Visite au Mama Village
Interview

Visite au Mama Village

Actif avant l’an 2000, M.A.M a vu de près les débuts du rap à Genève avant d’en devenir une figure centrale. Alors qu’il repart de zéro après dix ans d’absence, retour en longueur sur sa vie et ses carrières.

Photographies : Sirak Ghere
pour l’Abcdr du Son.

En 1996, lorsque Les Petits Boss font des étincelles sur la compilation Le Vrai hip-hop d’Arsenal Records, M.A.M n’a que treize ans, mais déjà, il n’est pas loin. « Je suis aussi performant que la dernière Alfa Roméo, je plais à toutes les Juliettes, pas autant que Bessa, Shaka, Mamadi ! » entend-on sur « À tous ceux ». Mamadi, c’est lui, un gosse de « la ville au bout du lac qu’on appelle Genève » et précisément un enfant des Pâquis, quartier auquel il est éternellement attaché. Il y a passé toute sa jeunesse avant de s’en éloigner physiquement, sans que son cœur ne quitte la zone pour autant. De la même façon, M.A.M a pris ses distances avec le rap pendant les dix dernières années, mais son nom n’est pas tombé dans l’oubli, car il est une légende en Suisse romande, du fait d’un parcours long et respectable, tel qu’il sera détaillé dans cet entretien fleuve. Un parcours commencé dans les années nonantes au sein du collectif Le Fratra, poursuivi pendant la décennie 2000 avec une autre entité, Terrorime Mouvement, et enfin marqué durant les années 2010 par d’interminables tournées aux côtés de Stress.

Peu connu en France, et c’est un euphémisme, M.A.M a une réelle histoire à partager. Elle s’écrit à Genève évidemment, mais aussi aux États-Unis, vers lesquels il a toujours eu les yeux tournés. Sa passion pour le basket, puis pour le rap et plus globalement tout ce qui a trait à la black culture américaine le pousse à multiplier les allers-retours à New York et même à y vivre un moment. Dans son attitude, son style vestimentaire et ses références, M.A.M ressemble à un américain, ce qui a pu être clivant pour le public rap francophone. Mais c’est ainsi, et ce n’est pas un rôle, la cainri touch est constitutive de sa personne, ce qui explique d’ailleurs la récurrence d’anglicismes au long de cet article. Franciser les expressions qui sortent de la bouche de M.A.M eût été trahir son rapport au monde.

Désormais jeune de quarante ans, le rappeur-beatmaker a de la bouteille et pose un regard lucide sur ce qu’il a accompli ou raté. Mais surtout, avec un album intitulé Starter Pack (Side A), M.A.M repart de zéro. Une trajectoire comme la sienne ne saurait s’effacer, mais sa volonté est de poser les fondations d’une nouvelle carrière artistique, concomitante avec sa vie de père. M.A.M a réglé ses problèmes, le voilà prêt à cracher son feu.


I . L’enfance d’un Pâquisard

Dans les années 1980, il n’y avait pas de très forte communauté africaine à Genève, en dehors des Congolais et des Rwandais. Beaucoup logeaient au Foyer Saint-Justin, dans le quartier des Pâquis. Ce foyer a alors accueilli les premières soirées cent pour cent africaines, organisées par la communauté rwandaise, des universitaires principalement. Mon père était l’un d’eux, Guinéen ayant dû fuir le pays pour des raisons politiques, il est devenu un étudiant parisien. À Paris, il a entendu parler de Genève et des grosses soirées du foyer Saint-Justin, et c’est au cours de l’une d’elles qu’il a rencontré ma mère, originaire elle de Lausanne mais venue vivre très jeune à Genève. Elle est alors une Pâquisarde, une vraie, comme moi. C’est comme cela qu’on s’appelle ici, quand on est du quartier des Pâquis ; c’est quelque chose de très fort, bien au delà du hip-hop, c’est un truc identitaire marqué. Ce quartier, j’y ai passé toute ma jeunesse, jusqu’à ce que ma mère me mette à la porte à mes dix-huit ans. J’ai alors pris un appartement de l’autre côté, rive gauche, durant une petite dizaine d’années, tout en passant mon temps aux Pâquis.

C’est le premier quartier multiculturel de Genève : dans mon école, on comptait quelque chose comme cent cinquante nationalités différentes, la RTS en avait d’ailleurs fait un reportage qui s’appelait « Y a-t-il encore un Suisse dans la classe ?«  Dans les cinq premières années de ma scolarité, je crois qu’il n’y avait qu’un Suisse pure souche dans ma classe, et c’est vraiment ce qui définit le quartier. Surtout à partir de ma génération, la deuxième à vivre dans le multiculturalisme mais la première à connaître un vrai mélange entre les nationalités et les religions. [M.A.M est né en 1983, NDLR] Ce qui fait la spécificité des Pâquis, c’est aussi la place qu’y occupe le vice, via la prostitution et la drogue. La première y est légale, on a des vitrines depuis toujours, c’est comparable au Red Light District à ce niveau-là. On a aussi grandi en voyant des hommes qui se promenaient habillés en femme, en croisant des transsexuels, ce sont des choses que nous avons toujours vues. Lorsque j’étais petit, certains de mes potes à l’école avaient une mère prostituée. En face de la cour, nous observions ces dames en sous-vêtements sous un manteau de fourrure old school, elles nous intriguaient… Et certaines venaient chercher leur enfant à la sortie. Une prostituée me ramenait souvent jusqu’en bas de chez moi pour être sure que je sois safe. D’autres parmi mes potes d’école avaient des parents toxicomanes. Le quartier était vraiment celui des toxicos, ils se sont éloignés au fil des années pour que la zone devienne finalement celle du deal, bien centralisé à Genève.

Mes parents ont divorcé quand j’avais deux ans, donc la musique que j’entendais chez mon père le week-end n’était pas la même que celle qui passait chez ma mère. Quand j’allais chez mon père il écoutait principalement de la musique guinéenne et plus largement ouest-africaine. Il était très au point à ce niveau-là, et avait été dans la musique au pays. Il ne venait pas de Conakry mais d’un village, et d’après les dires de mes tontons, il était connu pour être le chanteur du coin. Il avait des connaissances parmi les chanteurs ouest-Africains, ce qui m’a fait rencontrer des gens comme Mory Kanté, Alpha Blondy et d’autres. Ma mère, elle, écoutait plutôt de la variété française mais ce n’est pas non plus ce qui m’a fait tomber dans quoi que ce soit sur le plan musical. Mes potes, mes voisins, les gens plus grands que moi ont pu avoir une influence, mais c’est surtout la radio qui a été importante. J’étais un grand fan de radio au point que je faisais mes propres émissions : je m’amusais à enregistrer des séquences radio comme si j’étais un animateur, à mettre des chansons, à en zapper… À la radio, c’était la pop et tout ce qui s’ensuit, j’ai même basculé dans la variété française à un très jeune âge, avant l’arrivée du hip hop dans ma vie.

II. Yo ! Bonjour au hip-hop !

Ma rencontre avec le hip-hop est liée au basket, c’est plus culturel que musical. Sur la première tape que je me souviens avoir eue il y avait les Beastie Boys, Cypress Hill, des trucs comme ça, au tout début des années 1990. Je vais aux États-Unis pour la première fois en 1991 pour un camp de basket, à New York, notamment à Harlem, et le hip hop est déjà hyper implanté, c’est quelque chose de fort culturellement. J’y achète ma première paire de Jordan. Après ce premier voyage, j’y reviens quasiment chaque année. De 1992 à 1994, ça va très vite et même si le  rap est jeune, sortent déjà des monstres gros classiques… Des Nas, des Wu-Tang, des Snoop Dogg, The Chronic… J’ai une dizaine d’années et à partir de là je suis vraiment dans le truc à cent pourcent. Le hip-hop et le basket commencent à merger, je tombe dedans et petit à petit mon amour pour le hip hop commence à prendre le dessus sur le basket, je laisse un peu le sport de côté.

Je n’étais pas le seul à me passionner pour ça, j’ai toujours été entouré de Shaka et Bessa. [Ils formeront ensemble le groupe La Per 2 III dont il sera question plus loin dans cet entretien, NDLR] Ma mère et celle de Shaka se connaissaient avant de rencontrer nos pères respectifs, et Bessa et moi étions dans la même école à l’âge de cinq ans. Même si Shaka n’est pas du quartier, nous avons grandi ensemble et avons développé la même passion. Une passion qui passait particulièrement par l’audiovisuel et par MTV. Nous regardions Yo! MTV Rap mais surtout Soul of MTV, dont nous étions fans ! Cette culture soul et R&B a vachement marqué mon parcours à ce moment-là. Les jeunes autour de moi, que ce soit dans mon club de basket ou à l’école, vivaient aussi l’arrivée de ce mouvement disons… hip-hop, ou de culture noire américaine. Une culture qui regroupait la NBA, le R&B-soul et le rap.

Ce qui nous intéressait vraiment en allant aux States, c’était la sape. Nous commençons à faire des voyages entre potes, nous partageons cette culture vestimentaire et musicale. La première fois que j’y vais avec Shaka, on achète le premier album de Jay-Z en cassette, on ramène des trucs. Tout ce que nous voyons à la télé, on essaie de le reproduire. À cette même période, le rap français sort La Cliqua, Les Sages Po’, des groupes comme ça, et nous faisons pas mal d’allers-retours à Paris, qui était beaucoup plus proche. Paris était alors très ricain, les Halles, Ticaret… On y allait et on ramenait des disques de rap français comme le premier Ideal J et c’est ainsi que nous avons mélangé la culture française et la culture américaine à tous les niveaux.

« Pour nous, Les Petits Boss étaient des stars, quand ils nous appellent, c’est vraiment un méga truc ! »

III. La Per 2 III et Le Fratra

Avec ceux de ma génération qui faisaient du rap, nous nous retrouvions en petit cercle, en mode battle et improvisation. Shaka, Bessa et moi commencions à écrire des textes ensemble. C’était juste entre nous et pour nous. Plus âgés, il y avait le Fratra, un collectif qui regroupait Les Petits Boss et Double Pact, et auquel on a été intégrés vers nos quinze ans. Eux, c’étaient les grands que l’on voyait à chaque événement, chaque tournoi de basket, ou même en soirée vu que nous y allions déjà jeunes. Dans les soirées hip-hop, ils voyaient des petits se promener avec le même style qu’eux, chaussés de Air Force 1 alors que la paire n’existait pas encore en Suisse… Très vite, ils ont été intrigués et nous ont demandé si on rappait, puis nous ont intégrés au Fratra. Ce sont eux, dont Nega particulièrement, qui nous ont appris à faire des morceaux, nous ont éduqués sur la technique, les seize mesures, la place d’un refrain, ce genre de choses.

Les Petits Boss étaient presque de la même clique que La Cliqua, et ils étaient aussi très connectés aux Sages Poètes de la Rue et à Idéal J. C’était vraiment des liens étroits, ils étaient amis et en créant Le Fratra les grands voulaient monter en Suisse une entité comme celles-ci. Quand on s’est connectés avec Les Petits Boss, c’étaient vraiment eux les leaders. Tu entendais « La voix claire » partout : à la radio, à l’école, dans les tournois de basket, dans les soirées et surtout dans les maisons de quartier, qui jouent un rôle très important dans l’éducation des jeunes à Genève. Pour nous, c’étaient déjà des stars, quand ils nous appellent, c’est vraiment un méga truc à nos yeux ! Dès que nous avons roulé avec eux, nous savions que nous étions des privilégiés.

En 1998, Double Pact sort Pour ma planète bleue, sur lequel il y a notre première apparition. Avant il y avait eu des morceaux sur cassette, des maquettes, mais « 3003 », c’est la première vraie apparition de La Per 2 III. Être sur cet album, c’était une révolution localement ! Personne ne pensait possible pour des jeunes comme nous de se retrouver sur un truc pareil. Le jour où Kery James enregistre à Lausanne pour « Opération Condor », je suis là au studio. C’était notre héros absolu à ce moment ! J’étais aussi là quand Dany Dan posait… Tu as quatorze, quinze ans, tu vis ça, c’est un truc de malade mental. Nous étions des gros fans d’Ideal J et des Sages Po’. Ce sont eux et La Cliqua qui nous ont fait rapper en français, basta !

La même année, Double Pact fait le Montreux Jazz festival, qui est un monstre truc, et nous pouvons jouer notre morceau. Juste après il y avait la Fonky Family… C’était quelque chose ! « 3003 » était étudié en cours de musique lorsque j’étais au cycle d’orientation [équivalent suisse du collège français, NDLR], j’en étais dispensé ! Une fois j’entends « Mamadi est convoqué chez le proviseur », je me demande ce que j’ai pu faire et finalement lui ce qu’il veut c’est savoir s’il y a moyen de faire venir Les Petits Boss et Double Pact pour un concert en fin d’année !

Après Pour ma planète bleue, La Per 2 III fait pas mal d’apparitions assez remarquées sur des compilations locales et des mixtapes, surtout celles de Vincz Lee qui étaient hyper big, et moi je suis sur les albums suivants de Double Pact. Mais à cette époque, si tu n’es pas avec une maison de disques, il n’y a rien qui sort officiellement. C’est notre cas, mais nous sommes quand-même actifs de fou, on prépare notre propre truc. C’est la période où Les Petis Boss se disloquent, on voit nos grands se disperser et nous devenons le collectif La Kolony, avec des apparitions sur pas mal de trucs. La Kolony qui sera ensuite Terrorime Mouvement.

IV. Genève – New York connection

En 2001 ou 2002, nous partons à quatre potes à New York pour un mois de vacances. C’est la période à laquelle les mixtapes G-Unit et Dipset apparaissent, et quand on revient on veut recopier ça ici directement, ce qui donne la première mixtape de Terrorime Mouvement, Acte 2 Terrorime, en 2002, en mode street, vraiment mixtape. Il y a d’autres volumes qui suivent et c’est à cent pour cent le concept du G-Unit et de Dipset, un groupe de rappeurs qui posent sur leurs propres instrus. C’est un format inédit en Suisse. Nos mixtapes n’ont jamais vraiment atteint la France, ou très peu.

Étranger chez moi , l’album de de Shaka sort en 2005, et on a plusieurs morceaux ensemble dessus, sur lesquels nous avions travaillé bien avant.  J’ai alors quitté Genève pour New York et pour moi le rap c’est « ciao ! », là-bas, je fais des beats. Quand Shaka me demande s’il peut mettre nos titres sur son projet, je dis évidemment oui. Ils existaient, personne ne les avait entendus et ils n’allaient jamais voir le jour autrement. Si je suis à New York à ce moment-là, c’est pour une raison claire et précise : produire pour 50 Cent. Je suis un monstre fan de G-Unit et de tous ses trucs… Et un été alors que j’y suis pour quelques semaines, mon pote Driou vivant là-bas me dit qu’il y a un milliard d’opportunités, que c’est possible de faire un truc. Alors je reste dans ce but-là. J’appelle ma mère pour lui dire que je ne reviendrai pas pour la rentrée, que je vais trouver une école ou de quoi m’en sortir ici, ce genre de conneries. Je ne fais que produire, je ne sors pas de la maison ! J’habite dans le Bronx et ne le quitte qu’une fois par semaine pour une virée à Manhattan, et c’est pour choper des disques, même pas pour aller en soirée ou bouger entre potes. Du matin au soir c’est prod, prod, prod.

Je vis en colocation avec Driou et un autre pote qui vient lui aussi de Genève, DJ L. Par son propre parcours, DJ L s’est fait une monstre place dans les mixtapes à New York, il a des connexions avec tous les rappeurs de cette ville, il est meilleur pote avec Busta Rhymes, hyper proche de Swizz Beatz, sans même parler des plus petits rappeurs. Les gars viennent tout le temps à la maison, ils veulent le voir, lui filer des exclusivité pour sa mixtape de la semaine… DJ L bosse comme Dj Clue ou Kay Slay, plus connus que lui à ce moment, mais c’est vraiment un nom à New York. Il est le jeune on the come up et va même les détrôner aux Mixtapes Awards, un très gros event là-bas. Avec Driou on se dit que nous avons ce chemin-là et finalement je réussis à placer rapidement une prod pour 50 Cent.

Dès que mes beats sont au point, on presse des CD et on les donne. Il y a toujours des gars qui passent à la maison, ou bien on peut croiser les rappeurs dans des event, il faut être toujours armés en prod, et pouvoir donner des CD. Une fois, nous apprenons que 50 Cent et Jay Z font l’émission TRL sur MTV, on cherche l’heure et le lieu, puis la porte arrière par laquelle ils passeront et on s’y rend avec dix CDs chacun, en se disant qu’on réussira bien à en donner un. Ce jour-là, Fifty sort sans prendre mon CD mais un gars derrière lui vient vers Driou et moi pour qu’on lui en file, c’est son job nous dit-il. Jay Z sort lui cinq minutes plus tard, il monte dans sa Maybach sans nous calculer, même pas un regard ; la vitre étant entrouverte, on lance un CD dans la voiture ! C’était vraiment ce mindset : on va le faire, coûte que coûte. Quelques jours plus tard, le gars qui avait pris nos CDs nous rappelle, c’est un des directeurs artistiques de G-Unit Records et il a vraiment kiffé les sons. Il faut dire que ce que j’avais mis sur le CD était vraiment taillé pour G-Unit.

Un jour en 2005, DJ L vient me voir parce qu’il a été contacté par le magazine français Rap US, qui fait appel à lui pour une mixtape. Il ne les connaît pas, je lui dis que Rap US Magazine c’est big en France, et même en Suisse. Il fait donc le CD [Rap US #22, NDLR] et comme il me connaît depuis très longtemps, il sait que je rappe, bien que ce ne soit pas du tout une activité pour moi à New York. Il me suggère de poser sur un morceau, que c’est une opportunité pour me mettre en avant en France et en Suisse et que ça va marcher ! Je demande à également mettre un son de Terrorime Mouvement. Je me retrouve donc sur un morceau avec Loaded Lux et Cash, qui pour DJ L sont alors “ses” artistes, ceux qu’il essaie de pousser. Le blase de Loaded Lux est déjà connu dans le battle, et il vient tous les jours à la maison, c’est même un de ces gars auxquels on ne veut pas donner nos beats. Nous on veut 50 Cent ! Quand ils ont vu qu’en six mois j’avais une connexion pour aller dans l’office de G-Unit, ils ont halluciné, et autant dire qu’à partir de là je voulais encore moins leur donner de beats. Le morceau, « Panic », on l’enregistre dans le studio de Liveson, producteur pour D-Block qui se trouvait dans le même immeuble que nous. Cela sort en Europe alors que je n’y suis pas. Mais j’ai eu la chance quelques années après, alors que j’étais à Paris, d’aller dans l’office de Rap US Magazine et de rencontrer les gars, c’était super cool.

« On se sent étrangers chez nous, nous sommes une clique de cinq ou six renois, on a besoin d’un truc qui nous représente. »

V. Le Terrorime Mouvement, This is Africa

Tous les beats que je fais aux States, je me dis que si je n’arrive pas à les placer, ils seront pour nous, et j’envoie souvent des prods en Suisse. Nous prévoyons déjà que dès mon retour, il y aura un nouveau volet des sons de Terrorime Mouvement. En 2006, il y a donc Met$ ta maille où est ta bouche, qui reste un des meilleurs trucs que l’on a pu faire, ne serait-ce que par l’ambiance et la motivation d’alors. On vend la tape cinq francs [francs suisses, NDLR] mais en réalité c’est prix libre, si tu veux donner plus tu peux, et si tu n’as même pas cinq francs nous te la donnons. Le but c’est de disperser le truc, on est hyper influencés par le street marketing, surtout DJ Gimamen, notre DJ, que l’on appelle Le Général tant il est avancé dans ce domaine. Il nous fait presser des t-shirts et nous vendons ça dans la rue, durant les fête de Genève, quand tout le monde se réunit et qu’il y a dix milles personnes sur les quais. Au moment des feux d’artifice, nous arrivons avec nos cartons de CDs et ça passe de main à main. Si nous faisons ça, c’est parce que nous avons vu notre pote DJ L le faire aux States. Là-bas, mon bras droit était dans les DVDs, mon bras gauche dans les mixtapes, ils remplissaient le coffre et allaient de point en point. On se dit que si à ça on ajoute des t-shirts, à une époque où la notion de merchandising n’existe pas pour nous, il y a moyen de créer un vrai truc qui soit suivi. Pour l’époque, localement, ça l’a fait de ouf ! Le Ghetto Fabulous Gang faisait la même chose simultanément et quand on l’a découvert un peu plus tard, on s’est dit que ce gars Alpha 5.20 était smart aussi.

Une de nos mixtapes devait s’appeler This is Africa, et nous avions fait un t-shirt This is Africa avec le logo Terrorime Mouvement, puis DJ Gimamen et moi nous sommes dit qu’en enlevant le logo et en ne laissant que “This is Africa”, nous tenions quelque chose. Vu le boum du métissage et l’implantation africaine dans cette grande ville internationale, il y avait moyen de faire un truc. Et effectivement, This is Africa s’est diffusée. Tu ne marchais pas une journée dans la rue à Genève sans croiser je ne sais combien de personnes avec un de nos t-shirts, tous genre confondus. C’était un gros truc ! Gimamen avait une petite boutique à la gare Cornavin, il faisait les allers-retours à New York et revendait les dernières mixtapes, les dernières casquettes… Et les t-shirts This is Africa, que l’on espérait même voir se diffuser au-delà des frontières.

Terrorime Mouvement n’a pas pu atteindre l’Afrique comme on aurait aimé mais y est quand même parvenu un petit peu. Nous n’avions pas vraiment de moyens alors on a utilisé MySpace comme pas possible pour nous distribuer… C’était vraiment compliqué ! Nous avons été contactés par des Gabonais qui organisaient des festivals ; ils voyaient le truc This is Africa, ils avaient kiffé notre musique et nous ont bookés pour des shows. Quoi que l’on puisse dire sur le développement de la musique en Afrique, le hip-hop était déjà hyper big à ce moment. C’est vraiment la musique que tout le monde écoutait ; au Gabon ils étaient de très, très grands fans de rap français ! Les gars nous avaient bookés à Libreville avec Dany Dan et des artistes locaux, sauf qu’arrivé à l’aéroport, Dany Dan a eu je ne sais quel problème et s’est trouvé bloqué à la douane. Terrorime Mouvement est alors devenu tête d’affiche, et il y avait nos t-shirts de tous les côtés, vu qu’on en donnait partout. Le but n’était pas de faire de l’argent, mais de distribuer au maximum. Nous avons pu faire des radios là-bas, et des rencontres, notamment celles de promoteurs camerounais et sénégalais, ce qui ensuite m’a permis de faire des petites dates en Afrique quand j’ai sorti mon premier projet solo. La musique ne s’est pas diffusée de fou par manque de disquaires, mais elle a pu passer sur les radios et télés locales.

La mixtape This is Africa est sortie sous un autre intitulé pour distinguer la marque d’habits de la tape, mais on essaie de marquer cette identité quand-même parce qu’en Suisse nous nous sentons esseulés en tant que renois et aussi parce que la culture hip hop est encore spé. On se sent étrangers chez nous, pour reprendre notre expression avec Shaka. Nous sommes une clique de cinq ou six renois, notre entourage et la communauté hip hop que nous touchons ne sont composés que de renois, on a besoin d’un truc qui nous représente.

À Genève, le collectif Marekage Streetz arrive un peu après nous et il y a une forme d’opposition entre eux et nous, de rivalité. Nous, nous avons toute cette culture américaine, nous portons des baggys, des vêtements flashys, un style Dipset et un son très américain, des images avec cocktails et des meufs. Eux ont un style très français, font des clips dans les caves où ils boivent du Jack Daniel’s, « on ne va pas en club, on reste dans notre coin, on fait notre truc ! » Ce n’est pas pour les dénigrer, ils ont beaucoup de buzz en même temps que nous en avons aussi. On n’a pas du tout le même public, c’est pour ça que je parle d’opposition, ce n’est pas au sens où on se fait la guerre en s’envoyant des piques par titres interposés.

Il y a eu des petits trucs personnels qui font que nous n’allions pas être amis et faire de la musique ensemble, mais surtout : ce qu’ils font n’a rien à voir avec que nous faisons, ce qu’ils aiment n’a rien à voir avec ce que nous aimons, les gens qui les aiment sont les gens qui nous détestent et vice-versa. Mais Bil, qui est plus jeune que moi, fait un bruit de malade au moment où moi je commence à faire du bruit en solo et quand nous nous rencontrons, alors que nous avons entendu toutes les comparaisons faites entre nous, on se dit que l’on devrait faire un morceau ensemble. C’est sans se connaître du tout, et on n’a rien l’un contre l’autre. Sans rien dire à nos potes respectifs, nous faisons ce truc pour une mixtape et ça fait beaucoup de bruit parce que personne ne s’attend à voir M.A.M et Bil sur le même son. L’ironie du sort c’est qu’en 2023 il bosse avec moi.

VI. Mama Village, les débuts en solo

Au départ, je ne veux pas rapper en solo. J’ai toujours été en groupe, La Per 2 III au départ puis La P.E.R quand il ne reste plus que Shaka et moi, ensuite Terrorime qui dure assez longtemps. Dans les projets du collectif je fais souvent un morceau solo, je suis sur pas mal de refrains et derrière pas mal d’idées, c’est finalement comme ça que j’en viens à faire un, deux, trois titres en solo. En suivant comme d’habitude l’exemple des Américains qui commencent en équipe… Il faut brancher son truc pour essayer d’avoir son moment ! Quand on parle de moi c’est pour ce que j’ai fait à l’étranger comme beatmaker. Quand je reviens j’ai des articles dans les journaux, on m’invite à des émissions de télé, je ne paie plus une seule soirée dans les clubs où je vais parce que je suis devenu le producteur de 50 Cent ! Même mes potes me disent « Mec, c’est le moment de prendre ce shine et de faire quelque chose pour surfer sur cette vague-là ! » Et c’est exactement ce que je fais. Le gros buzz suite à la prod pour Fifty c’est en 2007, et je sors ma tape Mama Village en 2008.

Cette première mixtape en solo, je la fais exactement de la même façon que j’aurais fait une mixtape Terrorime Mouvement. Terrorime, ça me demandait déjà beaucoup de taff parce que je produisais, j’enregistrais et je « mixais », je le mets bien entre guillemets parce qu’avec le recul ce que je faisais je n’appelle pas ça du mix, mais c’était quand même un taff qu’il fallait faire. Et ensuite je participais à la promo. C’était donc déjà un gros investissement et quand je dois le faire pour moi je peux assumer. Écrire un ou deux couplets de plus, surtout dans la vibe où je suis à ce moment-là, ce n’est pas un gros problème. Quand je suis en studio il y a toujours les mêmes gars autour de moi, les mêmes rappeurs qui me boostent et me donnent des idées. Donc cette première mixtape on la fait comme si c’était une mixtape Terrorime, tous les gars du collectif sont dessus, c’est le même jus, la même recette, simplement cette fois c’est mon tour ! Et de la même façon on fait print des centaines de t-shirts que l’on done à tous les événements. Tout ça je ne l’ai jamais fait seul, si tu regardes les clips nous étions toujours six, sept gars, tout le monde s’est rallié pour essayer de me pousser. Je n’ai jamais vécu ces débuts comme un truc que je devais faire tout seul.

Pour autant, je considère complètement Mama Village comme le début d’un renouveau pour moi, mon lancement en solo avec beaucoup plus de possibilités. C’est une époque où MySpace est en feu, j’ai la chance d’être invité pour des émissions de télé nationales dès ma première mixtape, je vois qu’il y a un engouement. Celui-ci s’est développé parce que nous avons posé toutes ces pierres avant, on a fait tout ce travail en amont et mon projet sort pile au moment où il y a plein de regards sur le rap genevois, dans lequel je suis techniquement depuis ses débuts. Forcément je suis mis en lumière à ce niveau. En plus, c’est là que des gars qui ont cinq ans de plus que moi commencent à avoir des signatures en maison de disque, que des rappeurs suisses, commencent à avoir du buzz, Stress commence à avoir des disques d’or… On se dit “Let’s go ! Il faut que l’on aille se confronter à ça !” On a envie que je tire mon épingle du jeu avec pour but de revenir avec Terrorime à un autre moment, dès que ce sera plus simple.

Sur Mama Village j’ai beaucoup de prods, c’est là encore des beats que j’ai en stock parce que je ne suis pas arrivé à les placer aux States. Suite à cette première mixtape je peux rencontrer certains autres producteurs et dès ce moment j’en profite pour poser sur des prods d’autres personnes que moi. J’ai toujours eu beaucoup plus de mal à faire des morceaux sur mes propres sons que sur ceux des autres.

« Dans mon contrat, en maison de disques c’est comme si en face de « France », il y avait une grosse croix rouge, on n’y va pas.  »

VII. Genève n’est ni Paris, ni Zurich

Quand on commence à développer une carrière en Suisse il faut réfléchir au fait que le pays est divisé entre une partie francophone et une autre qui ne l’est pas. Lorsque je me lance en solo, une des premières choses que je me dis dans cette réflexion c’est que nous allons laisser la France de côté. D’une je n’y connais rien en rap français, je n’en ai rien vécu, rien écouté depuis les trucs que j’ai cités tout à l’heure. De deux je m’y connais encore moins sur le côté business. Alors je ne me dis pas que nous allons essayer d’attaquer ci et ça en France. Ca me paraît un si long chemin, il n’y a pas de pont comme maintenant, pas d’Instagram ou autre. Tout ce qui existe c’est MySpace et Facebook, or on n’a pas de retours de France en dehors de certains rappeurs ou de deux, trois mecs qui disent « ça tue! » Je ne vois pas où il y aurait une place pour moi sur ce marché. Dans le même temps on a ce rappeur en Suisse, Stress, qui a réussi a faire le crossover avec la Suisse alémanique et qui est disque d’or. Il n’est pas notre pote, pas de notre entourage et en dehors du fait que l’on a fait partie de la même clique quinze ans avant, on n’a pas d’attaches avec lui mais on se dit que si lui peut le faire, c’est qu’il y a une possibilité pour que moi j’y arrive aussi.

Il y a une différence entre Terrorime Mouvement et M.A.M en solo, c’est que je fais un rap vachement plus ouvert. Forcément, je mets mes propres influences dans ma musique et j’ai un son qui commercialement peut être exploitable au-delà de la barrière de la langue. Pour moi ça tombe sous le sens, c’est notre heure et comme j’ai non seulement toute la ville mais toute la Suisse romande derrière moi, c’est le moment d’aller voir ailleurs. Voilà, c’est donc ça le combat, sans vraiment savoir les difficultés que ça pose.

Contrairement à plein de rappeurs locaux qui disaient tout le temps « fuck les maisons de disques » et fuck ci fuck ça, nous, Terrorime Mouvement, par le biais de DJ Gimamen, avons toujours envoyé nos maquettes et autres aux maisons de disques. Mais en même temps cinq noirs qui s’appellent Terrorime Mouvement et dont l’album s’appelle Acte 2 Terrorime ou bien Met$ ta maille où est ta bouche ça ne va pas aller super loin. On garde cette même démarche vis-à-vis des structures à Zurich pour mon projet solo sauf que moi j’ai les télés nationales et ci et ça.

Et à ce moment, autour de la première mixtape, je recroise le chemin de Stress qui lui est vraiment le rappeur national, le numéro un. Il est à la tête de toutes les musiques confondues, c’est une superstar avec des pubs à la télé, des albums platine, tous les prix possibles. Et là je reçois une proposition de ce mec-là pour éventuellement l’accompagner en tournée, faire ses premières parties. Je me dis que c’est intéressant, qu’il y a quelque chose, parce que nous allons toucher un public suisse allemand car c’est essentiellement ça qu’il côtoie. Il est basé à Zurich, s’il peut vendre autant et avoir un si grand succès, c’est parce qu’il a la Suisse allemande derrière lui. On se dit que c’est la suite logique et on voit un peu ça comme Eminem qui a signé 50 Cent. Forcément j’accepte, et c’est pour ça qu’il apparaît à la fin de « Loin » sur Mama Village ; avant de partir avec lui nous le faisons venir pour lui faire écouter les trucs et il propose de jump sur un morceau, juste parler sans rapper, pour annoncer la connexion. Il met le stamp et quelques mois plus tard je fais ses premières parties dans tout le pays. Mama Village 2, je le sors en pleine tournée.

Quand je pars en tournée avec Stress, je joue les morceaux de Mama Village, et on est sûrs d’y trouver un intérêt. Tu fais toutes les salles du plus gros vendeur, elles sont remplies à craquer dans tous les recoins de la Suisse. C’est certain que l’on va arriver à quelque chose à un moment ou à un autre. On fait un morceau clippé avec Stress ensuite, « Le temps répare tout », il a une rotation de dingue sur MTV Suisse, une chaîne qui n’est diffusée que sur la Suisse allemande et que l’on ne capte pas chez nous. J’ai un truc en heavy rotation, clip le plus diffusé du réseau à ce moment et ça me permet de continuer à tourner avec Stress et capitaliser autour de ça. Même Stress, dès qu’il réalise ça, il me dit que l’on va essayer de me booster, de choper un deal avec la maquette d’album que j’ai déjà dans les turbines.

VIII. Comme les jeunes

La maquette de mon album Comme les jeunes a été faite avant d’avoir signé quelque contrat que ce soit. Je la fais en étant sur les routes non-stop depuis deux ans, en faisant mon show en première partie de Stress. Deux ans sans être à Genève les week-end, à côtoyer en backstage les gens des maisons de disques, les tourneurs, les programmateurs de festivals. Sur scène, j’ai un public qui à quatre-vingt pourcent n’est pas hip-hop, ce n’est pas du rap qu’ils écoutent, c’est Stress ! Le hip-hop est big à Genève, mais pas en Suisse alémanique, alors que Stress, lui, est big en Suisse alémanique ! Donc ils viennent le voir en concert, et ils se prennent M.A.M dans la gueule, qui joue ses mixtapes Mama Village 1 et 2, des choses qui ne vont pas forcément les faire crusher. Sauf qu’ils crushent ! Avec ces scènes, j’arrive enfin à vivre un peu de mon truc, à rencontrer un certain succès… Quand je marche dans la rue, on me reconnaît, et à Zurich c’est complètement différent, les fans que j’ai ne parlent pas ma langue, ils me reconnaissent dans la rue mais ne comprennent pas ma musique ! Je fais des campagnes publicitaires et d’autres choses pendant ces deux ans. Forcément quand on vit ça, on crée différemment aussi et en faisant l’album, je me dis qu’il faut également avoir ce public dans la casserole.  Il m’est arrivé d’avoir cette discussion avec des potes qui me demandaient si je n’avais pas l’impression d’avoir baissé mon froc, et je leur réponds simplement que non, c’est un album préparé avant toute signature, et ce sont aussi mes goûts musicaux. À ce moment-là je veux avoir un hit, je veux être numéro un  et dans ma logique il n’y a pas de concessions à faire, je fais les choses que j’aime et de toutes façons elles vont être un peu plus grand public. Je ne considère pas forcément ça comme une erreur, après trois mixtapes de rap de rue avec mon groupe puis mes débuts en solo.

Quand je signe avec la maison de disques, on joue cartes sur table : c’est un test pour eux, ils n’ont encore jamais signé un artiste hip-hop, c’est une première tentative, ils ne vont pas forcément mettre le paquet. Ils annoncent que l’album ne sera pas distribué en France, qu’ils se limitent à la Suisse dans un premier temps pour voir si ça prend. Vraiment, dans mon contrat, c’est comme si en face de « France », il y avait une grosse croix rouge : « on n’y va pas. » L’album doit sortir en juin, mais quelques semaines avant, nous avons une opportunité avec Coca-Cola, sponsor officiel des Jeux Olympiques de 2012. Il s’agit de jump sur un morceau de Katy B produit par Mark Ronson et pour lequel ils sont à la recherche d’un artiste francophone qui corresponde à sa musique et ses attentes. Ils veulent faire ça en Suisse et contactent donc Sony, qui fait écouter ma musique à Mark Ronson et il s’avère être super chaud. Le problème est que mon label veut mettre sur mon album ce son destiné à une publicité qui passe tous les jours à la télé, forcément Mark Ronson n’a pas très envie. Quand bien même il adorerait ma musique, c’est son morceau et il ne tient pas à ce que l’on se fasse de la thune sur son dos, ce qui est compréhensible dans un sens. Avec une grosse compagnie comme Coca-Cola et un label comme Sony par contre, c’est une explosion au niveau des rotations radio en Suisse ! Je me retrouve même à Londres avec Mark Ronson pour son run presse, ce qui me permet aussi de rencontrer pas mal de journalistes. Mais à cause de tout cela l’album est repoussé en août par la maison de disque, ce que je trouve bête, mais c’est une autre question…

Au moment où sort l’album, il y a pas mal de changements dans le staff de la maison de disques. La big boss qui m’a signé n’est plus en fonction et le directeur artistique qui faisait le pont de communication entre le label et moi démissionne. En plus de ça, ils n’ont pas pressé suffisamment de disques pour les premières semaines donc en seulement quelques jours il est sold-out en Suisse romande. Moi qui suis encore à fond sur le terrain, je vais dans les magasins demander si l’album est là et on me répond que non, qu’il n’a pas encore été renvoyé, que la prochaine date qu’ils peuvent donner c’est dans quinze jours…

Je me retrouve avec cet album dans les bacs et sur les bras, et il ne tourne pas assez. En termes de ventes, je ne pourrais pas dire exactement les chiffres, on n’était pas focus dessus comme maintenant. Pour être disque d’or en Suisse, il fallait vendre 10 000 disques. Nos mixtapes, on en poussait 2500 de main à main. Mama Village 2 avait fait à peu près 2500 aussi sur iTunes et l’album fait peut-être le double, 4000, 5000 albums. Moi je ne pousse pas le truc par moi même avec le côté street parce que j’ai l’impression que la maison de disques va faire le taf, ce qu’elle ne fait pas vraiment. Ce n’est clairement pas un carton ! Cela dit ce n’était pas le but de la maison de disques non plus. Ils m’ont signé en licence pour un album et deux options, et on s’était tout de suite dit que le but était d’enchaîner sur un deuxième truc peu importe les résultats du premier. Je voulais faire ce qui était juste en fait, c’est-à dire du développement d’artiste. Malheureusement vu comme ça s’est passé pour le premier ne serait-ce qu’au niveau de la comm, il n’y a pas eu de suite.

« Je peux jouer devant cent mille personnes avec Stress le week-end en Suisse alémanique et revenir le lundi à Genève sans que personne n’en sache rien. »

IX. La tournée de trop

Mon contrat en maison de disques courait sur sept ans, donc tant qu’ils n’avaient pas rejeté l’option du deuxième album, j’étais encore sous contrat, et d’ailleurs en 2017 j’ai proposé un album, que je n’ai finalement pas fait, mais ils étaient super chauds. Je n’ai pas de rancœur vis-à-vis de la maison de disques, on a pu discuter et boucler la boucle, par contre pendant des années j’ai accumulé des frustrations liées au business. J’ai pu voir le plus haut plafond que je pouvais atteindre mais aussi le plus haut plafond que Stress pouvait atteindre ! Beaucoup de trucs, c’est du copinage, et avec des gens qui n’ont rien à voir avec le milieu hip-hop. Le business, ce n’est pas que ça m’intéresse pas, mais là, il s’agit d’en faire avec des gens qui n’ont rien en commun avec moi.

Je fais les premières parties de Stress pendant plusieurs années, si bien qu’à un moment je veux arrêter pour faire mon propre truc. Et là, il me propose de monter sur scène avec lui, parce que l’on arrive à la fin de sa tournée en salles et qu’à partir du printemps ce seront les festivals. En Suisse, on compte beaucoup dessus, ils ramènent beaucoup de monde, on peut toucher le public le plus large et Stress en est alors la tête d’affiche. On joue juste avant Eminem à Frauenfeld, on partage plusieurs dates avec Pharell… Mais au départ quand il me présente l’idée d’être son backeur pour ces festivals, je n’ai aucune envie de le faire ! J’en ai fait toute ma vie ! J’avais fait les backs de mon grand Fidel Escroc des Petits Boss il y a déjà très longtemps, puis ceux de Nega de Double Pact avant que lui-même soit backeur de Stress. Ce genre de taff, j’estime ne plus en avoir besoin, mais Stress m’avance que c’est bien payé et que c’est une grosse exposition, qu’en plus je pourrai jouer quelques morceaux de mon choix sur son set. Donc après réflexion, j’accepte et je deviens backeur de Stress, ce qui effectivement m’ouvre des portes et m’offre de la visibilité.

Puis ça devient un taff alimentaire. Quand ma carrière solo retombe, je me retrouve à faire des backs pour un cachet et finalement ne plus jouer ma musique. C’est un job. Beaucoup de gens voient ça d’un mauvais œil et le critiquent, souvent les mêmes qui m’avaient encouragé à le faire d’ailleurs : « tu ne fais plus que ça ! » Oui, mais cette activité de backeur n’est pas visible en Suisse romande, la barrière est telle que je peux jouer devant cent mille personnes le week-end en Suisse alémanique et revenir le lundi à Genève sans que personne n’en sache rien. Quand tu es en Suisse romande, tout le monde s’en fout de ce que tu fais en Suisse alémanique, il n’y a aucun pont qui relie l’une à l’autre. Donc dans ma tête, je me dis simplement que je prends mon gros cachet, ce qui me dispense d’aller bosser à l’aéroport ou dans un restaurant. J’ai vécu de la musique par ce biais-là pendant une dizaine d’années.

 

Je suis en tournée le week-end, et la semaine ma vie est celle de tous les jours avec les mêmes problèmes. Sur le plan financier, c’est plus ou moins réglé, je suis sorti de l’aide sociale, je n’ai pas besoin d’un deuxième travail pour joindre les deux bouts, mais les problèmes de relations amoureuses, de famille, de rue, existent encore. Le plus gros frein de ma vie est l’addiction que j’ai développé avec l’alcool pendant ces années de tournées et dont le pic correspond au high que j’ai pu atteindre au moment de mon album solo, sans me rendre compte de la dynamique addictive. Dès que le soufflet de l’album retombe, je n’ai plus rien dans le rap et j’ai toujours l’alcool. Or quand on a une addiction, on n’en sort pas facilement et on compte les années de cauchemars. Je n’arrête pas de faire de la musique, j’ai mon studio, je fais mes trucs, mais je ne veux rien sortir, parce que je suis en dépression, je ressens un manque physique. Quand mes potes passent au studio, ils écoutent et me demandent « pourquoi tu ne sors pas ça ? » Parce qu’en ce moment je veux que personne ne me voit, je ne fais que raser les murs, je ne veux plus entendre parler de rap, je ne veux même pas savoir ce qui se passe avec les plus jeunes de la ville, ça ne m’intéresse pas ! Et je suis toujours en tournée parce qu’il faut continuer à faire mon bail, mais malheureusement pour moi c’est un souvenir du problème, tous les week-end ça me remet dans la dynamique que j’essaie de quitter.

En 2017, je vais dans un centre pour combattre mon addiction. Quand j’arrive, ils me disent « on ne va pas vous faire de fausse promesse, ça ne se règle pas en un an, il en faut à peu près cinq en général. » Et ça me prend effectivement cinq années environ avant de réussir à fonctionner physiquement et mentalement, avec du recul par rapport à l’alcool. En 2018, ma fille naît et je vois ça comme un ultimatum pour me bouger le cul et sortir de cette dynamique effrayante. J’avais déjà commencé les efforts, mais l’envie de reprendre le dessus pour la musique n’existe pas encore, puisque j’ai un problème beaucoup plus important, grave. C’est seulement quand j’ai réussi à vaincre mes vices puis à me recentrer sur ma famille (ce qui a pris trois bonnes années) que j’ai pu envisager de ressortir de la musique.

Après la naissance de ma fille, je décide d’arrêter les tournées avec Stress. D’ailleurs, le jour où je suis dans un train pour Zurich dans le but de lui annoncer que j’arrête tout pour me focus sur mes propres trucs, je reçois un appel de Bil. Il me dit qu’il s’est éloigné du rap et qu’il est dans le graphisme désormais [Mr. Bil est désormais graphiste sous le nom Ivan La Vague, NDLR]« Je ne sais pas où tu en es mais localement, s’il y a un rappeur avec qui j’ai envie de bosser, c’est toi » me dit-il. Je lui réponds que je suis justement dans un train afin de reprendre ma carrière en mains. On est en 2019 ou 2020, ma fille a deux ans et je peux envisager quelque chose à nouveau. J’ai pris du temps parce que je sais la frustration et le négatif que la musique peut engendrer, je ne voulais pas retomber dans cette dynamique dont je savais que ma famille paierait le prix.

X. Starter Pack, le grand reset

Starter Pack au départ se voulait un rassemblement de morceaux random que je trouvais bien et qui matchaient. Puis je les ai ré-enregistrés et retravaillés, j’ai apporté les modifications nécessaires pour que ça soit un album. C’est un nouveau début. J’adore cette phrase : « et si je pouvais tout recommencer à zéro ? »

Plein de potes me disent qu’avec toutes mes connexions je devrais faire ci ou ça, relancer le label, démarcher à nouveau. Non je ne veux pas ! Dans ma vie musicale, il n’y a rien que j’ai mieux aimé que de tout créer depuis le début. Il n’y a rien que j’ai préféré à l’énergie de devoir se battre pour s’établir, pour imposer son nom, son truc. Alors oui, il y a plein de mèches que je rallume au niveau local, des gens que je relance qui ont déjà un petit feeling pour ma musique et ça c’est tout bénef, c’est génial. Mais moi je suis dans cette démarche de repartir à zéro, de n’avoir personne qui me suit, de devoir me faire découvrir, que les gens apprennent à me connaître et à connaître mon parcours des dix dernières années, comme pour mon premier projet. C’est l’énergie que je recherche.

Le premier extrait de Starter Pack“Bronco 92” est produit par mon gars Draks, de Negrociateurs et Terrorime Mouvement. Le clip est réalisé par moi-même et Gain’s Skey, un pote débutant, il avait juste une caméra, on a tout monté nous même, ça nous a pris énormément de temps. Je suis resté assis longtemps sur ce morceau et ce clip parce que je voulais que ça corresponde à cent pourcent à l’image que je voulais véhiculer. J’ai fait attendre mes potes au point des les énerver parce que bien sûr les potes sont toujours là « mais il faut sortir ce truc, c’est incroyable ! » et moi de répondre : « je n’ai rien sorti depuis dix, personne ne m’attend, personne ne sait quoi que ce soit, je vais tester l’eau. » Le clip sort en juin 2022 alors que mon dernier truc date d’août 2012.

J’ai fait tout le projet en matant The Last Dance en boucle, en mute sur ma télé au studio et je me disais qu’avant d’aller sur le terrain il faut aller à l’entraînement, rester sur le bord à regarder les joueurs du cinq majeur, s’échauffer et voir si en entrant sur le terrain j’arrive à rester cinq minutes en compétition avec eux sans m’essouffler ! « Bronco 92 » pour moi c’est ça, on est sur le bord du terrain, on voit si on enlève son training et si on met un shoot ou pas ! Qu’est ce que ça va donner ? Est-ce qu’il y a encore des gens qui m’aiment de l’époque ? Est-ce qu’il y a des gens qui ne me connaissent pas et qui vont m’aimer ? Une fois de plus je ne suis pas de cette époque des chiffres et des statistiques, c’est peut-être une chance. Je suis d’une époque où le style d’un joueur sur le terrain est beaucoup plus important que son nombre d’assists et de points ! Tous les joueurs à quarante points par match ne sont pas forcément les préférés du public. Les retours ont été hyper bons que ce soit ceux d’anciens auditeurs, de gens qui me découvrent, de professionnels. C’est ce qui m’a motivé à me dire “let’s go!”

Pour autant, même après ça, j’ai pris mon temps… Sept mois avant de ressortir quelque chose. Je n’ai pas envie de décevoir. Les gens qui parlent de moi citent en général mes mixtapes en référence, pas mon album. C’est le game qui veut ça et je suis d’accord avec eux sur pas mal de points. Donc je me posais la question de la direction à prendre pour ce retour, et la réponse est simple : quelque chose qui me ressemble et qui soit…[Il réfléchit quelques secondes] Tout le monde utilise ce mot, mais quelque chose qui soit organique. Ça doit être naturel, se faire de soi-même. C’est là-dedans que je me suis lancé, et il a fallu faire quelques ajustements après « Bronco 92 » pour arriver avec ce projet complet.

Le succès rencontré par Griselda a participé à ma motivation pour revenir. Je ne suis pas revenu à cause d’eux, mais le timing colle parfaitement. Je suis un monstre fan de la présentation de Griselda, je suis moins un monstre fan de la musique, même si j’écoute. Mais ces rappeurs ont mon âge à un ou deux ans près, ils arrivent vus comme des nouveaux rappeurs alors qu’on se disait depuis dix ans que le rap était un truc de jeunes et que tous les nouveaux gars qui arrivaient avaient seize ans et chantaient avec de l’Auto-tune. Que ce son soit de nouveau mis en avant, ça m’a conforté ! Ce que je n’aime pas du tout chez un certain nombre de rappeurs, qu’ils aient mon âge ou non, c’est qu’ils ont changé leur son quand ce truc-là est arrivé… « Ah, il faut qu’on refasse du boom bap, qu’on revienne à une musique plus rue, plus rap. » Ils font ça pour une trend. Moi j’ai toujours fait cette musique, tous les morceaux que j’ai taffés ces dix dernières années sont dans cette veine-là.  C’est du rap. Du rap dans sa forme traditionnelle disons, sans connotation drill ou ci ou ça.

Quand un Benjamin Epps est arrivé, tous mes potes qui avaient écouté mes sons me l’ont envoyé, « mec écoute ! Il fait exactement le même truc que tu fais ! » Peut-être en termes de rap, de delivery, mais ce n’est pas la même musique. Lui c’est très boom bap, c’est très connoté rap-rap, moi pas vraiment, mais j’ai pris ça comme un autre signe. C’est à dire que même en France il y avait une voie. Je l’ai suivi au tout début Benjamin Epps, je ne dis pas qu’il est arrivé là où il voulait arriver ou quoi, mais suite à lui, depuis la Suisse j’ai découvert qu’il y avait une vraie ouverture pour ce truc traditionnel qu’on a aimé dès le départ. Pour moi ça a été un coup de boost de ouf ! À ce moment, je reçois pas mal d’hommages, des gens qui réalisent que ce que je faisais il y a dix ans sonne très actuel maintenant, des jeunes comme Makala qui postent mes trucs… Donc je me dis que le timing est parfait pour ré-imposer mon nom.

Makala est quelqu’un que je suis depuis Trapzik, groupe qui arrivait après Terorime et qui était celui qui nous ressemblait le plus. Tous étaient des gars plus jeunes que nous qui nous suivaient à l’époque et ont souvent cité Terrorime Mouvement comme référence pour faire leur truc. Je le connaissais donc de là, et j’ai toujours supporté ce qu’il faisait. J’avais souvent droit à des remarques comme « quand est-ce que vous faites un truc M.A.M x Makala ? » et j’étais là : « Il faudrait peut-être que déjà vous vouliez un morceau de M.A.M tout seul avant de vouloir un morceau de M.A.M avec Makala !? » Sachant que je suis la dernière personne à vouloir s’aider d’un jeune qui a le vent en poupe pour essayer de faire un come back que je dois faire par moi même. Le temps passant on s’est recroisés sur plein de trucs, il a contacté Terrorime pour que nous soyons dans son clip « Boss » , j’ai accepté sans problème et je lui ai expliqué que je préparais mon truc solo et que j’avais l’intention qu’il soit le seul featuring rap. Il est passé au studio, nous avons fait quatre morceaux dont celui que je garde sur le projet.

Sur Starter Pack, en dehors de Makala il n’y a que ma sœur Karolyn, qui chante sur deux morceaux. Nous nous sommes rencontrés sur la tournée de Stress, elle y était dix ans avant moi. C’était une chanteuse hyper convoitée, elle a bossé avec Ärsenik, avec Rohff, on la retrouve sur la plupart des singles de Stress et c’est devenu ma sœur parce que nous avons tourné ensemble pendant une dizaine d’années, on a traversé des galères similaires. C’est une noire qui a fait des monstres trucs mais qui n’a pas eu les opportunités qu’elle aurait dû, et nous nous sommes toujours dit que nous devions faire nos propres trucs… Forcément quand j’ai dû faire appel à une chanteuse, c’était elle, surtout qu’elle comprend très bien mes vibes. Chaque fois que l’on se retrouve en studio je lui dis « imagine que tu es Mary J Blige » et elle capte très bien. Ca tombait sous le sens de travailler avec elle, en plus ça s’est un peu perdu ces collaborations rap et R&B avec lesquelles j’ai grandi du temps de Soul of MTV, ces mélanges qui font du bien à tout le monde, plus qu’un deuxième rappeur sur un track. Elle était déjà sur Jeunes, coupables et ivres et sur mon album.

« Avec Starter Pack, je suis dans la démarche de repartir à zéro, de n’avoir personne qui me suit, de devoir me faire découvrir. »

XI. Les enfants perdus

Désormais, j’ai complètement changé ma démarche de travail, je suis tout seul au studio. Comme mon rap est devenu plus intimiste au fil des années, j’ai besoin d’être seul pour créer, sans même le producteur. Mon entourage, ce sont mes potes, et il y a Bil qui est le seul créatif proche de moi parce que nous sommes devenus amis et qu’il comprend mes références et les ponts que j’essaie de créer.

Je n’appartiens pas à cette génération très attachée aux stats, aux likes, aux réseaux sociaux… Maintenant que je dois sortir mon truc dans cette ère du streaming et du post Insta, je n‘ai pas le feeling pour ça. Je dis bien le feeling parce que je pense que j’arriverais à tout faire, même avec un nouveau réseau social demain, parce que j’ai toujours suivi ce qui se faisait, mais le feeling je ne l’ai pas. Le m’as-tu vu n’est pas aussi important que ne l’est le m’as-tu entendu pour moi. Nous ne savions même pas l’âge d’un rappeur à mon époque et tout le monde s’en foutait complètement. Maintenant au delà de ça les réseaux sociaux dictent le comportement de trop de gens, ils se prennent beaucoup trop la tête pour vendre du rêve, jusqu’à la la petite photo toute simple pour un post qu’ils prennent quarante-cinq minutes à faire afin d’être satisfaits par le nombre de vues ou déprimé parce qu’ils n’ont que trois likes… N’étant pas de cette sphère-là, je ne suis pas atteint. J’ai sorti un album en maison de disques sans réseaux sociaux, les gens qui ont écouté mon album l’ont acheté, l’ont aimé, se reconnaissaient dans ma musique et m’ont suivi, ou bien me retrouvent maintenant sans m’avoir jamais vu sur les réseaux sociaux alors même que j’y étais. J’ai du recul par rapport à ça et poster un truc c’est un casse-tête pour moi parce que quinze minutes dessus, ce sont quinze minutes que je ne passe pas à aider ma fille à faire son puzzle ou autre chose, or ça c’est ce que je préfère faire. Bien plus que d’écrire « salut les gars ! Mon album sort à vingt heures. » 

Ce qui est décevant, c’est de savoir que maintenant, les gens des maisons de disques se basent là-dessus pour définir leur façon de travailler avec des artistes qu’ils peuvent faire ou défaire. Ma musique peut, je pense, parler à beaucoup de gens, mais si tu ne m’écoutes pas, que tu mets sur mute et que tu t’en tiens au nombre de vues sur telle ou telle plateforme, tu ne vas pas être chaud. Après tu vas regarder mon CV et ça va t’intéresser. Puis tu verras mon âge et ça ne t’intéressera plus parce que je ne parlerai pas à la petite fille qui écoute Aya Nakamura, que j’aime beaucoup par ailleurs. Tout ce dont je parle dans « L’effet domino » est réel, que ce soit le OG ou mon pote qui s’achètent des followers, ce sont des trucs que je vois. Des gens de mon âge, complètement décalés avec ce truc-là, qui essaient de se rattraper en faisant des choses complètement dingues ! Les rappeurs avec des millions de vues qui sont toujours à l’hospice c’est un fait ! [L’hospice désigne le système d’assistance publique dans le canton de Genève, NDLR] Donc à quoi servent les millions de vues s’ils ne rapportent pas un sou ? De par mon parcours je sais plus ou moins comment les choses se passent et quand quelqu’un me dit avoir touché six milles balles des plateformes de streaming avec son album, si pour cette personne six mille balles c’est beaucoup, on a un problème !

Avant de s’appeler Starter Pack, je pensais appeler ce projet Les Enfants perdus, on a créé un logo « Les Enfants perdus », un truc pas du tout officiel. Ca vient de Peter Pan, et c’est l’idée d’un père de famille dans la vie réelle qui essaie de ne pas faire de vagues, mais qui revient dans le passé pour retrouver tous les enfants perdus dans un pays imaginaire. C’est un parallèle avec ma vie, mon rapport au business, au game et à tous ces trucs-là. Quand tu en sors, il te reste ta femme, tes gosses, tes poursuites, tes problèmes financiers. Comment faire un pont entre le monde réel et la casquette de rappeur ? Ce truc m’a fait beaucoup souffrir pendant des années, j’ai essayé de jouer les Peter Pan hyper longtemps, et finalement Dieu et la vie te ramènent à ta vraie position. Si je devais avoir des artistes, si je devais structurer des trucs vu que je fais tout moi-même désormais, je voudrais que ça passe par là, Les Enfants perdus.

Merci à Alessandro et Ivan pour leur aide dans la préparation de cet entretien !

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*