Vince Staples n’est pas le nouveau Ice Cube
Interview

Vince Staples n’est pas le nouveau Ice Cube

Ice Cube, déterminisme social, relève du rap californien et Kanye West : on a passé quinze minutes avec Vince Staples.

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Mercredi 8 juillet 2015, 18h. On arrive à la Bellevilloise, les balances commencent tout juste. Corey, le manager carré, teste le micro sur scène tout en restant pendu à son téléphone. Entre deux “One-Two, One-Two”, les consignes sont très précises : “mets deux dB de plus sur ce retour s’il te plait”. L’entourage est professionnel. Arrive alors un jeune effilé, à l’air souriant mais détaché. Du haut de ses vingt-deux ans, Vince Staples toise tout de même six années de rap intensif et autant de projets remarqués. Le DJ envoie « Fire », l’intro de Hell can’t wait et l’ambiance est déjà électrique, chargée de tension dans cette salle pourtant vide. La nonchalance et l’ironie de Vince donnent une impression de simplicité, de facilité déconcertante. On a du mal à réaliser que ce jeune de Long Beach vient de sortir Summertime 06, un premier album maîtrisé, dur et implacable.

Nous atterrissons en plein concert au milieu d’un public compact. Ce n’est pas encore à guichet fermé mais les présents sont complètement acquis à la cause. Au bout de trois morceaux, Vince demande à ce que toutes les lumières soient éteintes. Le rappeur n’est alors plus qu’une ombre menaçante à la voix acérée dans une pièce plongée dans le noir. Elle le restera jusqu’au point final, un « Blue Suede » brutal et sans concession. On entend presque les hélicoptères noirs zébrer la nuit parisienne et les flammes consumer les semelles de nos chaussures. Certains voient en lui le nouveau messie d’un rap revendicatif violent à la Ice Cube ou Killer Mike. Mais le rendu est tout autre, plus complexe, moins facile à ranger dans une case. Et il nous l’explique très bien en quelques phrases lors d’un entretien éclair mais consistant.


Abcdr du Son : Sur « Trigga With Heart » issu de Shyne Coldchain Vol.1, tu dis : « si tu cherches de la positivité, va écouter du Common ». Depuis, tu as travaillé avec Common, notamment sur son dernier album. Quel était le sens de cette phrase ?

Vince Staples : Si tu veux de la positivité, va écouter Common, c’est tout ! C’est un mec positif. Il n’y avait rien de méchant dans ma phrase. Common est un individu très souriant, qui va toujours chercher le meilleur chez les gens… Ce n’est pas forcément mon cas.

A : Common a beaucoup travaillé avec No I.D. C’est également ton cas aujourd’hui. Comment s’est faite la connexion ?

VS :  J’ai rencontré No I.D bien avant de connaître Common. C’est d’ailleurs No I.D qui nous a permis de rencontrer et de travailler avec Common. Il a joué quelques-uns de mes morceaux à Common, qui a apprécié et c’est comme ça qu’il est venu vers moi.
On a une relation très simple avec No I.D. Il est capable de faire énormément de choses différentes et il a tout de suite compris ce que je voulais. Je lui ai simplement dit que je voulais sonner de telle manière et il a saisi ce que j’avais en tête. C’est un producteur visionnaire qui a une manière de travailler proche de celle d’un photographe. Avec ses machines, il est capable de peindre l’image que tu as en tête. C’est quelqu’un de créatif qui, techniquement, peut faire ce qu’il veut. Je ne crois pas qu’il ait eu beaucoup de difficultés à trouver mon son.

A : À la fin de « Trigga With Heart », tu as inséré un sample de 2Pac. Qu’est-ce qu’il représente pour toi ?

VS : C’était son idée [NDLR : Il pointe du doigt son DJ] ! Sinon, 2Pac représente la même chose pour beaucoup de personnes : un grand talent parti trop tôt, qui avait des choses à dire, qui a changé beaucoup de choses et qui aurait pu en faire encore davantage s’il était resté parmi nous.

A : Tu partages avec lui une forte tendance contestataire dans ta musique. Parfois, quand on t’écoute, on peut avoir le sentiment que vendre de la drogue et finir en prison est la seule alternative pour un jeune noir américain. C’est ton sentiment ?

VS : Ce n’est pas une question de couleur de peau, c’est une question de culture. La culture repose sur ce qui t’entoure. La culture qui régit certains endroits mène effectivement à vendre de la drogue et finir en prison. Uniquement parce que c’est la culture à laquelle tu as accès. Si tu viens d’un environnement urbain et difficile, tu as plus de chances de mal tourner parce que la drogue est présente au sein de la communauté. Et la drogue t’envoie en prison. La question, c’est comment est-ce que la drogue arrive dans ces quartiers ? Il faut prendre l’avion pour importer de la cocaïne et la plupart des personnes de Long Beach n’ont jamais vu un avion de leurs vies. Il n’y a pas beaucoup de personnes riches qui vont en prison aujourd’hui parce qu’elles peuvent se payer les bons avocats ou, au pire, aller dans les bons établissements. Ce n’est pas le cas de tout le monde. Vous avez déjà entendu parler des Fire Camps ? Ce sont des endroits où les prisonniers bossent en tant que pompiers, sauf qu’ils ne sont pas qualifiés pour cela. « Hé, ça te dirait de purger seulement 35% de ta peine ? Viens t’occuper des incendies. Si tu meurs, tant pis. » C’est un vrai business, il y a des entreprises derrière tout ça.

« Il n’y a absolument pas de rap californien en 2015. Le rap appartient à Internet, tous les rappeurs viennent d’Internet.  »

A : Les gens parlent beaucoup aujourd’hui d’une nouvelle génération de rappeurs qui irait de Kendrick Lamar à Dom Kennedy en passant par Jay 305 ou toi. Est-ce que cette génération existe réellement ?

VS : Il n’y a absolument pas de rap californien en 2015. Le rap appartient à Internet, tous les rappeurs viennent d’Internet. Drake vient du Canada. La plus grosse star du rap actuelle vient du Canada. C’est fini, cette histoire de rap régional est finie. Moi, je suis de Long Beach et je ne connais pas personnellement tous les rappeurs que tu viens de citer. Je connais surtout Schoolboy Q et Ab-Soul, ce sont vraiment mes potes.

A : En 2012, tu sors le projet Winter in Prague. Pourquoi Prague ?

VS : [Il marque un temps d’hésitation] Michael Uzowuru, qui a produit intégralement le projet, a décidé de l’appeler comme ça, je ne sais même pas pourquoi, c’était bizarre mec [Il se tourne vers son manager, Corey Smith]. Pourquoi il l’a appelé comme ça ?

Corey Smith : Kanye avait tourné la vidéo de « Diamonds From Sierra Leone » à Prague et Michael avait décidé que toute la production de ce projet serait un dérivé de ce morceau de Kanye West.

VS : Voilà ! C’était totalement son idée. Michael est le créatif, je me contente de rapper.

A : Est-ce que vous vous connaissiez avec Michael avant de travailler ensemble sur ce projet ?

VS : C’est mon pote, je lui ai encore parlé hier. On se connaît depuis très longtemps et c’est lui qui m’a vraiment poussé à me structurer et à faire quelque chose de sérieux avec la musique. Michael est quelqu’un capable de prendre des choses faites de manière très amatrice et de les rendre professionnelles.

A : Il y a sur ce projet une chanson qui s’appelle « Black Oprah »

VS : [Il coupe] Je ne sais pas pourquoi on l’a appelé comme ça [Rires]. Pourquoi est-ce qu’on l’a appelé comme ça Corey ?

CS : Je crois que ça s’est décidé au téléphone : « appelons ce morceau « Black Oprah »« . Je n’ai jamais compris ce titre [Rires].

VS : Je ne sais absolument pas pourquoi on a choisi ce titre mais ça nous faisait énormément marrer. Je ne sais plus pourquoi mais je sais que ça nous a fait marrer pendant une semaine.

A : On est en tout cas en train d’apprendre que tu ne choisis pas les titres de tes chansons, d’autres gens le font pour toi.

VS : C’est faux, je suis le plus drôle de la bande, je trouve la majorité des titres [Sourire]. C’est juste que ce morceau est vieux, ça a déjà trois ans… Je ne me souviens même pas de ce que j’ai fait l’an dernier. Tout ce que je peux t’assurer, c’est que j’étais très excité à l’idée d’appeler une chanson « Black Oprah ».

A : Tu aimes bien avoir une cohérence de productions sur tes projets puisque Mac Miller s’était intégralement occupé des instrumentaux de Stolen Youth.

VS : On était chez lui parce que Earl Sweatshirt lui filait des productions pour son album. Je me suis présenté à lui genre « Salut, je suis Vince » et il m’a répondu simplement « Je sais, pourquoi est-ce que tu ne rapperais pas sur certaines de mes prods ? ». Je suis retourné chez lui la semaine suivante, on a fait quelques morceaux… Ça se passait bien et ça a donné un projet entier.

A : En 2014, il y a eu « Blue Suede », un gros morceau pour toi qui t’a fait découvrir auprès de plusieurs personnes.

VS : [Il coupe] Ce qui est un très bon point de départ. J’aurais préféré commencer la musique avec ça.

A : C’est aussi avec ce morceau que les gens ont commencé à te comparer à Ice Cube. Est-ce que cette comparaison a du sens pour toi ?

VS : Je ne comprends pas cette comparaison. Et d’ailleurs je préfèrerais être le Ice Cube période Barbershop plutôt que le Ice Cube du début des années quatre-vingt-dix [Rires]. Tout le monde aime le Ice Cube de Barbershop !

A : C’est vrai mais les gens aimaient le Ice Cube du début, celui de Death Certificate et The Predator.

VS : Le Ice Cube de Barbershop est meilleur et je vais t’expliquer pourquoi. Le Ice Cube de Barbershop a sauvé la communauté toute entière. Et il a adressé la question de la gentrification dans Barbershop 2. Et il a montré l’importance d’avoir un beau-père dans certains quartiers. Sérieusement mec, le Ice Cube de Barbershop est un héros. Sinon, les gens veulent toujours faire des comparaisons pour se rassurer. En réalité, rien de tout ça n’a de sens si on réfléchit quelques minutes. Je n’ai pas de permanente [rires] et le message n’est pas du tout le même. On vient de la même région, c’est tout. Quand Ice Cube est arrivé, il ne disait pas « Bitches ain’t shit but hoes » .

A : Tu viens de parler de Barbershop mais est-ce que tu as un morceau favori de Ice Cube ?

VS : [Il marque un temps d’arrêt] J’ai 22 ans et, quand j’en avais 10, je me souviens que « In Da Club » de 50 Cent est sorti. Je ne crois pas qu’Ice Cube ait sorti des titres après ça [NDLR : Ice Cube a sorti trois albums depuis]. Je crois que mon morceau préféré de Cube est Friday. Et je parle du film, pas du morceau. All About The Benjamins [NDLR : En France, le film est connu sous le nom Chasseurs de primes] est aussi un super film d’Ice Cube. Je connais bien mieux le Ice Cube acteur que le Ice Cube rappeur, tout simplement parce que je n’étais pas là quand Ice Cube rappait. Je connais mieux la Westside Connection et, si je devais retenir un morceau, je dirais « In The Name Of The Streets »… Ah non merde, c’était sur un solo de WC ça et Ice Cube n’était pas dessus [Rires] ! Je crois que je n’ai juste pas de morceau favori d’Ice Cube. Demande-moi mon film préféré de Cube et je te donne un top 5 sans problèmes.

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