Chronique

Passage
The forcefield kids

Anticon - 2004

« We the poor sports-men of the
apocalypse have tried to find a place for trust ».
‘Poem to the
hospital’

Passage n’est pas un rappeur de son époque. Et cet
endroit qu’il a tenté de (re)trouver, ce sont les années de son enfance :
celles de 1980. Semblant y avoir fait une halte pour l’album éponyme de
Restiform Bodies, son groupe, sorti en 2001 (bien que copyrighté en 1982),
une partie du chemin reste visiblement à faire pour trouver ce lieu de
quiétude. « The forcefield kids », son attendu
premier long format, donne l’impression d’en être un pas supplémentaire…

Petit retour en arrière pour qui ne connaîtrait pas Passage et
ses trois compères de Restiform Bodies : The Bomarr Monk (avec qui il a
enregistré « Moods & Symptoms » et dépositaire
de « The return of the mental illness »), Telephone
Jim Jesus (auteur d’un album instrumental du même nom) et Agent Six, et leur
psychédélique « Re$tiform Bod1es ». A sa sortie,
cet album halluciné avait en effet mis à jour la folie ingénieuse de ce
quatuor d’anciens punks du New Hampshire avec des titres sans comparaison.
Même au sein de la famille Anticon à laquelle ils ont toujours été plus ou
moins affiliés. Certains puristes pourraient même arguer qu’il ne s’agit en
aucun cas de « rap », tant les références outrancières aux années 1980
(pochette y comprise) et l’utilisation abusive des synthés peuvent laisser
pantois. Et, si Restiform Bodies a toujours été artistiquement proche
d’Anticon, cette filiation est aujourd’hui officialisée car c’est bien sur
le label à la petite fourmi que sort « The forcefield
kids », premier essai solo d’une des voix les plus mélodieuses du
collectif de Sole.

« The forcefield
kids » est un album étrange. Similaire en de nombreux points à « Re$tiform Bod1es », que ce soit sur le fond (thèmes
abordés, envies, textes) ou sur la forme (même nombre de titres : 21,
pochette analogue, sonorités décalées à souhait), il semble toutefois
vouloir s’en détacher avec force à d’autres endroits…
De prime abord, si
le style de Passage, membre le plus en avant de Restiform Bodies car –quasi-
seul à rapper, est toujours résolument aussi barré, ce n’est en aucune
manière un carbone des titres de son groupe. Différence de taille : il a
opté pour un certain format et l’a structuré sur la base de véritables
chansons, et non des portions approchant la minute. Mais, si Passage a
réellement voulu se démarquer de Restiform Bodies, nombre d’instrus nous
rappellent qu’il était pour beaucoup dans la composition des morceaux. Il
n’a en effet pas laissé en route son adoration pour le kitsch et les
synthés, élément qui prédomine sur l’album. Après en avoir usé et souvent
abusé avec Restiform Bodies, Passage semble ici les avoir domptés pour n’en
garder que l’essentiel. C’est ainsi qu’il s’est attelé à produire chacun des
titres en composant des mélodies entêtantes, aussi rythmées que
mélancoliques. Ces titres aux influences pour le moins disparates sont assez
complémentaires et donnent une vraie couleur à l’album. Cela va de la mise
en avant de sa magnifique voix chantée sur une guitare sèche (‘Old aunt
Mary’) aux influences punks sur ‘Free Luv From Left Field’. De nombreux
clins d’oeils, plus ou moins appuyés, au rock et aux sons des années 1980
sont également présents sur la quasi totalité des titres. En ce sens, ‘The
Karaoke Kiss Ass’ en est l’exemple le plus extrême… Et si les sonorités pop
peuvent quelque peu décontenancer, certains titres font littéralement dans
le rentre-dedans, à l’image de l’intro fracassante (à écouter à fond, bass
boost activé) et de ‘The Pins In The Bowels Of The Charmed Design’. Ces
titres auront le mérite de prouver au profane, au sceptique et au puriste
qu’il s’agit bel et bien d’un album de rap. Sauvé…

Pour ce qui
est des textes, il est tout à fait impossible de dégager véritablement
quelque chose de cet ensemble, pour le moins abstrait et personnel. De
nombreuses références à la bible et au christ parsèment toutefois, non sans
une certaine dérision, des récits empreints d’un humour noir cinglant et
d’un second degré pour le moins pertinent. A titre d’exemple, ‘The
Unspectacular Whiteboy Slave Song’ est un modèle : « White boys ain’t
got no slave song, so we invented radiation. Who other than us wonder bread
shit heads would go out and build an H-bomb?” De même si ce qui a fait
la particularité d’Anticon, et qui tient particulièrement à Sole, son
fondateur, c’est bien l’engagement sur la politique des divers gouvernements
américains, de Reagan à Bush. Entre deux rimes potaches, Passage sait tenir
un discours assez acerbe sur la politique américaine. De la prolifération
légale des armes aux bonnes mœurs patriotiques : « The utmost in
protection of your children bullets do no good, just look at the results.
One hundred gold rings, a disguise, a four foot trench, a fishing trip and a
detention cannot protect them. Children could fall into a bucket and drown,
but forcefield’s like a UV bonnet. » (‘Reagan’s chest’). La rage de
l’ancien punk ne semble aussi pas tarie à l’écoute de morceaux comme
‘Creature In The Classroom’ : « Modify me ? Then delete me. Fuck it,
vaccinate me while I’m sleeping. I’m a fidgety phill, I am a heretic, I am
lazy and rude and manipulative ».

Au regard de ce mélange,
oscillant entre synthés kitschs, beats lourds, passages instrumentaux,
chant, rap, electronica, humour caustique et engagement, « The forcefield kids » est un album à part, unique,
comme le sont (ou ont pu l’être) la majorité des sorties d’Anticon. Chaque
album étant le reflet de la personnalité de ses auteurs. Tout y est sincère,
et assumé. Sur la forme, « The forcefields kids »
est un peu la synthèse des dernières sorties d’Anticon et de ses
proches : des voix chantées sur des sons électro-hip-pop mélodieux. A
l’image du « Hymie’s Basement » (Why? et Fog) ou
de l’excellent « Muted » d’Alias. A ce détail près
que pour Passage ce n’est aucunement un changement de direction… Il a en
effet toujours intégré des parties chantées et des synthés vintage au sein
de Restiform Bodies et ne succombe pas aujourd’hui à une quelconque
tendance.

Pour élargir enfin, avec cet album et au regard des
dernières sorties du label, on a l’impression que le rap se trouve son
penchant kitsch (terme pas nécessairement péjoratif), avec retard et de
façon aujourd’hui parfaitement accepté, et qui pourrait être comparé au
rock-pop à synthés tant moqué du milieu des années 1980. Le rap était alors
trop jeune pour sombrer dans ces travers cheap. Les enfants, blancs, qui ont
grandi avec cette musique et celles des Clash, Depeche Mode, Mike Oldfield
ou autre Cure les régurgitent aujourd’hui par leurs samplers… et leurs
synthés. Alors, au-delà du fait que l’on puisse ou pas aimer, cela existe et
semble de plus en plus s’affirmer et interpeller. Et ce n’est certainement
pas un mal. Simplement un cycle.

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