Guizmo : les premières fois
Interview

Guizmo : les premières fois

Moins d’un an après être apparu sur nos écrans d’ordinateur via YouTube et les Rap Contenders, Guizmo a sorti son premier album. Si on pouvait penser que l’entreprise était audacieuse, le défi a été relevé haut la main puisque Normal connaît un succès d’estime et commercial. Pause bière avec la partie sombre de l’Entourage.

Photographie : Fifou


Abcdrduson : Ton premier choc rapologique ?

Guizmo : Je crois que ça devait être « Changes » de Tupac que j’ai découvert en 1998 via mon grand frère. Littéralement, je pète les plombs.

J’ai une mère qui n’a que vingt ans de plus que moi et qui écoutait beaucoup de rap. Du coup, j’ai été bercé par des musiques urbaines à l’époque. Mais il s ‘agissait surtout d’artistes français comme La Cliqua, le Secteur Ä… Quand mon frère a commencé à écouter du rap et à rapper, j’en ai mangé encore plus. Je me souviens qu’il m’avait fait écouter les premiers sons de Booba comme « La meuf » et « Cash Flow » qui m’avaient aussi bien secoué. Ceci dit, Tupac a vraiment été la gifle.

Un an après, je pète à nouveau un câble quand j’écoute « Everyday struggle » de Biggie. D’ailleurs, sur mon deuxième album qui sort dans six mois, j’ai fait rejouer ce beat là et j’ai rappé dessus. Pour moi, c’est clairement le meilleur morceau de Ready to die.

A : La première fois que tu as dit à ta mère que tu faisais du rap ?

G : Elle n’a pas compris. En fait, c’est elle qui me le dit, pas moi [Sourire]. Elle était tombée sur des textes de rap qui se trouvaient dans un cahier et, innocemment, elle m’avait demandé ce que c’était. Je lui avais répondu que c’étaient des poésies, des petites conneries…

Quand j’ai signé un contrat et que c’est devenu plus sérieux, il a fallu lui annoncer, d’autant que mes producteurs sont des gens qui sont très présents dans ma vie. Je ne parle pas de Néochrome mais de Zone sensible parce qu’il s’agit de deux choses dissociées. Il est vrai que Yonea et Willy sont connus pour le travail réalisé avec Néochrome mais ils ont monté ensemble la structure Zone sensible sur laquelle je suis signé. Quand je lui ai dit qu’on allait me donner de l’argent pour faire du rap, ça a d’abord été le gros doute et ensuite la fierté. Elle est allée à la FNAC, elle a acheté le coffret, elle porte le t-shirt Guizmo… J’ai fait plein de conneries, j’ai été en taule… Elle en a souffert. Je pense qu’entendre toutes ces choses que je ne lui ai jamais dites en face, ça doit la rendre fière.

Je sais que certains rappeurs n’aimeraient pas que leurs mères écoutent leurs albums… Même si ma mère n’avait pas de sensibilité au rap, elle sait que je viens vraiment de la rue et que je ne mens pas dans mes morceaux. A chaque fois que j’ai eu des soucis judiciaires, c’est ma mère qui en a payé les frais donc je ne me vante de rien du tout. En revanche, tu peux mentir à tes potes sur ce que tu as fait ou pas mais ta mère connaît la vérité et sait d’où tu viens. Voilà pourquoi certains auraient sûrement honte si leurs mamans écoutaient leur musique.

A : La première fois que tu as vu ton disque dans les bacs ?

G : J’ai été l’acheter le 3 octobre, jour de la sortie. Ça m’a fait bizarre… J’étais en tête de gondoles à la FNAC, placé au-dessus de rappeurs qui vendent 50 à 60 000 exemplaires de plus que moi… Ça fait énormément plaisir. Sur place, je vois que des gens l’achètent en même temps que moi et c’est un moment magique. J’ai acheté beaucoup de disques dans ma vie et le jour où tu vas acheter ton propre album, c’est assez fou. Ça n’est pas un geste présomptueux de ma part d’aller acheter mon propre CD. C’est un CD qui restera sous plastique à vie et je l’ai surtout fait pour le côté symbolique.

A : Ta première réaction face au public qui s’identifie à toi et connait tes lyrics par coeur ?

G : Dans ce public là, il y a en plus des gens très jeunes. Justement, ça me fait plaisir que des petits jeunes puissent s’identifier à ce que je dis. Quand j’étais petit et que je regardais des dessins animés, je savais que je ne pouvais pas voler ou lancer des lasers avec mes yeux mais ça ne m’empêchait pas d’être fasciné par ce que je voyais. Je pense qu’il y a quelque chose comme ça dans ce public super jeune qui ne vient pas du même milieu social que moi. Je n’irais pas jusqu’à dire qu’ils sont fascinés mais, même si les histoires que je raconte ne les touchent pas dans leur quotidien, ils les comprennent et les respectent. C’est là que je me dis qu’il ne faut pas se fixer de limites et, même si je rappe la rue, je peux parler à des personnes qui n’y vivent pas. Ces personnes là se retrouvent sûrement dans le mal-être dans lequel j’étais quand j’ai écrit l’album. Ce mal-être là n’est pas exclusif à mon quartier mais se retrouve dans le coeur des gens qui ont rencontré des difficultés dans la vie. C’est ce qui crée la proximité avec le public.

A : La première fois que tu as commencé à écrire pour ton album ?

G : J’ai écrit ce disque en huit mois. En fait, je préparais une mixtape avec mon grand frère qui devait s’appeler Comme avant et sur laquelle il y avait une vingtaine de morceaux. Pour des raisons personnelles, on a décidé de stopper l’enregistrement de cette mixtape et de ne pas la diffuser. De cette mixtape, il y avait 5 ou 6 couplets que je ne pouvais pas abandonner. J’en ai fait 5 ou 6 morceaux et, autour d’eux, j’ai fini de construire l’album.

« Les gens les plus rigolards sont souvent les plus écorchés vifs. »

A : Si je te dis que ton disque m’a rappelé le premier album de Salif dans l’esprit et l’attitude, ça te parle ? Dans IV my people, Salif avait le côté un peu plus rebelle et je-m’en-foutiste que les autres, un peu comme toi dans l’Entourage…

G : Tous ensemble, chacun pour soi est mon album préféré ! Je ne sais pas si quelqu’un sera capable de refaire un morceau comme « Dur d’y croire ». « Streets » a giflé quatre générations d’un coup, c’était un strike. « Why », « Elle est partie », »C’est chaud »… Il y avait une multitude de morceaux qui faisaient péter les plombs. Je me retrouve énormément dans son premier album.

A l’époque, il devait avoir entre 19 et 20 ans et, comme moi, il parlait beaucoup d’alcool. Quand tu fais ça, tu es rapidement catalogué comme le boute-en-train de l’équipe tout le temps défoncé mais, derrière ça, il y a souvent un mal-être profond. Les gens les plus rigolards sont souvent les plus écorchés vifs. Au-delà de l’alcool, du shit et des histoires de rue, il se cache une vraie subtilité dans ce disque.

A : Les premiers rappeurs qui t’ont influencé ?

G : Salif, Nubi et, des années après, Dany Dan. En rap us, il y a eu Tupac et Biggie avec All Eyez on me et Ready to die.

En France, j’ai aussi pris une méga gifle avec Mauvais œil et, ensuite, Temps mort. J’ai toujours aimé Ali sans être complètement fan non plus donc j’étais content de voir Booba sortir un album solo. Ensuite, il y a eu Nubi et Salif.

J’ai beaucoup écouté Chiens de Paille également, la Scred, MC Solaar… Et puis, comme tous les jeunes de mon âge, j’ai écouté des morceaux de Rohff et des choses plus actuelles.

Pour revenir sur Chiens de Paille, je me demande encore comment ils ont réussi à faire un morceau comme « 1001 Fantômes ». Comment raconter le tumulte d’une personne en 3 couplets…

A : Ta Première rencontre avec les mecs de l’Entourage ? Avec Yonea et Willy ?

G : La plupart de l’Entrourage est parisien alors que je suis banlieusard. Fin 2008-début 2009, je sors de prison et je me retrouve dans un truc de réinsertion dans lequel on peut freestyler, écrire etc… Il se trouve que ça se situe dans le quartier de Alpha Wann. Un jour, il déboule, on freestyle ensemble et il trouve que, pour un mec de rue, je rappe super bien. Du coup, il m’invite à poser un freestyle le soir même pour la première tape du S-Crew. C’était une des première fois que j’allais en studio et, depuis ce moment-là, on ne s’est plus lâché.

En ce qui concerne Yonea et Willy, ils avaient déjà signé tout le S-Crew avant de m’approcher. Ils m’ont dit apprécier ce que je faisais et ça s’est fait naturellement. Yonea a beau être le fondateur d’un label historique, on entretient vraiment une relation familiale. C’est comme un grand frère du quartier. Même si je reste admiratif du travail qu’il fait pour moi, je ne suis pas impressionné à chaque fois qu’il m’adresse la parole parce qu’il a fondé Néochrome. Ou parce que Willy fait du cinéma et a bossé avec la Scred. Pour travailler ensemble, il faut passer au-delà de tout ça.

A : Quels sont les premiers retours que tu as eu sur l’album ?

G : Je n’ai eu que des retours positifs ! Ça fait extrêmement plaisir de voir que des gens me supportent et me suivent. Il s’agit de personnes qui sortent 11,99 euro de leurs poches alors qu’ils pourraient aller mettre le plein dans leur scooter. Ils viennent aux showcases, aux séances de dédicaces… C’est l’accomplissement de la première étape de ma carrière.

A : Tu as vingt ans et on peut t’imaginer un peu tête brulée, pas le genre à se projeter dans l’avenir. Tu te vois rapper jusqu’à soixante piges ?

G : Je sais déjà que j’arrêterai à trente ans maximum…[Longue hésitation] Peut-être que je dis ça à vingt ans mais que je changerai d’avis ? Peut-être que les rappeurs qui n’ont toujours pas arrêté à trente ans passés ne me donnent pas envie de continuer ? Si je dois continuer à rapper des histoires de rue à trente ans pour vendre des CD’s…J’espère qu’à cet âge là j’aurai un pavillon, une femme, des enfants et que je prendrai du bon temps. Si j’arrive à cette situation là, je ne pourrai plus rapper… Je pense qu’il faut être un peu torturé pour rapper.

A : La première fois qu’on a réellement entendu parler de toi, c’était probablement lors des Rap Contenders. Tu as senti l’effet que ça a eu sur ta carrière ?

G : Les Rap contenders ont fait notre buzz. Même si on avait brûlé les open mics avant, on ne pesait rien sur le net. Je n’ai peut-être pas un profond respect pour les organisateurs mais je suis obligé de reconnaître qu’ils m’ont permis de m’exposer et de gagner en notoriété.

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