Interview

Steus

Début 2003, le label Folistar sort le projet « Mémoires vives », album réalisé par les concepteurs du groupe Steus, et enregistré au Studio Folimer (14e arrondissement de Paris). Le tracklisting des rappeurs est assez intriguant et la ligne directrice alléchante.

L’écoute des morceaux confirme cet a priori positif : « Mémoires vives » est un projet à part, et rondement bien mené. Loin d’être contraints par un thème qui aurait pu devenir redondant, les invités brillent par la diversité de leurs approches, tant au niveau du flow que du texte (schizophrénie enfouie, évocation futuriste, symptômes d’amnésie, souvenirs d’enfance faussement anodins, quête de l’origine généalogique d’un nom, etc.). En contrepartie, ce sont les instrus qui servent de ciment au tout, comblant la faiblesse de certaines prestations. Petit entretien avec Quatro, Vgtah et 5Kièm, tous trois à l’origine du projet.


Abcdr : Quelle est la composition de Steus ? Et d’où viennent vos pseudos ?

Vgtah : Il y a trois mc’s à la base. LAO, 5Kièm et moi-même Vgtah. Ensuite, il y a Gaspoux, Quatro et Dj Laize, qui est aussi devenu concepteur. Quatro fait partie du groupe de graffiti STS : il est concepteur, ingénieur et infographiste. Quatro, ça vient de Katre, son nom de graffeur, il a pris ce chiffre pour les lettres facilement enchaînables en tag. Et ça vient aussi du fait que LAO tagguait toujours Four car dans tous les disques de rap cainri, il y avait « for » dans les dédicaces : comme ça, il se trouvait ainsi cité dans tous les disques de rap [rires]. 5Kièm est un des mc’s de Steus ; il est devenu ingénieur en chef de l’équipe. Même s’il est peu présent sur « Mémoires vives », c’est un excellent concepteur. Avant, il s’appelait Kaliméro, mais sachant que ce blaze était pris par un grand reggae man, il a choisi de rendre hommage à un de ses rappeurs préférés, Phife Dawg. Gaspoux, lui aussi issu de STS, est concepteur, graphiste et webmaster, son pseudo vient de son prénom. Quant à moi, je suis mc, concepteur et je fais pas mal de vidéo. Vgtah vient de ma coupe de cheveux, c’est Chrisfunk, un DJ de mon quartier, qui m’a fait découvrir l’essentiel du rap, qui ma appelé comme ça ; il était passionné par le manga comme moi, j’ai samplé tous mes cassettes vidéos et j’ai 40 instrus avec que des samples de Dragon Ball Z qui dorment. Avant, je m’appelais Jamer, de mon nom de taggueur Jam, tiré du duel Michael Jackson / Michael Jordan, mes idoles de quand j’étais jeune. LAO est en retrait, pour ses études.

A : Pouvez-vous expliquer ce que sont ces ateliers que vous évoquiez ?

Quatro : L’association Steus, dont le local est situé au studio Folimer, s’occupe d’ateliers destinés à des jeunes : dj, musique assistée par ordinateur, chant, vidéo, graffiti, présentation assistée par ordinateur. Ca touche des jeunes de 14 à 20 ans. Le but est de les initier à tous ces aspects.

A : Pouvez-vous retracer votre passé discographique ?

5Kièm : Alors, en 97, sortie du premier maxi de Steus, hip hop house. En 99, sortie du second maxi. Ensuite, apparition sur la compile Un bon son ne meurt jamais et sur la mixtape Rimslander.

V : Le premier maxi a été distribué par Opensound, qui est devenu le label Missive ; ils nous ont permis de pas trop perdre d’argent. Sur « La colère du peuple », de Shégué, il y avait trois morceaux de mon album dessus, pareil pour ‘Darkside’. Il y a une mixtape, mise au point par Oth, qui sort avec IAM, Samm, Chiens de Paille, Homicide volontaire, Nid de serpent, Krome, Kappa et des morceaux de Fuga et moi. On a fait très peu de trucs, notre style n’était pas académiquement aimé. Et enfin, Mémoires vives, album des concepteurs de l’équipe Steus.

A : Quelle structure produit cet album ?

V : Un label indépendant du nom de Folistar. On avait déjà sorti un single house, qui n’a pas trop bien marché, sous ce label. Mais c’est le premier gros produit, avec toute une démarche de qualité artistique, sur les plans de l’enregistrement, du mixage et de la promotion.

A : Juste histoire d’en finir avec les confusions, à quoi correspondent les entités Folimer, Folistar, Kameha Production, Steus ?

V : Folimer est le nom du studio. A la base, on est un groupe de six : un groupe de rap et trois concepteurs. On avait deux home-studios, qui tournaient de chambre en chambre. L’un s’appelait Four Productions, et était chez Quatro, l’autre était rue de la Folimericourt, chez Gaspoux. On a donc monté le studio Folimer à Montreuil, en reprenant le nom. Folistar, c’est le label indépendant, qui a une structure de SARL. Folimer est la machine de travail de Folistar. La même équipe compose les deux structures, mais légalement et dans l’esprit, ce sont deux choses différentes. Le studio, ainsi que les ateliers, sont associatifs, tandis que la démarche de Folistar est celle d’un label indépendant, c’est-à-dire de rendre visible des produits. Kameha, c’est mon cri de guerre.

« Les dix-sept titres sont basés sur trois axes : le rapport à la mémoire personnelle ou collective, le traumatisme personnel et la projection dans le futur. »

Vgtah

A : Pourquoi avoir choisi ce thème de la mémoire ?

V : Les dix-sept titres sont basés sur trois axes : le rapport à la mémoire personnelle ou collective, le traumatisme personnel et la projection dans le futur. Le concept « mémoires vives  » a été trouvé légèrement avant les événements du 21 avril 2002. On a suivi avec Les Films de l’Impasse les réactions civiques : on a filmé, monté et diffusé sur internet une partie des documentaires. Après, on est revenu sur ces deux mots, mémoires vives, qui ont abouti à la thématique de la mémoire.

A : Bien que vous soyez en période de promo, pouvez-vous me donner votre avis sur la qualité finale de l’album Mémoires vives ?

Q : Je suis assez satisfait de l’ensemble. Autant pour les productions qu’on a faites et présentées aux artistes que pour ce qu’ils en ont fait. Certains artistes invités en sont pas sur le projet parce qu’ils ne collaient pas assez au thème ou qu’artistiquement, ça ne collait pas à ce qu’on voulait. Donc, oui, la majorité des tracks me plaisent.

V : Pareil, on avait limité les dégâts en écrémant les prods en amont, parce qu’elles étaient trop faibles ou répétitives. On a introduit des instruments live comme des basses, des djembés, des trompettes. Pour répondre précisément, étant donné que les morceaux sont très différents, on est chacun plus porté sur certains morceaux. Pour moi, ça serait Frer 200 et D’, tandis que je trouve la prod de Loko pas monstrueuse, même si le fond textuel me touche personnellement. En tous cas, ce qu’on espère avoir donné, c’est une cohérence qui légitime que ça soit un album et non une compilation. Je pense qu’on a été assez sévère pour qu’au final, on puisse ne pas pleurer sur la moitié des morceaux. Il y a quelques couplets faibles, quelques prods auxquelles j’accroche moins. Mais si je kiffais tout d’un bloc, ça ne serait vraiment pas objectif ou alors super linéaire.

A : Et vous êtes aussi satisfaits de l’approche qu’ont eue les artistes quant au thème imposé ?

V : Ils s’attendaient tous à ce que tout le monde le prenne de manière bateau, donc, ils ont quasiment tous essayé de creuser par rapport à leur identité de groupe. Surtout qu’ils ont des marques de fabriques assez affirmées. Ils ont à chaque fois réussi à en ressortir quelque chose de personnel. On savait que ça n’allait pas tourner en rond, car vu les groupes choisis, c’était sûr qu’ils allaient trouver un axe d’attaque pertinent.

A : En faisant un album ambitieux regroupant des groupes français pas forcément connus, vous allez à l’encontre de la rengaine qu’on entend régulièrement quant à la mort du rap français.

V : A chaque fois que les gens disent que le rap est en train de mourir, j’ai l’impression qu’ils mettent en place une stratégie marketing en place, pour légitimer le fait qu’ils arrivent pour le réanimer. C’est un peu irréaliste de vouloir dresser un panorama du rap français. Le rap de majors s’est pris un sacré coup dans la gueule, c’est une évidence. Le rap n’est pas entrain de mourir, il est en constant renouvellement. Mais ce n’est pas toujours visible. La meilleure qui pouvait arriver, c’est que les majors arrêtent de signer. Soit tu te plains parce que ton truc ne sort pas, soit tu te structures et tu te donnes les moyens de rendre visible ce que tu fais. Donc, ça bouge, même si certains finissent par être blasés. Après, des cas comme La Caution, ou Dabaaz et Explicit Samouraï, à travers Triptik et le Saïan, sont quand même connus.

Q : Mais on les a choisis par rapport à leurs qualités artistiques.

V : C’est vrai qu’on s’est dit que marketing-ment – c’est horrible comme mot, mais c’est une réalité – c’était bien de tirer les petits groupes par les têtes un peu plus importantes. Mais on n’aurait jamais mis leurs morceaux s’ils n’étaient pas à la hauteur. Ca aurait été suicidaire pour le projet. Ils ont écrit leurs textes pour le projet.

A : Pouvez-vous présenter justement les artistes peu connus du projet, comme Madjistah, Zeegwell, Keedina ou STA ?

V : J’avais rencontré Apkass sur un projet, et on l’avait invité en solo. Il est venu avec ses deux acolytes. Et donc, Keendina s’est formé au moment du projet. Ils ont donné une veine historique, liée aux racines, au projet. Ensuite, Zeegwell, c’est la famille : l’un des deux est le frère de LAO. On avait fait des scènes avec eux, ils étaient super présents bien que super jeunes. Ils étaient dans un délire technique que je ne voyais nulle part ailleurs. Après, Madjistah, c’est un gars qui est depuis dix ans à Evreux et qui tourne avec le Nid de serpents. Il toaste et a d’ailleurs fait un album auto-produit, qui s’appelle « Madjistah Dancehall ». Enfin, STA a fait quatre maxis ; il est puissant en improvisation, et a un fond textuel toujours travaillé.

A : Pourquoi être tombé dans le cliché rap qui consiste à mettre un DJ en intro ?

Q : On avait choisi dès le départ de mettre un morceau de dj dans l’album. On a fait appel à Dj Gero, qu’on connaissait. Et l’ordre des morceaux n’était prévu. Quand on choisi l’enchaînement, Dj Gero s’est retrouvé en premier parce que l’ambiance donnait une impression de réveil, qui introduisait bien l’album. C’est devenu une intro par la suite, en fait. Ce n’étais pas prévu. Oh, et puis, il faut garder certains clichés, T’AS VU ! [éclats de rire]

« Le morceau de D’, sans refrain, tu pètes un câble. »

Vgtah

A : Il y a de nombreux passages chantés dans l’album. Par exemple, le refrain sur le morceau de Loko.

V : [sourire] Oui.

A : Refrain assez catastrophique, d’ailleurs.

V : [éclate de rire, et a du mal à s’arrêter] Enfin quelqu’un qui dit quelque chose de sensé ! Sur notre morceau, ‘Feuille blanche’, on chante aussi. Je pense que ça va à peu près.

A : Il y a aussi Madjistah qui chante sur votre morceau.

V : Oui ?

A : Et c’est plutôt très bien.

V : Ouf, j’ai eu peur. Madjistah est un toaster. On ne s’attendait pas du tout à ce qu’il pose comme ça, vu la prod de Quatro. On pensait qu’il allait faire un gros truc ragga. Il s’est lancé sur un chant, sans prévenir personne. J’étais là lors de l’enregistrement, et j’avais des frissons dans le dos. Ce n’est pas un gars qui prend des cours de chant, donc, c’est autre chose que poser un douze-mesures de rap. Son couplet a provoqué quelques polémiques, mais au final, tout le monde est tombé d’accord.

Q : Une fois qu’il a posé, j’ai retravaillé la réorchestration, et j’ai mieux compris la vibe qu’il avait voulu amener.

5 : N’empêche que le refrain de Madjistah, le triolet « A la lumière de l’espoir, etc. « , c’était de la boulette a caler.

V : Le travail de réarrangement de 5Kièm est un miracle. On était six a réécouter le refrain en train de se dire : « Euh, il faut commencer un huitième de temps plus tard« .

A : Ce passage de Madjistah est très intense. C’est possible de faire passer la même émotion en rappant ?

V : On forme un binôme avec Madjistah, qui s’appelle Nautilus. L’émotion que tu as ressenti, je l’ai ressenti sur son album. C’est l’un des rares personnes qui arrivent à véhiculer cette émotion de manière fluide, sans faire falsh. Au théâtre, quand tu dois véhiculer une émotion, il y a deux possibilités. Soit tu laisses envahir par l’émotion, sans la contrôler, et c’est super dangereux. Soit tu arrives à la travailler et la véhiculer sans te faire absorber. Et lui, en plus de son grain de voix, il a cette capacité-là. C’est autant dû à ses dix années de travail qu’à l’investissement sur l’instant. Et son background fait qu’il a vécu beaucoup de choses, donc ça ne sonne pas creux. Quand il rentre sur le morceau, il fusionne avec l’instru plus facilement que le rap, qui reste quelque chose où tu mentalises pas mal, où tu cherches à être sur la rythmique. Même si, avec 5Kièm, on a essaye de donner quelque chose aussi, on atteint pas le même seuil émotionnel. Donc, la prestation de Madjistah, c’est sans commune mesure avec le refrain de Loko. Il y a eu énormément de discussions par rapport à ce refrain. Je ne vais pas charger plus la chose, parce que sinon, on serait en contradiction avec la décision de garder le morceau. En fait, Loko avait un rapport personnel avec la choriste, donc le privé était mêlé à l’artistique. C’était difficile de parler posément des choses.

Q : Tout ce qu’avait fait Loko par rapport à ce morceau était nickel. C’est juste le refrain qui bloquait. On a essayé de l’orienter vers un autre type de refrain, au moins pour voir ce que ça donnait.

V : Personnellement, c’est clair qu’il y a d’autres types de chant qui nous touchent beaucoup plus. Là, on trouvait que c’était formaté. Mais Loko l’assumait. Il concevait ce morceau avec un chant comme ça. Comme ça nous saoulait de faire sauter trois couplets pour ce refrain, on a décidé, tant qu’à aller dans la diversité, de prendre un refrain ultra-formaté. Surtout que c’est assez rare d’entendre une vraie thématique chez Loko, qui est plus égotrip d’habitude.

A : A propos des refrains, il n’y en a pas dans ‘Le choc des réalités’ ou ‘Feuille blanche’, et des morceaux comme ‘Mémoire vive’ ou ‘J’ai la mémoire qui flanche’ ont uniquement des refrains scratchés. Et ça passe très bien, bien mieux par exemple que le refrain sur ‘Une boule de pue dans le vente’, qui casse l’intensité des couplets de D’. Le formatage, dont on entend si souvent parler, n’est-il pas déjà dans la structure couplet-de-16-mesures – refrain-de-8-mesures – couplet-de-16-mesures ?

V : A mon avis, le morceau de D’, sans refrain, tu pètes un câble. Son texte est très envahissant. On n’a rien touché à son texte, il a fait ce qu’il voulait. Je pense que les respirations dans ce morceau sont primordiales. Il faut aussi faire attention à ce que la personne qui écoute puisse encore recevoir des textes à la troisième minute. Et pour Meurso & Fono, c’est un morceau incroyable. Il a été énormément travaillé. Et les breaks qu’il y a sont là pour marquer l’évolution entre les couplets de Meurso. Ensuite, sur notre morceau, ‘Feuille blanche’, 5Kièm a fait des mini-refrains de 4 mesures, qui commencent tous par : « Toutes les dix minutes, et c’est l’trou noir. Donc, c’est la preuve qu’on peut sortir de ce format.

A : En dehors du fait que c’est un des meilleurs couplets de l’album, j’ai trouvé que le fait de faire revenir ce court refrain correspondait exactement au propos de 5Kièm. On a l’impression que le disque saute et que tout recommence. Or, c’est exactement ce qui passe dans la tête du gars.

V : C’est vrai. J’y avais pas pensé, mais c’est vrai. En fait, toutes les orchestrations des morceaux sont en rapport avec les textes. Quand il y avait des espaces de liberté où l’artiste n’intervenait pas, on l’occupait. Quand l’artiste venait avec son truc déjà établi, comme Féross par exemple, on laissait faire. Mais quand on retravaillait, les artistes étaient super ouverts.

« Je n’ai pas de regret par rapport à ce qu’ont fait les  » têtes d’affiche ». De toutes manières, on les avait prévenus : « Si votre truc n’est pas bon, on ne le garde pas ». »

Vgtah

A : Sur ‘L’androrappeuroïde’, le travail de flow des deux rappeurs de Zeegwell, Sitraka et T-Wave-T est assez impressionnant.

V : [sourire] Enfin un qui nous le dit.

A : On a là aussi l’impression que la forme est complètement liée au texte, comme si toute la métaphore autour de l’informatique était retranscrite par l’évolution permanente de leur propre flow. C’est voulu ?

V : Là, tu rentres dans un degré d’analyse que je n’avais pas vu. Ce n’était pas conscient, donc, ça reste de l’interprétation. En tous cas, c’est le morceau préféré de 5Kièm, et pour moi, techniquement, ça met à l’ouest 99% du rap français. Les deux rappeurs ont 19 piges, le groupe n’existait pas avant l’album. Quand ils ont su qui était dessus, ils ont compris qu’il fallait faire un morceau qui tue. Ils ont pris une des instrus les plus difficiles. D’ailleurs, j’ai appris que c’était un beat two-steps : c’est bien, je ne savais pas que je faisais du two-step ! [sourire] Au départ, ce n’était pas un morceau pour MC’s. Je suis tombé sur un sample de Princesse Mononoké, et je n’ai pas voulu le pitcher. Donc, je suis tombé sur un bpm au dessus de 130. On pourrait les encenser deux heures, mais le plus impressionnant, c’est qu’ils ont flow technique et un des textes les plus aboutis. Tous les textes sont sur le site, donc, je conseille à tout le monde d’aller le lire pour tout comprendre. [Il s’interrompt] J’ai l’impression que tu es le premier à avoir écouté le morceau réellement, parce que ce n’est pas normal qu’on ne nous en parle pas. J’ai jamais entendu un morceau pareil avant. Et eux, justement, ils font partie de la partie immergée de l’iceberg. Donc, quand j’entends que le rap est mort…

A : Au final, pour moi, ce ne sont pas les artistes les plus connus qui ont le plus brillé. Vous pensez qu’ils avaient une plus grande envie de se dépasser ?

V : Je pense que c’est une évidence. Mais des gars comme D’, Specta ou Leeroy, ils avaient aussi envie de tout bouffer. Ils ont tous fait au mieux, en tous cas. Pour revenir à Zeegwell, je crois qu’ils se sont tous simplement transcendés. Quand on écoute le flow de Sitraka vers la fin, il faudrait compter le nombre de syllabes et la qualité de l’articulation, parce que c’est hallucinant. Puisqu’on les a comparé – à tort – à TTC, comparons. Quand tu écoutes les morceaux rapides de TTC, tu cernes combien de mots ? La moitié, en étant gentil. En live, tu cernes rien, sauf Tido, sur quelques mots. Donc, sur une telle vitesse, c’est une réelle performance d’avoir une articulation de ce niveau. En plus, le morceau fait plus de cinq minutes. Le pari, c’était de faire un morceau long et écoutable jusqu’à la fin. Sitraka me disait, pour me rassurer, ‘Pas d’armure’ de TTC, c’est un morceau long que j’écoute avec plaisir. Donc, là, il me semble aussi qu’on a évité le formatage. Après, pour le fait que les rappeurs les moins côtés se soient dépassées, tant mieux. « Mémoires vives » conjugue, dans les thèmes, le futur et le passé, et c’est un peu ce qui s’est passé malgré tout sur le tracklisting. Moi, je n’ai pas de regret par rapport à ce qu’ont fait les  » têtes d’affiche ». De toutes manières, on les avait prévenus : « Si votre truc n’est pas bon, on ne le garde pas ».

A : A propos du tracklisting, on pouvait voir une petite continuité avec celui de la mixtape Rimslander, avec notamment en commun le Saïan Supa Crew, Frèr 200, Rimsland, Steus, STA, Dyslexie ou Triptik. C’est le hasard ?

Q : DJ Hill et Rimsland était à l’origine de cette mixtape, et c’est nous qui avons enregistré tous les morceaux. Comme Rimsland cherchait du monde, on a ramené quelques personnes proches de nous.

A : Des projets à venir ?

V : Si Mémoires vives se plante et qu’on ne rentre pas dans nos sous, il n’y aura pas grand chose.

A : Vous devez en vendre combien pour rentabiliser ? 

V : 1.500. On aimerait en vendre 3.000 pour être un peu plus à l’aise pour la suite. Pour les projets, Dyslexie ont des titres en préparation. Frèr 200 ont 21 titres de prêts. Kares a un album de prêt. Loko et 5Kièm aussi. Moi, j’ai u album en préparation avec Madjistah. Après, ce qui risque de sortir sur le label, ça sera le DVD sur les home-studios, prévu pour octobre. On pourra retrouver Nikkfurie, Drixxxé, Gysterieux, El Ness, etc.

« On continuera le rap « loisir », comme beaucoup. Il y a un aspect exutoire-thérapie derrière, qui sera toujours là.  »

Vgtah

A : Sur le Neochrome CD, il y avait trois vidéos. Deux « clips » de Seth Gueko et Diomay & Granit – en gros, ils étaient filmés entrain de rapper dans la rue. Et une présentation du studio Folimer.

V : Gaspoux a fait que la présentation de Folimer, pas les deux autres. J’ai toujours refusé de faire des clips de rap. Déjà parce que je ne me sentais pas capable de faire quelque chose de bien. Ça nécessite pas mal de moyens pour ne pas faire un truc bateau et pourri. Et ensuite parce que les trois-quarts de rappeurs me ramènent du rap cliché avec leurs potes qui rappent derrière. Ça peut être bien fait. Soit si c’est complètement dans la dérision, soit si t’as 200.000 personnes. On en a fait un pour Meurso & Fono, parce que le texte est porteur. Ca ressemble presque à un court-métrage. La plupart du temps, tu as une vraie frustration quand tu dois illustrer des propos de rap. Tu ne peux pas véhiculer de scénario, parce que tu retrouves dans tous les morceaux les mêmes phrases et les mêmes idées, sans fil conducteur. Alors que là, on a écrit un script avec Les films de l’Impasse. Ça fait plaisir d’aborder le côté cinématographique sur un morceau de 3’30. Et tout ça grâce au texte, grâce à l’ambiance de l’instru, et grâce à l’absence de refrain. D’autant plus que le morceau de Meurso & Fono est le plus grand bafouillage de Mémoires vives. 5Kièm voulait le faire sauter.

5 : Pour la petite histoire, je me suis rendu compte que la fin du morceau se termine exactement pareil que la derniere chanson de pharcyde ‘End’ dans « Labcabincalifornia ». J’ai reproduis inconsciemment le disque.

V : En ce moment, le clip tourne sur Zik. Et on tourne ‘Amnésie’, de Dj Gero, à la rentrée.

A : La pochette ou le site internet de Mémoires vives sont bien faits. Tous vos prochains projets vont-ils être aussi fignolés, sur le plan visuel ?

Q : Vu que certains d’entre nous sont aussi graphistes, on a toujours bossé à fond l’image. Et Gaspoux est aujourd’hui à fond dans les sites web. Donc, oui, il y aura toujours un travail important là-dessus. Ça a été le souci de tout l’album, allier le fond et la forme. Sortir des clichés pour créer une autre image. On a vraiment essayé de faire un visuel en rapport avec le thème, mais on a eu énormément de mal sur la pochette. On a du faire 20 pochettes.

V : Non, non, non… On en a bien fait 60 ! [rires] Au départ, tout le monde s’y est mis, sauf moi qui ne sait pas manier Photoshop. On avait une vingtaine de pochettes, qu’on a montré à pas mal de personnes. Après leur vote, on s’est retrouvé soit avec une pochette super hardcore, soit super stéréotypée. D’un côté, on avait un cerveau entrain de cuire dans une casserole, de l’autre, on avait une fresque en graffiti, dans une grotte. On n’était pas satisfait. Donc Gaspoux a rebossé dessus, et s’est orienté vers des pochettes plus house, avec des disques durs en gros plan, très esthétiques. Mais on flippait un peu de l’impact que ça aurait sur un public rap. Donc, il y a eu de nouveau une grosse discussion. Gaspoux n’a pas lâché l’affaire. Donc, il a pris une machine à écrire qui traînait au studio et l’a numérisée. Mais comme on ne voulait pas que ça soit simplement un objet banal, on a modifié les touches, pour ne mettre que des 0 et des 1. Ça ne se voit pas du premier coup d’oeil, mais c’est marrant quand on revient dessus. Dans l’ensemble, le produit est assez conceptualisé. Vu comme on avait pris la tête aux artistes en studio, il fallait que ça suive niveau visuel. Gaspoux et Quatro ont une formation graphique, et ça se ressent. Ton parcours conditionne de quelle manière tu vas prendre ton art, et jusqu’où tu vas aller. On a cent fois était au point de vouloir arrêter, mais on a fini par y arriver. On comprends les rappeurs qui sont là depuis longtemps et qui deviennent blasés. On a l’immense avantage – avantage qu’on s’est construit – d’avoir le studio Folimer à disposition. Quand un couplet n’allait pas, il suffisait de rappeler l’artiste : c’était mon forfait téléphonique qui prenait, pas les journées de séances à 250. [sourire]. Pour l’infographie, c’est pareil : Gaspoux s’est donné les moyens de pouvoir taffer les pochettes chez lui. L’aspect est là, mais le carburant, c’est aussi la façon dont ça va être perçu par les gens. L’identité forte de gars comme La Caution ou D’ nous poussait aussi à trouver la notre. Mais en fait, c’est surtout que ces gens qu’ont dit spéciaux ne le sont pas tant que ça ; simplement, ceux mis en avant ont des flows stéréotypés : quand tu entends Kamnouze, Ol’Kainry et Basic, tu sais qu’il y a un rapprochement à faire. Donc, les gens à part ne le sont que par rapport à ce qui est visible. En écoutant le dernier CD de Groove, je remarquais qu’il y a un pléthore de mc’s qui se pompent entre eux et se satisfont de ça. J’espère qu’ils évolueront, le pompage peut être simplement une étape.

A : Si l’album se plante sur le plan commercial, ça sera dû à la qualité artistique, à la distribution ou à la promotion ?

V : [Il réfléchit] C’est difficile. Je pense que s’il se plante, c’est dû à un faisceau de facteurs. D’abord, une mauvaise distrib’. On fait des kilomètres pour la promo dans toute la France.

Q : Il faut prendre en compte qu’on connaît peu de gens dans ce milieu.

V : Moi, je m’appesantirais pas dessus, parce que je n’y crois pas trop. Si ça marche, ça sera grâce à la qualité artistique et grâce à une bonne distrib’. Donc, si ça plante, c’est pareil. Et si arrive, il y aura un malaise profond. Parce qu’on a l’impression de donner le meilleur de nous-mêmes, donc dans ce cas, on est à côté de la plaque : la lobotomisation est définitive, et on ne peut rien y faire. Pour revenir à la distribution, les « professionnels », ce sont les artistes. Les dits « professionnels » sont des incapables. Il y a eu une erreur majeure sur la mise en rayon. On devait mettre les mille premiers CD en bac avec ce satané cd bonus, mais à la plate-forme il se sont plantés et ont oublié le CD bonus, et notre argument de vente est tombé a l’eau. On est passé pour des cons. On voulait donner un plus, on savait que le marché était très malade, et surtout on voulait faire plaisir avec ce mini clip avec mon père sur Sarkozy et Le Pen et avec deux inédits des plus efficaces ! Il y a eu beaucoup de travail sur ce CD, surtout venant de moi, donc on est très énervé de cet erreur de logistique phénoménale. On a vendu pas trop mal, c’est-à-dire un trou financier mais on sait que cette erreur d’un soit disant professionnel nous a causé un vrai tort.

A : Désolé d’envisager les scénarios pessimistes, mais si vous vous plantez, vous arrêtez le rap ?

V : Non. On continuera le rap « loisir », comme beaucoup. Il y a un aspect exutoire-thérapie derrière, qui sera toujours là. La différence, ça sera sur le plan de la visibilité. Ensuite, il y a le succès d’estime, puisque les réactions qu’on a pu constatées sont bonnes. On est dans l’ère de l’instantané et du succès fast-food ; peut-être que les gens se rendront compte après coup. Donc, je me méfie du mot « buzz », parce que c’est propre à un microcosme. C’est l’auditeur qui sanctionne.

A : C’est le consommateur qui sanctionne l’album sur le plan des ventes. L’auditeur sanctionne ce qu’il écoute.

V : Il y a énormément de bouche-à-oreille sur ce genre de produit. On essaie de faire marcher notre petit réseau, surtout axé sur les mixtapes, mais aussi de toucher le public plus large qui a tendance à écouter les sorties les plus nivelées vers le bas, pour leur amener un peu de fraîcheur. C’est pour ça qu’on a été dans le CD de Groove, qu’on a pris de pages de pub. Il faut occuper le terrain des majors comme on peut. Déjà pour rentrer dans nos frais, mais aussi pour « déformater les oreilles des gens ». Moi, je crois que la lobotomie n’est pas définitive à ce sujet.

A : Cet album est-il en vente sur internet ?

V : Oui, sur Fnac.com, Justlikehiphop.com, Mja-distribution.com (avec le CD bonus) et piratemoifilsdepute.fr.

A : Comment appréhendez-vous ce média ?

5 : A partir du moment ou l’on pirate pas les indés avant que les disques sortent, c’est de la balle. Donc, vive le piratage indé !

V : Internet est un outil complémentaire de promo, mais à double tranchant, du a la rapidité de circulations des informations. Il faut y être présent, mais en terme d’impact, on ne sait pas réellement ce que ça vaut. Il ne faut pas déifier internet comme le font certains.

A : C’est -à-dire ?

V : Tous les branleurs de l’extérieur ont leurs quotas en son intérieur. On perd du temps à se justifier sur des forums. Internet n’est pas une bulle, c’est une savane avec ses singes et ses faux rois. Il y a un colonialisme sur notre mouvement par ce média, il faut redescendre dans la rue. C’est une usine à ragots en tous cas, c’est un exutoire aux baltringues.

A : Oui, enfin, les ragots, ils existaient avant.

V : Oui internet n’est pas une bulle, comme je te le disais, mais comme tu n’y fais que parler, les ragots prolifèrent plus vite. Par contre, ça sert la promo positivement, on s’est senti soutenu quand d’autres ferment les portes. Internet n’est pas une finalité en terme d’info, il faut diversifier ses sources. Si vraiment on aime ce dont parle, on se renseigne… autrement que par posts. Le meilleur de Mémoires vives a été les rencontres qui se sont créées.

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