Chronique

Ill Bill
What’s wrong with Bill ?

Psycho+Logical-Records - 2004

C’est d’abord la pochette de l’album qui attire l’œil : on y voit, dans un dessin proche des comics, une sorte de Dark Vador assis sur un trône. Autour de lui, des démons armés de haches, de glaives et de poignards combattent des créatures ailées, elles aussi armées. Aux pieds de ce roi aux yeux rougeoyants, deux servantes presque nues. Et un nom, écrit en caractères rouges et torturés : ILL BILL. Cet homme assis sur le trône, c’est lui, Ill Bill, membre du groupe Non Phixion, originaire de Brooklyn et frère de Necro, rappeur, producteur et grand amateur de pornos cradingues. Et cette pochette, c’est celle de son premier album solo, What’s wrong with Bill ?, attendu de pied ferme par tous les aficionados de rap hardcore.

Pour couper court à tout suspens, on peut d’ores et déjà affirmer que ceux-ci ne seront pas déçus. L’album est sombre, morbide et entraîne l’auditeur dans la psychologie torturée de Ill Bill, qui fait au fil des textes un état des lieux sans concessions d’une Amérique qu’il déteste, tout en en reconnaissant les avantages (cf le premier couplet de ‘American history X’), et décrit un Brooklyn dans la lignée de celui étudié par Hubert Selby Jr dans son roman Last Exit to Brooklyn. « Suicidal thoughts, I think that I’ve become obsessed with death« : dès le premier morceau, le ton est donné. La mort est omniprésente dans ce disque, tournant même souvent au leitmotiv. Ill Bill livre donc un album sombre à l’atmosphère particulièrement glauque, hanté par la mort, notamment celle de sa grand-mère, à qui est dédié ce disque.

Necro prend en charge la production intégrale de l’album, secondé ici et là par Ill Bill lui-même, faisant de cette galette un véritable affaire de famille, surtout si l’on prend en compte les interventions de plus en plus lourdingues d’Uncle Howie, qui semble toujours être entre deux fixs. What’s wrong with Bill ? bénéficie donc de la cohérence qui faisait tant défaut au premier opus de Non Phixion. L’impression de compilation est cette fois-ci évitée et l’album se présente sous la forme d’un ensemble parfaitement homogène, gagnant ainsi en efficacité. Des beats secs, des basses ronflantes, des samples variés et judicieusement utilisés : dès la première écoute, le solo d’Ill Bill s’annonce très bon. De plus, les instrus à la fois sombres et violentes sont en parfaite adéquation avec ce que dit celui-ci et lui permettent de mettre le plus possible en avant sa voix si particulière, qui peut s’avérer assez lassante à la longue, et son flow incisif. Certains titres sortent du lot par leur qualité : ainsi, ‘What’s wrong ?’, ‘The Anatomy of a school shooting’, ‘Death smiles at murder’ ou encore ‘American History X’ sont de franches réussites.

Les thèmes traités dans cet album ne révolutionneront pas le genre. Ill Bill s’en tient à ceux qui ont fait la réputation de Necro et de Non Phixion, à savoir egotrip assez classique (‘Unstoppable’, ‘Chasing the dragon’), histoires gores, science-fiction de série Z (‘Alien workshop’), le tout saupoudré de porno trash (un coup d’œil jeté sur le livret suffit…) et de drogues de toutes sortes (« I speak heroïn, breathe weed, sniff cocaïne » dans ‘Glenwood projects’). Dans ‘American History X’ et ‘Peace sells’, Ill Bill se livre à une critique très non phixionienne (un mélange de lucidité, de haine et de paranoïa) de la société américaine et de ses gouvernements (« Whether Democrat or Republican, the same scumbag government, where scumbag brains are running shit. »).Mais cette escapade solo lui permet aussi d’aborder des thèmes plus personnels, lui tenant plus à cœur. En effet, Ill Bill dresse avant tout le constat d’une jeunesse paumée (« A lost generation of fools, without a clear destination, no guidance, no rules, no education« ) dans un tourbillon de drogue et de violence, sans chercher à faire la morale et s’incluant lui-même dans cette jeunesse (« We cry blood, sniff cocaïne and die young« , dans ‘What’s wrong ?’). Comme le laissaient supposer la pochette du disque et le titre de l’album, il parle également de son mal-être et de son tiraillement entre deux extrêmes (« I’m both positive and negative, I’m like two people« ). Mais la réelle originalité de l’album réside dans l’excellent ‘The Anatomy of a school shooting’, glaçant récit de la fusillade de Columbine à la première personne, Ill Bill se mettant à la place de l’un des deux meurtriers et rendant la société toute entière responsable de ce drame.

Finalement, Ill Bill livre ici un album efficace et cohérent, sans grande surprise, dans la lignée des autres sorties de Psycho+logical-records. Nous avons donc affaire à un ensemble de bonne facture, mais le tout pèche par manque d’originalité : les featurings viennent tous du même label et étaient pour la plupart dispensables (notamment celui de l’ex-Arsonists Q-Unique). Seul Sabac Red sur ‘Porno director’ tire véritablement son épingle du jeu. Ill Bill garde donc globalement la recette utilisée sur les albums de Necro et de Non Phixion. Mais celle-ci reste efficace. Bon appétit.

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