Che Pope, l’éminence grise
Interview

Che Pope, l’éminence grise

Travis Scott l’éponge, le premier hit de Beyoncé, G.O.O.D Music comme antithèse de Cash Money, Diddy coach en développement personnel… 24 minutes avec le producteur Che Pope, c’est une succession d’histoires toutes plus extraordinaires les unes que les autres. On vous raconte.

Mercredi 28 octobre. Che Pope est venu donner une conférence dans le cadre de la Red Bull Music Academy à Paris. À ses côtés, il y a sa femme, assise dans l’ombre de cette salle de la Gaité Lyrique. C’est la première fois qu’elle l’accompagne sur un déplacement pro ; en temps normal Che Pope voyage solo. Elle l’écoute, prend quelques photos et assiste aux interviews qu’il donne ensuite dans l’un des neuf studios.

Durant notre entretien, il la regarde souvent, la sollicite même lorsque sa mémoire lui fait défaut. Che Pope est très discret. Il n’est de toute évidence pas de ceux qui aiment se raconter. Lui, il préfère écrire toutes ces histoires loin du clinquant, en restant un personnage de second plan.

Il y a pourtant très peu de producteurs qui peuvent se targuer d’avoir la longévité et la carrière d’un Che Pope dans l’univers du hip-hop aujourd’hui. Très peu qui ont réussi à s’installer dans sa posture aussi. Car là où beaucoup se sont fait un nom en devenant des faiseurs de hits, Che Pop, lui a toujours choisi le chemin des audacieux. Il va vers ces artistes qui font la différence, imposent des styles, des idées, la nouveauté.

Pas très étonnant alors de l’avoir retrouvé président de G.O.O.D Music, le label de Kanye West, champion toute catégorie en matière d’exploration.


Abcdr du Son : Quand tu as commencé à faire de la musique, tu traînais avec Diddy. C’était comment ?

Che Pope : Incroyable. Diddy, c’est un mec qui te booste vachement. À ses côtés, n’importe qui peut très vite se dire :  « Je peux devenir président des États-Unis ou même contrôler le monde. » C’est ce genre de mec-là. Il a cette énergie positive, cet état d’esprit. Mais à cette époque, je n’étais pas vraiment certain de vouloir en vivre. Diddy, je l’ai vraiment rencontré dans ses débuts. On faisait plus du son à la cool. Il n’était pas la star qu’il est aujourd’hui.

Après je trainais avec des artistes plus établis, des mecs comme Q-Tip ou Questlove. Ils ne se prenaient pas du tout au sérieux, même si ça marchait déjà hyper bien pour eux. Pareil pour Teddy Riley. La première fois qu’on s’est rencontré, le mec m’a simplement dit : « Viens faire un tour dans mon studio. » Donc ça s’est fait très naturellement. Ne jamais avoir été dans le délire groupie, ça m’a aussi vachement aidé. Quand la plupart des types demandaient à Teddy : « Hey, combien t’as pris pour tel titre ? », moi j’étais plus à demander « Mais cette machine, elle marche comment ? » ou alors « Quel truc t’as utilisé pour avoir ce son là ? »

A : Et d’ailleurs c’est avec Teddy Riley que  tout a vraiment commencé…

C : Oui, c’est lui qui m’a offert mon premier vrai contrat de producteur. C’est à partir de là que je me suis dit :  « OK, je vais suivre cette piste. » J’étais pas du tout certain que ça marcherait mais je voulais au moins essayer. D’ailleurs rien de ce que j’ai produit pour lui n’est sorti. Mais bon, j’étais tout nouveau dans le métier. C’était déjà une super expérience.

On est allé faire du son à Trinidad pendant quelques temps. Et là, ça a vraiment été la première fois que je faisais que ça. Je me levais le matin, je faisais de la musique toute la journée et je recommençais le lendemain. Teddy m’encourageait tout le temps. Quand je lui faisais écouter une prod, il prenait le temps de m’expliquer comment l’améliorer.

Avec lui, j’ai appris à devenir producteur. Si je voulais rester dans ce business, il fallait que je devienne un vrai compositeur de chansons. Bien entendu, il ne fallait pas que je perde l’essence même de ce que je suis, parce que je suis au départ un beatmaker et que c’est de là que vient ma créativité.

A : Mais alors, ton premier hit, tu l’as fait pour qui ?

C : En fait, j’ai quitté Teddy Riley pour signer avec Wyclef Jean. Wyclef et moi, on s’était rencontré de façon assez banale. À cette époque, je bossais dans un magasin de matériel audio à New York, un truc assez connu où t’avais pas mal de musiciens rock célèbres qui venaient. Ça faisait trois semaines que j’y étais et un de ses amis nous a présenté. Wyclef cherchait à signer des nouveaux venus. J’avais d’autres options mais j’ai choisi de le suivre. Et c’est avec lui que j’ai eu mes premiers hits.

C’était en 1996. Je sais plus quel était le premier. C’était le remix de « No No No » pour les Destiny’s Child ou son remix de « Gone Til November ». C’était l’un de ces deux là. « No No No » est aujourd’hui le titre dont les gens se souviennent alors que bon, on a quand même fait disque de platines avec « Gone Til November ».

A : à cette époque, est-ce que vous aviez une idée du potentiel de Beyoncé ?

C : Non, je ne me disais pas que Beyoncé deviendrait Beyoncé. Mais elle était super. Les filles, elles avaient quinze, seize ans. En studio, elles étaient très vives. Donc on se disait juste qu’elles avaient un truc, qu’il y avait du potentiel. Surtout que leur premier album marchait pas super. D’ailleurs, c’est avec ce remix qu’elles ont explosé.

Le titre original était une ballade. À cette époque, je bossais comme un dingue et j’avais beaucoup de trucs très différents en stock. Donc le jour de notre première rencontre à New York, je suis arrivé avec énormément de titres. J’ai dû leur en jouer vingt différents ce jour-là. L’idée était de réussir à trouver l’instru qui mettrait en valeur les paroles de la chanson originale tout en lui donnant un twist différent. À la fin de la réunion, ils n’en avaient gardé que deux. Et au bout de quelque temps, on a fini par s’arrêter sur ce titre qu’on est allé enregistrer à Houston.

A : De Wyclef Jean, tu passes ensuite à Lauryn Hill avec qui tu travailles sur son premier album solo.

C : Clef m’a présenté Lauryn et on s’est mis à bosser ensemble. Mais là, ça été le début d’un truc super long. J’ai passé un an et demi à bosser sur son album. Quand on a commencé, j’avais 26 ou 27 ans. À la fin, j’avais l’impression d’en avoir 40.

Ça a été beaucoup de longues nuits à finir à cinq, six heures du matin. On partait du studio au moment où le jour se levait. On y revenait vers midi. C’était vraiment très intense. Mais j’étais tellement excité par ce qu’on était en train de faire. En plus à cette époque, avec ma femme, on vivait à Brooklyn. Cette ville, New York, elle me donnait tellement de choses !

A : À la fin d’un projet aussi long, on doit sentir une sorte de soulagement ?

C : J’étais assez partagé en fait. Niveau business, ça ne s’était pas super bien passé. On n’a pas été payé. Mais bon, je suis quelqu’un qui sait faire la part des choses. Donc ça n’a pas entaché le résultat final. D’un point de vue créatif ça reste une expérience formidable.

Lauryn était enceinte durant pratiquement tout l’enregistrement de l’album. Elle ressentait tellement de choses ! Ça nous a poussé à explorer énormément de possibilités. Au niveau du son, de la rythmique. Après, c’est clair qu’on n’était pas aussi loin dans l’expérimentation que sur un album de Kanye.

A : En parlant de Kanye, lui c’est le genre d’artiste qui  fait appel à cinq ou six producteurs pour un seul et même titre, quand on bosse avec lui, ça doit mettre la pression ?

C : Quand tu bosses avec Kanye, tu n’es jamais prêt. Même quand tu penses l’être, tu ne l’es pas vraiment. C’est quelqu’un qui arrive toujours avec une nouvelle vision. Il repousse constamment ses limites. Mais je suis pas certain qu’il le fasse pour être considéré comme un visionnaire. Je crois plutôt que c’est sa façon à lui d’être vivant.

Il le sait, il pourrait très bien se mettre en mode pilote automatique, faire ce qu’il a déjà fait. Mais non, Kanye ne fait jamais deux fois la même chose. On a passé deux ans à bosser sur son dernier album, Yeezus. Pas parce qu’il était incapable de sortir un album plus tôt ; Kanye voulait vraiment trouver le son pour exprimer où il en était à ce moment précis dans sa vie.
Donc c’est super de bosser avec lui. Après tu sais qu’il ne faut jamais se reposer sur ses acquis si tu veux rester dans la partie. Mais c’est presque une nécessité pour moi de travailler sur ses projets même si j’ai besoin d’aller vers d’autres choses. Je travaille avec A$AP Rocky. Il n’y a encore pas si longtemps j’étais en studio avec Travis Scott.

« Quand tu bosses avec Kanye, tu n’es jamais prêt. Même quand tu penses l’être, tu ne l’es pas vraiment.  »

A : Travis Scott, quels genres de conseils tu lui a donné par exemple ?

C : Travis et moi, on est très proches. Je ne suis pas vraiment intervenu sur ses morceaux parce qu’il est lui-même producteur et gère plutôt bien son truc. Mais on a passé beaucoup de temps avec lui. Avec nous, Travis a beaucoup appris. Ça été un très bon élève. Je lui ai donné quelques trucs à savoir sur le business. Je l’ai aussi pas mal conseillé sur sa musique. Et quand tu écoutes son album, tu peux le ressentir. Ça ressort du lot, ça ne ressemble à rien d’autre. Il repousse un peu plus les limites, il a un univers très psychédélique.

A : Ça semble d’ailleurs presque inscrit dans l’ADN de G.O.O.D Music, d’aller chercher ce genres d’artistes pour donner un nouveau souffle à vos productions.

C : Oui, l’idée de G.O.O.D Music, c’est vraiment d’aller piocher dans les univers de tous ces artistes qui font la différence. G.O.O.D Music, ça s’appelle pas Cash Money. On n’est pas genre  « Hey, nous on veut faire de l’oseille. » On est plus sur l’humain, on veut sortir de beaux projets et surtout aider les gens à vivre leur rêve. On leur donne l’opportunité de faire de la musique avec nous. Et ça leur permet d’avoir une plus grande exposition.
Big Sean en est le parfait exemple. Du gamin qui s’est fait remarquer en rappant pour Kanye dans le hall d’une radio, il est devenu une super star qui parcourt le monde, peut acheter une maison à ses parents.

A : Kanye West a donc un grand cœur.

C : Oui, Il fait vraiment très attention aux autres et donne beaucoup de sa personne. Truc que, à mon avis très peu de gens savent à son sujet. Il a cette image publique qui lui colle à la peau… Le fait d’avoir épousé quelqu’un d’aussi célèbre que Kim, de parler autant. Kanye, c’est comme s’il avait toujours besoin de se justifier alors que bon, sa musique parle pour lui.

A : Et si tu devais me citer une expérience de collaboration marquante, laquelle ça serait ?

C : Dre sur l’album The Documentary. Cet album est un chef d’œuvre, et j’ai pu voir à quel point Dre était loin en tant que producteur. Il est tellement perfectionniste. Il n’y a personne à la hauteur de Dre. Les Diddy, Pharrell, Q-Tip ou Kanye, ils ont sorti des très beaux projets mais Dre a vraiment changé la musique. C’est un autre niveau. Personne n’a réussi à faire ça. Il l’a fait avec N.W.A., avec The Chronic, avec Eminem et bien entendu avec 2001. Et bien avant, il avait fait des trucs que les gens ignorent comme Supersonic ou World Class Wreckin’ Crew. À l’époque ça avait tellement bien marché…

A : Qu’est-ce qui fait qu’on continue après tant d’années ?

C : Il y a des moments de doutes où tu te demandes vraiment ce que tu vas bien pouvoir faire ensuite. Mais c’est en travaillant avec des gens très différents que tu réussis à te réinventer. Et même s’il y a des trucs qui ne sortiront jamais, c’est pas grave. Ça aura toujours un sens. Ça me fait avancer, ça alimente ma créativité. Et puis pour moi, tout est une question d’émotions. Je ne suis pas quelqu’un de très religieux mais je suis quelqu’un de spirituel. Faire de la musique, ça tient en grande partie dans le fait de réussir à faire opérer la magie. Quand on arrive à rassembler en un même endroit tous les éléments, il y a un truc qui se passe. Tu as la sensation à ce moment précis que les gens sont connectés, d’être au bon endroit avec les bonnes personnes.

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