Georgio, en attendant Bleu Noir
Interview

Georgio, en attendant Bleu Noir

Il a 22 ans, fréquente l’ensemble de la jeune scène rap parisienne, et finance son album uniquement grâce aux internautes. Georgio continue peu à peu son ascension et sort de son studio pour nous parler de son futur premier disque. Rencontre avec un garçon prêt à faire le grand saut.

Photos : David Delaplace

Georgio reçoit dans son repère, celui qu’il décrit tant dans ses textes, le dix-huitième arrondissement. Paris Nord. Un lieu de rendez­-vous évident quand on écoute la musique du personnage : personnelle, intime, attachée à ses racines. Le début de l’été annonce pour Georgio l’arrivée des dernières semaines de peaufinage de son premier album, Bleu Noir, attendu pour le mois d’octobre. Un disque qu’il a longuement pensé, travaillé, modifié, et qui est maintenant bientôt prêt. L’impatience, un mot qui décrit peut-être l’état d’esprit du jeune rappeur de 22 ans au moment de notre rencontre. Impatient de se livrer sur un long format, et de « franchir un cap » comme il l’explique. Ce cap, il l’attendait depuis longtemps : une manière pour lui d’enfin se livrer sur une heure entière, plutôt que de se limiter à un format court. Un nouveau défi, qui n’effraie absolument pas Georgio. Au contraire.


Abcdr Du Son : La dernière fois que l’on t’avais vu, tu venais de sortir ton EP À l’abri. Aujourd’hui tu es en studio pour travailler sur ton premier album. Où en es-tu ?

Georgio : Je recommence à dormir la nuit là. [sourire] J’ai fini l’enregistrement à 98%, on est rentrés dans la phase de mixage. Il y a un ou deux morceaux que j’aimerais encore enregistrer, mais on approche vraiment de la fin.

A : Cet album, c’était quelque chose que tu envisageais depuis longtemps ?

G : Oui, même quand j’étais en train d’écrire mon EP À L’abri, je savais que la prochaine étape allait être celle de l’album. Un éditeur m’a même proposé de sortir encore un EP après mon dernier mais j’ai refusé. C’était hors de question, je sentais qu’il fallait que je fasse un vrai disque.

A : Sur chacun des tes projets, on a l’impression qu’il y a une couleur qui transparait. Soleil d’hiver, la tristesse, À L’abri, la mélancolie… tu as une direction en tête pour Bleu Noir ?

G : Avec moi, c’est simple : la direction du disque, ce sont mes humeurs, donc ça dépend vraiment des morceaux. Bleu Noir est la suite logique de mes dernières sorties. Il y a plus de prises de risques : j’ai par exemple collaboré avec un chef d’orchestre sur un morceau, aucun beat, juste du piano et d’autres instruments. Je ne peux pas encore trop en parler, on n’a pas terminé de travailler dessus mais ça fait partie des choses que j’ai tentées. Les refrains sont plus travaillés, chaque mot est vraiment pensé avant…

A : Tu as essayé plus de choses parce que le format était différent de celui d’un EP ? 

G : Ce n’est pas que j’ai essayé, j’ai fait plus de choses. « Essayer », ce serait ne pas être sûr de soi. Alors que le disque est rempli de partis pris totalement assumés. J’ai des refrains beaucoup plus chantés, des thèmes beaucoup plus marqués… Avant, j’écrivais énormément, ça partait dans tous les sens. Pour mon album, j’ai plutôt essayé de cadrer le thème. Mais ça ne m’empêche pas d’aller dans plusieurs directions. Tout est beaucoup plus pesé. Chaque morceau est un vrai coup de poing sur la table.

Georgio - « Appel à la révolte » (2015)

A : Est-ce que tu vas céder aux sirènes du single radio dans un album rap ? C’est un concept qui arrive aussi dans les sorties indés…

G : Il y a des morceaux qui sonnent clairement plus « single » que d’autres mais c’est plutôt parce que je le voulais. Les radios, ce n’est pas ce qui me motive : le problème, c’est plutôt que, dans un disque, tu as besoin de souffler à un moment. Des couplets dans tous les sens, ça marche, OK, mais, à un moment, ça fait plaisir d’avoir de la musicalité, un bon refrain, pour ne pas non plus décrocher. J’aime bien les morceaux longs, je n’ai aucun soucis avec ça mais ça fait plaisir aussi de travailler sur un titre simple et pas trop long. Il ne faut pas se priver de le faire parce que tu as peur que les gens disent que tu donnes ton cul aux radios…

A : Ton disque a été financé par les internautes, vous avez même dépassé la somme prévue. Pourquoi avoir fait ce choix au lieu d’aller dans une maison de disque ? 

G : J’ai été approché par des maisons de disques après la sortie de mon dernier EP. J’ai été aux rendez-vous pour voir ce qu’ils avaient à me proposer. Entre-temps, mon management et moi avons eu cette idée de financement, directement avec ceux qui m’écoutent et me soutiennent. C’est tellement plus fort et vrai qu’un contrat signé en fait. Du coup, on met notre propre argent, on rajoute celui de tous les contributeurs et on organise tout. Ca nous fait charbonner trois fois plus, avec les distributeurs, pour les clips… Mais tu fais ce que tu veux, avec l’aide financière des gens qui apprécient ta musique. C’est vraiment ce qu’il y a de mieux.

A : Les 10 000 euros que tu as récupéré avec le prix Deezer/Adami ont dû bien aider du coup ? 

G : Carrément. Je les ai mis directement dans le disque. J’ai envie de gagner ma vie mais je ne veux me moquer de personne, encore moins des gens qui m’ont aidé financièrement. Vu que j’ai envie de faire le meilleur disque possible, autant faire les choses à fond, artistiquement mais aussi financièrement. J’ai pu travailler avec des ingés sons réputés, comme Reptil – qui a bossé avec Asocial Club –  ou même Renaud Letang [NDLR : réalisateur et ingénieur du son qui a travaillé notamment avec Alain Souchon, Oxmo Puccino et Manu Chao], je peux faire des beaux clips, avoir un bon studio avec du meilleur matériel… Ce sont des petites choses comme ça qui font que tu travailles sur un meilleur disque au final.

A : Et le fait d’être financé par tes fans, ce n’est pas une forme de pression supplémentaire ? Tu dois encore moins les décevoir…

G : Bien sûr, il y a une petite pression par rapport à ça. Tu as envie de ne décevoir personne et ça peut être stressant si tu te prends trop la tête. Mais tu l’oublies quand tu fais le disque sinon tu ne t’en sors jamais. Si les gens ont participé, c’est parce qu’ils ont envie d’entendre ce que je fais. Il y aura forcément des déçus sur quelques titres mais je pense que ce sera un disque qui me représente. Et c’est le plus important.

A : Comment tu as rencontré Fauve ? Et qu’est ce que ça t’a apporté ?

G : Ils cherchaient une première partie rap et on avait un ami en commun. Il leur a fait écouter Soleil d’Hiver et, à partir de là, on s’est hyper bien entendu et on a fait des dates ensembles. Au niveau des textes, j’aime beaucoup et, musicalement il y a des choses qui se rapprochent du rap… J’ai des idées très fixes sur ce que je veux. Mais ça fait découvrir ma musique à des gens qui n’écoutent pas forcément de rap et c’est ça qui est intéressant. C’est un putain d’honneur d’être sur leur album. Ils avaient pensé à moi pour m’inviter sur le disque, ils me l’ont envoyé, j’ai écrit mon couplet en un soir et on a modifié après. En terme de notoriété, quand tu fais un featuring avec un artiste gros comme ça, ça ramène forcément des gens.

« C’est quand le monde s’éteint que tu es inspiré : j’ai l’impression de voler des heures de vie aux gens qui se couchent tôt et se lèvent tard.  »

A : Il y a très peu de featurings sur tes EPs, tu as quitté ton collectif 75e Session… Si on te dit que tu es quelqu’un de solitaire, tu es d’accord avec ça?

G : Clairement oui. J’écris tout seul chez moi le soir et c’est rare que je m’arrête de gratter pour me dire : « faut que je laisse un couplet pour telle personne, ça tuerait. » Ma musique est introspective, ça me raconte pas mal donc ça laisse peu de place à un autre. Quand j’écris pour un projet important comme un EP ou ce premier disque, je pèse chaque mot, chaque virgule… C’est difficile pour moi d’arrêter pour me dire que je vais laisser un vide pour quelqu’un d’autre.

A : Ce n’est donc pas un cliché, Georgio qui refait le monde en écrivant la nuit seul dans sa chambre ?

G : Ah non non ! Regarde mon Twitter, il y a toujours des tweets qui se baladent à 2 ou 3 heures du matin. [sourire] Je préfère écrire la nuit : tu es un peu dans ta bulle, la vie s’est éteinte, alors que toi tu es encore éveillé. C’est quand le monde s’éteint que tu es inspiré : j’ai l’impression de voler des heures de vie aux gens qui se couchent tôt et se lèvent tard. Un peu comme une boule à neige que tu secoues : moi, je suis le truc fixe au milieu. [rires] T’es presque dans un état de transe : tu es crevé, tu continues d’écrire mais tu as la satisfaction d’écrire une mesure qui te plaît… c’est l’atmosphère que je préfère pour écrire des textes.

A : On dit souvent, que tu es très jeune, mélancolique… Tu n’es pas agacé par ces étiquettes?

G : Non, vraiment pas. C’est la vérité ! Je m’en fous qu’on me donne une image parce qu’elle peut tout le temps changer. Je pense que les gens qui écoutent ma musique ont une image de moi différente par rapport à ceux qui me voyaient quand je travaillais en intérim pour Direct Matin il y a quelques années. [sourire] Et encore, parmi ceux qui écoutent ma musique, la représentation que l’on se fait de moi n’est pas la même entre un fan de la première heure, et quelqu’un qui n’écoute que depuis À L’abri. Regarde, même toi, je pense que tu as une autre image de moi depuis que tu me vois avec mon diabolo grenadine et mes M&M’s en interview. [rires]

A : 
Tu accordes tout de même de l’importance à ton image en tant qu’artiste?

G : Oui forcément. J’ai juste envie d’avoir une image simple, sans rentrer dans aucun cliché. En fonction des gens avec qui tu es, tu ne donnes pas la même image. Je ne suis pas le même avec mon public, mes potes, ou avec mes parents ou mon petit frère. L’essentiel pour moi, c’est de rester humble, simple, gentil. Des choses basiques, quoi.

Bleu Noir, le premier album de Georgio est attendu pour Octobre 2015. Il sera en concert à La Cigale le 22 Janvier 2016.

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3 commentaires

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  • Virgile,

    COmpletement conquis par Soleil D’hiver, déçu par A L’abri. J’attend le second album avec impatience, il ramène de la fraicheur. Mais je doute que l’album marche sur le plan Business.

  • Amaglio,

    Depuis presque 2 ans, j’espère qu’il gardera toujours ce naturel et qu’il va tout déchirer ! 
    Un coup de cœur musical, encore merci pour tout cet amour

  • Trooper,

    Futur grand, je l’ai croisé et sa simplicité est frappante. Il mélange dans sa musique une vie difficile et une fragilité assumée ça change, j’irai acheter l’album