Chronique

E-40
Revenue Retrievin’ : Overtime Shift

Heavy on the Grind Entertainment / EMI - 2011

On n’arrête plus Earl Stevens. Pour ceux qui n’avaient pas été complètement assommés par ses deux derniers albums Revenue Retrievin’ : Day Shift et Night Shift, il renvoie une double salve, un an plus tard. L’ancien est définitivement intenable. Évidemment avec un tel rythme et une telle hyper-productivité il y a du trop-plein, du déchet, mais au final la balance penche largement du bon côté. Rares sont les pionniers du rap à avoir aussi bien vieilli qu’E-40. Sans être passéiste et sans courir après les tendances, il poursuit son chemin. Sa capacité à rester pertinent étonne. Loin d’être en pilote automatique, il montre beaucoup d’envie et d’application sur ses dernières livraisons. Cet Overtime Shift est peut-être le volet le plus réussi de la série des Revenue Retrievin’, mais chacun recèle son lot de pépites et mérite qu’on s’y attarde.

Sur cet album, l’ambiance est parfaitement dosée entre coins de rues, clubs et nostalgie. E-40 ressasse les mêmes histoires de poudre, mêlées à des « lyrics de daron » comme dirait Chill. Il s’immerge complètement dans ses récits puis reprend son rôle de l’oncle qui donne des tapes sur l’épaule des jeunots en prodiguant quelques conseils. Entre storytelling efficace et lyrics simples mais percutants, E-40 maîtrise son sujet. Il nous offre du gangsta rap bien rôdé, parfois bête et méchant, comme on l’aime. Et surtout il a ce style inimitable, et que d’ailleurs personne ne se risquerait à imiter, toujours aussi original deux décennies plus tard. Ce déluge de glapissements plus proches de l’onomatopée que de la parole, cette façon d’appuyer sur les syllabes, d’articuler démesurément et d’accélérer par à-coups : tout cela peut agacer. Son style est tellement surprenant qu’il faut souvent un temps à l’auditeur pour s’y habituer. E-40 n’est pas le genre de rappeurs auxquels on accroche immédiatement, le choc est trop brutal. Mais une fois ce premier choc passé, on ne regrette pas d’avoir insisté. Il faut dire que le personnage est sympathique et que son flow improbable lui donne un aspect cartoonesque, dans la lignée d’un Woody Woodpecker.

La musique, elle, est toute en basses et en vrombissements, à l’opposé d’un son chaud et orchestral. Ici tout est purement synthétique. Les mélodies sont maigres, les instrus minimalistes et hypnotiques, à l’exception notable de « Lookin’ back » (un morceau flash-back très réussi avec Devin the Dude). L’aboutissement du mélange entre la voix d’E-40 et cette musique est furieusement moderne. Le son se réduit à l’essentiel et dégage un magnétisme indéniable. Il est difficile de ne pas hocher la tête en écoutant ce disque. L’ambiance bascule du festif au sinistre sans qu’on s’en rende compte, mais quel que soit le thème du morceau, il reste presque toujours un fond de violence inhérent aux instrus et à la diction du rappeur. Les pistes sont également truffées d’extrait de vieux films qui tranchent avec l’atmosphère futuriste de l’album, rendant le tout encore un peu plus étrange.

L’impression que laissent avant tout les Revenue Retrievin’, et cet Overtime Shift en particulier, c’est qu’il s’agit de musique qui rend fou, celle qui s’écoute très fort, qui donne envie de se briser la nuque et de faire des pas de danses grotesques. L’ambiance se situe quelque part entre la crise d’épilepsie et la frénésie tribale. Outre les quelques morceaux up-tempo, comme « Stay Gone », et les basses à faire trembler le rétroviseur, c’est E-40 lui-même qui insuffle une énergie folle à son album. Il rappe avec beaucoup de hargne et multiplie les gimmicks plus ou moins idiots. Il a également un don pour trouver des phrases de refrain mémorables (sur « Beastin' » par exemple), et c’est sans parler de l’inexplicable efficacité des refrains qui consistent seulement à crier un mot (« Gunz » en tête). Le vétéran de la Bay Area, avec toute son originalité, se rapproche finalement de ce qui fait l’essence du rap : des rythmes très marqués et un MC surmotivé au micro. À 43 ans, E-40 continue de montrer la voie. Et à l’inévitable question sur la date de sa retraite, il répond : « probably when I expire ».

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