci sur la police. Ou “Balance”, ça c’est du Soso Maness. [Il imite le beat]

« À aucun moment je n’ai essayé de me parisianiser dans les propos, dans mes habits, dans ma manière de parler.  »

New York

Quand même, oh le rap il s’est fait sur le sang, il y a des limites à ne pas franchir ! Il s’est fait sur les gangs, il s’est fait à New York, il s’est pas fait dans la prairie. Le rap renaîtra toujours de ses cendres. 6ix9ine ça va pas durer, regarde Snoop il est sur ses côtes, même s’il est en phase avec sa génération – moi j’essaye de me projeter, est-ce qu’à vingt ans je l’aurais kiffé ? J’ai bien écouté Rick Ross… J’ai pas envie de faire l’ancien mais rien que le personnage déjà, c’était trop, il trollait trop. C’est pour ça que je suis dégoûté que Pop Smoke soit mort aussi. Ça m’a vraiment tué ça. Parce que je ne pense pas que 6ix9ine aurait autant chanté “King of New York”, je suis le nouveau roi de New York. Dégoûté. Pop Smoke est arrivé avec tous ces codes de New York qu’on avait perdus et qui m’avaient fait kiffer le rap, Queensbridge et Brooklyn. C’était pas un mec avec les cheveux de toutes les couleurs qui criait et se faisait plus connaître pour ses trolls que sa musique… Lui il arrive avec ses codes, à dix-neuf ans, ramène la UK drill à Brooklyn… Dans l’histoire, c’était magnifique. Je n’avais jamais pensé à ça, mais peut-être que ma plus grosse influence finalement vient de là. J’y ai vécu plusieurs mois déjà. Akhenaton aussi, longtemps. Quelque part, ça renoue avec la tradition Marseille / New York qui s’était un peu perdue.

So Maness

Quand j’ai vu pendant le confinement les gens des quartiers nord chanter mon morceau aux balcons ? [Soupirs] En plus mes parents étaient à l’hôpital. Quand j’ai vu ça… « C’est l’anniversaire de Soso Maness ! » [Sourire] C’était trop beau. C’était le meilleur cadeau qu’on pouvait me faire pendant ce confinement ! Ils ont su que c’était mon anniversaire et ils ont chanté ça aux balcons. C’était fou. Qu’ils fassent ça à 20h pour remercier les infirmiers et infirmières avec mon son… Il n’y a pas eu que là-bas, j’en ai reçu de partout, de toute la France ! Et tout le monde dansait sur “So Maness” j’ai des vidéos de fou.

Ce morceau-là en tout cas m’a fait découvrir une autre facette de la puissance de la musique. Avec ce titre-là j’ai rendu les gens heureux. Je voyais des tonnes de vidéo d’enfants qui dansaient avec leurs pères, avec leurs mères, des bébés qui faisaient “So-so Maness”, mais des tonnes ! C’est très intéressant à vivre. Avant ce morceau je pensais être allé au bout de quelque chose : voilà Soso c’est ça, ça marche, c’est bien, « TP » c’est la rue, c’est l’authenticité. Mais avoir tous les âges, toutes les communautés, qui dansent sur un même son où ils chantent mon blase… “L’OPJ, l’OCTRIS la BAC tous savent comment je m’appelle” [Rires] C’est magnifique ! Il faut savoir que c’est les supporters de l’OM, les MTP, qui m’ont donné le refrain. Ils m’ont invité à faire un concert dans le virage au Vélodrome à la mi-temps d’un match début 2019, et à un moment je les ai vu chanter « So-So Maness, So So Manesseuh »… je trouvais que ça claquait, je l’ai posé. J’ai une histoire de fou avec ce groupe de supporters qui fait énormément de trucs pour les jeunes. Quand on était petits ils nous faisaient rentrer gratuitement, on bâchait au stade et on rentrait sans payer. Et là ils sont en train de me donner mon premier single d’or. C’est beau ! Encore une fois c’est Marseille qui va me donner ça ! Pfff ! Je te dis ça j’ai des frissons. Tellement ma ville elle m’a apporté ! C’est fou.

Rédemption

Quand tu es rescapé, tu dois être dans la rédemption. Si tu n’es pas dans la rédemption c’est que tu es con. Imaginons demain je sors en boîte, je vais au Bazar [boîte célèbre de Marseille, organisant souvent des showcases de rappeurs français, NDLR] je sors bourré, je prends la voiture, je m’éclate dans un virage et je tape six mois de coma. Six mois après si je refais la même chose, c’est que je suis con. Ou, comme j’ai dit avec le psy [référence à l’émission Thérapie qui filme des artistes en consultation avec un psychanalyste, NDLR] c’est que je cherche à déguiser un suicide. Mais quand tu es rescapé conscient, tu es obligé d’être dans la rédemption. Quand tu es un vrai rescapé, comme moi. Quand tu sais que ça sentait la poudre, tu ne peux que dire aux jeunes : “c’est chaud”, mais avec le recul de quelqu’un qui est passé par là. C’est d’ailleurs quelque chose que je fais beaucoup plus dans les textes de mon deuxième album parce que j’ai eu une prise de conscience entre-temps. Je deviens papa, la guerre des gangs elle continue… C’est pour ça que je dis dès le début de l’album “J’en ai rien à foutre tant que le bif il rentre / J’ai vu des seringues dans le bac à sable puis j’ai compris que c’était à cause de moi”. Ce truc de se dire que seul l’argent comptait, que j’ai mis en danger des enfants, mais qu’avec le temps j’ai compris que c’était à cause de moi. Pourquoi j’ai planté le toxico ? Ça m’a mis les nerfs qu’il laisse sa seringue dans le bac à sable alors qu’il y a des enfants qui s’amusent, mais c’est à cause de moi tout ça ! Quand tu fais tout le cheminement, ça revient à moi. Mais quand tu as vingt, vingt et un an, tu t’en fous. À vingt ans tu veux faire glisser les gens, tu veux les frapper. Si tu savais le nombre de clients que j’ai frappés… Ce serait dommage que maintenant que j’ai une petite audience de ne pas leur expliquer tout ça. Si tu savais le temps que je passe à Marseille à parler avec les jeunes. Ou même quand je marche si un fan me reconnaît et me dit “je galère” combien de temps je passe à lui faire comprendre que le travail c’est important, que la facilité ce n’est pas bon. Il va toujours me dire “mais regarde, lui il a réussi”. Bien sûr, j’ai des amis qui ont réussi dans le trafic. Mais combien ? Sur un million, combien ? Ne prends pas en exemple le mec qui a réussi dans le trafic et qui habite à Marbella. Même ce mec-là, il payerait un million d’euros pour aller à Font-Vert faire un match de foot avec ses amis, ou juste dormir tranquille. Mais il ne peut pas. La réalité elle est là, les mecs avec qui j’ai grandi qui ont fait des études, ils ont réussi leur vie. Les autres, ils sont morts ou en prison. Il n’y a pas de légende. Je le dis dans une musique, j’en ai connu des légendes. Ils sont à Saint-Pierre maintenant. C’est tout.

 

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