Relo, le rap à taille humaine
Interview

Relo, le rap à taille humaine

Figure du rap souterrain de la cité phocéenne, Relo (ex-Napo, ex-Néochrome) multiplie les sorties en cette (obscure) rentrée 2020. L’occasion de revenir sur sa vision de la scène locale et surtout, sa proposition musicale à taille humaine, où l’artiste n’est que le relais entre le réel et les gens.

Photographie : Clément RPT

Relo prévient:  il a la boco, ce qui, dans le l’argot marseillais – font-vérien, ajouterait Soso Maness – signifie qu’il parle beaucoup. D’une gentillesse débonnaire, contrastant avec le réalisme à dominante sombre de sa musique – héritage de son amour pour le son Queensbridge – et d’une passion pour le rap français restée intacte au fil des années, Relo accueille l’interview avec un enthousiasme renouvelé. Cette sorte de deuxième élan, plus que de deuxième carrière, se fait sous le signe d’un sourire aux lèvres, distingué dans l’ombre d’une casquette bien vissée sur le crâne. Celle-ci, et les lunettes, garantissent l’anonymat dans une industrie qui préfère les stars et ignore le concept de vie privée  – non sans avoir conscience que ce choix lui porte préjudice aux yeux de la SACEM. Pourtant, c’est une envie bouillonnante de partager sa musique qui est deux fois confirmée par la rencontre. D’abord, dans le déroulement de l’interview : Relo déborde d’anecdotes, est le plus heureux au monde quand on s’intéresse justement à sa musique – à la musique tout court, même. Son album, La voix du 13, déjà distillée titre par titre et mixtape par mixtape depuis septembre, est prévu pour la fin de l’année. D’ailleurs, en off, lorsque ce dernier ne résiste pas à la tentation de partager les sons à venir. Alors que cet octobre 2020 est plein de joyeuses résurrections marseillaises – des couplets du Rat Luciano sur 13 organisé, un retour de Carré Rouge, des promesses de posse-cut 100% Bouches-du-Rhône – Relo contribue, à son échelle, à faire de la cité phocéenne une étoile éclatante de vie dans un contexte rapologique et socio-politique des plus sombres. Au fil de l’entretien, ce qui serait moqué comme postures hypocrites chez d’autres se découvrent, chez lui, d’une sincérité premier degré, indéniable. Cohérent ? Dans ce monde, personne ne peut l’être à 100%. Disons qu’il s’en sort plutôt bien.

MJC et guinguettes

Abcdrduson : Relo, avant toute chose, tu peux nous expliquer où on est ?

Relo : Dans les locaux de Boomédia, c’est plus un média qu’un studio. Rafik, le responsable, a une page où il fait des interviews d’artistes – récemment, Faf Larage pour les « chroniques de Mars » – mais pas que. C’est un cadre que j’aime parce qu’à Marseille, il y a zéro média, même un lieu comme celui-là, on n’en entend pas parler. J’ai l’habitude d’être tout le temps chez Beat Bounce, mais il y a un très gros flux, beaucoup de passages… Et le vaisseau de L’Adjoint [les nouveaux locaux de Beat Bounce, NDLR] tout le monde le connaît, ce qui n’est pas le cas des locaux de Boomédia.

A : En 2011, dans un passage télé consacré au label R2P, Rafale 2 Punchline, sur LMC [retrouvé par un travail archéologique périlleux, consistant à fouiller les skyblogs de rappeurs des années 2000, NDLR] on parle d’Allen Akino et toi comme de « jeunes aubagnais ». Mais tu es d’où en vrai ? 

R : Ah ouais, pff… ça nous avait fait sortir de nos gonds ça. On faisait une résidence à la MJC d’Aubagne, en vue d’un concert avec Ali. Pour eux, on était aubagnais parce qu’on était dans une salle d’Aubagne ! Ça nous avait rendu fous parce qu’on est très marseillo-marseillais. [Rires] Mais c’était un bon souvenir. Moi je suis du treizième, et Amadou [Akino] est du centre-ville.

A : Dans l’AJJ, le journal bimensuel de la ville d’Aubagne, on apprend en effet que vous avez fait la première partie d’Ali et d’Eklips, le beatboxeur qui avait notamment fait croire à la reformation de Lunatic en 2010 [ce qu’Ali a donc l’air d’avoir bien pris, au point de partager la scène avec lui l’année suivante, NDLR]. Tu t’en souviens ?

R : Oui ! J’ai croisé Ali cet été [pour le tournage du clip de « Au-delà de l’horizon » en featuring avec Karlito, sur une production de Pone, NDLR], lui ne s’en souvenait plus, mais moi j’avais 20 ans, donc normal ! J’ai appris à rapper avec l’album Mauvais Œil ! Chaque fois que je change de téléphone, il y a deux albums qui ne le quittent pas, c’est celui-là et De la part de l’ombre de Carré rouge. Ce qu’il faut savoir c’est que la MJC d’Aubagne – à l’époque, parce que ça n’existe plus – c’était un très bon public, qu’il connaisse l’artiste ou non. La première partie s’est donc super bien passée, Ali avait aimé ce qu’on avait fait, il nous avait même fait venir dans son show, faire un freestyle avec lui.

A : C’est fou, il a fait la même chose pour sa première scène depuis plusieurs années lors d’un plateau organisé par une association hip-hop, La Familiale, avec les rappeurs Vîrus, Ryaam et Ismaël Metis.

R : T’imagines, presque dix ans après ! C’est que c’est dans ses veines, vraiment. Ali fait partie des belles personnes du rap, qui sont passionnées. C’est ça qui est beau dans la musique, quand tu gardes cette passion. C’est comme ça que ce genre de moment arrive ensuite. Eklips, je ne me souviens pas de son show, sauf du moment où il imite la confection d’une instru, la MPC etc. avec sa bouche, ce qu’il faisait souvent. Mais c’était une super ambiance, je me suis régalé.

A : C’est la seule fois où tu es allé dans cette MJC ? 

R : Ah non, on a fait je ne sais pas combien de concerts là-bas ! J’ai des cousins à Aubagne, ils me faisaient monter, je suis partie voir Casey… Casey, la salle était quasiment pleine ! Alors qu’Aubagne c’est un petit village vers Marseille. Comme quoi ça ne veut rien dire : le « ouais mais c’est des gars d’un petit village, qu’est-ce qu’ils y comprennent au rap », c’est un a priori de merde incroyable. J’ai fait toutes les scènes de Marseille, mais le meilleur concert de rap que j’ai fait de ma vie, je l’ai fait à Saint-Maximin ! [Saint-Maximim et Aubagne ne sont pas réellement des villages, mais on comprend l’idée, NDLR] Je faisais la première partie de Shin Sekaï – rien à voir avec ma musique [rires] – mais il devait y avoir 700 personnes et c’était la folie, les gens étaient en feu ! Comme il ne se passe pas grand-chose dans les villages, quand il y a un événement, c’est une fête. Toujours est-il que la MJC d’Aubagne était un super lieu, le programmateur, Yoann [Otokpa, NDLR], arrivait à faire venir plein de rappeurs, il y avait des ateliers d’écriture, ils aidaient les jeunes Aubagnais aussi, mes petits cousins allaient là-bas par exemple. Ce sont des lieux, tu ne comprends pas pourquoi les mairies les ferment. Et c’est encore pire à Marseille, tous les lieux culturels, les lieux qui peuvent occuper les jeunes, leur trouver des passions, ils les ferment. Quand j’avais 13-14 ans il y avait le Marathon Hip-Hop, le Planète Jeunes, c’était les meilleurs souvenirs de ma vie ! Un des derniers marathons hip hop c’était au Parc de Font Obscure, 14e, quartiers nord, il y avait 2000-3000 personnes. Psy4 venaient d’arriver avec Block Party, il y avait une partie de la FF, Sat je me souviens, c’était génial.

A : Soso Maness disait la même chose à propos de l’importance des guinguettes, ces fêtes dans les quartiers nord qui permettaient aux jeunes rappeurs d’expérimenter les scènes…

R : Exactement, c’est pour ça que notre génération de rappeurs kiffe la scène : on a commencé comme ça, pas en studio. Pour entrer en studio, déjà, il faut avoir l’argent: la première fois que j’y suis allé, c’est un grand de mon quartier qui a payé la séance. C’est pour ça que quand tu me vois sur scène – je ne parle pas de ma performance, mais je suis à l’aise : je rigole avec le public, je fais des vannes…

A : Votre génération est plus rappeurs de scène que de studio…

R : Voilà, pour moi le studio, c’est le passage obligé pour faire de la scène. Mais tu me dis de tourner avec le même album pendant je ne sais pas combien d’années comme IAM, ça me va. Il a raison Soso, les guinguettes, c’est particulièrement important dans les quartiers nord. Je me souviens avoir vu Puissance Nord au Parc Billoux, aux Balustres… J’en ai fait avec mon ancien groupe aussi, Syndrome. Le son qui nous a fait… péter [rires] je déconne, mais celui qui tournait bien – il n’y avait pas YouTube à l’époque – c’était un feat avec R.E.D.K. On est du même secteur, nos deux quartiers sont à deux minutes en voiture – c’est un peu le grand-frère, parce que j’étais dans la classe de sa sœur. Il nous a invités ensuite sur le premier album de Carpe Diem, j’avais 19 ans à peine.

A : Pour revenir à R2P, quand est-ce que vous avez décidé de fonder ce label, et qu’en est-il aujourd’hui ?

R : Mon collègue et celui d’Allen Akino ayant arrêté le rap, vu qu’on aimait chacun la musique de l’autre sans se connaître – son cousin est quand même un ami d’enfance à moi – on s’est rencontré sur un clip, et de fil en aiguille, on a commencé à faire du son ensemble, la combinaison marchait bien. Donc en associant Jérôme, un ami, on décide de se structurer. Pourquoi ? Parce qu’on est dans une période, 2007-2008, c’est un creux total dans le rap marseillais. Il n’y a rien. Il y a de très bons rappeurs, R.E.D.K, Kalash l’Afro, mais il n’y a que Keny [Arkana, NDLR] en newcomer qui vend. Mais sinon, impossible de sortir la tête de l’eau : le rap en général, avec la transition à internet, c’est déjà très compliqué à Paris, donc je ne t’explique même pas à Marseille. On s’est donc dit qu’on n’allait rien demander à personne, se structurer et commencer à faire des compiles : De quoi t’es cap 1, De quoi t’es cap 2. Je revoyais le tracklisting la dernière fois, il y avait quand même Naps, AM la Scampia, Demi Portion ! On avait moins de contacts, de budget que pour 13 organisé hein, c’était l’époque, mais quand même ! Pour la promo, on a repris une technique qui se faisait, faire du stickage, dans tout Marseille: on s’est fait connaître comme ça, avec des « Rafale 2 Punchline » stickés partout dans la ville. En plus, sans nous jeter des fleurs, on avait un style de rap qui ne se faisait pas trop ici, c’était vraiment du rap technique, plein de punchlines – Carpe Diem le faisait un peu, Kalash l’Afro aussi, mais c’était plus du « rap à thème », nous on arrivait vraiment avec ce délire-là. On a écumé beaucoup de scènes, de radios, de freestyles, y compris avec Sofiane sous le tunnel du Centre Bourse à Marseille. On est même montés à Paris pour les 50H de Goom Radio, il y avait tout le rap français, même OrelSan. Je m’en souviens parce qu’à ce moment j’étais en Guadeloupe et je suis parti direct pour Paris, du jour au lendemain. On avait les dents longues, on faisait tout ce qui était possible. Cette période, c’est là où on fait les connexions avec les Akhenaton, Soprano, aux alentours de 2009/2010.

R2P & Sofiane - Freestyle De Rue

« Notre génération a commencé par la scène, pas par le studio »

Ärsenik, New York et Marseille

A : Tu parlais de ce style à punchlines, et pour aborder tes influences, ton écriture me rappelle celle de Lino, dans l’alliance entre la mélancolie et le réalisme, et ce goût pour les formules marquantes mais un brin sophistiquées : dans « Lexique de vie », cette idée que « le sourire est un masque que l’anxiété confectionne » par exemple. Tu as choisi là, pour la promo de ton album à sortir à la fin de l’année, de faire commenter certaines des tiennes.

R : Dis-toi, Lino c’est mon rappeur préféré ! Je ne m’en cache pas. Et même pas à cause du premier Ärsenik, parce que j’étais trop jeune : je l’ai connu avec le deuxième, qui n’est pas le préféré de tout le monde, mais le mien. Mon titre préféré c’est “Putain d’poésie”, je cite toujours, quand on me demande une punchline : “J’suis ce sombre poète que ce con de mal encombre / Cherchant la lumière en courant dans le noir derrière une ombre”. Il y a tout. Une punch aujourd’hui, on l’a réduite au jeu de mot, il suffit d’écouter Ärsenik pour comprendre que ce n’est pas ça. Je me suis torturé à l’écriture de Quelque chose a survécu. J’adore l’intro aussi… L’intro de Quelque chose a survécu est un des meilleurs passe-passe du rap français avec certains titres de l’Unité 2 feu et le « Têtes brûlées » de Lunatic.

A: Toujours en termes d’influences, tu m’as dit que tu étais plus rap français, mais il y a des références claires au rap new-yorkais, et pas seulement les anciens – Prodigy par exemple – tu mentionnes aussi Young M.A.

R : Oui ! Tu viens de mettre le doigt sur deux choses, Lino et le son Queensbridge : Nas, Infamous Mobb, je me suis tué à ça. Aujourd’hui j’écoute le sud, parce que le rap maintenant, c’est ça, mais je suis toujours fidèle à New York. Quand Pop Smoke est arrivé j’étais le plus heureux ! Ça faisait tellement longtemps que la ville n’avait pas déferlé sur le rap à ce point. Et aujourd’hui j’écoute le pote de Pop Smoke, Fivio Foreign. Je suis tout ce qu’il fait ! Quant à Young M.A, dont je reprends le gimmick dans « Yéyéyé », j’étais déçu de l’album, mais elle a sorti tellement de freestyles qui tuaient ! Je la préfère en freestyle. Mais j’ai toujours été New York, même Fifty est dans mon top 5.

A : Qu’est-ce qui te parle dans le son new-yorkais, d’hier et d’aujourd’hui?

R : C’est improbable, mais c’est une raison antinomique à ma personnalité. Je suis quelqu’un de souriant, je suis hyper sociable, je rigole et je parle tout le temps, eux, c’est l’inverse. C’est sombre, il n’y a aucune lumière… Prodigy-Havoc, c’était le duo parfait, c’est pourquoi Lunatic me parlait autant aussi. Les voix caverneuses, le côté lyriciste pour Nas… Tout ça réuni me faisait kiffer. Et les clips qui faisaient grave quartier, le côté « pas de moyens mais on montre la vie de quartier telle qu’elle est ». La West Coast est plus solaire en général, chill, et étrangement ça ne me parlait pas.

A : Et c’est vrai qu’on pourrait penser qu’à Marseille, avec le soleil, on aurait choisi le son West Coast, comme quoi la musique c’est pas une histoire de climat.

R : Et bien sûr ! IAM évidemment, mais même chez la FF et Psy4 la dominante reste New York. En définitive, notre caractérisation, au rap marseillais, c’est vraiment, le “piano-violon” entre guillemets et les bpm un peu plus élevés, à 95-100.

A : Tu ouvres d’ailleurs “Marseille en vrai” comme ça…

R : Oui “j’arrive Marseille bpm au-dessus de 100”

A : Tu penses que ça caractériserait une scène marseillaise, les bpm un peu plus élevés ?

R : Regarde Jul ! Tout le monde critique Jul, mais crois-moi qu’en termes de rap marseillais, c’est lui qui l’incarne le plus. Après le débat est sur sa forme dansante, mais pour moi c’est celui qui a le mieux ramené le rap marseillais. Parce qu’aujourd’hui, le département a le vent en poupe, les gens kiffent les rappeurs de Marseille mais ne savent pas ce que c’est le rap marseillais. Sans dénigrer personne, je supporte tous les rappeurs de ma ville, mais il y a une différence entre un rappeur marseillais et un rappeur qui fait du rap marseillais. Certains rappeurs, si tu ne sais pas qu’ils sont de Marseille – et je ne parle pas d’accent – tu penses, niveau imagerie, prod etc. qu’ils sont parisiens.

A : C’est trop générique?

R : Non je pense pas qu’on puisse dire ça, mais pour moi, le rap marseillais a des codes. Sur 13 organisé, “C’est maintenant” c’est complètement ça, c’est le rap marseillais version Jul, mais tu sens ces bpm, cette énergie, ce truc… Soso Maness quand il fait “Minuit c’est loin”, “Dans le Block X”, c’est du rap marseillais. C’est ça. Par contre, quand il fait “So Maness”, son hit, c’est un rappeur de Marseille qui fait un hit. Sauf que Soso, il a les codes, c’est un bousillé. Tu sais comment on s’est connus ? Je venais de sortir “Marseille en vrai”, et on enregistrait au même endroit, chez L’Adjoint mais à la Savine, son ancien studio. Il m’a dit “mais c’est toi qui a fait ce son-là ? Gros je me tue avec !” Il est dans le clip du remix d’ailleurs. L’alchimie s’est faite de là, j’admire toujours les rappeurs qui ont cette démarche humaine d’aller dire quand ils aiment un son – parce que j’ai beau aimer le rap, le milieu du rap me dégoûte. Si tu as envie de le dire, dis-le, ne pense pas que tu vas passer pour un bandeur ou quoi, c’est malsain. Pas plus tard que ce matin, j’ai envoyé un message à Kofs pour lui dire que ses couplets dans 13 organisé tuent. Moi je suis un passionné, je n’ai pas ce frein-là. Si je mange au restau et que je me régale, je vais le dire au cuistot. Je m’en fous. C’est ce que j’ai apprécié chez Soso. En plus, on est de la même génération, et le fait qu’il me demande des conseils, qu’il me demande de venir aux séances… On a eu un lien plus fort.

A : Ce serait quoi, ces codes du rap marseillais ?

R : Soso, Jul, R.E.D.K. Le côté constat : tu rappes pour les gens, la vie des gens, sans faire le voyou. FF pourquoi ça a autant fédéré ? Tu allais à un concert de la FF tu avais des skateurs, des punks, des mecs de quartier, tout le monde se sentait représenté parce qu’ils parlent de la vie des gens. C’est ça qui est beau. Les adjectifs qui reviennent le plus pour décrire ma musique, c’est aussi ça, c’est réel, c’est du rap de proximité.

RELO - « Marseille en vrai »

« Tu rappes pour les gens, la vie des gens, sans faire le voyou »

Rapper dans l’anonymat, écrire en mouvement

A : À ce sujet, il y a une technique fréquente dans tes clips, c’est de faire scander tes paroles par des acteurs, des gens lambda, tous différents, qui ne sont pas toi. Par exemple, dans ton remix de “Demain c’est loin”, qui avait été précédé d’un autre remix du même titre, avec Allen Akino et Ladéa…

R : Ah oui ! Oh c’est loin ça, en 2011, on était au Planète Rap d’un rappeur marseillais à Paris. Et on connaissait Ladéa parce qu’elle est d’Aix, elle kiffait ce qu’on faisait, on a fait d’autres trucs ensemble. Donc c’est mon premier remix de « Demain c’est loin », effectivement. J’ai toujours aimé cette prod, j’ai eu la chance d’avoir la vraie, l’officielle, celle qu’IAM utilise pour ses concerts. Tu reconnais une bonne prod quand tu n’as pas besoin de faire d’effort pour écrire, que les mots s’enchaînent tous seuls. Ce morceau, à chaque étape je l’ai aimé différemment : en live, puis en loges avec eux. Il y a des phases que je redécouvre encore récemment : par exemple, le « jolis noms d’arbres pour des bâtiments dans la forêt de ciment », j’ai réalisé qu’il parlait de chez moi, des quartiers nord. Les Lauriers, La Rose, les Tilleuls… C’est une spécificité du 13e. Mais au sujet de cette technique dans les clips, consistant à faire prononcer les paroles par d’autres – ce sont pour la plupart des rappeur et rappeuse, parce qu’interpréter même sans le son nécessite une certaine gestuelle, manière d’articuler – il faut savoir que ma première volonté quand je fais de la musique, c’est que l’on se concentre exclusivement sur ce que je dis, pas sur qui je suis. À la base, je ne me montrais vraiment pas dans mes clips, j’apparaissais à peine de manière subliminale ; maintenant, beaucoup plus, parce que j’ai remarqué que les gens préfèrent voir le rappeur. Mais je ne le fais pas tout le temps parce que j’ai encore envie de marcher avec cet adage “la musique ça s’écoute avec les oreilles, ça s’entend pas avec les yeux“, surtout dans une période où l’image a pris autant d’importance dans le rap. Je veux que les gens m’apprécient pour ma musique, je n’ai pas envie qu’ils disent ‘il est beau, il est moche, il est métisse, pas métisse, il s’habille bien, pas bien… » Le Rat Luciano, j’ai découvert à 16 ans à quoi il ressemblait, alors que je l’ai écouté toute ma vie ! C’est le mec qui me procurait des émotions, des sensations, par sa seule musique, parce que j’avais l’impression qu’il parlait de moi, d’une partie de mon quotidien et de celui des gens qui m’entouraient. Et c’est ça que j’essaye de construire petit à petit avec ma musique. Les gens ne savent pas à quoi je ressemble, mis à part des lunettes, une casquette et un gabarit. Ils ne connaissent de ma vie que ce que je raconte dans la musique. J’essaye alors d’être précis et clair dans mes paroles pour que tu puisses ressentir et visualiser ce que je dis.

Relo - « Demain C’est Loin » (Remix IAM)

A : Tu le dis dans « Puzzle de mots et de pensées 2.0 » – titre qui reprend la formule de Booba – « bordel ce que je kiffe l’anonymat ».

R : Et oui, je n’ai pas ce problème d’ego. Parfois j’étais avec Akino, on ne le reconnaissait que lui, il disait « ça c’est Napo », et pour que les gens captent, il mettait la main devant mes yeux. [Rires] Une anecdote aussi, je fréquente des gars pendant un an dans le bar où je suis un habitué – le Galion, j’ai même clippé là-bas. A un moment, on parle musique, rap, je leur demande ce qu’ils écoutent, ils répondent « on kiffe trop Napo ». Ils me disent ça à moi ! [Rires] Les trois quarts du temps, quand je marche sans casquette et lunettes, on ne me reconnaît pas. Ça me permet d’avoir des relations normales avec les gens, même ceux qui m’écoutent. Je n’ai pas une aura de fou, mais à partir du moment où tu passes à la radio et que tu fais un peu de vues, les gens pensent que tu es blindé et que tu vas plus les calculer. Alors que pas un brin !

A : C’est peut-être la bonne technique quand tu es un artiste de cette trempe, à écouter les derniers albums de Jul, cette perte de l’anonymat semble beaucoup lui peser.

R : Et oui, tu as beau être artiste, des fois tu as les couilles à l’envers, ça ne va pas dans ta vie, il suffit qu’une personne te voit une fois et tu lui refuses la photo, elle va rester sur cette impression et ça va changer son image de toi. Alors qu’à ce moment-là, tu as peut-être appris un décès, tu t’es embrouillé avec ta femme, etc. Mais comme tu es artiste, c’est comme si tu devais rester « commercial » dans tous les moments de ta vie, et mettre ça de côté quand tu croises quelqu’un.

A : Tu ne trouves pas qu’avec l’augmentation de la place prise par les réseaux sociaux dans la promotion, l’image publique d’un artiste, cet effet a empiré ?

R : Complètement, c’est pour ça que c’est quelque chose que je ne supporte pas. Je reçois des messages de mecs là, ça me gêne. D’un côté ça me fait kiffer parce que ma musique les touche, de l’autre c’est super gênant, je ne sais pas quoi dire ! Je dis merci. Je ne veux pas qu’on m’idôlatre, je suis juste un « gars lambda qui parle en rimant ». Je veux qu’on ait une relation humaine. Ça va avec ma vision du rap, c’est pourquoi je ne suis pas du tout en phase avec le milieu du rap. Plus je vieillis et moins c’est pour moi. A cause de ce côté surpersonnalisation, des relations fausses, des relations par intérêt, les calculs… Un truc bénin, si on est potes dans la vie, je partage ton son. Il y en a qui font des calculs genre « si je le partage on pense que je vais valider, donc ça va rogner mon image… ». Moi je m’en branle ! Si tu es mon pote, même si c’est nul, je partage tout ce que tu fais, parce que je veux qu’il t’arrive des trucs biens. Je préfère garder cette idée qu’on peut se tromper aussi. Si sur un son, je dis quelque chose qui me porte préjudice, je préfère m’excuser plutôt que de ne pas assumer. Si à ce moment-là, je pensais bien faire… Il y a des rappeurs qui clament « je ne me censure pas » pour se défendre, mais si tu as un minimum de respect pour les gens, pour ceux qui t’écoutent, tu n’écris pas une chose si tu penses que ça peut blesser une seule personne. Tu gardes l’idée et tu la formules différemment.

A : C’est vrai que tu ne dis pas vraiment des trucs, par exemple, ouvertement sexistes, à l’inverse de certains artistes, et à l’inverse des clichés qui voudraient que le rap le soit nécessairement.

R : Oui, on débattait récemment « le rap est-il un milieu sexiste », mais la France, le monde est sexiste. Le rap n’est que son reflet. S’il est sexiste c’est pour les mêmes raisons qu’il n’y a pas de présidentes femmes, de grandes patronnes femmes etc.

A : Par contre le fait que les médias n’insistent que sur le sexisme du rap, ça en dit long.

R : Complètement d’accord. Personnellement quand j’écris des paroles, il y a deux choses qui m’animent : c’est que dans mon quartier, personne ne dise que je suis un mytho. Ça m’a toujours hanté ça. Et l’autre chose, c’est que ma mère puisse écouter mes morceaux. Je dis quelques gros mots hein, mais ce ne sont pas les plus sales, ça va être « merde », « con », « sa mère ». Je ne vais jamais donner dans la vulgarité pour la vulgarité. Attention, je ne suis pas pour qu’on fasse du rap policé, où on ne dit aucun gros mot. Moi, je suis vulgaire dans la vraie vie, tu me vois regarder un match de l’OM, c’est catastrophique. [Rires] Je n’en voudrais jamais à un rappeur qui lâche un « nique ta mère » bien placé.

A : Tu as une phase sur ce sujet « tout pour les petits au Dico d’or… »

R : « … mais je ne néglige en aucun cas ceux qui écrivent sur les murs nique la police avec un k ». C’est vraiment ça. Je ne suis pas pour un rap policé, ni pour un rap moralisateur, je déteste ça. Je vais énoncer des constats : voilà comment les choses sont, tu fais ce que tu veux de cette information. Mais je ne vais jamais inciter, comme beaucoup de rappeurs… « Ils t’emboucanent à faire des choses qu’ils ne feraient jamais eux-mêmes », je le dis dans « Principe ou carrière ». À Marseille, je connais les trois quarts des rappeurs, il y en a plein… Dans la vraie vie c’est des bons gars, et d’un coup tu l’entends derrière le micro t’as l’impression qu’à Marseille tu vas te faire tirer dessus au feu rouge, que si tu l’insultes il va t’attendre en bas de chez toi pour te monter en l’air… On en parlait encore avec Soso, il y a plein de gens qui parlent de règlements de compte par exemple, mais qui n’évoquent jamais leurs aspects moins visibles : les familles en pleurs, la honte d’un père. Parce que ce qu’il faut savoir, c’est qu’en plus d’avoir mis en terre ton enfant, il y a toute la honte liée aux voisins, aux gens qui disent que tu as enterré ton fils parce qu’il vendait de la drogue, qu’il s’est fait tuer parce que c’était un trafiquant. Les familles se retrouvent au milieu de ça alors qu’elles n’ont rien demandé. Dans mes morceaux, je fais de mon mieux pour ne juger personne, je ne juge pas les gens qui font du trafic, chacun a sa vie, chacun fait comme il peut. Dans mes propres textes, je dis que je ne suis ni gangster ni voyou, je suis quelqu’un de normal, un mec de dehors plus qu’un mec de rue.

A : Tu dis même « suivant les endroits on me surveille de fou / pourtant j’suis juste un bac+5 avec un survet de foot ». Tu as fait quoi comme études d’ailleurs ?

R : J’ai eu un Bac S, non sans difficulté, parce qu’au lycée j’étais catastrophique, j’ai eu 10,00 grâce au sport. [Rires] J’avais des problèmes de comportement – quand je dis comportement, j’étais juste le mec qui rigolait tout le temps en classe – j’ai fait l’IUT, génie industriel, j’ai redoublé, je détestais, je l’ai quand même eu. Je détestais l’école à la base. Mais en IUT, j’ai eu une prof qui m’a vraiment aidé, alors que je dormais pendant ses cours [rires], une prof de communication qui m’a dit d’aller à Euromed Toulon, Ecole Supérieure Commerciale et Technique, qui recrutait des gens avec une formation technique pour devenir commerciaux. À partir de là j’ai adoré l’école. C’était concret et j’ai eu mon diplôme d’ingénieur d’affaires. J’étais bon élève mais je venais toujours en survet, les gens me voyaient comme la racaille de base. [Rires] En plus j’avais la boucle d’oreille, le trait sur le crâne… un stéréotype de fou. Les gens te voient en Lacoste-Requins et se disent que tu ne rigoles pas. Et tu vois dans le son, je ne le mets pas pour dire « regardez j’ai fait des études, c’est énorme, je suis plus haut que vous », non, je te dis juste que je l’ai fait, c’est qui je suis. Parfois j’ai ce besoin de montrer que tu peux être rappeur et avoir bac+5, et ça ne s’adresse pas aux rappeurs, mais aux médias qui pensent que ne pas faire d’études est une condition sine qua non pour être rappeur. Un diplôme ne fait ni la qualité ni les défauts de ta musique.

Relo - « Puzzle De Mots Et De Pensées 2.0 »

A : En 2015, tu rejoins Néochrome, pourquoi ?

R : Ils m’ont contacté via un collègue en décembre 2014, je n’avais pas de réseaux à l’époque. On venait de se séparer – enfin pas vraiment, parce qu’on est toujours ensemble, même aujourd’hui – mais Akino avait besoin d’aller dans sa direction. Or, à cette époque j’étais dans une philosophie où j’avais besoin de travailler en groupe pour la musique – aujourd’hui ce serait l’inverse, je ne me vois pas retourner en groupe. Je me suis dit que j’allais ralentir niveau musique, ça coûtait trop d’argent, j’avais un nouveau travail. Quatre mois après, on me contacte. Néochrome, que tu le veuilles ou non, ils ont marqué le rap des années 2000 : je m’étais buté à Haine misère et crasse de l’U2F, à Seth Gueko dès qu’il arrivé, avant qu’il pète, avant Patate de forain – ce n’était pas commun d’avoir des rappeurs blancs de quartier qui savaient kicker comme ça. Dans l’U2F, Alkpote était plus mis en avant, c’est vrai que personne ne faisait comme lui des phases salaces – mais des belles phases salaces ! C’était les multisyllabiques avant qu’on parle de multisyllabiques. Les gens pensent que c’est l’Entourage et 1995 qui les ont inventées… ça a toujours existé ! Et Katana, il a été négligé mais il était hyper technique. C’est le bon binôme. Salif aussi, c’est le seul rappeur dont je regrette qu’il ait arrêté le rap. C’est une sacrée écurie, de bousillés de rap français. Donc c’était flatteur qu’ils s’intéressent à moi, j’ai accepté, je n’avais rien à perdre.

A : Ça t’a permis de faire le feat avec Joe Lucazz dans Plume 13, ton premier album ? 

R : Joe Lucazz avait fait un titre « Double Whopper », j’avais trop aimé la prod. Je voulais faire un remix, Néochrome lui a fait écouter, il a kiffé, donc on s’est dit qu’on se capterait quand je serai à Paris. « Facteur d’une vie », a donc été écrit et enregistré à Paris. D’habitude j’écris tout chez moi, et là comme c’était du storytelling, de la narration, ça se prêtait à l’écriture sur place. Ce titre est plein de finesses, mes couplets c’est « elle », lui c’est « il ». On a fait exprès de cibler des phénomènes de société concrets, la mère qui perd ses enfants, la suicidaire, celle qui passe d’un homme à un autre… Ce sont des choses que j’ai vécues dans mon entourage proche… Ça me révolte qu’on abandonne ses enfants. Pour le père pareil hein, attention. Les enfants avant le bien-être, même s’il ne faut pas s’oublier. Je critique autant les hommes que les femmes, je ne fais pas de fixette. Je fais des constats en essayant d’être juste.

A : Avec Joe Lucazz, vous avez justement en commun ce côté raconter la ville la nuit, et les trajectoires des gens qui la hantent. Comment toi, tu écris ça ?

R : C’est fou ça, tu sais que j’ai un morceau qui s’appelle « Le Bus » ? Il évoque ces instants où personne ne se parle, mais où on peut imaginer les vies derrière ces visages silencieux : la femme battue, le mari qui a trompé sa femme, le petit qui n’arrive pas à faire ses devoirs parce que c’est le bordel chez lui… Ce qu’il faut savoir c’est que je n’écris qu’en voiture, ou en mouvement, dans ma tête, et à l’écrit dès que je suis posé – bon je mens là, parfois j’écris en route, parce que je n’ai pas envie d’oublier ce que je vois. C’est pour ça que c’est imagé, c’est parce que j’écris en mouvement. Je n’arrive pas à écrire chez moi, me dire « je vais me poser pour écrire ». En studio, je sais le faire, ça m’arrive d’avoir des fulgurances mais ce ne sont pas des textes mûris, je les reprends en général. D’ailleurs, il y a des signes qui montrent que j’ai écrit sur la route : « tu t’en bats les couilles comme le sens interdit de Val Plan », ou le fait que je cite des panneaux signalétiques. [Rires] Et quand je parle de phases de vie, à la manière de « Demain c’est loin », c’est par exemple une phase comme « un veuf qui pense causer à sa femme alors qu’il parle à un répondeur ». Tu vois, ces mecs saouls, c’est une image vraie, plus hardcore qu’un « nique ta mère sale pute ». C’est violent. Ça fait trop peine et c’est réel. J’ai été confronté à Alzheimer avec ma grand-mère, et c’est le genre de maladie que tu prends à la rigolade avant de le vivre. C’est horrible. Je dis alors « Alzheimer et elle se sont rencontrés ils ne se sont plus quittés elle t’a vu grandir aujourd’hui elle ne sait plus qui t’es ».  C’est vrai, j’en parle avec le sourire, mais ça fait dix ans, on a appris à vivre avec. C’est pour ça que ma vision de ce qui est hardcore, ce n’est pas « je vais te rafaler », c’est ce genre de phases. Un petit qui dit à sa mère je te déteste. La vie est assez hardcore comme ça.

 

A : Aujourd’hui, ça me fait penser à l’écriture d’un Isha, il a une phase glaçante comme ça, il est posé à un feu rouge et voit un pote qui parle tout seul…

R : Je l’aime bien Isha ! On en a tous des potes comme ça… L’été on va boire les milkshakes en ville, boulevard Dugommier, en bas de chez Akino – les meilleurs de Marseille, l’hygiène est douteuse mais les milkshakes incroyables – et là je vois un grand de mon quartier en train de boire l’eau de pluie qui ruisselait sur les stores. Ça m’a… tué. Tu as assez d’images hardcore dans la vie tous les jours, le tout c’est d’être attentif, de la prendre en photo. C’est comme ça que j’écris, comme si je prenais le réel en photo.

RELO (ex NAPO) | ft. Keny Arkana, REDK, L’Afro, Dibson, DJ Soon - « Marseille en vrai » REMIX (feat. Keny Arkana, REDK, L’Afro, Dibson, DJ Soon)

« Ma première volonté quand je fais de la musique, c’est que l’on se concentre exclusivement sur ce que je dis, pas sur qui je suis. »

Cohérence et enthousiasme

A : Il y a un mot qui revient souvent chez toi, c’est « cohérence ».

R : Dans le rap comme dans la vie. Il y a un moment où ce que je faisais dans ma vie ne correspondait plus à ma musique, j’ai donc travaillé sur ça. Imagine si tu avais, là, quelqu’un en interview qui ne pourrait pas expliquer ses propres punchlines ? Le problème de la cohérence se posait aussi au niveau musical. A un moment je faisais des CD « benetton ». Je faisais l’erreur de refaire la musique que j’aimais. Aujourd’hui par exemple, j’aurais placé un son drill, un son latino, un son trap, un boom-bap, et ça ne voudra plus rien dire. Et le pire c’est que ce mélange donne des albums génériques. Même au niveau de la forme donc, je me suis dit qu’il fallait que je sois cohérent. Et ma patte c’est quoi ? New York et le rap marseillais : je connais les codes, je me suis tué à ça. Ce n’est pas un trentenaire qui va faire de la drill et de la trap aujourd’hui. La trap, ce n’est pas le texte, c’est l’ambiance, les ad-libs, l’attitude, je n’ai pas les codes. Un groupe que j’aime beaucoup et qui n’a rien à voir avec ce que je fais c’est 13 Block : ce qu’ils font tue, parce qu’ils ont les codes, l’attitude. Mais ils font partie des très rares en France, avec Kaaris, à faire de la bonne trap ici.

A : Tu penses que passé un certain âge, on ne peut pas faire n’importe quel rap ? Sur ce côté, assumer ce rap-là, tu as même parfois un peu d’autodérision, de « rap de l’époque de nos grand-frères » comme dans « Ton grand-frère et moi ».

R : Non, je pense que chacun peut faire ce qu’il veut, c’est le public qui décide. Pas sûr qu’un petit de 15 ans ait envie de voir un mec de 40 ans faire de la zumba. Je sais que le public qui m’écoute, ce n’est pas le petit de 13 ans, et j’ai fait pendant longtemps l’erreur de vouloir plaire à tout le monde. Mon public, il a entre 25 et 40 ans, et c’est déjà très large. C’est ça mon public. Alors c’est sûr que le rap mainstream, qui vend, c’est celui que les petits achètent, streament. Mais je l’ai accepté. Je ne ferai jamais diamant. Par contre peut-être qu’à un moment donné, je pourrais tirer quelque chose, un mec comme Freeze, c’est sombre, pas de zumba, pas de feat hypé, c’est du pur rap, il a fait disque d’or en trois semaines. Nekfeu pareil, il vend avec du rap. Aujourd’hui ce qui est bien – c’est pour ça que les gens qui disent le rap c’était mieux avant n’y connaissent rien – c’est que tu as beaucoup plus de canaux. Avant tu avais le rap conscient, rap caillera, rap commercial. Aujourd’hui, tu as plein de publics différents, et qui marchent ! L’autre point positif, c’est qu’il n’y a plus vraiment d’âge, tu peux percer tard, Soso et Sofiane en sont la preuve : les gens sont aptes à entendre des trentenaires rapper. Dans « Ton grand-frère et moi », le début c’est bien un extrait du court-métrage de Soso, et à la fin il y a un chœur avec sa voix, celle de Bouga, Hooss et R.E.D.K. Il faut prendre conscience de ça et la priorité c’est : « travaille et essaye de faire la meilleure musique que tu peux ». Si tu n’es pas bon dans le commercial, tu t’entoures de personnes qui le sont et ça ira mieux. C’est tout. Mais si tu es rappeur, contente-toi de faire du bon rap.

A : 2020 est une année bien pourrie, mais toi pour le coup tu as beaucoup travaillé vu le rythme des sorties à venir. C’est l’effet confinement ?

R : Je n’ai jamais autant travaillé que cette année. Il y a eu deux choses je pense, d’abord la rupture avec Néochrome, je ne me sentais plus bien, dans le processus créatif, le studio, je n’aimais plus, j’y arrivais plus. Je me suis libéré de ce poids, puis j’ai fait des freestyles pendant tout le confinement, deux freestyles par semaine, ça m’a fait du bien, je n’avais jamais tenu un tel rythme. Nessbeal, Alonzo m’ont véritablement connu à ce moment-là. Plein de gens du rap m’ont découvert à ce moment, ça m’a permis de me maintenir à flot. Le deuxième point, c’est que j’ai commencé à faire plein de combinaisons, et j’ai retrouvé l’esprit studio que j’avais quand j’avais 18-19 ans. On commençait à 16h pour finir à minuit, alors même qu’on a tous des femmes et des enfants… Et quand l’énergie est bonne en studio, tu le ressens direct dans la musique. Les gens ne s’en rendent pas compte, mais je le sens tellement quand c’est fait de manière mécanique, et à l’inverse quand les artistes ont passé un bon moment en studio ! Là, j’ai la gouache de mes 15 ans et je suis trop heureux de retrouver ça à 30. Dans la forme, ma musique est plus fraîche, même si toujours dans la même veine qu’avant. Je travaille pour la scène en attendant qu’il soit possible d’en refaire. Là vous allez manger du Relo ! Alors que quand tu es dans un label, tu dois faire des calculs… J’en fais toujours, parce qu’il faut être cohérent, mais je réfléchis surtout à ce qui va parler aux gens de manière à entretenir une relation humaine avec mon public. Comme cette interview, je m’en souviendrai toute ma vie, et je ne suis pas dans l’abus [rires] mais juste parce que j’ai passé un super moment, humain, comme après un five avec des collègues ! En concert, je reste souvent une demi-heure avec quelqu’un que je ne connais même pas. C’est plus long, c’est plus dur, mais à partir du moment où tu as ces gens dans ton public, ils vont à la guerre pour toi, c’est autre chose qu’un million de followers sur les réseaux. Instagram, ça disparaîtra un jour et tout le monde s’en foutra de toi. Un entraîneur de l’OM, Bielsa, disait qu’il ne voulait pas réfléchir à gagner ou perdre, juste bien jouer. Bien jouer, le reste on ne maîtrise pas. Mais je pense qu’il va se passer quelque chose pour moi – à mon échelle bien sûr – mais il va se passer quelque chose. Pour Marseille aussi, avec 13 organisé, je suis content, ça ramène la lumière sur nous !

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