Chronique

Erik Truffaz
The Dawn

Blue - 1998

The Dawn est l’œuvre du quartet dont fait partie le trompettiste Erik Truffaz – du moins celui avec lequel il officia jusqu’à Bending New Corners. Celui-ci est composé de Patrick Muller au clavier, Marcello Guiliani à la basse électro-acoustique et contrebasse, Marc Erbetta aux percussions et notre fameux trompettiste suisse. Album jazz de haut vol, de facture relativement classique si ce n’est le flow rappé mais doux au possible de Nya qui joue les funambules sur le fil fragile déroulé par les musiciens. Plus qu’un invité discret, contrairement à ce que pouvait laisser croire son statut de  »special vocal guest », Nya participe quasiment à tous les morceaux, conférant quelque chose comme une agréable nonchalance à The Dawn.

Le premier morceau introductif et bref est l’occasion pour le rappeur de se présenter. Nous ne nous attarderons pas autant sur les autres titres de l’album mais ce ‘Bukowsky-Part 1’ semble mériter d’être étudié de près car symptomatique de la place occupée par le rappeur sur l’ensemble du disque. Que nous révèle donc ce morceau ? En un, l’intention qu’a Nya d’aromatiser l’album de prestations aux essences similaires à celles de la meilleure herbe. ‘‘I’ve got verbal herb for your mind, ’cause I’m the bush doctor ». Parfum envoûtant mais aussi persistant. Deux, qu’addi(c)tif il sera, respectant toujours la circulation des échanges entre les instruments et sa voix. Révélateur : la phrase citée précédemment, une fois suspendue en cours de diction, afin de laisser transiter le son de la trompette. Enfin, en trois, patchwork culturel au programme quand viennent se télescoper dans une seule et même phrase les noms de l’écrivain Charles Bukowsky et de Foxy Brown, personnage de « blaxploitation » joué par l’actrice Pam Grier.

Le morceau suivant, ‘Yuri’s Choice’, connaît un démarrage admirable. Piano en ouverture, on attend alors un développement mais Patrick Muller se contente de reproduire quelques notes. Puis c’est au tour de Nya de venir bredouiller deux, trois mots au microphone et là aussi on pressent qu’il va se lancer sur l’instrumental. Eh bien non ! C’est finalement la trompette de Truffaz qui intervient et qui, progressivement, s’emballe permettant au morceau de s’épanouir, aux musiciens de déployer leur musique. Ambiance humide et fraîche sur ‘Wet In Paris’. Dans son album précédent,  »Out Of A Dream », Truffaz proposait déjà, de façon quasi-similaire, ce morceau. Toutefois sans la prestation de Nya, ce qui impliquait un plus intense pouvoir de suggestion chez l’auditeur. Pas de météo du cœur pour Nya, de couples trempés sous un parapluie qui se disent adieu sur les Grands Boulevards de la capitale mais un beau poème, il me semble engagé, en tout cas regorgeant d’espoir dans le second couplet ensoleillé. Le pianiste exécute une composition entêtante, complice de celle de Truffaz et se prolongeant plusieurs minutes après que Nya soit intervenu au microphone. Le rappeur-poète n’aura, par contre, aucun support musical sur l’interlude ‘Slim Pickings’. Un titre a capella, dans la grande tradition du slam.

Le dernier titre de l’album, nommé ‘Free Stylin », pratique l’heureuse fusion d’une discipline – le freestyle – chère au jazz comme au rap. Pour cette raison au moins il constitue une curiosité à ne pas manquer. Il est, par ailleurs, très réussi. On sent le quartet très à l’aise aussi quand il s’agit d’évoluer sans partition. Chacun tire son épingle du jeu, livrant par petites touches successives le fruit de son talent sans jamais négliger l’importance du tout musical.

Le disque suivant, Bending New Corners, viendra confirmer l’importance révélée par The Dawn du quartet – toujours accompagné de Nya – sur la planète jazz. Puis celui-ci se sépare, Erik Truffaz se tournant d’avantage vers la musique orientale avec toujours beaucoup de réussite. Pour l’anecdote on peut rappeler sa collaboration le temps d’un maxi de remix du titre ‘Magrouni’ avec le producteur français Imhotep. Nya disparaît alors des disques du trompettiste jusqu’à cette année qui marque, avec la sortie de Saloua, le grand retour du rappeur sur les compositions de Truffaz accompagné de ses nouveaux acolytes musicaux.

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