Sidekicks

Il faut croire que les deux larrons de Hits Alive ont pris leur nom au pied de la lettre. Mayer et Martinezz, fans de films d’horreur et producteurs horriblement doués, viennent de sortir « JCVD » avec Dixon. Depuis son départ précipité de la structure Golden Eye Music, le rappeur séquano-dyonisien semblait faire le mort, ou plutôt le croque-mort, comme l’indiquait son titre « Undertaker ». Sur sa première collaboration avec Hits Alive, Dixon, revanchard, a l’air de revenir d’outre-tombe, revitalisé par l’instrumental tout droit sorti du labo de Victor Frankenstein venant d’être frappé par la foudre. Appuyé par un clip façon grand détournement, mais sauce Jean-Claude Van Damme, le morceau annonce le projet OST : Original Sound Tracks des deux producteurs, et peut-être, sait-on jamais, une collaboration sur le plus long terme avec Dixon.

Chicago n’a pas fini de nous étonner. Entre la vague Drill qui dure malgré ses détracteurs et les succès du crew Save Money, Chance et Vic en tête, on a vraiment de quoi se mettre sous l’oreille. Et voici un nouveau challenger. Clark AirLines est présent depuis quelques années sur la scène locale mais augmente la cadence en 2015 pour conquérir le monde. Sa force : un flow tout terrain et des vidéos léchées très ré-créatives qu’il réalise lui même. Cette science du fun tout-en-un apporte une fraîcheur devenue rare chez les jeunes artistes indépendants. A l’écoute de TrillAir EP, on se dit que le timbre chevrotant de Clark AirLines risque de nous titiller encore un moment. Comme un petit vieux qui nous racontent des histoires grivoises assis sur son banc. On a toujours envie de connaitre la suite.

Après avoir offert un morceau inédit à Stephen Colbert pour la dernière du Colbert Report, Kendrick Lamar était le premier invité musical de la nouvelle émission de l’animateur. Pour conclure The Late Show, le rappeur de Compton a interprété un incroyable medley de To Pimp A Butterfly et en a profité pour donner tort à ceux qui pensent que le rap est forcément ennuyeux quand il est pratiqué avec des musiciens. Une prestation intense qui donne une autre vie à « Wesley’s Theory », « Momma », « King Kunta » et « u ». De quoi patienter avant l’album de Jay Rock.

Crown, I.N.C.H., Gabz du collectif Le Gouffre, Shaolin, DJ Simsima, DJ Low Cut… Ces dernières années, le rappeur new-yorkais The AbSoulJah a multiplié les collaborations avec des beatmakers hexagonaux, en particulier sur les très bons Dim the Light (2014) et When the Moon Shines (2015), ses deux derniers albums. Aujourd’hui, c’est avec le producteur parisien Ugly Tony qu’il s’allie, non pas pour quelques morceaux mais pour un projet commun baptisé The Author Illustrates, dont la sortie est prévue vendredi 11 septembre. Au menu : 14 titres, sans featuring (en dehors de DJ Low Cut), d’un boom-bap particulièrement consistant si l’on en croit le trailer mixé par DJ Duke, et une superbe pochette signée Ghettoblaster (Just Do Hit).

Leur collaboration ne date pas d’hier. « J’ai découvert The AbSoulJah en 2007 sur le premier album d’Al’Tarba, se souvient Ugly Tony. Voix, flow, ambiance… J’avais trouvé son style inimitable. Je bossais alors sur mon premier projet, At Nightfall, et j’ai décidé de le contacter via Myspace pour lui proposer un son ». Il en résultera le titre « In Between the Lines »… puis un certain nombre d’autres, parus ou inédits, réunis en mars dernier sur le EP gratuit Sketched in Outlines.

La « bonne connexion musicale » entre le beatmaker parisien et le MC du Queens les a alors décidés à se lancer dans la conception d’un projet commun. Si le travail s’est d’abord fait à distance, les allers-retours réguliers d’AbSoulJah entre New York et Paris ont permis d’entretenir et de développer en studio la bonne dynamique créée via internet. Et de bâtir The Author Illustrates petit à petit, sur la durée. Ugly Tony : « Au final, on est devenus potes. Depuis 2009, que ce soit pour des concerts, des clips ou enregistrer des sons, il revient tous les ans en France et dort parfois à la maison. On en a donc profité pour chaque fois affiner le projet, entre deux bouteilles de vin rouge ! ».

Après avoir travaillé avec une trentaine de MC’s internationaux sur At Nightfall (2011), puis avec Phil The Agony le temps d’un EP (Antagonysm, 2014), Ugly Tony, membre du collectif Sick Digger, poursuit donc son ouverture par-delà les frontières hexagonales. Et compte bien continuer dans cette voie : le beatmaker parisien planche actuellement sur son nouvel album, qui s’intitulera Time Flies et sur lequel devraient être présents, entre autres, Edo. G, Ruste Juxx et Vakill.

C’est officiel : Oxmo Puccino est de retour avec un huitième album. Le huitième projet d’une carrière atypique dans le paysage hexagonal qui l’a vu aussi bien croiser le micro avec Dany Dan qu’avec Olivia Ruiz, poser sur des instrumentaux de DJ Mars et d’Ibrahim Maalouf. Sur Twitter, Oxmo a donné quelques indications au sujet de La Voix Lactée : « il sera plus marqué hip-hop » que ses derniers projets et il n’y aura aucun invité (on n’aura donc pas de suite à « J’rappe pour rien » en 2016). Histoire de faire patienter son public, Oxmo vient de mettre en ligne le clip de « Une Chance » dans lequel on le voit notamment mis en images sous un graphisme qui rappellera les plus grandes heures d’Actua Soccer à certains nostalgiques. En attendant le 13 novembre prochain.

Que faire quand on a produit « Niggaz in Paris », l’hymne d’une génération ? Cachetonner auprès de toutes les stars de l’industrie ? Fricoter avec les égéries pop les plus inavouables ? Inviter tout ce beau monde sur un album solo dégoulinant ? Hit-Boy n’a pas choisi cette voie. Il préfère égaliser sa carrière des deux côtés du microphone et mettre en avant son groupe de potes HS87, avec un morceau déjà classique en prime. L’homme a l’air de faire exactement ce qu’il veut, sans contrainte. Et nous sommes les premiers gâtés.

La surprise de cette fin d’été se nomme Zoomin et laisse encore Hit-Boy sur cette même ligne, presque en dehors de tout ce jeu. On retrouve cette manière agaçante de tourner des violons classiques en bourrique et de les clouer de batteries coups de feu. Chaque morceau montre une aisance dans le grandiose, sans jamais quitter les pieds du sol. En 5 titres, Hit-Boy créé la mini bande originale d’un film qu’on n’a pas encore vu. Zoomin est la courte profession de foi d’un futur encore à écrire.

A noter la présence sur deux morceaux de Quentin Miller, le fameux ghostwriter de Drake. Pied de nez efficace face au bruit estival ambiant ou juste une façon de montrer que rien n’est calculé ? Même dans les détails, Hit-Boy reste toujours à contre courant.

Dans le documentaire The Ecology sorti au même moment que l’album du même nom, l’entourage de Fashawn revient sur son parcours, avec quelques anecdotes choisies. Ses années à bouffer des gros cailloux à Fresno, en Californie, son adolescence chaotique et les étapes franchies jusqu’à sa signature chez Mass Appeal. Plus de six mois se sont écoulés depuis la sortie de son second long format, soit une éternité. Mais demain, mardi 8 septembre, il sera dans notre bonne vieille capitale, au Batofar, sur le quai François Mauriac, dans le treizième arrondissement. Une vraie belle occasion de célébrer (de nouveau) The Ecology, un album longuement pensé qui fait la part belle à la famille de cœur – Exile et Aloe Blacc en tête.

Sur The Devil Hates Pretty, le nouvel album de Lord Lhus disponible depuis le 18 août à la vente et que le rappeur originaire de Caroline du Sud a lui-même posté en intégralité sur YouTube la semaine dernière, il y a beaucoup de morceaux de découpeur d’instrus, des morceaux horrorcore, des morceaux de rap un brin gueulards sur lesquels l’ancien membre du groupe Bloodline force sur sa voix pour en accentuer l’aspect rauque, écorché et menaçant. Il y a beaucoup d’agressivité et de colère, dans la grandiloquence, dans le minimalisme comme dans le grondement des guitares d’un remix, dans l’egotrip, dans ses textes plus politiques. Il y a une énergie, une force de frappe, une maîtrise et une dalle qui font plaisir. Il y a aussi des scratches bien placés, des samples de films d’horreur, des ambiances oppressantes. Il y a des batteries qui tapent fort, des prods de Jace Abstract et du Français I.N.C.H. Il y a un titre clippé formidablement efficace, qui gagne à être écouté sans sa vidéo.

Et puis il y a « Under Standing ». Trois petites minutes placées en fin de projet, durant lesquelles Lord Lhus rappe comme un mort-de-faim en mode introspectif, avec sa « voix normale » – et c’est alors comme s’il tombait le masque, délaissait un court instant son costume de scène et refermait la porte de sa loge pour se retrouver seul devant le miroir. Une démonstration de fluidité sur quelques notes de piano et une rythmique rappelant Havoc, qui détonne et laisse bouche bée, avant de se clore sur un extrait du Hagakure lu par Forest Whitaker dans Ghost Dog.

Il y a donc beaucoup de raisons de prendre le temps d’écouter en hochant la tête celui qui met des gifles depuis une poignée d’années, qu’on le voie gesticuler dans la neige avec Psych Ward ou dérouler sur des prods d’Al’Tarba, avec lequel il avait sorti un très bon projet en 2013.

Lil Herb a sorti un des albums les plus consistants de l’année 2014. Welcome to Fazoland nous a plongé dans un Chicago en guerre, créant le son du métal, strident et étourdissant. Depuis, il a changé d’alias pour G Herbo et continue de nous tourmenter avec les fantômes de ses amis tombés au champs de bataille. La pression est toujours là dans ce nouveau clip, « No Limit », annonçant sa signature chez Cinematic Music Group et la sortie de Ballin Like I’m Kobe, mixtape repoussée à l’extrême. Un titre nerveux avec un refrain familier mais singulier : la reprise du tube de 2 Unlimited, groupe belge d’Eurodance 90’s.  Ce pari difficile relie la ville la plus dangereuse des USA avec les clubs populaires du Benelux, époque fluo tuning. Le mélange parait audacieux mais trouve écho dans la voix gravier de Lil Herb et ses accents parfois UK. Une faille spatio-temporelle digne d’un épisode de Rick & Morty.

L’excellent Mad Max: Fury Road de George Miller ne brillait pas seulement par ses scènes d’action brutales et poussièreuses, mais aussi parce qu’il inversait les codes du film d’action viril : le personnage de Tom Hardy n’était qu’une ombre mutique, tandis que le centre émotionnel du film reposait sur Furiosa, incarnée par Charlize Theron, et les quatre « épouses » en fuite. Un point de vue suffisament singulier pour que Fury Road gagne rapidement ses galons de « film féministe ».

Étonnamment, cette lecture du film semble avoir échappée à Seth Gueko. Pour le clip de « Val d’Oseille », le rappeur du Val d’Oise décide de reprendre l’imagerie post-apocalyptique de Mad Max, mais son interprétation du film est toute personnelle : ici, les femmes redeviennent de vulgaires objets décoratifs (quand elles ne sont pas purement et simplement démembrées), tandis que le « héros » déverse une logorrhée misogyne pendant un dernier couplet nauséeux, où seules les « daronnes qui balayent » apparaissent dignes d’estime. Professeur Punchline, son prochain album, sortira le 6 novembre, et il contient notamment la phrase « Fais-moi une pipe au miel, sur la bite j’ai une abeille. » 2015 restera donc jusqu’au bout une année de ténèbres.