Vîrus : « La dérision, c’est l’alternative aux impasses »
Interview

Vîrus : « La dérision, c’est l’alternative aux impasses »

Obsédé textuel en cavale, Vîrus a frappé en 2011 trois coups secs à la porte du rap en français. Petit footing de décrassage en compagnie d’un espoir inespéré, revenu de déjà bien des raisons de désespérer.

et Photographie : Jérôme Bourgeois

Abcdr Du Son : Il y a eu 15 août, 31 décembre, 14 février puis Le choix dans la date. Peux-tu expliquer la direction artistique du projet ?

Vîrus : Au départ il s’agissait d’un projet de EPs numériques. Ce projet s’est par la suite concrétisé en physique, à la fois pour répondre à une demande et aussi pour se faire plaisir, à nous.

A : Comment cette trilogie a-t-elle commencé ?

V : 15 août est sorti le 1er novembre 2010, mais c’est bien le 15 août précédent que tout avait commencé. C’était un dimanche, j’étais en Normandie, il pleuvait – normal, quoi. Je venais de recevoir quelques sons de Banane, je commençais à écrire des morceaux. Ce dimanche 15 août, je l’ai appelé : « Tu fais quoi ? – Bah, je suis sur ma MPC. » En clair, lui et moi faisions la même chose au même moment. Ces quatre titres, au départ, c’était juste histoire de s’occuper. Ensuite, il y a eu comme d’habitude beaucoup d’autres dimanches pluvieux…

A : De ces quatre premiers morceaux, lequel as-tu écrit en tout premier ?

V : Le point de départ, c’était « Saupoudré de vengeance ». J’entrais dans des sphères où je me sentais bien. Ça va même plus loin : quand je suis arrivé au bout de ce morceau, la première chose que je me suis dit c’est « Enfin ! » Enfin je crache le fond des choses.

A : Comme si l’instru avait réveillé la bête…

V : Voilà. Derrière, les quatre titres ont été écrits très vite. Il faut dire qu’il y avait déjà tellement de phases réfléchies en amont… Du coup, une fois 15 août bouclé, 31 décembre est arrivé assez vite.

A : Tu ponds donc huit titres en quelques semaines, alors qu’entre 2005 et 2010 tu t’étais fait plutôt rare. Comment expliques-tu cette accélération ?

V : Pendant toutes ces années, je me suis toujours considéré en stand-by, en pilote automatique. Il y avait sans doute deux raisons à ça. D’abord, je n’avais tout simplement pas le déclic ; ensuite, j’ai clairement eu du mal à retrouver une entente artistique et humaine comme j’avais pu l’avoir avec Schlas… Sincèrement, je crois qu’avant toute concrétisation il y a une phase nécessaire de tâtonnement. Mine de rien, ce temps de latence, il nourrit ta créativité. C’est comme le chômage, ou même les périodes où un enfant dit qu’il s’ennuie. C’est là que le cerveau turbine. Une fois que c’est parti, t’es armé. Moi je crois beaucoup aux vertus de l’ennui.

A : Tu t’ennuies beaucoup ?

V : Uniquement en compagnie des gens [Rires]. Non, plus sérieusement, je me méfie des hyperactifs, je crois qu’au fond ils ont peur d’être seuls. Entre l’ennui et l’hyperactivité, il doit être possible de trouver un juste milieu, non ? C’est comme ceux qui passent directement de chez leurs parents à chez leur copine, il y a une étape de solitude qui manque dans la construction de leur individu, je pense. Comme je le dis dans un morceau, c’est à toi d’optimiser tes instants de solitude. La solitude, l’ennui, ce sont des statuts comme les autres. Il n’y a aucune raison de les fuir. Ni aucune raison de se fuir.

A : Ça me rappelle une phrase de Sako qui disait « Je n’exhorte qu’à l’introspection ».

V : Voilà. En tant qu’auditeur, quand le mec me chie qui il est, je sais tout de suite avec qui je vais m’entendre ou pas. Il y a ça, et il y a les mecs qui disent « je » plutôt que « on ».

A : C’est-à-dire ?

V : Quand tu dis « je », tu te mouilles, tu t’engages. Tu assumes. « On », c’est plus confortable, moins risqué, même si j’avoue, je l’utilise assez souvent… Par exemple tu vois, moi qui suis un gros bouffeur de films, je viens de m’acheter le DVD de Festen. Typiquement dans ce film, tu as un gars qui prend la parole en disant « je », et qui fait voler en éclats une mascarade familiale. C’est pas évident de cracher ses vérités à une assemblée. La vérité est toujours plus facile à dire en tête à tête, pendant une pause clope, que face à un groupe de personnes. C’est pour ça que mon respect va vers les mecs qui ont le cran de dire « je ».

« Forcément tu cultives ce côté revanchard après tant de temps à fermer ta gueule, à répéter que oui c’est toujours toi le dernier au courant quand il pleut [Rires].  »

A : Tu parlais de tête à tête. Peux-tu nous en dire plus sur ta relation avec le producteur Banane ?

V : Écoute, il me semble que j’ai compris un truc. Quand tu avances dans la vie et dans ta tête, tu te crées les rencontres qui te permettent de devenir celui que tu aurais dû être, pour paraphraser Booba. Entre Banane et moi, c’est super naturel. Quand il chie un son, il me dit « ça c’est pour toi« … Un beatmaker, c’est un MC qui rappe avec les mains. Parfois, je pense à un dialogue à insérer, et en général il s’insère pile. A d’autres occasions, nous avons les oreilles qui grincent au même moment. Quand ça glisse tout seul comme ça, et que ça se répète, tu sais que tu es tombé sur le gars qu’il te faut.

A : Comment vous êtes vous rencontrés ?

V : Par des connaissances communes, vers 2008, 2009. Il était à Paris, moi à Rouen. Il m’a envoyé des sons, j’ai écouté et direct je me suis dit « putain, enfin ! » Le son qu’il apportait, c’était l’ambiance vers laquelle je voulais aller. C’était l’écrin que j’attendais pour pouvoir m’exprimer.

A : Quelles sont les caractéristiques de ses sons ?

V : Je dirais que ce sont des sons qui t’obligent à être consistant. Ce sont des instrus destructurés, qui brisent les conventions. Au fin fond de nos inspirations respectives, tu retrouves des poings dans la gueule en commun. Ces morceaux, ce sont des heures passées à deux dessus. Nous étions bien loin de l’esprit de ces enregistrements où le délire ultime est de ramener ses potes pour refaire la déco du studio. Ici, l’humain est clairement au centre du projet.

A : Tu disais être basé à Rouen. Nous avons récemment interviewé un gars de chez toi qui nous a dit beaucoup de bien à ton propos. Ce gars, c’est Lalcko…

V : Ah Lalcko… Quelle plume de ouf il a ! Oui, il est passé par Rouen. Artistiquement, humainement, ça a toujours été un « grand ». C’est un gars qui me tire vers le haut et aussi un des rares rappeurs qui te pousse à taper sur Google ou à ouvrir un dictionnaire. Même si j’ai toujours eu ce statut de « petit », c’est quelqu’un avec qui je peux avoir des discussions de fond et avec qui je peux vraiment me marrer.

A : Ça rejoint un point soulevé dans une des trois chroniques, ce côté qu’il fallait gratter derrière la noirceur apparente des textes et qu’au fond, tu ne pouvais pas être si triste que ça…

V : Mais complètement ! Quand j’ai lu ça, je me suis dit que tu avais saisi la dimension 3D du truc, et ça m’a fait bien plaisir. J’ai apprécié que tu ne t’arrêtes pas à la façade. Il faut bien comprendre que si nous faisons tout ça, faut qu’en retour les gens se marrent un peu. Les mecs qui ne rigolent jamais, les moines, sur le long terme, moi je n’y crois pas trop.

A : Pourtant le mode de fonctionnement que tu décris apparaît assez solitaire…

V : Oui et non. En fait c’est l’expérience du groupe qui m’a permis de savoir que ce modèle de fonctionnement collectif n’était pas pour moi – ou plutôt que je n’étais pas fait pour ça. L’union ne fait pas toujours la force, et ça j’en suis convaincu.

A : Pourquoi ?

V : Dès que les mecs ne me voyaient pas pendant deux jours, la question à mon retour c’était : « Putain enculé, t’étais où ? » Moi qui aime bien prendre la tangente, ça ne pouvait pas trop coller… A côté de ça, tu vois, le binôme ça me convient davantage.

A : Et le couple ?

V : Ah le couple…

A : Je te pose la question à dessein, vu le morceau « L’ère adulte » et le clip qu’en a tiré Tcho. Tu sembles plutôt pessimiste sur le sujet, non ?

V : Je crois que le fait d’écrire sur un thème te fait anticiper sur les tenants et les aboutissants liés à la question. A titre personnel, j’ai toujours pris garde à mon investissement, à ne pas rendre les autres indispensables. J’ai trop vu de couples lambda pour qui le temps ne joue pas en faveur de l’histoire. Nous vivons dans la société de l’adultère, et ce qui me débecte aujourd’hui le plus ce sont les donneurs de leçons, les mecs qui te toisent en te disant « moi j’ai un crédit et une meuf. Et toi ? » Mais si tu savais combien de gens réfléchissent juste à comment faire tenir leur histoire, ou qui se demandent quotidiennement si leur meuf ne va pas se faire baiser ailleurs… T’as eu l’affaire DSK, qui a permis à plein de gens de se lâcher sur le sujet, mais je crois que le malaise est vraiment profond et surtout beaucoup plus répandu qu’il n’y paraît. C’est peu ou prou ce que je dis dans « L’ère adulte ».

A : Une autre tartufferie que tu relèves, c’est dans « Nouvelles du fond », quand tu dis que « les élèves du LEP sont surnommés les lépreux »…

V : Je n’invente rien, je suis moi-même passé par la case LEP et, rien qu’entre nous, c’était le genre de piques qu’on s’envoyait. Maintenant c’est toujours le même débat : se vanner entre « lépreux« , OK, mais quand la vanne vient de l’extérieur, tu la reçois pas pareil… Tu sais moi je pense que la confiance en soi, ça s’inculque, ça se transmet. C’est quelque chose qui remonte à la paire de couilles d’où tu es parti. C’est le rôle des parents, de l’entourage. Si ça merde à ce niveau, déjà que le parcours s’annonçait galère, là il devient… encore plus galère [Rires] !

A : A propos de confiance en soi, il y a une question qui va te surprendre mais qui me semble importante : combien mesures-tu ?

V : 1,65 m. Pourquoi ?

A : Parce que ta grille de lecture me semble celle de quelqu’un de cette taille-là, qui observe les choses légèrement par en dessous… Il n’y a rien de connoté dans cette remarque, hein…

V : Oui, je vois ce que tu veux dire. C’est vrai qu’à cette « hauteur », t’es obligé d’être précis dans tes descriptions si tu veux être entendu. T’es plus petit donc t’as plus à prouver que les autres… [Il réfléchit] C’est marrant que tu dises ça parce que c’est vrai qu’en y repensant, non seulement j’ai souvent été le plus petit physiquement, mais je traînais aussi très souvent avec des mecs plus vieux que moi. Donc ce personnage du « petit », il s’est construit petit à petit, alimenté par un manque de confiance indéniable qui m’a permis de cultiver ce côté super observateur.

A : D’où donc cette plume hyper précise, où chaque qualificatif semble soupesé…

V : Forcément. Forcément tu cultives ce côté revanchard après tant de temps à fermer ta gueule, à répéter que oui c’est toujours toi le dernier au courant quand il pleut [Rires]. Tu connais le truc : la connerie d’un grand fera toujours plus de bruit que la vérité chuchotée d’un petit. Au fond, si tu regardes bien, notre société est plutôt complexante pour les gens de petite taille. Nous sommes trop nombreux alors il faut éliminer. Moi je dis : OK, venez. Essayez voir.

A : J’imagine que c’est la même en sport – tu fais bien du sport ?

V : Et comment que c’est la même ! Moi mon sport à la base, c’était le foot. Et au foot aussi, tu retrouves cette hargne… Au foot, j’avais un kif : j’ai toujours aimé faire un petit pont à un grand con. Le mec direct il te court après puis il s’arrête parce que soi-disant il a une crampe… Ouais, d’accord [Sourire].

A : Tu as joué longtemps au foot ?

V : Jusqu’à l’adolescence. Il y avait ce côté club, sport co, cette vie au grand air qui m’attirait, mais je n’ai quand même pas continué alors que de gros espoirs avaient été placés en moi. Certains pensaient que je finirais « à la télé« . J’ai d’ailleurs recroisé un ancien coach y’a pas si longtemps qui m’a dit que j’aurais au moins pu en faire mon métier. C’est fou quand même quand tu te rends compte combien de décisions prises à cet âge-là ont des conséquences pour ta vie entière…

A : Oui et d’ailleurs ça se retrouve jusque dans le choix de ton nom d’artiste. Pourquoi cet accent circonflexe, au fait ?

V : Tout simplement parce qu’il existait déjà plusieurs Virus sans accent.

A : Et pourquoi ce nom de Vîrus ?

V : C’est parti d’une remarque d’un pote, à l’adolescence. Il m’a dit « Toi t’es un vrai virus« . Quand j’y ai repensé, j’ai réalisé que ce côté minuscule qui crée de gros dégâts m’allait bien. Je suis donc resté fidèle à ce truc-là, cet idée de l’entité difficile à identifier et à arrêter. Toujours cette idée du petit qui court plus vite que les gros, décidément… Et puis Vîrus, c’était aussi l’anagramme de Survie, à une lettre près. Bref, c’était le blase parfait.

« Quand je suis arrivé au bout de ce morceau, la première chose que je me suis dit c’est « Enfin ! » Enfin je crache le fond des choses. »

A : A présent que tu as expliqué la genèse du nom, il faut que tu nous en dises plus sur cette histoire de dates. C’était quoi l’intention ?

V : C’est purement symbolique et il y a peut-être aussi, c’est vrai, une sorte de côté fétichiste avec les chiffres. Le 15 août, pour moi, c’est ce week-end où des milliers des gens partent de chez eux avec l’intention de kiffer le moment et se retrouvent au final coincés dans les bouchons, en train de traiter tout le monde de cons. Ça tu vois, ça ne me fait pas rêver. Je trouve même que c’est presque morbide. J’ai envie d’autre chose.

A : Pareil pour le 31 décembre ? C’est aussi cette idée de ne pas réveillonner avec la masse ?

V : Oui, c’est ça. Tu sais, le Jour de l’An, je l’ai longtemps fêté. Pour moi c’était avant tout une occasion de se bourrer la gueule… Et puis en analysant, je me suis rendu compte que, quelque part, c’était bien confortable de faire comme tout le monde. Mais quand tu regardes objectivement l’événement, tu fêtes quoi, au fond ? T’as vraiment des trucs à fêter ou est-ce que tu suis juste le mouvement ? A un moment donné, je me suis posé la question du sens de ces « fêtes ». Noël, le côté religieux, tout ça ne me parle pas du tout. J’ai plutôt l’impression que la calendrier a été fléché par quelqu’un d’autre, et qu’à la case 25 ou 31 décembre, il y a marqué « vas-y, oublie tout, bois, mange, danse, sois content« . Mais si j’ai pas envie ? Si, justement, je n’oublie pas tout le reste ?

A : Hey, c’est tendu d’être Vîrus, en fait…

V : Même pas ! Moi aussi, plus jeune, je cherchais des plans pour le 31. Mais c’était plus dans l’optique « attends si j’ai rien, je suis un galérien ». C’était une fête contrainte… Petit à petit, j’ai cherché à m’affranchir de ça. De toute façon, je vais te dire une chose : c’est dans ces contrepieds que tu affirmes ta position et que tu bâtis ta réflexion. Au départ, c’est une attitude qui a l’air difficilement tenable. A l’arrivée, tu te rends compte que t’es loin d’être tout seul à gamberger sur ces sujets-là.

A : Ce qui vaut pour le 31 décembre vaut aussi pour le 14 février, j’imagine…

V : C’est même décuplé. Tu sais, dans ces occasions-là, moi je pense d’abord aux absents. Ce sont des fêtes terriblement excluantes, tu ne trouves pas ? A la limite moi mon kif à la Saint-Valentin, ce serait de poser un lapin à ma meuf [Rires] . La voir arriver toute pimpante et, au fil des minutes, qu’elle se rende compte qu’il y a un truc qui cloche. Là, ça aurait du sens ! Là il y aurait une réflexion… [Il réfléchit] Encore que tout ça soulève tout compte fait une autre question : pourrais-je véritablement considérer comme ma meuf une conne qui se pointe à ce genre de rencard ? [Rires]… Bref, quoi qu’il en soit, ce truc de moutons, là, tel quel, pour moi c’est juste non merci.

A : De la fête à la défaite, il y a moins qu’un pas, si je te suis bien…

V : C’est surtout que je trouve ça déplacé. Juste déplacé. Si tu veux, j’ai hâte d’être en 2050 pour voir comment vont évoluer les schémas familiaux. Rester ensemble juste pour se faire remarquer, faire l’apologie d’une école laïque tout en fêtant Noël… Il y a beaucoup d’hypocrisie et de lâcheté derrière tout ça. Si nous, individus, voulons que la société se regarde dans la glace, nous devons nous-mêmes nous astreindre à cet exercice-là.

A : L’humour chez toi, c’est un réflexe de survie, du coup ?

V : L’humour permet de survivre, c’est clair. La dérision, ça permet de se sortir de pas mal de situations, c’est l’alternative aux impasses. Regarde le succès des humoristes aujourd’hui, qui te disent en gros « je vais vous parler de votre vie de merde« . Regarde comme les politiciens usent et abusent des « opening jokes« , ces blagues qu’ils placent sciemment en début de speech pour détendre tout le monde… C’est tout un art. Il en faut peu pour verser dans le cynisme et l’aigreur, et j’en suis le premier conscient. Quand t’es ado, c’est par tes vannes et ton sens de la répartie que tu consolides ta place. Quand t’es adulte, tu apprends à doser le poids de tes mots. Parfois tu appuies, parfois tu lèves le pied. Tout dépend de l’auditoire et du seuil de tolérance. « Ta mère la pute« , il y a des gens pour qui c’est anodin, d’autre pour qui il y a mort d’homme. Les mots, ça s’apprend.

A : A propos d’apprentissage, quel type d’élève étais-tu à l’école ?

V : Moi l’école, c’est simple, j’y allais davantage pour les temps de pause même si je me démerdais pas mal. A la rigueur je kiffais les rédacs car j’avais une bonne mémoire et je ne parlais pas, j’observais. Et, dès 12 ou 13 ans, tout ce que j’observais, je le couchais sur le papier… Idem pour les cours d’anglais. T’apprenais dix fois plus de choses en écoutant seize mesures d’un morceau de rap américain qu’en répétant « Vanessa is in the kitchen » toute la journée !… L’école républicaine a beaucoup de qualités mais il lui en manque une énorme : le sens. Quel est le sens de ce que nous apprenons ? Où est-ce que ça nous mène ? Quelqu’un te l’a vraiment expliqué à toi, au début ? Moi non.

A : Tu disais pourtant bien aimer les rédactions…

V : Oui, et encore une fois c’est l’impact des mots qui m’a fait comprendre leur importance. A partir du moment où j’ai compris que j’avais cette arme, restait à trouver la cause au service de laquelle j’allais la mettre.

A : Cette cause, tu l’as trouvée ?

V : Disons que cette trilogie et Le choix dans la date ont rendu possible le fait de pouvoir dire certaines choses. Et pourtant…

A : Pourtant ?

V : Pourtant je n’ai pas l’impression d’avoir attaqué le gros morceau. Il y a une évolution, c’est indéniable, y’a même un con récemment qui a dit que j’avais « mûri ». Cette évolution, je la sens dans le regard des gens. Je sens que des mecs se disent « lui, il est armé« . Après, il y a des paliers à franchir, c’est clair.

A : C’est ce que tu dis quand tu dis « Plus dur de se mettre à nu que de se mettre à poil »…

V : Oui, et je poursuis en disant « la dernière fois que j’ai essayé ça lui a sapé le moral« . Pour moi la musique, c’est comme un vide-poches et, à ce jour, je pense que mes poches sont loin d’être vides !

A : Côté concerts, ça donne quoi ? C’est un univers qui ne doit pas être évident à défendre sur scène…

V : C’est vrai qu’au départ, vu le registre, l’idée même de faire un concert ne m’était pas venue à l’esprit. Et puis nous avons eu des propositions, et c’est en faisant que nous nous sommes rendus compte que cet univers était tout à fait défendable sur scène. Le live, je kiffe vraiment, et je suis frappé de voir la diversité de personnes touchées par les morceaux.

A : En amont de cette trilogie, il y a ce parti-pris de balancer tout ça en téléchargement gratuit. Qu’est-ce qui t’a conduit à opter pour cette approche-là ?

V : Le côté immédiat. Je restais sur de mauvais souvenirs de morceaux sans cesse repoussés et qui ne sont au final jamais sortis. A un moment, tu finis par confondre la fin et les moyens. Moi ce que je voulais c’était cracher. Réduire au maximum le laps de temps entre l’enregistrement et la diffusion. Surtout ne pas réfléchir à une stratégie, si ce n’est essayer de s’en tenir à cette histoire de dates – d’où certains morceaux dont les mixes ont été terminés la veille [Rires]. Au final, je suis totalement satisfait car je sais que si j’avais écouté certaines personnes, au jour d’aujourd’hui rien ne serait encore sorti.

A : Buena Vista Sociopathes Club, Rayon du Fond, tu peux expliquer ?

V : Le Buena Vista, c’est un délire avec Tcho. L’idée en gros c’est de dire : ça va pas mais on vous baise quand même. Il y a le côté salsa du Buena Vista et le côté « j’ai pas envie de chercher des copains » du Sociopathes Club. Voilà le projet.

A : Et Rayon du Fond ?

V : C’est une structure que nous avons créée en 2006 et qui s’articule autour d’une équipe restreinte. A la base, il y a Maurice, Schlas, Bachir et moi. Notre point commun, c’est que nous avons tous une âme de solitaires. Nous avançons à notre rythme, sans stress. Ce qui doit se faire se fera. L’important est de sortir des choses qui restent, qui durent.

A : Côté visuels, il y a une vraie recherche, tant au niveau des pochettes que des clips. Ça aussi c’est collectif ?

V : Non, ça c’est surtout Tcho et aussi pas mal d’idées de Bachir. Tcho, il ne te met pas en images ta musique, il rentre dans ta tête. Le clip de « Faites entrer l’accusé », par exemple, moi j’étais parti sur un clip en forêt, et lui a amené cet univers assombri mais plausible, ce tueur qui peut être ton voisin…

A : Tiens d’ailleurs tu as eu des nouvelles de Christophe Maé [Allusion à un passage du clip de « Faites entrer l’accusé » ou le personnage se masturbe dans sa voiture en écoutant du Christophe Maé, NDLR] ?

V : Aucune [Rires]. Bon c’est tombé sur lui, ç’aurait tout aussi bien pu être Annie Cordy. Le but, tu l’as compris, c’était de chier sur un symbole. Parce que le fond du morceau ne s’arrête pas à ça. Les pensées tordues qu’a le personnage, tout le monde les a. La différence, c’est que lui il passe à l’acte. C’est un peu comme l’histoire de Jean-Claude Romand. Le danger vient du silence, des apparences, des faux calmes.

A : Bueno. Arrivé au terme de cette trilogie, matérialisée par Le choix dans la date, comment te sens-tu ? Je pense au moment où tu cries « Lis tes ratures ! » ou à celui où tu annonces « Passionné de musique, forcément orphelin d’autre chose ». Est-ce que tu te sens mieux ?

V : Au mieux, ça va moyen. En fait je me méfie du bien. Certes il y a de bons retours, des gens ont été touchés par le travail et ça, ça nous a touché à notre tour. Le but maintenant c’est de pousser le truc et, à un autre niveau, de s’accepter en tant que personne. Sur ce dernier point, je repense souvent à une phrase de Al : « Il y a des choses que tu peux combattre et d’autres que tu dois admettre. » Aujourd’hui j’en suis là.

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