Benash, chef de guerre camerounais
Interview

Benash, chef de guerre camerounais

Après Damso et Shay, c’est au tour de Benash de sortir un premier album sur le label 92i. Intitulé CDG pour « chef de guerre », cet opus s’inscrit en plein dans la rencontre actuelle entre le rap français et les musiques africaines.

Photographies : Sarah Schlumberger

Abcdrduson : Tu es né au Cameroun et a grandi là-bas. Te souviens-tu avoir écouté du rap lorsque tu y vivais ?

Benash : Je suis né à Douala, dans mon enfance je n’écoutais pas spécialement de rap. Déjà je suis arrivé en France vers six, sept ans, donc de ma naissance à ce moment je ne calculais pas le rap, ou même la musique. C’est quand je suis arrivé en France que j’ai vraiment découvert l’univers du rap, le 92i et tout ça. En plus je suis arrivé à Boulogne donc il y avait des choses à écouter au niveau local.

A : Tu écoutais toute la scène boulonnaise, les Sages Poètes de la Rue par exemple ?

B : Non, pas les Sages Poètes. J’écoutais vraiment le 92i, Booba, Mala… Déjà j’ai kiffé leur musique, et parce qu’ils venaient de chez moi, j’aimais encore plus. Au début je n’écoutais qu’eux, après je me suis ouvert, sur les Américains notamment. J’ai commencé avec 50 Cent, quand il prenait de ouf. Actuellement j’écoute du Kodak Black, j’écoute Lil Uzi Vert, Migos… Tout ce qui vient d’Atlanta.

A : Lorsque tu arrives en France à sept ans, l’adaptation est compliquée ?

B : Oui ça a été compliqué, quand je suis arrivé, c’est le froid qui m’a marqué direct. Je n’avais pas l’habitude, le Cameroun est un pays tropical.

A : Tu écoutes pas mal de musique africaine, du fait de cette origine non ?

B : Ça va faire quatre, cinq ans que je m’y suis mis à fond. J’ai commencé avec Dj Arafat et le coupé-décalé ivoirien, avec Douk Saga aussi. Puis je n’ai pas lâché, mais maintenant je suis plus Nigeria, je m’inspire un peu de leur son, de leurs vibes.

A : Autour de quel âge t’es-tu mis à rapper ?

B : Ça fait cinq ans que je rappe. J’ai vingt-trois ans, donc ça doit remonter à mes dix-huit ans. La première fois c’était pour m’amuser, il y avait un micro, j’ai fait n’importe quoi pour voir que ça donnait sur la sono.

A : Quand vous montez le groupe SDHS Family, devenu 40 000 Gang par la suite, c’est avec en tête l’idée de passer aux choses sérieuses ?

B : Les autres membres du groupe rappaient déjà avant moi. Je suis le dernier à m’y être mis et c’est quand je suis arrivé que le groupe s’est monté. On s’est dit qu’on allait être un peu plus sérieux, mais pas de fou non plus. On avait autre chose à côté, il y avait l’école, il y avait le sport. On se voyait plus percer dans le sport en vrai, pas dans le rap. On s’est quand même pris un peu au sérieux, mais c’est seulement quand Booba s’est intéressé à nous que l’on s’y est mis à fond.

A : Aujourd’hui tu es signé sur son label, en venant du même quartier que lui. On se dit peut-être que les deux choses sont liées. Est-ce que tu y penses en faisant ta musique : « j’ai plus à prouver parce que je viens du Pont de Sèvre et que je suis signé par Booba » ?

B : Non pas spécialement, je n’ai pas de pression parce que je viens du même quartier que lui ou quoi que ce soit, mais à partir du moment où tu es dans le 92i c’est que Booba a vu quelque chose en toi, donc après c’est à toi de travailler, de montrer qu’il n’a pas eu tort.

A : Il a un droit de regard sur ce que tu produis ?

B : Personnellement je suis libre, mais je préfère avoir son avis. Quand t’es artiste chez lui tu es libre de faire ce que tu veux, mais comme il a des années de carrière, c’est très important pour moi de connaître son avis. Donc je préfère qu’il ait un droit de regard sur mon projet. On communique régulièrement.

A : Ton premier groupe s’appelait Soldat des Hauts de Seine Family, ton premier album solo s’appelle Chef de guerre. Comment es-tu passé de soldat à chef de guerre ? 

B : Quand j’étais dans SDHS Family je me voyais déjà en chef de guerre en vrai, mais comme on était en groupe je ne pouvais pas le dire, maintenant que je suis tout seul, je peux le revendiquer avec plaisir.

A : Quel regard portes-tu sur ton parcours ces cinq dernières années ? 

B : Je sens que je me suis perfectionné, j’ai beaucoup travaillé. Maintenant ce que je fais c’est beaucoup mieux qu’avant. Je suis plus libre, j’ai plusieurs délire, je peux faire de l’afro, je peux faire du rap… Avant je ne pouvais pas faire de musique afro, seulement du rap. Aujourd’hui j’ai beaucoup d’univers.

A : Avec le recul comment as-tu vécu la sortie de la mixtape Anarchie du 40000 Gang, en es-tu satisfait ? 

B : Je l’ai vécue normalement. C’était une première mixtape, une façon de montrer ce que l’on pouvait faire en groupe. Après je savais qu’avec le temps on pouvait faire de très bonnes choses, de meilleures choses. On n’en a pas eu la possibilité… Mais ce que je me dis c’est que ce que je fais aujourd’hui est différent de ce que l’on faisait à l’ancienne. Maintenant c’est beaucoup mieux, et j’ai plusieurs registres.

A : Parmi les name-dropping de l’album il y a César et Charlemagne, ce sont là des figures qui t’inspirent ?

B : Oui, ce sont des chefs de guerre. Les chefs de guerre sont toujours détestés, comme moi je le suis un peu dans le game, par rapport à ce que j’ai fait, aux guerres que j’ai pu avoir. Comme je dis dans «CDG» : « Détestez-moi comme Charlemagne. » Détestez-moi, je m’en bats les couilles, je régnerai toujours !

A : Dans un autre registre, moins valorisant, tu cites Henri le Navigateur. J’ai l’impression que tu entretiens un rapport ambigu à l’Afrique, à la fois tu adores ce continent, à la fois tu sembles en porter les stigmates.

B : Henri le Navigateur c’est la traite négrière. C’est une histoire qui me marque, je suis patriote, je kiffe grave l’Afrique, son histoire me touche. Comme ce qui s’est passé pendant la seconde guerre mondiale touche les Juifs… C’est la même chose.

A : Toi qui as vécu tes premières années au Cameroun, as-tu ressenti à l’école en France ce sentiment dont Booba parlait : « Je voulais savoir pouquoi Afrique vit malement, du CP à la seconde ils me parlent de La Joconde et des Allemands» ?

B : C’est sûr qu’ils ne te parlent pas assez de l’Afrique et de ce qui s’y est passé. Il y a peut-être une certaine honte.

« Je fais du MMA, je recrache cette violence dans le rap. »

A : En 2016 tu as sorti « Larmes », un morceau très puissant par son propos, justement lié à l’Afrique. Pourquoi ne pas l’avoir mis sur CDG ?

B : C’est un single qui date… Il a un an, je me suis dit autant ramener de la nouveauté. Mais pour moi « Larmes » c’est un son particulier, j’y parle de mon enfance, de ce que j’ai vécu et ce que j’ai vu pendant mon enfance. Ça n’a pas été trop difficile à écrire, j’y ai écrit ce que j’ai vu. Mais j’étais un peu nostalgique.

A : Dans ton écriture tu as souvent recours au vocabulaire du sombre, du noir. Derrière l’apparente légèreté de tes textes, tu cogites en écrivant ?

B : Je ne cogite pas de fou, mais quand je dis sombre c’est juste par rapport à la sombritude… « Bresom » quoi !

A : Sur le morceau « Bye Bye » tu vas quand-même jusqu’à t’imaginer mort…

B : Oui, je parle à une meuf alors que je suis mort. Je lui parle étant parti, à travers les esprits ou je ne sais pas.

A : A côté de ça il y a aussi des passages qui sont plus drôles dans l’album, légers.

B : C’est sûr qu’il y a des trucs qui font rire. Mais ça dépend quoi ?

A : Les adlibs par exemple, « fight fight ! »

B : Ah ! Ça c’est bon délire ! Ca fait rire, mais en même temps ça montre que… Fais belek ! C’est-à-dire qu’à tout moment le mec est déterminé, ne t’inquiète pas. C’est mon gimmick.

A : Il y a une très bonne alchimie entre Siboy et toi. Est-ce que vous travaillez souvent ensemble et vous côtoyez régulièrement en studio ?

B : C’est occasionnel. Par exemple on avait fait une session studio d’une semaine avec tout le 92i, on a posé sur plusieurs sons dont « Ivre » avec Shay et Damso. Après Siboy a un délire assez proche du mien, notamment au niveau des prods. On aime les sons qui tabassent bien. Puis il a sa folie comme j’ai la mienne. Moi je crie « fight fight » lui il fait ses bruits et ses flow ténébreux. On a un peu le même délire donc on se reconnaît un peu l’un dans l’autre, c’est pour ça que l’alchimie se fait bien.

A : Tu parlais des « fight fight », il y a aussi le jus de bagarre, puis tes diverses altercations, et tu pratiques les arts martiaux…

B : Ouais, je fais du MMA. Je recrache cette violence dans le rap, dans mes musiques je dis que je me bats, je revendique un peu la bagarre, parce que c’est ce que je vis. Je ne vais pas raconter ce que je vis pas, or je vis la bagarre.

A : Qu’attends-tu de la musique ?

B : Moi ce que j’attends de la musique, c’est d’en vivre, et qu’elle m’offre une vie meilleure.

A : Mais lorsque tu en écoutes ?

B : Quand j’écoute du rap cainri, c’est plus pour l’ambiance, pour bouger, le délire club. Après quand j’écoute de la musique africaine comme les sons nigérians, c’est pour la vibe, et la sonorité au niveau de la prod.

A : Ces sonorités africaines sont désormais très courantes en France, depuis MHD en gros. Elles sont omniprésentes sur cet album, était-ce quelque chose qui te tenait à cœur, ou plus par effet de mode ? 

B : Je kiffe cette musique. Déjà j’ai commencé avec « Validée », pour moi c’est là que tout a commencé et je ne savais pas si ça allait prendre. Parce qu’avant « Validée » il y avait un peu de MHD, mais ce n’était pas aussi connu. Donc pour moi c’était une chose nouvelle, un test. Comme ça a super bien pris je me suis dit autant continuer.

A : Le morceau « 237 » dédié au Cameroun s’inscrit en plein dans cette vague de musique rap inspirée de sons africains. Il a un sacré potentiel, tu l’as fait dans quelle optique ? 

B : Franchement, ce titre je l’ai écrit pour le bled. Je ne l’ai même pas fait pour qu’il tourne en France, mais pour qu’il tourne au Cameroun, histoire d’avoir un son référence là-bas. Mais là je vois que « Ghetto » est en train de prendre de ouf au Cameroun, je vais le clipper la semaine prochaine.

A : Tu t’imagines revenir au Cameroun en superstar, comme Black M en Guinée aujourd’hui ? 

B : C’est un de mes rêves… Faire un concert dans un stade complet au Cameroun. Ce serait une fierté. En mai je vais y aller pour un concert de Booba, je pourrai prendre la température, voir le délire. Ce sera la première fois que j’irai en concert là-bas, mais j’espère que la prochaine ce sera pour mon propre concert.

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