NeS, l’amorce tranquille
Interview

NeS, l’amorce tranquille

Après LA COURSE qui l’a signalé en 2022, NeS a signé avec ÇA VA ALLER un nouvel EP fort en affirmation de soi et de son rap, sans compromis et optimiste.

et Photographies de NeS par Clémence Losfeld pour l’Abcdr du Son.
Photographie de Deemax par Louison Poulain.
Photographie de Lil Chick par Aline Jneid.

« Yo. Nique un métronome, c’est moi qui impose mes temps et mes phases ». La voix est âpre mais laisse transparaître un jeune âge. La voix est surtout nue : NeS, le rappeur qui débute ainsi « La Course – intro », est a capella pendant 40 secondes avant que la rythmique et une boucle vaporeuse achèvent 1:32 entre egotrip et introspection, confiance et doute, dépendance vitale à la musique et affirmation d’exigence artistique. Lorsque l’EP LA COURSE déboule à la fin de l’été 2022, NeS sort à peine de l’adolescence et a sorti deux premiers EPs restés confidentiels. Mais son nouveau neuf titres dégage déjà une conscience aiguisée de son art de la rime et de ses envies musicales, notamment grâce aux productions de compositeurs également dans la fleur de l’âge mais au son déjà singulier, entre dégradé de saturations électroniques et travail de boucles filtrées, parfois élégantes, parfois minimales.

De LA COURSE ressortent surtout une forme de sérieux et une détermination communicative, à l’image du titre « LPALP » pour « le positif attire le positif », une devise de NeS pas si anodine à un âge où les incertitudes peuvent être légion – elles le sont dans la musique du rappeur. Cette « mentale » a créé un double effet boule de neige. D’abord en créant une émulation collective, avec d’autres talents au micro, notamment son compère Yvnnis, et les producteurs qui travaillent avec ces deux rappeurs du 94. Mais aussi pour lui : un mois après la sortie de LA COURSE, NeS remplit ainsi La Boule Noire, salle parisienne pouvant accueillir 200 personnes, tout en attirant l’attention de medias établis aux lignes éditoriales diverses (Grünt, Booska-P). Quelques mois plus tard c’est une Cigale pour septembre 2023 qu’il remplit en moins de 24h, avant que son public brise – littéralement – le sol d’une scène de concert à Radio France. Le jour de notre rencontre dans un café parisien, NeS affiche pourtant un calme et une distance par rapport à tout cela, comme s’il était dans l’œil du cyclone d’un succès qu’il n’avait pas forcément vu venir et qu’il appréhende avec le plus de recul possible. À chaque fois, dans la prose d’une interview ou les rimes d’un freestyle, la même impression de sérénité et de vision solides transmises dans sa musique. 

Fin avril 2023, NeS sort ÇA VA ALLER, nouvel EP qui pousse le curseur plus haut de ce que laissait entrevoir LA COURSE. Les prods de Lil Chick, BRIAN, Poivre Blanc et Planaway sont au diapason dans une ambiance brumeuse, méditative mais dynamique – Poivre Blanc fait crisser des synthés électriques dans un « 4×4 » nerveux, quand Lil Chick augmente la cadence dans un « LE SOURIRE D’UNE TOMBE » dansant sans être putassier. Dans cette partition cohérente, NeS trace sa voie la tête froide mais le coeur ardent, où ses silences entre deux rimes disent autant que ses confessions et ses coups de menton. Et toujours cette impression, posée dès l’intro de LA COURSE, de vouloir être maître de sa musique et de son parcours.


I. Naissance d’une bande

Abcdr du Son : Commençons par ton enfance : as-tu grandi dans un environnement musical ?

NeS : Complètement. J’ai écouté de tous les styles, et pas forcément du rap, justement. Plus de la new wave anglaise, de la pop, du rock, beaucoup d’électro, un peu de classique, et toute la French Touch. Ça, j’ai pas mal bouffé. Et le rap, c’est vraiment moi qui suis allé le chercher.

A : Tu te rappelles de tes premiers souvenirs de rap en tant qu’auditeur ?

N : [réfléchit] Je crois que c’est Eminem, « Lose Yourself ». Ça doit être un truc comme ça, que j’avais dans mon iPhone 3GS. Pour te dire. [rires] Je ne sais plus comment je l’avais eu, mon daron avait dû me le filer en téléchargement. Du coup, je n’avais qu’un son de Eminem, c’était celui-là.

A : Et en rap français, c’est quoi tes premiers coups de cœur ?

N : Je pense que c’est en écoutant la Sexion d’Assaut à la radio, leurs morceaux mainstream. Alors que je sais que la Sexion c’était dans la découpe. Mais c’était plus les morceaux grand public.

A : Donc à partir de L’École des points vitaux ?

N : Oui, c’est ça. « Désolé ». Et ensuite, L’Apogée. En termes de rap, j’ai aussi beaucoup écouté Kaaris. Je kiffe grave. Et Gradur aussi : L’Homme au bob, j’ai pas mal fumé ce projet. [sourire] Dans le rap qui m’a vraiment parlé, il y a ensuite eu les Grünt et Double Hélice de Caballero & JeanJass. C’était des trucs qui ressemblaient plus à mon quotidien, ils rappaient des choses qui me touchaient personnellement. Je pense notamment aux débuts de Lomepal, Caballero et JeanJass. Et j’écoutais aussi beaucoup de ricains, aux débuts de la scène Soundcloud : xxxtentacion ou Smokepurpp, tous ces trucs-là un peu débiles, où il y avait juste des 808, je kiffais aussi.

A : Les sons qui cognent, saturés, mal mixés.

N : Exactement ! [rires] C’était vraiment à l’opposé du rap on va dire technique, classique, mais je kiffais grave.

A : Qu’est ce qui a fait qu’un jour, tu t’es dit « je vais me mettre à écrire un texte de rap » ?

N : Je crois que j’ai écrit avant de rapper. J’écrivais des trucs, mais je ne les rappais pas. 

A : Est-ce que c’était déjà des textes dans lesquels tu jouais sur les sonorités et les mots ? Ou c’était plutôt de la prose ?

N : C’était beaucoup de phrases en « comme », ce que tu fais généralement quand tu commences à rapper. Tu ne veux faire que des refs. Je parlais déjà de moi, je crois, beaucoup. Et il n’y avait pas cette recherche de placements. C’était plus pour écrire, avoir des formules, des trucs assez littéraires. Et je les rappais ensuite. 

A : Tu étais dans un entourage, un environnement, où il y avait une forme d’entraînement ? Quelque chose qui te permettait de progresser avec d’autres personnes ? 

N : En vrai : pas du tout. J’étais vraiment solo dans mon truc  dans le 94, je pense que je devais être le seul à rapper dans mon collège. C’est ça qui était assez dur : tu ne peux pas te comparer à quelqu’un, tu n’as pas de référent. Juste, tu fais ton truc, tu le sors sur Soundcloud, et les gens disent que c’est naze. Tu n’as pas vraiment de groupe qui se crée, tu ne peux pas t’entraîner avec d’autres gens. Donc ça a été vraiment assez dur au début. Et peut-être que c’est ce qui m’a donné plus de motivation, de détermination que les autres. Parce que quand tu commences à rapper avec des gens, tu te reposes un peu sur tes acquis dans le sens où tu n’as peut-être qu’un couplet à faire. Tu n’as pas de son solo à faire, pas de structure à penser. Je pense que c’est une des forces que j’ai peut-être : avoir eu très tôt ma propre méthodologie pour faire les choses.

A : Comment et quand as-tu trouvé des gens avec qui faire de la musique ? 

N : C’est assez récent au final. J’ai commencé à sortir, aller sur Paris. Quand tu es de banlieue et que tu vas sur Paris, c’est là où tu commences à sortir un peu. Et je commençais à rencontrer des gens qui commençaient à rapper comme moi. Mais là où j’ai vraiment commencé à rapper avec des gens, c’est avec mon meilleur pote DEEMAX en 2019. On s’est connu avant, dans une colo. Et on ne s’était peut-être pas vu pendant trois ou quatre ans. Lui rappait déjà à l’époque, pas moi. Et on s’est revu. Il a emménagé à côté de chez moi, à deux minutes. Il commençait déjà à enregistrer. Moi, je faisais ça avec des gens à droite, à gauche, dans des apparts dans Paname, mais je n’avais pas de lieu où je pouvais me poser, écouter des prod’, écrire. C’était plus des endroits où tu allais pendant deux heures, tu payais 10 balles de l’heure et tu te cassais. Ce qui fait qu’en 2019, j’ai voulu arrêter le son. J’avais été seul pendant trop de temps, je n’avais pas l’impression de progresser. Je me disais : « Tu fais des sons, mais pour aller où ? T’as pas de beatmaker, t’as pas d’équipe. » Des gens comme Caba’, Lomepal, ils avaient  des entourages. Même Alpha, Népal, la 75ème… Tu regardes ça, tu te dis « Putain, c’est ça le rap. » J’ai alors rencontré Deemax et on a commencé à faire du son puis mes premiers projets, qui ont commencé à marcher.

A : C’est à partir de là que les connexions se sont établies avec d’autres rappeurs et producteurs ?

N : Oui, après ça, tout s’est connecté assez rapidement. J’ai sorti un clip qui s’appelle « Wilson » en 2021, et c’est la première fois où je me suis dit qu’il y avait des gens qui m’écoutaient vraiment, on relayait ma musique sur Twitter. Lil Chick m’a alors repéré grâce à ce clip et on a commencé à se parler. On a alors commencé à avoir un groupe, à trouver des beatmakers, puis on s’est tous vus dans la vraie vie. Et après, c’était lancé.

A : Donc avant 2021, le rap, c’était une activité très solitaire pour toi, tu étais vraiment tout seul dans ton monde. 

N : Oui, c’est ça. Je m’enregistrais comme de la merde et je sortais ça sur Soundcloud. Je m’enregistrais au début sur iMovie et après j’avais craqué un logiciel qui s’appelait Mixpad. Et je mixais sans savoir ce que c’était de mixer. Je mettais des EQ, des effets mais je ne savais pas ce que c’était. C’est assez golri. Tout ça sur des typebeats, des trucs que je trouvais sur YouTube.

A : Quand on regarde tes sorties ces deux dernières années, on sent beaucoup plus une impulsion collective. Deemax, Yvnnis, Lyre, Lil Chick… Comment est-ce que tu as fait toutes ces rencontres là ? 

N : Quand Lil Chick me repère avec mon morceau « Wilson », il travaille sur son projet commun avec Yvnnis qui s’appelle PARHELIA. Et il voulait que je sois en feat sur un morceau. Du coup, on a fait le son en 30 minutes un soir avec Yvnnis. Ça m’a fait me dire « OK, en fait tu peux faire du son aussi rapidement et bien fait. » Donc j’ai rencontré Yvnnis en même temps que Lil Chick fin 2021. Parallèlement je rencontre le producteur BRIAN sur les réseaux, et il y a Poivre Blanc et Deemax que je connaissais d’avant et qui venaient du même coin. Tu as alors un espèce de groupe qui se crée malgré lui, et on fait un groupe Insta où tout le monde se parle. On a les mêmes refs, la même éducation, les mêmes valeurs… On fait un son, deux sons, et après une Boule Noire. Et là, c’est bon, c’était parti.

A : Sur quoi vous êtes-vous particulièrement tous retrouvés ?

N : Des refs d’Internet, des refs musicales, de films, de clips. On a beaucoup de trucs en commun. Mais chacun a son profil, son identité. C’est ça que je trouve vraiment stylé : entre nous, on n’a pas du tout la même manière d’aborder les choses ou de faire des prods. Lil Chick est par exemple très efficace. L’intro de LA COURSE, on l’a faite en une heure et demie. Alors que Poivre Blanc, il te met trois mois à faire la prod. C’est assez éclectique, mais justement, tout le monde a sa petite identité, sa carte en plus. 

A : Et comment est-ce que tu rencontres quelqu’un comme Luther ? Il n’était pas dans votre bande, non ?

N : Non, pas du tout. En vrai, c’est en diggant un peu. Je suis tombé sur son projet et je lui ai directement envoyé un message. Je me suis dit  « lui, il est trop chaud ». Je crois, que deux mois après, il sortait « Alakazam » et c’était parti. C’est marrant parce qu’au début que je m’étais fait passer pour un beatmaker, je lui avais envoyé des prods. [rires] Et à un moment, je lui ai dit, « en fait, je rappe, j’ai une maquette et tout. » C’était un peu vicieux ! Je crois qu’il avait 800 abonnés sur Insta. Mais il m’a marqué. Je me suis dit « Ce gars, il est trop chaud. » Du coup, la connexion s’est faite sur Internet, pareil, mais on s’est vu bien plus tard physiquement, quand on a fait « KILLCAM », je crois. Non, c’était à une soirée 1863 quand on avait fait un co-plateau.

A : Toi qui était très solitaire jusque là, est-ce que le fait de rencontrer toute cette bande, ça à débloqué des choses ?

N : Complètement, oui. Musicalement, j’avais des gens qui donnaient leur avis sur mes sons. Je me suis aussi mis à faire des feats et donc à m’adapter à l’écriture de quelqu’un d’autre. Et en termes de sonorité aussi, de production, ça te fait passer un step. Je dis souvent que les beatmakers font le plus gros du travail. Et en vrai, je pense que ça a donné une autre dimension à ce que je faisais. Ça m’a donné envie de carrément mieux écrire, mieux rapper.

« Tu crées quelque chose et les gens te réduisent à un truc juste de technicité, de compétition. C’est assez dommage. »

II. Naissance d’un rimeur

A : En écoutant ton début de carrière, on a l’impression que le « son NeS » naît vraiment sur l’EP COSMIC (2022). Entre N.E.S vol. 1 et COSMIC, il y a un gap énorme en cinq, six mois entre les deux. Qu’est-ce qui s’est passé durant cette période pour que tu progresses aussi vite ?

N : C’est grâce à toutes les rencontres que j’ai évoquées, notamment sur les prods. Sur N.E.S vol. 1, je crois que 90% des prods sont faites par moi. Et au niveau du travail sur l’écriture, le fait de commencer à rapper avec des gens ça m’a fait progresser. Il y a aussi eu des gros efforts sur le mix. C’est vrai que tu vois la marge en peu de temps à ce moment-là, je suis d’accord.

A : Tu as l’impression de tenir quelque chose à partir de COSMIC ?

N : À partir de COSMIC, je me dis « c’est sérieux ». Des gens commencent à me suivre un peu, à regarder mes clips, donc ça me donne encore plus la dalle. Je commence à me professionnaliser à ce moment-là et à faire gaffe à mon esthétique, sur tout ce que je sors. Ce qui marque la différence, c’est qu’avant, je ne me prenais pas la tête du tout. Je fais toujours ça pour moi actuellement, mais avant, je faisais vraiment ça uniquement pour moi et pour mes gars. Il n’y avait pas d’enjeux. 

A : Très vite, tu as aussi l’air de te prendre la tête dans l’écriture, faire de la multisyllabique, des rimes. Ça te vient d’où ?

N : C’est beaucoup d’heures passées à rapper sur des type beats boom bap, des choses très simples. J’ai toujours eu ce truc de rythme, une oreille assez musicale. Sinon, ça vient aussi du fait d’écouter des gens, être inspiré par des rappeurs et un peu retranscrire ce truc, mais d’une manière différente. En vrai, je pense que c’est juste des choses que j’ai digérées. Quand je cherche un schéma de rime, je ne me dis pas qu’il faut qu’il y ait neuf syllabes. Je trouve que c’est réducteur parce que du coup…

A : Tu n’as pas envie de faire de la technique pour la technique.

N : Non, complètement. Et en vrai, je suis assez triste de voir que… [il réfléchit, ndlr]

A : On te réduit à ça ?

N : Oui, c’est ça. D’un autre côté, je me dis que c’est des gens qui n’ont peut-être jamais écouté ma musique et qui donc, par conséquent, ont cette image de moi qui fait des multis, parce que je viens de Paris et que j’ai des cheveux longs et une casquette. Je ne sais pas quoi dire. Moi, ça me gave à des moments parce que juste tu veux juste exprimer quelque chose à travers un morceau. Tu crées quelque chose et les gens te réduisent à un truc juste de technicité, de compétition. C’est assez dommage.

A : Tu as peur qu’on t’enferme dans une image pour ensuite t’opposer à d’autres d’autres courants du rap ? On voit ça un peu aussi, des niches qui se transforment en sectes et qui commencent à dire « ça, c’est mieux que tous vos rappeurs ».

N : Ah oui ça c’est relou.

A : Alors que tu nous cites Gradur, Kaaris…

N : [soupirs] En vrai, je pense que c’est juste une question d’intelligence des gens, de bon sens, d’esprit critique, d’éducation. L’art en général, c’est subjectif. Ça veut dire que tu as des gens qui écoutent un peu de tout et tu as des gens qui s’enferment tout seul et qui après sont dans une forme de fanatisme où ils vont tirer sur d’autres artistes.Mais après, c’est difficile de dire à ta communauté ou à des gens… 

A : Tu n’es pas propriétaire de ce que pensent les gens. 

Moi, je ne fais pas de politique. Les gens font ce qu’ils veulent. Juste, nous, on est dans cette tourmente-là. Et c’est bien dommage des fois, c’est vrai. Mais pour revenir au sujet de la technique, j’aime bien les choses qui ont du sens. J’ai fait à des moments de la technique pure, mais ça déteint sur le sens global d’un morceau ou d’une line. Du coup, c’est plus un truc de feeling. Quand tu écoutes les gens qui sont techniques, comme Népal ou Zeu, qui ont pour moi un sens de la  formule et qui sont vraiment excellents, tu te dis, « c’est ça bien écrire ». Donc, tu essayes de les copier au début et après, tu digères le truc.

A : Quel est ton rapport au rap des années 90 ? Sur « PUCHKA » tu dis « J’ai 20 piges, je rappe comme un ancien ». Sur N.E.S vol. 1, tu utilises quand même l’expression « MC Wack ». Un mot qui a complètement disparu du rap aujourd’hui. [Il rit, ndlr] Tu as beaucoup écouté du rap des années 90 ?

N : En vrai, pas tant que ça. Juste les albums phares, on va dire. Opéra Puccino, j’ai grave écouté. Mon père m’a fait découvrir IAM, plus jeune. Et ensuite j’ai écouté Lunatic, Booba. J’aime bien aussi Snoop Dogg, la G-funk, Kurupt, Nate Dogg. Mais il y a aussi plein de trucs que je n’ai pas écoutés. Je ne suis pas du tout un puriste, ça me ressemblerait pas de faire le…  [réfléchit] Il y a souvent des gens qui me mettent dans cette case-là aussi, juste parce que j’ai des refs d’anciens ou que j’ai des sonorités ou des prods comme ça. Ils veulent absolument que je me sois buté au rap old school. Alors que pas du tout. 

A : Mais est ce que tu penses qu’écouter des rappeurs des années 90, ça t’a donné le goût de « bien rapper » ?

N : Oui, je pense, complètement. Je parlais du sens de la formule. Quand tu vois Oxmo, c’est ça. De la formule, de l’écriture, du placement aussi. Et les rappeurs qui ont commencé à me toucher – Caba’, Lomepal, tous ces gens-là – ont beaucoup écouté ces rappeurs. Du coup, ça fait un effet téléphone arabe. Et ça fait perdurer ces choses-là.

« Je n’ai pas envie de dériver dans un truc qui ne me ressemblerait pas pour remplir un Zénith ou un truc comme ça. Je pense qu’il faut créer sa niche, créer son mainstream. »

III. Naissance d’un son

A : On parlait tout à l’heure des producteurs que tu rencontres. Dans ta musique, en plus de l’écriture, on sent qu’il y a un souci d’avoir une couleur musicale. À quel moment est-ce que tu as compris que c’était important d’avoir des producteurs avec lesquels bosser ensemble ?

N : Sur LA COURSE, c’est là où tout a été vraiment défini. On avait déjà commencé sur COSMIC quand je les ai rencontrés et c’est sur LA COURSE qu’on a commencé à se rapprocher de ma sonorité.

A : Tu avais déjà une vision de ce que tu voulais ? Ou c’est parce qu’ils avaient cette couleur-là, qu’ils étaient forces de propositions ?

N : Je pense que c’est les deux. J’ai eu une vision des choses et il me fallait tous ces gens-là pour arriver là où je voulais aller. On va dans le même sens et ils m’apportent des choses que moi je ne peux pas avoir tout seul. Ils donnent une autre dimension à ma musique, tout simplement.

A : Ce qui est surprenant en écoutant aussi ta musique, c’est qu’en dehors de tes textes la musicalité a une grande place. Sur « LE SOURIRE D’UNE TOMBE » par exemple, tu laisses limite 30 ou 40 secondes à ton producteur à la fin.

N : Oui, complètement. Comme je disais avant, le beatmaker a autant de responsabilités que le rappeur, l’artiste. Du coup, ça me paraissait naturel. 

A : Du coup Lil Chick, BRIAN ou Poivre Blanc te challengent ? Est-ce que tu sens qu’ils t’envoient des trucs en disant : « est ce que tu crois que tu peux faire ça ? »

N : [rires] En vrai, oui et non. Parce que je suis assez casse-couilles et précis sur les prods. Mais eux aussi ce sont des gens très pointilleux. Mais si je devais te dire qui qui me challenge le plus, je dirais Lil Chick. Ça me fait chier quand je dois reposer des phases et tout, mais je le fais. [sourire] C’est lui qui me challenge plus dans la sonorité. Après, sur « LE SOURIRE D’UNE TOMBE », c’est moi qui ai eu l’idée de faire de la 2-step, par exemple. Mais après, c’est lui qui a construit autour et on a fait le morceau à deux. Mais je pense que oui, inconsciemment, il y a un truc de challenge. « Vas-y frère, viens, on teste ça ». Toujours en essayant de garder le même esprit.

A : Sur le morceau « SCOREBOARD », tu dis « je sortirai pas de musique plus lisse pour toucher plus de gens ». Tu es vraiment dans un état d’esprit où tu n’as pas envie de modifier ta musique pour essayer d’avoir un plus grand succès commercial ? 

N : Oui, c’est ça. Je suis très ouvert musicalement, même si le fond reste très rap. Si tu écoutes « LE SOURIRE D’UNE TOMBE », c’est rap dans le fond, mais dans la forme ça sonne presque électro. Je n’ai pas envie de dériver dans un truc qui ne me ressemblerait pas pour remplir un Zénith ou un truc comme ça. Je pense qu’il faut créer sa niche, créer son mainstream. Alpha Wann par exemple, il a créé son mainstream. Freeze, pareil. L’important c’est de créer sa communauté. Et après, s’il y a des gens qui te suivent, tant mieux.

A : Sur « LPALP » tu as d’ailleurs cette phrase qui est presque jusqu’au-boutiste, mais avec un côté egotrip derrière : « Ce n’est pas du rap de minable, c’est du rap élitiste. »

N : [sourire] C’est envers moi-même. C’est cette idée de rester pointilleux, éviter de tomber dans ce truc de sortir de la musique en s’en battant les couilles. Parce que tu as des gens qui le font très bien, mais moi, ce n’est pas la vision que j’ai de la musique et des choses. Et même si je suis très chill, très golri, j’aime bien quand les choses sont bien faites. Parce que je réfléchis souvent sur le long terme, comment les choses vieillissent.

IV. Zone de turbulences

A : Tu parlais de la Boule Noire tout à l’heure. Elle a été complète très vite. Tu as aussi rempli une Cigale en moins de 24 heures il y a quelques semaines, pour septembre prochain. À la fin de l’année dernière, il y a aussi eu cette anecdote du plancher de ton concert à la Maison de la Radio qui casse à cause des pogos. Dans un de tes morceaux, tu dis justement que tu essayes de garder les pieds sur Terre. Quand tu es dans ces moments-là, dans ces moments de réel… 

N : Tu ne peux pas les avoir. C’est impossible. C’est des moments…

A : C’est des moments d’adrénaline.

N : C’est ça. Par contre quand tu reviens à l’hôtel le soir ou quand tu rentres chez toi dans le train le matin, tu es une grosse merde. Je te jure. Je ne sais pas si ça fait ça à tous les rappeurs, mais moi, c’est l’effet que ça me fait. Tu arrives à Gare de Lyon, tu dois prendre le RER C : oh la flemme ! [sourire]

A : Gims racontait aussi ça dans une interview dans Le Code. Il expliquait qu’après son Stade de France il s’était retrouvé solo devant une série avec des Petits Écoliers

N : C’est vrai, c’est très contrasté, tu vois. Tu es as un épicentre d’amour à un moment, et le lendemain, t’es tout seul dans un appart, tu joues à Rocket League. C’est très contrasté, mais c’est ça qui est cool aussi.

A : À côté de ça, tu continues tes études ?

N : Ouais. 

A : Donc maintenant, tu as trois paramètres : tu dois faire de la musique, la faire en concert, et en plus tes études. 

N : Oui. C’est très chaud. C’est très, très chaud. [rires]

A : On doit te reconnaître en cours, en plus. 

N : Oui, mais ça va. Les gens, sont pas… [Il réfléchit] Je suis dans une petite école, les gens ne sont pas trop relous, même dans ma classe. Par contre les premières années, ils sont marrants. Quand ils font des gros yeux en me voyant à 9h00 le matin comme ça. « Ouais, ouais, frère, je suis en cours ». [rires]

A : « Moi aussi, j’ai des DST ! »

N : Ouais de fou. Mais vas-y, ça fait partie du truc. J’ai un pacte avec ma mère, il faut que je finisse les études. Du coup, c’est pas mal que je fasse les choses comme ça.

« Parfois tu as l’impression de dire des choses insignifiantes, mais ça va encore plus parler à des gens. C’est souvent sur des petits détails qu’ils pètent un câble.  »

V. Rap d’émotion

A : Dans ta musique il y a quelque chose de mélancolique. Est-ce que la tristesse est une émotion que tu aimes en musique ?

N : En vrai, oui. Même en tant qu’auditeur. Souvent, j’écoute des trucs très introspectifs, je ne sais pas pourquoi, ça me touche. Du coup, je pense que j’aime bien en faire naturellement. Et je ne me pose pas la question de « il faut que je sois mélancolique pour ce track-là, il faut que je sois dans ce thème pour ce track-là ». C’est vraiment en fonction des humeurs, des feelings que j’ai. Et aussi de la prod’. Ça joue beaucoup parce que ça te met tout de suite dans un truc où c’est en fonction du sample, en fonction de la basse, que  tu vas soit avoir envie de découper, soit vouloir dire des atrocités, soit parler de toi.

A : Par contre, il n’y a pas de pathos dans ta musique, on ne sent pas ce truc d’être larmoyant pour être larmoyant.

N : Oui parce que c’est quelque chose qui me gave un peu chez certains artistes. Je trouve ça un peu lourdaud, et aussi dommage parce que tu peux parler de sujets en étant assez subtil et précis pour donner une émotion encore plus grande. Parfois tu as l’impression de dire des choses insignifiantes, mais ça va encore plus parler à des gens. C’est souvent sur des petits détails que les gens pètent un câble. 

A : Dans « LE SOURIRE D’UNE TOMBE » tu dis aussi plusieurs fois « il faut accepter ». On sent que tu veux évoquer le thème du lâcher prise. Est-ce que c’est aussi une manière subtile, de dire, un peu comme « Ça va aller » que ce n’est pas grave de pleurer, d’exprimer ses émotions ?

N : Ouais, merci de l’avoir vu, en vrai. Parce que c’était voulu. Et je me suis bien pris la tête sur le texte. Parce que quand tu veux dire des choses personnelles, mais qu’il ne faut pas trop en dire non plus… Du coup, c’est ça, c’est toute la réflexion derrière le texte.

A : Est-ce que tu as envie de faire de la musique pour que les autres se reconnaissent aussi dedans ? Est-ce qu’avec le temps, il y a quand même ce truc de faire résonner avec les autres ?

N : En vrai, oui et non. Parce que ça serait mentir de dire que tu fais que de la musique pour toi quand t’as des salles remplies. Sinon, tu te mens à toi-même. Mais moi, j’ai toujours la même méthode d’enregistrement, de conception, de création. Je ne me mens pas à moi-même quand je crée. Mais après oui, forcément, quand t’écris un texte, tu te dis : « Ah cette phase-là, est ce que ça va parler aux gens ? » Et quand tu es sur scène et que les gens crient telle line ou telle line que tu as écrit quand tu n’étais pas bien, c’est incroyable. Ça fait résonner le propos, tout simplement. 

A : Tu viens du parler du fait que tu n’es parfois pas bien. Il y a une autre thématique qui revient souvent dans ta musique, c’est les doutes. Parfois, tu sembles déterminé à les dépasser. Parfois on sent qu’ils deviennent pesants. Quelle place tu laisses au doute dans ta création ?

N : Je pense que ça dépend des contextes. Souvent je doute parce que je suis exigeant avec moi-même. Mais c’est autant une bonne chose qu’une mauvaise chose. Quand tu as fini un projet et que tu te dis « je ne vais pas le sortir » parce que tu n’es pas content de toi, ou parce qu’un mec a dit qu’il aimait pas le son… par exemple Poivre Blanc n’aime pas du tout « LE SOURIRE D’UNE TOMBE ». Et ça m’a fait chier. Mais ce n’est pas pour autant que je ne l’ai pas sorti. Donc en vrai…

A : Tu restes maître.

N : Oui, bien sûr, évidemment.

A : Tout à l’heure, tu disais aimer la musique triste et que ça pouvait se ressentir un peu dans ta musique. Pour autant, il y a aussi quelque chose d’optimiste dans ce que tu fais : ton dernier EP s’appelle ÇA VA ALLER, tu répètes souvent dans ta musique « le positif attire le positif », tu dis que tu es « la lumière dans le noir »

N : Oui, c’est ça. Et c’est souvent grâce à des ambiances, quand tu es avec tes potes et avec tes proches, tu as envie de passer au dessus des choses. C’est des prises de recul, des prises de conscience dans ces moments là où tu essayes juste de ne pas te faire happer par les choses et tu prends du recul. C’est tout ça.

VI. Course de fond

A : Qu’est-ce que que tu voulais faire de différent sur ÇA VA ALLER par rapport à LA COURSE ? 

N : Le changement sur ÇA VA ALLER, c’est qu’il y a un peu plus de structure, avec des refrains. C’est quelque chose que je me suis imposé : j’ai essayé d’un peu plus structurer les choses. Et ça fait des morceaux un peu plus longs. 

A : Le but de ÇA VA ALLER c’était de faire progresser ta musique par rapport à LA COURSE ? 

N : Oui, c’est ça, et développer le projet LA COURSE. Je les vois vraiment comme des projets complémentaires en termes d’esthétique. Dans les deux, tu as des ambiances électro par exemple. Pour moi, c’était juste les prolongations. LA COURSE avait des morceaux très courts, avec cette idée de rapidité, d’instantané, comme des premiers jets. Et dans ÇA VA ALLER je voulais un peu plus poser les choses, et aller plus au fond des choses. Du coup, je me suis permis de faire des morceaux plus longs pour me dire que ça allait mieux vieillir en structurant un peu plus. 

A : Tu as fait ta dernière pochette au milieu des montagnes dans un glacier. Est ce que tu as fait, ou est-ce que tu es amateur de sport extrême ? De sports de l’eau, de glisse, ce genre de choses ? 

N : En vrai, j’en ai fait un peu, mais…

A : Dans les sports de glisse, et les sports extrêmes de manière générale, il y a le fait d’être seul, parce que ce sont des sports individuels, même s’il peut y avoir une énergie collective. Il y a aussi un aspect d’exigence, parce que c’est parfois dangereux. Et le fait de se sentir seul face au vide, la vitesse, l’adrénaline, ça fait penser à certaines choses de ta musique. C’est pour ça que je te demandais si c’était des sports auxquels tu étais sensible.

N : Oui, je kiffe grave. T’es un ouf ! [rires] Je n’avais pas vu le lien. Oui, de ouf. Je suis d’accord avec ça. Ce truc d’individuel, de chercher l’adrénaline. 

A : De chercher le dépassement de soi.

N : Oui, exactement. 

A : Tu parles de ça dans certains morceaux : dépasser ses propres craintes, ses inquiétudes. On en revient aux doutes. Tu es au bord d’une falaise, tu sautes avec ton parapente.

N : Oui, c’est ça. Tu floppes, tu floppes, c’est mort, frère. [rires] Mais oui, je suis d’accord. 

A : Tu as quand même l’impression d’avoir un parachute aujourd’hui ?

N : Je ne sais pas. Je n’ai jamais de parachute. C’est chaud.

A : Tu y vas sans filets ? 

N : Ouais.

A : Après avoir sorti des EPs, quelle est la suite pour toi ? Tu t’interroges sur les formats ? Tu es attaché au format album ?

N : En vrai, je pense que je suis tellement attaché au format album que si j’en fais un, je veux que ça soit quelque chose. Je suis quelqu’un qui fait les choses étapes par étapes, je n’ai pas envie d’aller trop vite. Donc je pense que je vais rester un peu dans les formats courts, histoire de développer encore la vision de ce que je veux faire, avoir plus de gens qui me suivent. Et à un moment, il y aura un long format… 

A : Tu veux être sur de ton univers, qu’il soit musical ou visuel, avant de passer l’étape de l’album ? 

N : Oui, en vrai, complètement. C’est ça. Parce qu’ill y a plein d’artistes qui ont fait des albums et j’ai l’impression que c’était assez prématuré. Et je trouve ça dommage. Alors qu’un mec comme Alpha qui arrive avec UMLA… 

A : Il a aussi pris son temps. Il démarre en 2011 et sort son premier album en 2018. Si on compare avec ta situation où tu as vraiment commencé à sortir de la musique il y a deux ans, il n’a pas sorti son premier album en 2013. 

N : Oui complètement. Je pense que c’est des choix de carrières, et aussi des rencontres. Pareil, regarde quelqu’un comme Prince Waly. BO Y Z n’est pas son premier album. Il arrive plus tard avec Moussa. Je trouve que c’est parfait. C’est important de prendre son temps. 

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2 commentaires

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  • Raphaël,

    Merci Alex !

  • Alex,

    Incroyable interview toute en finesse. Chapeau à l’artiste NeS que j’écoute beaucoup et au magnifique travail des journalistes et photographes pour ce chef d’oeuvre !! CQSS