Chronique

Chill Bump
Ego Trip

No Pressure - 2014

Ego Trip, un banal ego-trip ? Non. Le groupe de Tours en a plus d’un dans son sac et l’univers qu’il déploie va bien au-delà de ce titre aux allures de cliché rap par excellence. L’expression prend d’ailleurs un sens plus ample si le trip en question est un voyage. Un voyage entre la vie et la mort, comme invitent à le penser « Alpha » et « Omega », qui ouvrent et ferment respectivement l’album. D’un côté, une introduction en forme de flashback vers la condition fœtale. De l’autre, une conclusion morbide autour d’histoires de maladies fatales, faisant réaliser in extremis combien la vie est belle. Un voyage immobile, peut-être (« I’m just gonna sit here… Patiently waitin’… »). Quoiqu’il en soit, ce premier album officiel de Chill Bump (c’est-à-dire sans compter le CD de vingt-deux pistes compilant leurs maxis précédents pressé il y a environ deux ans) n’est pas simplement une célébration égocentrique, même sur le mode distancié et parfois sarcastique qu’on leur connaît.

À ce propos, si l’humour n’est pas absent du disque, le disque surprend un peu par la gravité qui s’en dégage. Certes, cette facette fait partir du groupe depuis le début : même un morceau comme « My Mother is a Pornstar », derrière un titre apparemment humoristique, était plus sérieux qu’il en avait l’air. Mais cette facette s’étend cette fois en trame générale. On ne trouve pas ici de morceau aussi enjoué et bon enfant que « The Eponym » et son clip tourné dans une école. Cette relative froideur vient tant des thèmes traités que des instruments samplés. Les sentiments qui traversent Ego Trip sont l’énervement, la colère et parfois la haine. Le disque raconte des histoires où le narrateur est irrité, que ce soit par une perte de temps à cause d’une mauvaise soirée (« Beat Goes On ») ou à cause d’un état du hip-hop si déplorable qu’on préfère ne pas se dire rappeur (« I Ain’t A Rapper »), voire en veut carrément au monde entier (l’enchaînement entre « Sick » et « Unload/Explode »). Des sentiments qui s’expriment musicalement dans l’absence de cuivres réchauffant un peu le climat et la place faite nette, au contraire, pour le clavecin, la flûte ou la guitare, sans parler du piano morose qui accompagne la chute (« Omega »).

« Si l’humour n’est pas absent du disque, le disque surprend un peu par la gravité qui s’en dégage.  »

La parfaite adéquation entre le rap (dans le fond et la forme) et sa mise en musique est certainement l’atout majeur du groupe, aussi évident ici que dans leurs morceaux précédents. C’est alors une voix filtrée puis trafiquée qui traduit le mauvais trip en plein état second dans « 01.01 », ou bien la voix et l’instru’ qui évoluent de concert pendant que les personnages rompent avec leur routine et suivent une ligne de fuite existentielle sur « One Way Ticket ». Miscellaneous est décidément un rappeur très talentueux, qui ne fait pas étalage d’une habileté technique manifeste, mais la met au service du propos. Bankal, de son côté, façonne des productions travaillées mais sans sophistication inutile, les breaks, inserts vocaux et scratches (Eminem méconnaissable, Big Pun et Fat Joe…) étant toujours placés à bon escient. Au fur et à mesure des écoutes, on apprécie ces onze pistes dans ses détails, des chœurs d’opéra à la fin de « Not Today » au beat-box de « I Ain’t A Rapper » en passant par le micro-sample indianisant qui ponctue «  Beat Goes On ».

À l’image de cet Ego Trip adroitement construit, court (moins de quarante minutes) et donc idéalement frustrant, voici un groupe qui n’a pas besoin de surjouer l’authenticité pour dégager une identité propre. Tout ici est soigné, artwork compris. Comme ils le disent sur « I Get the Job Done », qui relate la frénésie ordinaire de la vie d’artiste : « Quality over quantity that you can play back. »

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