Sidekicks

Après le tourbillon Siboy, le vent de l’est continue à s’immiscer sous les capuches de l’Hexagone avec le premier projet de i2H. Échantillons, c’est tout d’abord un style qui saute aux oreilles : de l’énergie en flow continu et cette envie récurrente de jouer avec les mots. Habillé aux trois quarts par le grand couturier Madizm (NTM, Zoxea, Salif…), le disque ne retombe jamais et quand, entre les morceaux torse bombé où le rappeur excelle, le propos respire et s’intériorise comme sur « Mektoub », il n’en devient que plus dense et intéressant. CV de ses trois dernières années en cabine après avoir été calmé par la cabane, les Échantillons du Mulhousien installent son parfum de la rue cabossée dans le paysage du rap français. Et comme la conquête n’est jamais finie, i2H sera en concert avec son voisin Siboy à L’Affranchi ce samedi à Marseille. À voir, à écouter et à suivre.

Lorsqu’il est question de faire et refaire l’histoire du rap français, deux fréquences de la bande FM monopolisent le récit : la malnommée Skyrock et Générations. Parfois, il est aussi question d’Ado FM ou d’antennes locales telles que Radio Grenouille à Marseille. Dans tout ce récit, FPP est rarement nommée. Pourtant, la station disponible sur 106.3 Mhz FM à Paris n’est pas née de la dernière pluie et a eu, elle aussi, un rôle dans l’émancipation du rap français. Des émissions de Kool & Radikal à celles portées en partenariat avec BBoyKonsian, sans parler du Suprême NTM qui y est passé à l’aube de l’an 1995 avec les Psykopat, Fréquence Paris Plurielle n’a jamais snobbé le rap, au contraire. Aujourd’hui, entre la suppression des emplois aidés et l’étranglement des subventions, l’antenne Parisienne, franchement alternative et un tant soi peu libertaire (euphémisme) est menacée. Deux soirées de soutien sont organisées. On ne va pas vous mentir : le rap n’y sera pas dominant même si voir Rocé mettre le bout de son nez dans cette histoire ne fait que confirmer le sens de cette mobilisation. Elle aura lieu le 10 et le 15 décembre, respectivement à Paris et à Montreuil. Alors calez le tuner de vos agendas et venez vous aussi réfléchir à la pluralité médiatique que vous souhaitez. Quant au patrimoine du rap français, il sait ce qu’il doit à FPP. Après, ce sera trop tard pour pleurer, que vous soyez puriste ou simplement curieux.

Vous le verrez dans nos bilans annuels : William Blake est l’un des meilleurs disques de rap français de l’année. Loin des locomotives de notre genre musical préféré mais proche des emprises ferroviaires, E.One rappe la vie de milliers de personnes que l’on s’acharne à décrire en marge. Elles sont pourtant étrangement nombreuses et elles font elles aussi parties de ces voyageurs « qui n’connaissent que le bleu, du RER B de la ligne 13 ou la ligne 2 » comme dirait Flynt ces soirs où il est nécessaire d’éclairer sa ville. E.One, lui, a versé une liqueur lumineuse sur son rap dans ce projet qui ne demande qu’à trouver ses alter-ego et qui est sorti au début de l’année. Pour clôturer celle-ci, quoi de mieux que clipper le titre « Love & War » ? Ici, le mot guerre a remplacé l’amour de la maxime des hippies. Peut-être car il n’y a plus de place pour la naïveté vu ce qu’il se passe dehors. L’insouciance est loin, mais les cœurs restent chauds. C’est William Blake qui vous le dit, depuis l’époque Eskicit. Loin de la place de l’homme mort.

C’est une définition possible de la honte : on n’a jamais parlé ici de la mythique bande dessinée d’Ed Piskor relatant les débuts du hip-hop. Les Inrocks l’ont fait. Libé l’a fait. L’Huma l’a fait. Bordel, même BFM l’a fait. Et nous, non. Moche, hein?

Alors on se rattrape (un peu) en annonçant la sortie récente de la traduction du troisième volume, toujours aux bons soins des éditions Papa Guédé. Votre bibliothèque vous dit merci. Accessoirement, il y a une page Facebook dédiée. Une playlist, aussi.

Le deuxième volume n’était sorti qu’il y a quelques mois ; à ce train-là on va rattraper la version originale. D’ailleurs, les éditions Papa Guédé, c’est pour aller plus vite que chaque volume a une traductrice ou un traducteur différent(e) ?

Ruff N Tuff, tel est le nom de l’album de Venom qui vient de sortir, huit ans déjà après le portrait qui l’avait présenté ici même. Un album qui, comme on peut le voir, reste fidèle à l’univers du Parisien. Un album qui affiche aussi un sacrée brochette d’invités, allant de MED à Ras Kass en passant par Nolan the Ninja, Conway ou Rah Digga. Cependant, l’album ne se veut pas une simple compilation, mais un vrai album de producteur, à la manière du Soul Survivor de Pete Rock ou du Insomnia d’Erick Sermon. Ce qui est sûr, c’est que ça cogne, et que les samplers fin-de-siècle de chez Ensoniq et E-mu n’ont pas dit leur dernier mot.

Tiens, tant que vous traînez chez Marvel Records, on vous conseille d’écouter Femme Fatale, le très bon album de la rappeuse Marquee (présente aussi sur Ruff N Tuff) sorti en juin dernier, produit par Ninjustice au complet, c’est-à-dire Venom accompagné de Kyo Itachi. Il est en écoute ci-dessous, ne reste plus qu’à presser play.

« Mais qu’est-c’j’m’en branle des pharaons, moi, j’pompais les flows de L’Skadrille », répondait Gringe à Orelsan dans un morceau des Casseurs Flowters, il y a quatre ans. Une belle manière de nous rappeler le talent et la fougue du duo dont faisait partie 13OR. Celui qui s’est fait appelé un temps Ghetto Youss reprend son nom de l’époque de Dangereux 2001 et Extazik pour ce « Super Nwar », où il ne kicke pas que sa chaise Quechua. Sur ce nouveau titre, 13OR déroule un débit actuel, rapide, urgent, en donnant l’impression de marcher entre deux époques (« Pas de défrisage négro : crâne rasé, c’est la coupe des vainqueurs, Jordan et Zidane »). L’instrumental livré par Madizm laisse la même sensation : sa boucle hypnotisante en reverse rappelle l’esthétique du rap français d’il y a dix ans, mais sa rythmique bondissante rappelle que le producteur passe les saisons comme des Timberland. « Super Nwar » n’est pas accompagné d’une date de sortie d’un futur disque, mais donne envie de découvrir ce que peut livrer 130R sur des prochains titres. Avec les récentes sorties de Flaco et Azuul Smith, et si c’était la renaissance du rap made in 7.8. ?

Mimile x Pandemik

« Je le fais mieux ». Quatre mots qui résument bien ce que l’on pense du parcours de Joe Lucazzi, toujours en progression quand la plupart des artistes de sa génération sont déjà tombés ou s’accrochent péniblement. Notamment auteur de l’une des meilleures sorties de l’année 2015, le rappeur parisien s’était aussi distingué la saison passée sur notre compilation maison et celle du Bon Son, et s’apprête à dévoiler, le 12 janvier prochain, No Name 2.0, trois ans jour pour jour après le premier du nom. Un album sur lequel il sera de nouveau bien entouré puisqu’on retrouvera aux manettes l’indispensable duo Pandemik Muzik, mais aussi Mayer d’Hits Alive, Frencizzle et Pee Magnum. Côté micro, le panorama sera tout aussi appréciable avec les participations de Flynt, Alpha Wann, Express Bavon et du trop rare et donc infiniment précieux Cross. Treize titres, dont ce superbe « Je le fais mieux » qui nous rend forcément impatient de fêter la nouvelle année.

Prolifique, insatiable, cela fait bientôt cinq ans que Mani Deïz livre au rap français des écrins sonores raffinés. Tantôt tapis soyeux, tantôt couvertures mélancoliques, avec une passion pour la boucle aux couleurs désaturées, le beatmaker de l’Essonne a finalement créé sa propre esthétique. Le rap français qualifié d’indépendant en raffole, et parfois même plus, en témoigne la liste des collaborations effectuées par le Kids of Crackling. Mais Mani Deïz a décidé de satisfaire d’autres faims. En l’occurrence, ce seront les siennes. Lui qui se nourrissait déjà de ses beat tapes sortira début 2018 un album plus trip-hop que rap. Pas tout à fait dans la veine d’Archive ni de Thievery Corporation mais un peu quand même, Infinity-1 transformera les boucles du producteur français en longues nappes mélancoliques, sporadiquement accompagnées de chant et de chorus. Une démarche et une évolution qui n’est pas sans rappeler celle d’un certain Fred Yaddaden et son album Shadow of a Rose. Si les deux pattes sont et resteront singulièrement différentes, il est difficile de ne pas rapprocher les trajectoires musicales. Mais un peu trip-hop, un peu abstract, que les fanatiques des boucles de celui qui s’était décrit comme les autres se rassurent : Infinity-1 restera du 100% Mani Deïz. La promesse d’un beau glissement d’univers.

En attendant rien ne semble pas être la première sortie de Lafrog, mais c’est en tous cas cette mixtape qui lui servira de carte de visite. Mise en ligne il y a quelques jours sur Youtube et téléchargeable via Haute Culture, elle laisse entendre le rappeur parisien sur différents registres au long des seize titres qui la composent. Pour se faire une idée, l’Abcdr recommande l’écoute du très efficace « Gundogan », de « Ouais Ouais » ou encore de « Anarchie (Rmx) ». Quelques jours après avoir été dévoilée En attendant rien porte déjà mal son nom, et il y a fort à parier qu’avec le temps, les raisons d’attendre une suite à cette tape seront nombreuses. Quoi qu’il en soit, cela faisait depuis un moment (Freebase 1 de Kekra ?) que le « marché » français de la mixtape gratuite n’avait pas proposé un fichier .rar aussi alléchant.

Les relations franco-américaines ne sont pas encore refroidies. En tout cas, pas dans le rap, où les producteurs français continuent à fournir leurs compositions pour des rappeurs US. Récent exemple en date : Marty Baller, rappeur d’Harlem, proche de l’A$AP Mob, qui fait briller son style de flambeur sur l’instrumental épileptique d’HollaDaze, membre du collectif MVP Most Valuable Producerz.