Chronique

Mobb Deep
Amerikaz Nightmare

Loud Records - 2004

Le vingt-et-unième siècle n’a pas été tendre pour Mobb Deep. A travers la paranoïa de l’an 2000, l’orage silencieux de Murda Muzik et la puissance autodestructrice de H.N.I.C avaient marqué un virage important, une évolution moderne qui ne ternit pas leur solide réputation. Mais le groupe traverse une période difficile avec son label Loud Records, terre sacrée et prolifique de Steve Rifkind qui n’allait pourtant pas tarder à fermer boutique. A ce moment précis, Jay-Z est tout puissant et impose son empreinte, le premier classique de la décennie alors que deux tours disparaissent et que le monde entier reste sans voix. New York demeure encore pour quelques années la place forte d’un Hip Hop en pleine mutation mais les têtes commencent à tomber. L’empire Shaolin est sur le déclin, les motards cramés du chien fou DMX sont en perte de vitesse et les combinaisons brillantes de Puff & Ma$e font carrément partie de l’histoire ancienne. Les héros de la fin des années 90 explosent en plein vol ou disparaissent à jamais et Prodigy voit son image de gangster à travers un tutu rose sur écran géant. Le mythe s’effondre. Affaibli par la maladie, dépassé par l’ampleur du désastre et accablé par un album plutôt sucré (Infamy), le modèle du rap hardcore from Queensbridge dérive doucement vers le chaos.

Pourtant Havoc et Prodigy ont encore plusieurs atouts dans leurs manches. Leur contrat avec Loud Records est déchiré en 2003, un nouvel horizon se profile. Après leur mixtape « Free Agents » prônant un retour aux sources salvateur, leur label Infamous Records obtient une signature chez Jive. C’est le bout du tunnel, un budget, un disque, des clips. Pas encore de voitures de luxe mais le cauchemar Ballerina P s’efface peu à peu, le Hip Hop s’est déplacé vers le Sud, les clubs sont dévastés par la folie Crunk. Le moment est plus propice pour revenir sur le devant de la scène maintenant que New York est en retrait, que les yeux sont fixés sur une nouvelle direction.

Le retour de Mobb Deep sonne donc en 2004 avec un album au titre alléchant, Amerikaz Nightmare. Le premier single provoque l’électrochoc, Alchemist réalisant là sa propre renaissance en inventant un son sombre mais explosif pour les clubs basé sur un gros tube synthépop de Thomas Dolby. Les basses sont tonitruantes, le mouvement lancinant,  ‘Got it Twisted’ est puissant mais ne trouvera pas réellement son public. C’est pourtant dans cet esprit crossover entre club et rue qu’Amerikaz Nightmare se définit et parvient à trouver un équilibre vraiment intéressant. Il s’agit déjà du premier album laissant autant de place à des producteurs ‘étrangers’. Havoc produit toujours la plus grosse partie mais d’autres têtes d’affiche se profilent et surtout Alchemist prend plus de place avec trois éclats qui font briller le reste de l’album. La suite ‘Got It Twisted’/’When U Hear The’ est un modèle du genre. Avec les autres producteurs, le groupe cherche avant tout à assurer des singles. Il adapte son style à celui de Kanye West, Red Spyda et teste même le grand écart avec Lil Jon. Descendues en flèche par les aficionados, ces collaborations sont pourtant loin d’être ratées et apportent quelque chose de nouveau au duo de Queensbridge. L’ambiance reste la même, lourde et intense mais la musique qui sert leur univers se fait plus diversifiée. Les interventions de Nate Dogg, Twista ou le toujours excellent Jadakiss assurent un panorama assez large pour un retour en grâce dépassant la niche habituelle.

L’album est pourtant un four commercial et un échec critique. Le retournement de veste est pointé du doigt, le public hardcore new-yorkais et européen étant alors engagé dans une guerre sacrosainte contre le rap bling-bling sudiste. Le retour de Mobb Deep était attendu et le résultat déçoit. Pourtant, certains morceaux comme ‘Amerikaz Nightmare’, ‘We up’ ou ‘On the run’ sont dignes du catalogue sombre et dépouillé du duo. Le discours reste intact même si on sent qu’Havoc et Prodigy fatiguent un peu et assurent quelques fois le strict minimum. L’album souffre au final d’une cohérence générale, les titres s’enchainant comme dans une vulgaire compilation. La suite de clips réalisés pour l’occasion a pourtant essayé de créer un lien, une histoire, mais la recette ne prend pas. Le gros point positif reste bien sûr Alchemist qui continue d’imposer un nouveau son Mobb Deep en réalisant la plupart des singles forts et forge ainsi ce qui deviendra le son QB des années 2000.

A la suite des résultats catastrophiques d’Amerikaz Nightmare, Jive n’accepte pas de poursuivre sur un second opus. Le duo le plus célèbre du Queensbridge se retrouve à la rue avec une renommée alors au plus bas. Plus personne n’y croit. Plus personne sauf un. En 2005, 50 Cent signe Mobb Deep sur G-Unit/Interscope. Curtis se fait tatouer Mobb Deep sur le poignet, Prodigy appose un G-Unit dans le creux de sa main. Faust version Rap. La descente aux enfers continue.

Fermer les commentaires

Pas de commentaire

Laisser un commentaire

* Champs obligatoire

*