Rap français

Nos 25 morceaux du deuxième semestre 2014

Cet été, nous vous avions déjà présenté une première sélection de ce que le rap français avait produit en 2014. En voici la suite, et la fin, avec comme toujours des absents mais que vous auriez tort de considérer comme des perdants. Replay non exhaustif mais enthousiaste d’une année placée sous le signe de Lino, Ahmad, Zippo, Le Sept, Kaaris ou le Kohndo 2.0.

Karlito – « Affranchis » (ft. Rocé)

Avant Contenu sous pression, son premier album, Karlito était « le secret le mieux gardé de la Mafia K’1 Fry ». Depuis, il est le rappeur le plus attendu de la Mafia K’1 Fry. Malgré ce gros succès critique, le cousin de Dry compte toujours ses apparitions, réservant plutôt ses (rares) couplets aux projets de la famille du triptyque Orly-Choisy-Vitry. Son grand retour annoncé pour début janvier n’en est que plus attendu. Apéritif avant le gros morceau, « Affranchis » convie Rocé et confirme au passage deux réalités : Karlito en a encore sérieusement sous le pied et la famille est encore bien en place. — Nico

Aelpéacha  – « Rider sans frontières » (ft. CSRD)

Depuis le temps qu’il compose des hymnes à la ride, on pourrait croire qu’Aelpéacha commencerait à tourner en rond, mais non, c’est là toute la beauté de la chose, la ride est éternelle, il y a toujours une nouvelle route à sillonner. Point d’orgue incontestable de STC à vie, « Rider sans frontières » célèbre cet état d’esprit, ce mode de vie, avec une touche de solennité, le W sur le cœur. Le CSRD est là. On rend hommage à Desty. L’instru, avec ses accents stevie-wonderesques, est ciselée comme jamais. C’est organique, c’est riche, ça vit. À l’écouter, on a qu’une envie : se barrer au soleil couchant en improvisant des vocalises jusqu’à ce qu’il n’y ait plus d’essence. — David

L’Exécuteur de Hong-Kong – « La Ballade du Kid »

« La Ballade du Kid » s’écoute comme une pellicule qui défile, comme des kilomètres qui défilent, comme des heures qui défilent… Comme tout ce qui défile et fait voyager en fait. Parce qu’en s’inventant une multitude de vies, L’exécuteur de Hong-Kong nous a laissé un morceau à faire tourner pour au moins mille et une révolutions solaire. C’est aussi ça L’envol du Caméléon. — zo.

Brav – « Tyler Durden »

« C’est seulement lorsqu’on a tout perdu qu’on est libre de faire tout ce qu’on veut ». Qu’a perdu Brav depuis ses derniers couplets, il y a quatre ans, sur Table d’écoute 2 ? Pour le premier extrait de Sous France, le havrais a laissé de côté les automatismes acquis depuis les premières sorties de Bouchées Doubles, notamment le côté fils-d’ouvrier-de-province-révolté – ce qui, peut-être, constituait bizarrement son confort artistique, comme le personnage anonyme de Fight Club et son mobilier dernier cri. Sur « Tyler Durden », Brav joue plutôt la carte de la marginalité dans chaque paradoxe, entre coups de sang directs et phrases au sens plus sinueux. Si c’est le prix de sa liberté, on est curieux d’écouter de quelle manière il va en user sur son premier album solo Sous France. — Raphaël

Lucio Bukowski & Nestor Kea – « Satori »

Ce ne sont pas quatre lignes qui suffiront à parler de Lucio Bukowski, tant chacune de ses chansons (quand elles ne sont pas en train de parler des autres rappeurs) fait elle-même le bilan, voire le dépose. Mais une chose peut tout de même être dite ici : avec ce titre et son prédécesseur qui composent l’ouverture de L’art Raffiné de l’Ecchymose, Lucio livre à la fois ce qu’il a de plus noir et de meilleur. Merveille d’écriture, de mélancolie, « Satori » est une série de contusions trempées dans le « Soir Bleu » de Hopper. Et ne cherchez pas le clown triste dans vos enceintes. — zo.

JP Manova – « Longueur d’onde »

« T’as compris ou pas ? » demande JP Manova sur ce titre qui est le prélude à – a minima – un EP à venir pour 2015. Et à celui qui n’aura pas saisi, il restera l’année prochaine pour capter la bonne fréquence. Quant aux autres, qu’ils ne changent surtout pas de longueur d’ondes, ils sont déjà sur la bonne, eux. Un coup de pied au cul de la génération zapping. — zo.

Sameer Ahmad – « Barabbas »

KRS-One va fêter ses cinquante ans l’année prochaine. Un demi-siècle, c’est peu dire que Le Teacha va prendre un vrai coup de vieux au passage. Et si ça ne suffisait pas, ses grandes écoutilles doivent souffrir quotidiennement en constatant que l’edutainment qu’il prônait ressemble aujourd’hui à des pièces archéologiques à dépoussiérer. S’il comprenait le français – et si Bad Cop Bad Cop lui envoyait l’album – KRS-One aurait probablement versé sa larmichette à l’écoute de « Barabbas ». Perclus de références bibliques, de parallèles entre les époques et d’égotrip, « Barabbas » ressuscite indirectement l’esprit de cet edutainment. Mais au-delà de cette affiliation – et de ce sample psychédélique, proche de l' »Organ Donor » de DJ Shadow – il s’écoute comme l’affirmation d’une identité. Et le couronnement artistique de celui qui voulait être roi. — Nico

Hologram Lo – « Rov or Benz » (ft. Prince Waly & Alpha Wann)

Chef d’orchestre de 1995 et plus particulièrement du très bien produit Paris Sud Minute, DJ Lo’ a du coeur et sa musique de l’amour à revendre. Preuve en est, il livre un instrumental aux petits oignons – entre nappes langoureuses et effets sautillants – à ses bougres Alpha et Waly, qui peuvent rouler des mécaniques et laisser libre cours aux acrobaties verbales qu’on leur connait. Les mots parlent de belles auto, de belles jantes et de moteurs rutilants. L’imagerie du clip rappelle avec délice la pochette de Mecca & the Soul Brother. La musique, elle, est généreuse, comme des hanches qui dodelinent dans ta Benz Benz Benz. — David2

C.Sen – « Sourire jaune »

Pierre C.Sen, le parpaing, prépare son nouvel album, entre une collecte KissKissBankBank rondement menée et un morceau à l’esthétique 80s qui fait se rencontrer pop époque Marc Toesca et punchlines à faire pâlir un hipster lisant le cahier central du Parisien. Mais avant de produire « Nid de Coucou », l’anti-héros s’est transformé en anti-smiley et reste bien là pour tous ceux qui ont un trou noir dans la tête. C’est définitif, les hiéroglyphes verbaux du C.Sen ont l’audace de Randle P. McMurphy et devraient pousser Miloš Forman à faire un tour dans le métropolitain. — zo.

Akhenaton – « So baaad »

Sortir un album de rap français à quarante-six printemps, sans passer pour un vieux con ou tomber dans le jeunisme, la mission était périlleuse. Alors ne sous-estimons pas l’accomplissement de Je suis en vie. Akhenaton a (toujours) ses marottes (l’évolution des idéaux, le rap de droite et la conscience de gauche) et ses convictions. Mais il garde surtout un recul salvateur sur son époque et un sens de la nuance en voie d’extinction. Sur « Sooo bad » le parrain du rap marseillais hexagonal dispense un peu de finesse et de bon sens dans ce monde de brutes, avec quelques références triées sur le volet (La mort de Marat, Mushashi). — Nico

Nikkfurie – « Catacombs »

Fidèle lecteur, toi qui as vu et revu notre émission avec La Caution, ce secret de Polichinelle n’en est plus un pour toi. Des deux frères Mazouz, c’est Hi-Tekk le fanatique acharné de science-fiction, le fondu de Philip K. Dick. Pourtant c’est Nikkfurie qui est derrière l’apocalyptique Ghost Company, une sélection de morceaux instrumentaux qu’on associerait bien à la suite imaginaire de Bienvenue à Gattaca. « Catacombs » résonne comme un grand huit, avec ses arabesques distordues et ses montées à la fois épileptiques et psychédéliques. Un dernier projet qui vient confirmer ce qu’on savait déjà : la Caution est vraiment un groupe atypique. — Nico

Lino – « VLB »

Avant que les tigres ne se décident à envahir la banlieue, il fut un temps où les crocodiles régnaient en maîtres incontestés. A base de brand dropping et de scratches du Ministère, Lino et T-Killa appuient sur le bouton rewind pour faire revivre, le temps d’un morceau, l’époque bénie de Quelques gouttes…, des bipeurs et autres White Reebok. Le clip de circonstance, griffé 90’s, termine le boulot. Sans s’inscrire dans les plus hauts faits d’armes du leader d’Arsenik, « VLB » distille donc un plaisir nostalgique certain. Et si l’on ignore encore comment il s’insérera au sein de Requiem, deuxième album solo du Val d’Oiseur attendu pour le 12 janvier prochain, le morceau confirme – comme si c’était nécessaire – le charisme et le savoir-faire d’un Lino en pleine possession de ses moyens. — David2

Nekfeu – « Flingue & Feu » (ft. Alpha Wann)

« Les mecs à l’ancienne, à l’époque, ils étaient modernes. » Cette petite phrase prononcée par Nekfeu dans « Flingue et feu », nouveau morceau réalisé avec son collègue de 1995 Alpha Wann, prouve que le jeune rappeur parisien a fait du chemin depuis 2010. En attendant un premier album solo annoncé pour 2015, il reconstitue ici son duo gagnant avec l’auteur de Alph Lauren (on vous conseille d’écouter leur EP commun En sous-marin si ce n’est pas encore fait) et confirme, après l’excellent « U.B. » sorti l’an dernier, qu’on a toutes les raisons de croire que le meilleur est à venir pour lui. — Mehdi

La Canaille – « Desséchée »

En peignant un couple à l’agonie, La Canaille offre un tableau de vie à la fois vertigineux et banal. Dans un titre rempli de grands vides et de silence que seul un dialogue intérieur arrive à remplir, Marc Nammour convoque Juliette Binoche et William Shimell, ou n’importe qui d’autre en fait, tant ces amours à bout de souffle se croisent au gré des terrasses des restaurant, tels des copies conformes. Déliés mais emprisonnés. Desséchés comme un corps qui n’arrive plus à pleurer. — zo.

Gradur – « Terrasser »

Appeler son premier titre en major « Terrasser » quand on s’est comporté en bulldozer pendant une année, ça n’a rien d’anodin. Gradur a été l’un des plus gros charbonneurs de 2014, avec son rap martial et son interprétation criarde comme un instructeur de camp de redressement. Chargé en testostérone, Gradur enchaine sur « Terrasser » les doigts d’honneur rancuniers et vengeurs (la phase sur les footballeurs est savoureuse) comme on essaie de se vendre crânement sur une lettre de motivation. Si le style du rappeur de Roubaix rappelle parfois celui de Kaaris (l’épaisseur en moins, l’énergie de ses 23 ans en plus), son bagout, son sens du gimmick et son inscription dans l’air du temps justifient sans conteste l’engouement que suscite l’homme au bob. — Raphaël

Chill Bump – « I ain’t a Rapper »

Les tourangeaux de Chill Bump ont enfin sorti leur premier album. Il s’appelle Ego Trip LP et dessus, Miscellaneous scande qu’il n’est pas un rappeur. Que lui répondre devant un tel paradoxe ? Simplement qu’il est un putain de MC. Et on en profitera pour dire à Banal, désormais Bankal, que c’est aussi un putain de DJ. — zo.

Kohndo – « Classic » (ft. Rocca)

Les rééditions ont parfois du bon. Celle de Tout est écrit, onze ans après sa sortie, sert un double objectif. Elle remet en lumière un vrai classique du rap hexagonal. Un classique étoffé pour l’occasion d’inédits, perles perdues et remixes aux petits oignons. Au cœur de ces bonus, on trouve « Classic », un concentré de boom-bap imparable, servi par la réunion de K.O.H et de l’ex-Jefe de La Cliqua. Une association estampillée du sceau de la fin des 90s qui ressuscite les plus belles heures de La Cliqua… Et nous rappelle pourquoi on a autant aimé le rap. — Nico

Mr Ogz & Le Sept – « Beatnik »

Avec un bonnet péruvien, le refrain beatnik et l’instru de Mr Ogz, Le Sept ferait presque figure de Manu Chao du rap français. Passager Clandestino du mouvement depuis plus de 15 ans, le chiffre magique additionne encore une fois les couplets ravageurs et continue son vagabondage en marge des rails du rap français. On the Road. Et la référence à Manu Chao, c’était pour rire hein ! — zo.

Le Gouffre – « Drogue Sonore »

Les affreux du Gouffre, Jojo et Char en tête, ont trempé un épisode de Breaking Bad dans la crasse francilienne. Prélude à L’Apéro Avant la Galette (la routine quoi), « Drogue Sonore » salit tout sur son passage et transporte le camion-labo de Jamy et Fred en pleine séance de sorcellerie. Si Le Gouffre produisait sa propre poudre blanche, elle s’appellerait la White Trash et sa défonce serait certifiée conforme. — zo.

Zippo – « Le Paradis Perdu »

Décembre. Peut-être que dans les rayons de la frénésie de consommation, derrière l’automatisme des stands à papier cadeau, se cachent des rêves de coins de soleil faits de simplicités. Alors avant de tendre la main vers l’esprit de Noël et de courir bêtement devant le premier airbus sur LastMinute, souviens-toi que nous sommes déjà à deux doigts d’enfermer Adam & Eve dans nos smartphones. Il ne te restera plus qu’à chausser tes oreillettes et écouter ce morceau. Zippo est le gardien du temple qui te rappelle bien que toute sortie risque d’être définitive. Et Dieu ne sera pas là pour proposer au monde une extension de garantie. Paradise Lost. — zo.

Bavoog Avers – « Frolic »

Une partie de l’Animalerie s’est mise à l’auto-tune. L’heure du schisme ? Auprès de leur public, peut-être, au sein du crew, sûrement pas si on en croit la soirée de lancement de leur projet Pannacotta. Normal en même temps, tant « Frolic » et les quelques croquettes de l’EP balancées par Dico, Nadir, Cidji et Kalam’s ont du chien. Wouaf. — zo.

 Kaaris – « Comme Gucci Mane »

« J’sais pas comment ça va finir »/« J’vais t’sauter, j’vais t’attaquer ». Assis sur un trône, pompe sur les genoux et lean dans le gobelet : voilà peut-être l’image la plus juste de Kaaris. Entre doutes et détermination monstre, il avance tel un bulldozer de 2.7.Z.E.R.O chevaux, incertain du bout du parcours mais sûr de tout casser sur son passage. Avec son flow saccadé, son instrumental pesant par Therapy et ses incessantes références au Trap God, « Comme Gucci Mane » est sans doute la meilleure introduction possible au deuxième album à venir du rappeur sevranais. D’autant que fraîchement signé chez Def Jam, il a plus que jamais toutes les clés en main. Et il y a plus de chances qu’il s’en serve pour casser le carreau que pour ouvrir la porte. — David²

Paco – « Vieux Cons » (ft. Anton Serra)

Le sale gone et la grande gueule de Montreuil sont peut-être largués, mais ça rappe toujours sec et a priori, ce n’est pas près de s’arrêter. Mysa avait rappé « Pour les Anciens ». Ici, aux anciens, on leur dira simplement merci. Que les papys continuent à faire de la résistance. — zo.

Kadaz, Sameer Ahmad & Moudjad – « Le Repos du Guerrier »

Trio à la nonchalance ultime, étoiles filantes qui constellent les paupières du guerrier prenant un repos mérité, Kadaz, Sameer Ahmad et Moudjad paient une sieste à Babylone et étouffent L’Art de la Guerre avec un oreiller. Ça sort du Camouflage Studio. — zo.

Beny le Brownies – « Le Ciel, les Oiseaux et ta Mère »

Beny le Brownies, autoproclamé « pépite sur le cookie », prévient que la comparaison avec Tyler the Creator pourrait le vanner. On va donc se passer de tout parallèle et placer ce morceau sur le méridien de Greenwich. Sur une prod qui semble osciller entre 23h59 et 00h01, Le Brownies rappe toute la nonchalance et parle de ta maman sans vulgarité ni en cherchant la petite larme. GMT Music. — zo.

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4 commentaires

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  • zo.,

    Yo,

    Bankal et Banal sont la même personne. Il change juste de nom selon s’il fait du scratch/djing en solo ou s’il est en groupe. Mais sur Chill Bump tu as bien raison il utilise bien l’alias Bankal.

  • mrshoko,

    Il ya une petite coquille sur la mini chronique de ChillBump, le DJ c’est Bankal et nom Banal.

    big up

  • zo.,

    Yo,

    Bankal et Banal sont la même personne. Il change juste de nom selon s’il fait du scratch/djing en solo ou s’il est en groupe. Mais sur Chill Bump tu as bien raison il utilise bien l’alias Bankal.

  • AAE,

    Super sélection, merci. Je me permet juste un petit correctif, le beatmaker de Chill Bump c’est Bankal et non Banal. A+