Chronique

454
Fast 5

Surf Gang Records - 2023

En s’associant à Surf Gang pour la production de son nouvel EP, Fast 5, 454 cultive un peu plus sa singularité vocale et perfectionne sa formule.

Photographie de 454 par Lauren Davis pour Dazed.

L’acceptation générale et progressive de l’Auto-Tune par le public rap ces quinze dernières années a sûrement fait tomber dans l’oubli les nombreux débats portant sur la légitimité même de son existence à l’aube des années 2010. T-Pain, pionnier dans l’utilisation massive du logiciel de correction vocale avec l’album Epiphany en 2007, expliquera lors d’un entretien accordé à Genius Level son besoin absolu de se distinguer de ses pairs et d’apparaître aux yeux du monde comme un artiste original en se servant de sa voix comme d’un instrument à part entière. Une idée couronnée de succès lorsque l’on s’amuse à énumérer tous les refrains mémorables monopolisés par ses intonations métalliques singulières, indissociables de cette période souvent mal-aimée de l’histoire du rap. Parfois à ses dépens d’ailleurs, puisqu’il finira plus tard par cristalliser les critiques acerbes d’un public très conservateur sur le sujet. Ce gimmick de l’Auto-Tune mis à part, la musique de T-Pain tire toute son efficacité de ses talents naturels de chanteur et de mélodiste, que beaucoup semblent avoir découvert longtemps après son sommet artistique et commercial.

Originaire de Floride et installé à New York depuis plusieurs années, on décèle chez le rappeur-producteur 454 le même genre de magie. Le chant en moins, les flows en plus, et à la différence que, cette fois-ci, ce n’est plus d’autotune dont il est question, mais d’une voix à l’hélium sérieusement pitchée dans les aiguës et stylistiquement proche de la baby voice popularisée par Playboi Carti. Mais plus qu’un simple gadget, l’effet vocal s’inscrit avant tout parmi cette fameuse habitude floridienne d’accélérer le rythme en permanence. Miami Bass dans les années 80 ou versions fast de tous les morceaux possibles et imaginables aujourd’hui, cette tradition régionale remonte aux premières expérimentations rap locales que de nombreux artistes continuent à perpétuer avec beaucoup de sérieux. Cette inspiration étant clairement assumée de son côté, reste que, dans les faits, 454 semble accélérer au ralenti. Le traitement sur sa voix favorise une certaine sensation euphorisante de vitesse, tandis que les tempos sur lesquels il pose ne diffèrent pas nécessairement d’un morceau de rap standard. Le rendu, finalement aussi proche de DJ Screw que de DJ Frisco954, en deviendrait presque aussi bien cosmique que loufoque. C’est précisément ce contraste qui rend sa musique intéressante et surtout atypique.

« L’intérêt de FAST 5 réside principalement dans son esthétique début années 2000 rétro-futuriste. »

Les petits génies qui ont parfaitement compris et intégré cette idée, ce sont les producteurs du crew new-yorkais Surf Gang, Eera, Goner et Evilgiane, dont les récentes collaborations avec Earl Sweatshirt (« Making The Bands (Danity Kane) ») et le duo Kendrick Lamar/Baby Keem (« The Hillbillies ») laissent entrevoir une montée en puissance exponentielle, probablement la plus excitante à observer ces temps-ci. Ensemble, ils coproduisent entièrement avec 454 son nouvel EP, FAST 5. Onze brèves minutes d’extase pure, sûrement les plus célestes enregistrées en 2023. Appuyé par ses nappes de synthé suave et d’une rythmique discrète et dépouillée typique de la plugg, « ANGEL » nous ouvre les portes d’un biome sonore onirique et vaporeux. Moins contemplatif et davantage étincelant, « NEXTEL » prolonge tout de même l’expérience et s’engouffre un peu plus loin dans les territoires aériens introduits précédemment. Seul invité de luxe, sickboyrari (aka Black Kray) sur la frénésie envoûtante de l’excellent « COBRA » caractérisé par sa production rage, la seule de l’EP. Une belle passe dé’ à une légende oubliée de la première vague de rappeurs Soundcloud. Enfin, avec le single « GANGSTER PARTY », 454 clôt efficacement son projet dans un style plus terre à terre en reprenant à son compte le rap de Detroit et ses basses poisseuses qu’il associe subtilement à l’identité musicale Surf Gang. Même si ses performances au micro sont ici largement satisfaisantes, quoiqu’un peu convenues au regard de l’événement et très orientées relations sentimentales, l’intérêt de FAST 5 réside principalement dans son esthétique début années 2000 rétro-futuriste. Dans un monde parfait, la soundtrack officielle du film Barbie, c’est celle-là.

Une fois évacuée la légère frustration de ne pas en avoir assez entendu, la connexion Surf Gang/454 tant attendue sur un format officiel se révèle être une réussite. L’EP aura au moins eu le mérite d’offrir un moment de consécration important à tous les auditeurs passionnés par cette nouvelle génération de rappeurs et de producteurs hyperactifs, occupant tous les recoins de la musique sur internet.

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