EP

Rounhaa, pas là pour rire

Rapper la tristesse n’est pas un art à la portée de tous. Le cœur en morceaux, Rounhaa remplit parfaitement cette mission : déjà remarqué par les suiveurs assidus du rap suisse depuis 2018, la première signature du label de Disiz devait montrer après 3 projets prometteurs mais bruts dans leurs réalisations qu’il était temps de passer un cap : le temps de 33 minutes et 30 secondes pleines de rage et de – grande – mélancolie, le Franco-Suisse vient de prouver qu’il allait falloir encore plus compter sur son spleen. Définir MÖBIUS de Rounhaa est un exercice à la fois aisé et un peu confondant : tout dans ces douze nouveaux morceaux respire la peine et la solitude d’un artiste qui vogue « le grenier du coeur en bazar », mais dans des registres sonores assez variés. Entre trap synthétique rageuse (« LE MORT »), piano voix urgent (« LE MORT ») plug music lancinante (« MR & MRS SMITH » avec J9ueve) ou influences pop 80’s (« ILLÉGAL TRISTE », produit par LUCASV), Rounhaa ouvre beaucoup plus ses inspirations musicales qu’auparavant. Comment donner alors un fil conducteur à ces émotions mises en musique ? Sans doute en se concentrant sur la plus grande peine de Rounhaa, qui parcourt le projet : l’amour, ou plutôt la rupture et la trahison, qui l’amènent à assumer que le « bonheur l’évite » tout en considérant presque sa douleur comme une force (« La douleur c’est ma bestie »). Rounhaa n’est pourtant pas  larmoyant dans MÖBIUS : il fait même face à ses démons pour mieux les apprivoiser et en ressortir des moments de rap arrogants et à la fois fragiles, pleins d’audace et de rancoeur, comme sur « LE MORT » ou le passe-passe jouissif en compagnie du rappeur genevois Gio sur « CELINE ». En dépassant la rage contagieuse de ses débuts, Rounhaa gagne finalement en épaisseur et en réflexion sur MÖBIUS, tout en augmentant d’un cran l’exigence et la précision de sa musique. Du sound design précis appliqué à ses morceaux en passant par les changements de prods, les effets de jeux sur la voix (« MAFIA ») ou les incursions presque pop (« ILLÉGAL TRISTE », « BONBON&FLEUR »), la musique du jeune suisse, qui prenait jusque là aux tripes, vient maintenant faire une incursion au niveau du coeur. C’est beau et triste à la fois, précis et spontané en même temps. Comme un sentiment que l’on a du mal à contrôler. Et que Rounhaa semble maintenant de plus en plus maîtriser dans son art comme dans son coeur.