Chronique

Nolan the Ninja
F-ck the Hype EP

Left of Center - 2015

A l’époque du Japon médiéval, les Ninjas étaient des guerriers chargés essentiellement de missions d’espionnage, d’infiltrations ou d’assassinats. Pour arriver à leurs fins, ils se montraient extrêmement furtifs, patients et disciplinés. Autant de qualificatifs qui ne s’appliquent pas du tout à F-ck the Hype EP et à son auteur, Nolan « The Ninja » Chapman. Sur son dernier projet en date, le rappeur de Detroit se révèle en effet bruyant à l’extrême et bordélique au possible. Pas question d’être aussi discret qu’un chat mais plutôt de s’exciter comme un chien des stups dans la villa de Snoop. « Nolan the Ninja », c’est un peu comme si Eminem avait choisi comme nom de scène « Marshall the straight edge ».

Une fois ce décor planté, reconnaissons quand même une certaine agilité au garçon : c’est à un numéro d’acrobate constant qu’il se livre tout au long des onze pistes, toujours à deux doigts de tomber dans la bouillie sonore. Nolan débite ses textes d’une voix de trépané, en accordant une attention toute aléatoire aux histoires de refrains ou de structure, et en empilant les pistes d’adlibs. A tel point que quand les plus conventionnels Phat Kat, Finale ou Hassan Mackey déboulent au coin d’un morceau, on a l’impression d’entendre des oiseaux chanter.

« « Nolan the Ninja », c’est un peu comme si Eminem avait choisi comme nom de scène « Marshall the straight edge ». »

Pourtant, F-ck the Hype a quelque chose d’étonnamment addictif. Déjà, ce parti-pris du foutoir total rend forcément Nolan attachant. Ensuite, derrière le flow blitzkrieg, il y a clairement de la maîtrise. Il n’est pas donner au premier venu de lâcher des « couplets » comme ceux de « deploi », « gusto » ou « cultivation ». Quand il calme (un peu) le jeu pour évoluer dans un registre plus orthodoxe, par exemple sur « fruition », le Ninja autoproclamé se révèle même un rappeur tout à fait correct, tant dans les placements que dans le texte.

Côté musique, de grandes orchestrations ou une multiplication des samples n’auraient pas servi à grand chose, la voix de Nolan emplissant déjà une grande partie de l’espace sonore. Du coup la simplicité prime : une boucle et un gros breakbeat suffisent, et de manière générale la recette est efficace. Parfois, la production s’affranchit même des drums (« live neguz », « emolument »), laissant encore plus de place à Nolan pour foutre le bordel. « reel sh-t », morceau de clôture, remet le garçon dans son contexte d’origine, dans un style très « J Dillien » (l’instru est d’ailleurs signé d’un certain « Jay P »).

Fatalement, on sort de tout ça un peu lessivé. Mais l’énergie folle déployée par Nolan the Ninja a aussi quelque chose de formidablement galvanisant, quelque part entre R.A. The Rugged Man époque Crustified Dibbs, Jimmy Greek et Seth Putnam. On se prend à tenter d’imaginer la suite : est-il possible de défendre une œuvre comme ça en concert ? Un F-ck the Hype LP serait-il supportable pour le commun des mortels ? Au fond, peu importe. Comme beaucoup de projets de rap sortis ces derniers mois, F-ck the Hype a probablement été conçu sur le moment, pour le moment, sans souci de postérité quelconque. Alors quitte à l’avoir oublié dans trois mois, autant profiter de cette expérience sonore plutôt étrange comme Nolan the Ninja : sans aucune retenue.

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