Chronique

Joe Lucazz
No Name

Neochrome - 2015

Un projet conçu avec amour, sans excèdent, concis et dégraissé jusque dans les pommettes creuses affichées par son auteur.

« On est fasciné par la classe ouvrière,
La vie des voleurs et celle des voyous.
Dieu est infiniment grand et ses anges parmi nous,
On le sait et donne ce qu’on a de meilleur en nous. »

Le Rat Luciano, « Nous contre eux »

« Ça sent l’escroquerie. »
Fabe, « La tête haute tenue »

Arrière-plan obscur, bob vissé sur le crâne, visage impassible. Police psychotrope. Deux couleurs : le noir et le blanc. Difficile de ne pas songer à la pochette d’Oxymoron à la vue de celle de No Name, d’autant que Lucazz et Schoolboy Q partagent davantage. Un sens fouillé de l’introspection. Cette gouaille de crapule : « Méfiez-vous quand je marche à tâtons, passe-montagne sur le front, que je crie allonge le fric, allonge !« . Ce charisme latent. Joe Lucazz, Lucazzi. Joe Le Rat qu’il aurait pu s’appeler, aussi. Soyons francs, combien de rappeurs de France ou d’ailleurs pour réciter leurs tripes ? Pour vraiment s’ouvrir le bide devant toi ? Un, deux par décennie. J.O.E. est de ceux-là.

Pour être honnête, Joe Lucazz m’était parfaitement inconnu à la première écoute de No Name. Aujourd’hui, j’ai l’impression d’entendre un vieil ami qui me raconte son histoire, que je réécoute toujours avec la même oreille attentive. Parce que Joe Lucazz c’est avant tout une plume, qui gagne à être épluchée, disséquée voire lue pour en saisir la portée. Il ne rappe pas mieux qu’un autre mais on s’en fout, comme du troisième astronaute de Gravity. Il donne des niveaux de lecture, des références à foison. « J’insuffle la vie dans vos narines, mais je ne suis pas Dieu. La bête avait tout, voulait plus, mais je ne suis pas mieux ». Il lance des frappes, allongées mais puissantes quand même. « Quelques grammes, une pesette, maintenant deux-trois kilos ; bientôt je fais mon Pharrell, je vends un million mon putain de chapeau ». La meilleure manière de décrire son écriture serait de dire qu’elle colle à la peau de son personnage : avec du style à ne plus savoir qu’en foutre, mais sans fioritures. Vraie jusqu’à la moelle.

Avec son ancien acolyte Cross – auteur de deux apparitions impeccables – et le compère Express Bavon – en course pour le meilleur refrain de l’année – Joe Lucazz est idéalement entouré au front. À l’arrière, l’équipée musicale composée de Pandemik Muzik, Butter Bullets, Suprem Beatz et Boudj soutient efficacement les troupes. Elle propose une ambiance tantôt pernicieuse (« Pharrell », « Drogue et crime ») tantôt légèrement enlevée (« Gatsby », « 2.0 »), dont se dégage pourtant une cohérence sans faille. Sur chaque titre, la voix toute en retenue, le timbre faussement nonchalant, Joe se fait conteur de ses démons et raconteur de son monde. Il décline ses petites histoires nocturnes de blanche, de blondes, de mains sales de billets violets, dans ces petites rues vides des grands boulevards noirs de monde. Il dévoile sans plus de fard ses craintes, ses désirs, ses faiblesses, ses révoltes d’homme. Un vieux Paris anxiogène en toile de fond, Joe Lucazz installe une vraie proximité avec son auditeur autant qu’il se montre d’une dureté glacée. Un bonhomme de neige dans ton quartier. Une poignée de gants discrète en bas de chez toi. Une détonation froide sur ton palier.

À en croire Néochrome, No Name ne serait qu’un album avant l’album. En dépit d’un mix ne se portant pas toujours au mieux, il a pourtant tout du projet conçu avec amour, sans excèdent, concis et dégraissé jusque dans les pommettes creuses affichées par son auteur. Onze titres, trente-neuf minutes au compteur. Un format court qui fait d’autant plus sens à l’ère du numérique, et que des gens comme Ahmad ou Vîrus ont, eux aussi, su mettre à profit pour développer en profondeur de véritables ambiances, une esthétique qui leur est propre. Mais l’on se posera la question de la pertinence de Lucazzi sur un dix-huit titres une autre fois. Là, il faudrait d’abord penser à s’essuyer le nez.

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1 commentaire

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  • MakadamSGP,

    Je connais Joe Lucazz depuis pas mal de temps, j’ai connu grâce à « skunk story » sur skunk anthology puis grâce à Ill des X avec qui il a fait des sons et j’avais tout de suite accroché sur son style inimitable ! 
    L’album « no name » est excellent, je l’ai bien écouté, plusieurs fois et il est vraiment bien conçu, bien réalisé, des purs titres dessus.
    Vraiment gros skeud, gros big up Joe Lucazz, le disque tue du début à la fin.