Vîrus, fin de la trêve hivernale

Cela n’aura échappé à personne : le rappeur de Rouen, qui avait sa carte de membre à l’Asocial Club en 2014, et qui s’est fait connaître au début des années 2010 à travers le triple EP Le Choix dans la date et le diptyque Huis-Clos et Faire-Part, a un problème avec les cérémonies. Qu’il s’agisse des fêtes décrétées arbitrairement par le calendrier (15 août, 31 décembre, 14 février), d’un repas de famille (l’excellent « La Table » où il est l’invité du comparse rouennais Lalcko), ou de la mascarade du sport spectacle (« Champion’s League »), Vîrus voit dans ces pratiques collectives ce que les autres y dissimulent : la solitude, et le caractère contingent d’existences, qui suivent le rythme trompeur de réjouissances occasionnelles, ensuite vite oubliées.

Le 26 janvier 2023, Vîrus revenait avec un morceau composé par Al’Tarba, qu’il jouait en live, accompagné des musiciens de l’ESM Bourgogne-Franche-Comté : Méthode Rouge. Dans cette vidéo, le rappeur prépare un cérémonial d’un nouveau genre, en détournant des codes empruntés au théâtre ou au bal masqué. Le rappeur  y annonce, en paraphrasant la Bible,  un album à venir : « Au commencement, étaient les ténèbres, et puis le verbe, et puis nycthémère ». Depuis, la sortie de cet album (Nycthémère, terme qui désignerait les vingt-quatre heures d’un jour et d’une nuit, mais qui sonne comme un calembour) a été prévue pour le jour de la fête de la musique, le 21 juin 2024. Comme si Vîrus proposait avec son disque une contre-cérémonie.

À quel événement s’attendre ? Les deux autres extraits (« Mouton-Cadet » et « La Cour ») composés respectivement par Al’Tarba et Banane posent quelques jalons. Vîrus a une maîtrise rare de son rap. Il multiplie ses figures fétiches, contrepèteries à outrance (« lieu soit doué », entre autres), mots-valises (« triomphallus »), faisant apparaître ce que le langage commun cache dans ses expressions figées : « les joies, les peines, les poids, les gènes ». S’il convoque encore l’univers du théâtre sur « La Cour », c’est pour le mettre en parallèle avec celui de la musique, et celui de la justice, pendant tout le morceau : lui, artiste, remplit des salles… d’audience.

Ce jeu sur les mots n’est jamais gratuit : Vîrus, on l’a dit, compare les cérémonies pour mieux les dénoncer. La production de Banane révèle la puissance de cette entreprise. « La Cour » offre en effet un mélange entre des sonorités froides, métalliques, auxquelles correspond l’imagerie post-industrielle du clip de Junior Paganelli, et des chants tribaux. Comme si Vîrus devenait un médium hybride, un chaman de l’ère des sites Seveso. Sur le même morceau, Vîrus fait une promesse à l’auditeur, dans laquelle se glisse une faute de conjugaison « Je te raconteras ». Cet échange entre première et deuxième personne, entre rappeur et auditeur, indique un rituel où les conventions sont abolies, peut-être par magie. Le maître est prêt, la cérémonie peut commencer.