Sysa, l’éclair avide
Interview

Sysa, l’éclair avide

Discussion avec le rookie affamé de 13 Organisé et la première signature du label OM Records, à l’occasion de la sortie de son premier projet, Nueve.

Photos : David Delaplace

Il faut imaginer Sysa comme une sorte d’éclair avide, prêt à déchirer en deux le ciel du rap français. Deux trois saillies de kickeur bourrin, et le voilà premier rappeur de la Cayolle à percer la malédiction d’une cité située entre l’enfer – les Baumettes – et le paradis –  les calanques de Sormiou. C’est dans ce « quartier de taulards », qui selon lui n’a pas encore sa star locale, ni dans le sport, ni dans le cinéma, ni dans la musique, que le rookie-déflagration de 13 Organisé fait ses armes. Beaucoup de rappeurs s’imaginent en de jeunes Marlo Stanfield, affamés, prêt à prendre le monde sans état d’âme. Sysa incarne cette détermination agressive dans le flow, particulièrement sur sa série de freestyles « C’est nous la cité » et ses apparitions remarquées sur les deux projets collectifs menés par Jul. Mais son art ne s’arrête pas aux 38 « paw » de « Miami Vice » ni au « nique sa grand-mère le pass sanitaire » de « Mafiosi. » Certains éclats dans l’écriture, une multiplication des drops en studio, donnent l’impression qu’il rappe le ventre ouvert ; chaque début de phase fait l’effet d’une décharge désespérée d’énergie. Il donne tout, un peu dans tous les sens, parfois par de l’humour, parfois par une mélancolie noire, écorchée.

La discussion a lieu dans les locaux des très sympathiques membres de La Firme (occupés notamment par les rappeurs de Révolution Urbaine) en plein centre de Marseille. On y est bien mieux reçus que dans les salons des grosses maisons de disque, ce qui fait toujours plaisir. Au menu : un papa adoré, de bons souvenirs de 13 Organisé et un bilan mitigé sur le projet suivant ; Brigitte Macron, Pierre Menès, Jozar, Bengous et comme le veut la tradition locale, des compliments émus au Rat Luciano.


Abcdr du Son : Dans Nueve, tu parles beaucoup de ton père, tu as même une manière forte d’exprimer ton amour pour lui (« j’aimerais mourir avant mon père »). D’où ça vient ?

Sysa : C’est vrai que sur les 17 sons du projet, je dois parler de lui sur 10 ! Je pense que c’est dû à la relation que j’ai avec lui. Mes parents se sont séparés quand j’avais 5 ans, je suis allé vivre avec lui, je n’ai plus connu ma mère. Il a donc toujours été proche de moi, j’ai une relation fusionnelle avec lui. On a toujours été tous les deux, ma sœur ne vivait pas ici non plus.

A : Il écoutait de la musique ?

S: Oui ! Beaucoup. Aznavour, Bob Marley, Marvin Gaye, Aretha Franklin, Barry White… J’ai jamais fait le lien mais peut-être que c’est ça, indirectement, qui m’a guidé vers la musique. Il écoutait des artistes variés. Même moi, il m’écoute tout le temps ! [Sourire] Il va même voir mes clips sur YouTube. Quand j’ai fait un million de vues sur « C’est nous la cité », il m’a dit « ça veut dire quoi « 1M » ? » Je lui ai expliqué, il n’en revenait pas qu’il y ait autant de personnes qui m’aient regardé ! [Rires] Donc oui, c’est mon premier supporter. Pas fan, supporter ! C’est un soutien fort pour moi, il ne m’a jamais mis de barrière et m’a toujours laissé faire ce que je voulais.

A : Toujours sur ton rapport à la musique, dans « Maléfique », tu cites Psy 4, dans un autre son Puissance Nord – ça fait plaisir d’ailleurs – et la FF, est-ce que c’est avec ces groupes que tu as commencé à écouter du rap ?

S : Oui, mais plus important, ils m’ont vraiment inspirés. Puissance Nord par exemple, je leur dois ma manière d’écrire. Ils avaient un vrai style pour moi, je les trouvais en avance sur leur temps –  c’est peut-être pour ça qu’ils n’ont pas eu le succès qu’ils méritaient. Après j’ai eu d’autres inspirations côté parisien, quand il y a eu la vague 94. Mafia K’1 Fry, Kery James, Rohff, 113… J’étais pris par ce courant, je me sentais à mort concerné par ce qu’ils racontaient. J’avais l’impression qu’ils racontaient ma vie. Pourtant, Kery James… Mon rap ne ressemble pas au sien. Lui on parle du fond, de l’écriture, c’est la plus grosse plume du rap français, mais le message qu’il voulait transmettre m’a fortement inspiré. Je pense qu’à la fin, on essaye de transmettre le même.

A : Puissance Nord, ils avaient quoi de particulier pour toi ?

S: En fait, ils avaient un style différent de ce qui se faisait sur Marseille, on était sur la fin de la FF, Psy4… Il y avait d’autres groupes hein, Carré Rouge, Black Marché, mais eux, ils avaient des sonorités particulières, une énergie de fou, ils débitaient trop. J’ai vraiment kiffé ça, l’énergie qu’ils renvoyaient. Et quand j’arrive avec les « C’est nous la cité », c’est dans cet état d’esprit-là : la patate.

A : Tu racontais d’ailleurs dans une interview donnée à des confrères que pour donner cette impression d’énergie, tu fonctionnais par drop au studio au lieu de faire des one shot.

S : Les one shot ça ne se fait plus trop aujourd’hui, c’est les anciens qui font ça. Le dernier que j’ai vu enregistrer en one shot c’est Le Rat Luciano pendant l’enregistrement de « Tout a changé. » Quand je l’ai vu en studio, je me suis vraiment pris une gifle. Je travaille comme ça, par drops, parce que je débite rapidement, donc pour reprendre mon souffle je suis obligé, sinon j’arrive à une fin de rime avec plus du tout de force. Quand tu drop, ça te permet de reprendre plus de punch, de souffle, et de garder cette énergie du début à la fin.

A : C’est donc ça ton secret. Mais le problème, je ne sais pas si tu as fait des scènes, mais c’est que sur scène c’est pas…

S : Oui, j’ai fait des scènes, en plus sans backeur. Pas des grands festivals, mais des petites scènes de quartier. Mais je n’ai pas honte de le dire, il y a le playback. Je ne vais pas me cacher. À certains moments, je sais quand je vais reprendre mon souffle, sur une fin de rime, ou quand je sais que le public en face réagit bien sur certaines phases, je le laisse pour repartir sur la phase qui suit. Mais c’est vrai que ça pose problème sur scène. Ce n’est pas pareil qu’en studio où avec les drops tu peux envoyer la patate. Sur scène, tu dois apprendre à te canaliser. En forçant sur les cordes vocales, ça peut vite partir en bib’. Ça m’est déjà arrivé une fois, je sentais ma voix partir. Pour rapper sur scène, même des passages de 20 minutes, il faut apprendre à tempérer son souffle. Pour ma release party, j’ai fait trente minutes, donc j’y suis allé tranquille. Si je commence à crier comme dans mon son, c’est mort !

A : C’est sûr. On a parlé du moment où tu t’es mis à écouter du rap, mais c’est quand le moment où tu t’es décidé à en faire ?

S : En vrai, ça m’est tombé dessus. Des mecs de mon quartier rappaient déjà, ils n’arrêtaient pas de me dire d’écrire. J’étais plus jeune à l’époque, mais déjà dans les problèmes de rue. Pour moi être un rappeur, c’était être un comique. Mais à force, je me suis mis à écrire. C’était de la merde hein, quand tu commences c’est pas du grand art. [Rires] Je m’étais lancé en réécrivant un classique d’IAM. Puis j’ai eu un groupe, parce qu’à l’époque c’était à la mode à Marseille. Il y avait 11.43, Ghetto Star avant Guirri Mafia, les mecs d’en ville, Zbatata, Révolution Urbaine, [sourit, parce que nous sommes dans leurs locaux, ndlr] et nous, on était trois.

A : Vous vous appeliez comment ?

S : Ghetto rude. Après c’était vraiment perché, dans le sud là-bas. [Sourire] On a vite lâché, on était déjà trop dans la délinquance. Ceci dit, ça nous permettait de nous évader un peu de ce milieu-là, qui nous gangrénait. Mais quand tu commences les aller-retours en prison, la musique c’est compliqué. Quand je sortais, l’autre rentrait, quand il était dehors, j’étais dedans… Voire on y était tous les trois en même temps. [Rires] Ça n’a donc pas tenu le choc. Cinq ans et demi de prison, c’est long, surtout à mon âge. J’espère encore vivre de belles années, mais c’est tellement du gâchis, tu te retrouves à rien faire de ta vie, enfermé. Je suis rentré quatre fois. Deux fois deux ans, une fois un an et une fois six mois. C’est usant. J’ai jamais écrit un texte en cellule. J’ai arrêté. Je pensais pas à ça, je m’en foutais. Jusqu’à ma dernière peine.

A : On parlait de la Cayolle. À Marseille, le rap a été associé souvent soit au centre ville soit aux quartiers nord, j’ai l’impression que tu es le premier rappeur à un peu percer de la Cayolle ?

S : À percer dans toutes disciplines même. Je parle vraiment que de la Cayolle, parce que de La Soude on avait Prototype par exemple, les premiers à avoir mis un peu de lumière sur notre secteur, ou Bouba Kamara. [NDLR : ex joueur de l’OM, aujourd’hui à l’AVFC] À la Cayolle, il n’y a rien, ni dans le cinéma, le foot, la boxe, le rap… C’est un quartier de taulards. Sur 10 jeunes tu dois en avoir 7 qui ont fait de la prison. C’est énorme. Quand j’y étais, j’avais l’impression d’être dans mon quartier. En promenade, il y avait des mecs de chez moi partout. Et c’est comme ça dans toutes les prisons du sud.

A : Tu penses que c’est pour ça que la Cayolle n’a pas encore sa célébrité ?

S : Je ne sais pas, mais je nous vois comme un quartier maudit. Y’a rien qui va. Par contre, on a Sormiou. Les calanques. Ça… On peut rien dire ! Et les Baumettes. [rires] Ça fait que quand je rentrais en prison, je n’avais pas l’impression d’aller loin de la maison. Je ne sais pas si c’est à cause de ça, mais en tout cas c’était vraiment un quartier gangréné par la violence. À une époque on faisait partie des cités les plus chaudes de Marseille. Et ça n’a rien d’un exploit. Là ça va, ça commence à se calmer.

« Jul m’a fait une passe, t’es devant la cage, c’est à toi de marquer, il peut pas faire tout pour toi non plus. Pour moi, j’ai réussi mon coup. »

A : En 2016, il y a un tournant dans ta carrière, c’est « Lassana Diarra », le remix de « Matuidi Charo » de Niska, avec lequel je trouve que tu partages le côté bourrin. Pas de chance parce que deux ans après, Diarra signe au PSG. Soso Maness, son premier million de vues, c’était avec « Neymar » sur l’album de Jul. Et quand Neymar est parti au PSG, il l’a supprimé de YouTube. T’as pas eu envie de faire pareil ?

S : C’est mon premier clip en plus, la qualité était pourrie ! C’était un gros buzz, sans promo, mais c’était les débuts de mon clippeur, avec qui je travaille aujourd’hui. Des galères de fou, on mettait vingt minutes pour faire un ralenti. [Rires] Maintenant ça y est, il est très fort. Je l’ai effacé, mais c’est parce que… Quand j’ai fait ma dernière peine, j’avais décidé d’arrêter le rap. « Lassana Diarra », et tout ce que j’ai fait après, je les ai fait effacer depuis la prison. Il me semble que j’en ai laissé un seul, volontairement. J’avais en tête que si un jour j’arrive au top… Les gens retomberont dessus !

A : Tu as enchaîné avec des séries de freestyles dans plusieurs cités marseillaises. Kofs me disait en interview qu’il y a une sorte de règle implicite, celle d’être d’abord connu par Marseille, la rue, avant de commencer à faire des tubes, à chanter. Est-ce que tu avais une logique similaire ?

S : Oui, carrément, on a la même gamberge. Je me suis toujours dit qu’il fallait imposer son style premier avant d’aller ailleurs. Pour faire une comparaison, c’est comme la boxe. Il y a plein de styles différents, mais il faut maîtriser l’anglaise, c’est la base. Pour le rap, c’est la même : tu commences dans ce style, des textes « vrai rap », « kickage », et après tu peux aller ailleurs. Mon objectif c’est ça. Même si chanter aujourd’hui ça me fait du bien : sur Nueve, je chantonne beaucoup.

A : Oui ça m’a étonnée.

S : C’était voulu. Je voulais qu’on m’enlève cette étiquette, qu’on me catégorise comme celui qui ne sait faire que kicker. Je l’ai fait dès le premier projet pour imposer un truc, qu’on ne soit pas choqué si un jour je me mets à chanter. Si tu regardes, des rappeurs qui kickent au top, il n’y en a pas énormément. C’est le rap qui tourne en showcase et festival qui rapporte. Après t’en as qui y arrivent, des kickeurs à tubes, genre Alonzo. Et je ne vais pas te mentir, je fais ça pour l’oseille. Si je peux mettre ma famille bien en faisant des hits, bien sûr que je ne vais pas me priver. C’est pas les puristes à qui mon rap rappelle le son des anciens qui vont venir à tes concerts ou acheter tes CDs.

A : C’est les petits en vrai.

S : Et les petits, ils veulent bouger la tête. C’est normal.

A : J’avais vu un tweet de toi, au moment de la sortie de ton album, où tu parlais du public rap sur Twitter. Tu disais que c’était un public qui méprise le rap de rue, qui a tendance à plus valoriser des profils spéciaux, sous prétexte que le rap dit de rue serait trop générique.

S : Oui, ils aiment pas mal des rappeurs comme Laylow par exemple. Après, ZKR est très aimé sur Twitter, et c’est un kickeur pur jus. Mais c’est vrai que c’est le seul réseau où je n’arrive pas à faire décoller ma musique. C’est que ça marche aussi par propagande, avec des partages de mecs qui ont masse de followers. Ou des médias un peu influents, mais ces médias-là, qui ont un compte rap sur Twitter, ils partagent surtout un certain style de rap. Le style street, rue, ça ne les intéresse pas. On a déjà fait des demandes pour être partagé, c’est mort.

A : Ou ils font payer le post, la story…

S : Oui, ça dépend : si tu es en maison de disque, tu payes, si tu es indépendant, ils disent qu’ils « fonctionnent au coup de coeur. » Avec l’OM Records, j’ai un contrat en licence, je n’ai pas signé en artiste, donc c’est comme si j’étais en indépendant. Tu en as peut-être un qui joue le jeu et partage des rappeurs de rue, mais sinon le reste… Ils ont un terme, eux, ils disent « rap de ienclis ». Moi, je trouve ça réducteur, tout le monde a le droit de faire du rap, mais tu vois…

A : On s’est compris. [Rires]

S : Après, il faut se dire que le but est de faire une musique avec un tel impact que ce genre de médias va être obligé de te partager. Aujourd’hui, c’est mon état d’esprit. Avant, j’étais trop focus sur eux, maintenant je me dis que j’en ai plus rien à foutre. Mon rôle c’est de faire de la musique, le reste, je laisse gérer mon attachée de presse.

A : L’autre gros tournant dans ta carrière, c’est l’invitation sur 13 Organisé. Est-ce que tu peux revenir là-dessus, comment on t’a contacté, comment ça s’est passé et surtout comment tu as eu l’idée de poser 38 « paw » sur « Miami Vice » ?

S : Je ne connaissais pas Jul personnellement, mais je connaissais bien son entourage, Babyboys notamment, depuis longtemps. Un jour, il m’envoie un message sur Insta, pendant mon rush « C’est nous la cité, » qui m’a permis, je pense, de poser sur la compilation. Au début, il ne m’a pas dit ce que c’était, je me suis dit qu’il voulait m’inviter sur son projet, mais en fait, c’était encore plus ! J’étais trop content. Romain [NDLR : Babyboys, le cousin de Jul] a ensuite pris le relais, parce que Jul devait gérer sa carrière à côté. Ensuite, on a fonctionné par groupes WhatsApp, avec ce fameux groupe 13 Organisé où il y avait tout le monde. On savait déjà que « Bande organisée » allait sortir, on se doutait que ça allait être un raz-de-marée mais alors, pas que ça allait tout niquer à ce point. Et en plus, je me suis retrouvé sur deux groupes, donc j’ai eu la chance de poser sur deux sons !

A : Tu sais comment il a fait les groupes ?

S : Il les a fait avec Babyboys. Le but était soit de faire des groupes dans lesquels il y ait un peu de rappeurs connus, moins connus, des anciens, etc, soit des groupes à thèmes. « Miami Vice » c’est un titre de rookies, « Tout a changé » un titre avec plus d’anciens. Les deux sons sont complètement opposés. « Miami Vice » il veut rien dire, c’est le bordel, « Tout a changé » par contre, c’est profond. J’ai misé sur les gimmicks dans un, pour qu’on retienne mon passage. Sur « Tout a changé » par contre, quand j’ai vu le groupe, j’ai pris peur, petit coup de pression. Il y a quand même Fahar de Puissance Nord, Stone Black de Carré Rouge, L’Algérino, Soprano, Le Rat Luciano ! Je sais de quoi je suis capable, mais devant ces noms, que du respect, ça restera toujours un autre level ! Quand ils ont envoyé la prod, je me suis direct projeté, et je savais qu’ils allaient tuer ça. Mais dans le son, je suis content parce que je ne suis pas en-dessous. Il faut dire que je suis arrivé avec une dalle monumentale. Jul m’a fait une passe, t’es devant la cage, c’est à toi de marquer, il peut pas faire tout pour toi non plus. Pour moi, j’ai réussi mon coup. J’arrive sur le projet en faisant partie des moins connus, je ressors comme rookie, identifié.

« Là où avec 13 Organisé, des petits rappeurs sont sortis de nulle part, Classico Organisé n’a profité qu’aux gros rappeurs. »

A : Dans Classico organisé, tu as une autre technique pour qu’on se rappelle de toi. J’aimerais bien que tu reviennes sur cette phrase incroyable sur le pass sanitaire et Brigitte Macron…

S : [Rires] Déjà, à la base il devait y avoir Heuss l’Enfoiré sur ce son, mais finalement il n’a pas été sur le projet. Là, le casting c’était Soso Maness, Graya, Bosh, ISK, moi, je me suis dit « on va se puncher sur le son, ça va partir en couilles ! » Et là j’entends la prod, un son club. Pas du tout mon trip. C’était pour Heuss je pense. Tout le monde valide, je me dis « pff, qu’est-ce que je vais faire dessus… » Tous les autres sont des kickeurs, je ne savais pas comment sortir du lot. C’est là où j’ai eu l’idée de marquer en trouvant des phases que les gens puissent retenir à coup sûr. Je cherchais, je cherchais, on était en plein dans le débat pass sanitaire… Je voulais tellement caler cette référence que limite la phase, je la trouve forcée. Quant au « Brigitte à moi tu me parles pas d’âge »… Je ne sais même pas pourquoi je l’ai laissée…

A : [Rires] Mais c’est la meilleure !

S: C’est vrai qu’il y en a plein sur Twitter, TikTok, qui l’ont reprise ! « À moi tu me parles pas d’âge, » c’est une référence à Mbappé, Brigitte, je l’ai faite pour faire… En fait, je peux le dire maintenant, mais à la base, quand je rentre en cabine, la première phase que je sors c’est « Brigitte Macron c’est une cougar. » Quand je la sors, je vois Jul qui se lève, il fait ça, [il met ses deux mains sur la tête comme sur ce meme] tout le monde dans le studio est choqué. Soso Maness se tire les cheveux il dit « oh tu veux qu’on se fasse retirer le son ?! » Parce qu’en fait, c’est ce qui est arrivé à Kalash Criminel, ils m’ont expliqué. Ils lui ont tout bloqué [NDLR : Kalash Criminel a déclaré que son titre « Cougar Gang » a été retiré de son album sans son accord par Universal. L’Elysée dément avoir fait subir une quelconque pression. Le clip est toujours disponible sur YouTube] On a hésité jusqu’au dernier moment à le laisser. Après Classico Organisé, pff… J’ai écouté le projet qu’une seule fois, par respect, et par curiosité, pour savoir ce que les autres ont fait. Mais là où avec 13 Organisé, des petits rappeurs sont sortis de nulle part, Classico Organisé n’a profité qu’aux gros rappeurs. Parce qu’ils n’ont fait que deux clips, avec les gros. On devait clipper « Mafiosi », ça ne s’est pas fait. Ça ne me dérange pas, mais c’était trop fleuve, il y avait trop de monde. Des rappeurs ont fait d’excellents couplets et personne ne les a retenus !

A: Oui, Don Choa et Aketo par exemple, j’ai le souvenir qu’ils font des super couplets mais vu qu’ils sont dans le deuxième ou troisième CD, ça passe un peu à la trappe…

S: Oui et même des jeunes, il y en a qui se sont donnés, mais ils se sont fait noyer. Et puis 13 Organisé, il y avait le côté première fois. Même s’il y avait eu Chroniques de mars dans les années 1990, à l’ère du streaming, YouTube, c’est pas pareil…

A: Et il y avait le côté intergénérationnel sur 13 Organisé, qu’il y avait moins sur Chroniques de Mars.

S: Oui c’est vrai, c’était un point fort. Et puis l’âme du projet, c’était pas la même. Il y a des Parisiens qui ont joué le jeu : ISK, Hatik ils sont venus au studio, des super bons mecs. Mais l’ambiance n’avait rien à voir. 13 Organisé, c’était une fête. Quand on avait fini le son, on restait tous ensemble au studio, toute la journée, on rigolait… C’était un vrai délire. Là c’était un peu chacun fait son texte et se casse.

A : C’est suite à 13 Organisé que tu signes à OM Records. Tu avais déjà un son qui s’appelait « OM empire. »

S :  T’es allée chercher loin ! [Rires] Oui, j’ai fait ce son dans la foulée du succès de « Lassana Diarra, » pour mettre la lumière sur des gens de mon secteur, des rappeurs de La Soude, du Bengale et de la Cayolle. J’avais invité Bengous, qui m’a toujours donné de la force même quand il était en bombe et que j’étais rien, on se connaît très bien lui et moi. Il a participé au fait que ça avance un peu de mon côté.

A : Parlant de rappeur de chez toi, il y en a un vraiment pas mauvais, il n’est pas sur ce son mais vous avez des feats ensemble, c’est Jozar. C’est ça ?

S : Très fort Jozar. Il a une vraie marge de progression. Pour l’instant ça ne prend pas, mais je lui dis qu’il faut absolument qu’il s’accroche. Il le sait, on lui a déjà dit : il a vraiment un truc en plus des autres. Le plus dur, c’est de persévérer. C’est une course de fond, le rap. Hier j’étais avec Drime, qui vient de la Soude, il a sorti un son qui m’a mis une gifle, je lui ai dit direct ! Là ce qu’il a fait, il a touché quelque chose, qu’il lâche pas. Je te recommande de regarder d’ailleurs.

« Je me suis sauvé avant le rap, en décidant cette fois que ce serait ma dernière peine de prison. Fini les conneries. »

A : Qu’est ce que ça a changé pour toi OM Records ? Est ce que t’as pu arrêter de taffer ?

S : [grand sourire] J’ai arrêté de taffer ! J’ai été agent d’entretien au centre commercial de chez moi, puis j’ai taffé dans la fibre. Ça rapportait la fibre, mais c’est dur, c’est l’usine. Mais là… Se lever tranquillement, ne pas mettre de réveil, pouvoir me concentrer entièrement sur la musique, ça n’a pas de prix. Je peux écrire toute la nuit – là je me suis couché à 8 heures par exemple, heureusement qu’on n’avait rendez-vous qu’à 16h. J’arrive beaucoup mieux à écrire la nuit, je suis plus tranquille, j’écris très rarement en studio. Après, s’il n’y avait pas eu la musique, dans tous les cas j’aurais fait autre chose, j’ai une société de nettoyage de véhicules qui va ouvrir, je sais de quoi je suis capable. Mais il n’y a pas plus grand kif de se coucher et se lever quand tu veux. J’ai trop connu ça, même quand j’étais dans les conneries, je taffais à côté sur les chantiers avec mon père, tu crèves de chaud l’été, de froid l’hiver. Donc la signature, oui, ça a changé ma vie, et celle de mon père. Lui, il avait baissé les bras, il pensait que ma vie ça allait être celle de certains grands, d’aller retour en aller retour. Il ne me voyait pas me redresser. Après, et c’est important : ce n’est pas le rap qui m’a redressé, je me suis redressé seul. Si ça avait été le rap, je l’aurais dit. Je me suis sauvé avant le rap, en décidant cette fois que ce serait ma dernière peine de prison. Fini les conneries.

A : Excepté quelques couplets écorchés-mélancoliques comme sur « Tout a changé, » on te connaît pour le côté kickeur bourrin. Or, Nueve est très introspectif en fait.

S : Oui, il y a beaucoup de « je. » C’est comme un biopic, je raconte tout du début jusqu’à la dernière track. C’est un projet qui a été pensé avec une construction d’album, dans lequel j’ai plus insisté sur le côté mélancolique, et où on sent une atmosphère très sombre. C’est pas la fête dedans.

A : Oui… Dans « J’ai trop mal, » tu lâches quand même « à quoi sert de rester en vie », c’est pas la grande forme.

S : Pff… Oui. C’est que des fois tu te poses des questions. Est-ce que ta vie sert à quelque chose, pour toi, pour les autres ? Je sais qu’il y a toujours pire, des gens qui n’ont pas de parents, qui vivent à la rue, donc en vrai je n’ai pas le droit de me plaindre. Mais je rappe juste ce que je pense, et j’ai pas honte de dire que j’ai subi. Je n’ai pas eu une vie facile, et mon album la reflète. Même le son le plus ensoleillé, le feat avec Jul, il reste bien mélancolique, ce n’est pas le versant festif de sa musique.

A : Il y a une belle image dans « PGP » : « j’aime quand il pleut parce que ce sont les seuls moments de ma vie où je regarde le ciel et ne demande pas pourquoi. » Est-ce que tu peux l’expliquer ?

S : J’ai toujours aimé la pluie petit, je passais beaucoup de temps à regarder le ciel quand il pleuvait. [NDLR : il s’appellait même Sysapetitnuage sur Snapchat] J’essayais de savoir combien de gouttes tombaient, pourquoi ça ne faisait pas monter le niveau de la mer… Quand il pleut, tu te contentes de regarder le ciel sans te prendre la tête. Le reste du temps, dans la vie, c’est toujours pourquoi, quand, comment, c’est toujours des problèmes, des solutions à trouver. Quand il pleut, non, j’ai l’impression que tout s’arrête. Ça m’apaise, je ne pense plus à tout ça. Et oui, des fois je peux me prendre la tête en écriture. [Rire] Dans « Génération, » avec Le Rat Luciano, je m’applique, obligé !

A : Il t’a donné un beau couplet lui aussi !

S : Peu de gens l’ont remarqué, mais il est plus long que le mien. Après il vient poser, tu vas pas lui dire « non là, coupe », on parle du Rat Luciano ! S’il avait rappé pendant trois minutes, j’aurais fermé ma gueule et je l’aurais laissé, [rires] c’est une légende ! On parle pas de feat stratégique là, c’est un feat de rêve et de coeur. Je l’écoutais en cellule et là je pose avec lui. C’est qu’on a fait du voyage ! Je n’aurais jamais, jamais imaginé à l’époque rapper un jour avec Le Rat Luciano. Je réalise à peine maintenant que je l’ai fait.

A : Tu parlais de Kery James, et tu as choisi de finir l’album par une autre « lettre, » « Lettre à un frère ». Je pensais que tu allais finir par « Destinée, » en clin d’oeil à Temps mort. Pourquoi l’avoir mis en clôture, et de quoi parle ce son ?

S : C’est un son qui est arrivé dans les arrêts de jeu. À la base il devait y avoir seize sons, et je devais bien finir par « Destinée. » Mais c’est en lien avec le dénouement de mon court métrage, puisque c’est un titre qui parle d’une balance. Enfin, c’est à la fin que tu captes que c’est une histoire de balance, mais en réalité c’est un son qui parle de trahison en général. Je trouvais que c’était un joli morceau, donc au lieu de le placer entre deux, j’ai voulu le mettre en avant. Ce sont des choses qui sont arrivées, dans mes affaires je ne me suis pas fait balance par un vrai pote à moi, mais par des gens avec qui je travaillais, après ça arrive à plein de gens. Dans mon quartier, ça s’est déjà entendu. Mais c’est le jeu. Quand tu rentres dans la délinquance, t’acceptes ça, c’est un risque qui va avec. Je me suis fait balance, j’ai fermé ma gueule et j’ai assumé ma peine.

A : Tu as aussi pas mal de réfs à des séries qu’on aime bien dans le rap, comme The Wire. Mais tu as l’air de surtout aimer Marlo.

S : The Wire, c’est une série que j’ai regardée plusieurs fois, en prison. Marlo m’a trop parlé, ce côté jeune déterminé qui part de rien qui arrive et prend sa place. C’est un état d’esprit applicable au monde de la rue comme au monde de la musique. Tu peux presque me décalquer sur lui, et dire que je suis ce jeune rappeur sorti de nulle part venu arracher sa place parmi les gros déjà implantés. Bon, ça ne se passe pas très bien pour lui par contre. Mais c’est ma série préférée. Avec Vikings[Rires]

A : L’album est sombre, on l’a dit, mais tu as gardé quelques phases un peu drôles. Notamment : « c’est la vie que j’ai choisi Dieu merci c’est pas celle de Pierre Menès. » C’est-à-dire ?

S : Ah ben lui, à cause des accusations qu’il a eues là ! Attouchements, agressions sexuelles… Et ce côté un peu aigri. En prison, j’avais le temps de regarder Canal Football Club. Je le trouvais relou… Il a toujours un truc à dire, il est jamais content. Puis quand il y a eu cette histoire, c’était trop, je me suis dit lui, il va s’en prendre une. C’est pas le seul d’ailleurs dans le son, je dis aussi « je retourne pas ma veste comme Andy Delort. » [Rires] Je suis un DZ quand même.

A : Comment tu vois la suite ?

S : Je me prends pas la tête, je fais ce que j’ai à faire. Bien sûr, j’aimerais être reconnu. Mais si ça ne vient pas, pas grave. Je rebondirais ailleurs que dans la musique. J’ai pas attendu d’être apprécié sur les réseaux sociaux pour exister, je suis connu et apprécié dans mon quartier, donc ma vie va continuer comme aujourd’hui. En étant simple et déterminé dans ce que je fais. Si ça prend, tant mieux, si ça prend pas, j’ouvrirai une autre porte !

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