Little Simz, une fille pas comme les autres
Interview

Little Simz, une fille pas comme les autres

Après avoir inondé Internet de projets depuis 2013, la Londonienne Little Simz passe enfin le cap du premier album avec A Curious Tale of Trials + Persons. Un coup d’essai réussi qui nous a donné envie d’en savoir davantage sur celle que l’on n’arrête pas de comparer à Lauryn Hill.

Abcdr du Son : Tu as sorti neuf projets depuis 2013. Est-ce que tu passes ta vie en studio ?

Little Simz : Non, j’ai besoin de vivre ma vie pour pouvoir avoir des choses à raconter dans ma musique. Je pense que c’est une histoire d’équilibre. J’aime être en studio mais j’adore passer du temps avec mes amis et ma famille et j’en ai même besoin pour aller créer en studio.

A : Est-ce que tu as l’impression qu’il se passe quelque chose de spécial à Londres en ce moment ? On parle de plus en plus de la scène rap londonienne.

LS : Bien sûr, il y a une véritable vague de nouveaux artistes actuels en provenance de Londres et je suis fière d’en faire partie. Il y a des têtes d’affiche comme Skepta et énormément d’artistes moins en vue qui sont intéressants. C’est génial de faire partie de ce mouvement, d’aller à l’étranger et de représenter Londres. Des gens du monde entier s’intéressent à ce qui se passe dans ma ville et ça me donne le sentiment de faire partie de quelque chose de spécial.

A : En France, beaucoup de gens se posent la question de l’identité du rap français et on reproduit très souvent les dernières tendances qui surgissent aux Etats-Unis. Comment est-ce que tu différencierais le rap britannique du rap américain ?

LS : Je ne peux pas parler au nom de tout le monde mais, en ce qui me concerne, je fais la musique que j’ai envie d’écouter. Si j’ai envie de faire une chanson émotive, je le fais, si je veux faire un morceau de trap, je le fais, si je veux faire quelque chose de soulful, je le fais… Je me fie toujours à mon instinct et à mes envies. En tant qu’artiste, si quelque chose a déjà été fait, je ne vois pas l’intérêt d’essayer de le reproduire. Ça n’est pas la personne que je suis, ce ne serait pas honnête de ma part de copier quelqu’un d’autre.

A : Sur le premier morceau de l’album, la phrase « Women can be kings » revient à plusieurs reprises. En tant qu’artiste, tu penses avoir la responsabilité de parler pour les femmes ?

LS : Bien sûr. Je suis consciente que j’ai désormais une voix qui porte, que des femmes peuvent éventuellement se reconnaître en moi et je dois faire en sorte que mon message puisse les inspirer. Il faut que mon message les fasse se sentir fortes. C’est important parce que je pense qu’il n’y a pas assez de femmes qui jouent ce rôle. Je suis très fière d’avoir cette responsabilité, je veux remplir ce rôle et m’assurer de faire toujours du mieux que je peux.

A : Tu as commencé à rapper à 9 ans. En tant que jeune fille, tu as rencontré des difficultés pour te faire une place ?

LS : Absolument mais c’était surtout parce que ce que j’essayais de faire était très différent, assez unique et c’est parfois compliqué pour certaines personnes d’accepter le changement et d’apprécier ce qu’ils ne comprennent pas. Il a fallu que je réussisse à surpasser cela, à ne pas faire attention à ce que les gens pensaient de moi et à continuer de grandir. C’était très difficile, surtout en tant que jeune fille à Londres… Personne ne prenait la peine de m’écouter alors que j’essayais de repousser certaines limites, d’aborder de nouveaux sujets. D’autant que je suis une fille mais je ne suis pas « super sexy » ou spécialement hardcore… Finalement, j’ai réussi à trouver une formule qui fonctionne en étant moi-même. Je pense que les gens ont remarqué ça et, en tant qu’auditrice, j’apprécie les artistes quand ils sont authentiques et eux-mêmes. C’est plus crédible et c’est à ce moment que j’ai envie d’apprendre à les connaître.

A : Tu penses à quels artistes ?

LS : Kendrick Lamar par exemple. Ou J. Cole. Il y a tellement d’honnêteté dans leurs propos qu’ils en deviennent inspirants. Ce sont ces artistes qui me donnent envie de me surpasser.

A : À un moment de l’album, tu regrettes que le rap ait moins de sens que dans le passé (« What happened to the content ?« ). Tu penses qu’il y a de plus en plus d’ignorant rap et moins de rappeurs qui ont de vraies choses à dire ?

LS : Totalement. Mais j’adore l’ignorant rap ! J’aime en écouter en club, c’est cool. Ceci dit, je n’ai pas envie d’entendre QUE ça. Il faut un juste milieu. Je peux m’ambiancer sur un morceau de pur divertissement en soirée, rentrer chez moi et écouter To Pimp A Butterfly. Tout est une question d’équilibre, y compris dans la musique. J’aime O.T. Genasis mais je ne veux pas écouter uniquement des morceaux d’OT Genasis.

A : Tu as commencé à rapper à 9 ans. Tu te souviens de ton premier texte ?

LS : Ouais… [Elle sourit]. Je crois que ma première chanson s’appellait « Achieve Achieve Achieve » et, comme son nom l’indiquait, c’était quelque chose de très positif. J’avais dix ans, j’étais une gamine mais je savais que j’étais différente. J’avais déjà une manière très personnelle de réfléchir et d’envisager mon futur et c’est vraiment le point de départ de tout mon parcours, la raison pour laquelle je suis ici aujourd’hui en train de répondre à tes questions. J’ai toujours eu beaucoup de rêves et je ne me suis jamais fixée de limites. D’ailleurs, ça m’est arrivée de plus ou moins prédire mon avenir sans m’en rendre compte. A dix ans, j’avais écrit cette phrase : « In 10 years, I wanna be a performer that can entertain« . Dix ans plus tard, je suis là.

A : Tu seras où dans 10 ans alors ?

LS : Je ne sais pas [rires]. J’imagine que c’est parce que je suis une adulte et j’ai une autre manière de réfléchir aux choses désormais. Je m’imagine facilement continuer à faire de la musique, idéalement à une plus grande échelle qu’aujourd’hui. Pour le reste, je préfère vivre le moment présent, travailler dur et ne pas trop me soucier de l’avenir.

A : A deux reprises sur l’album, tu cites une phrase qu’on a dite dans le passé à propos de ta musique : « this is the type of shit that never gonna sell« . Tu as l’impression de prendre une revanche ?

LS : Pas une revanche parce que personne ne m’a vraiment fait du mal. Il y a juste des personnes qui n’ont pas cru en ce que je faisais et je peux accepter ça. Je ne suis pas là pour être aimée de tous et dominer les charts. Honnêtement, ça n’est vraiment pas la raison pour laquelle je fais de la musique. Je me suis lancée dans la musique parce que je voulais contribuer à inspirer une génération parfois un peu perdue, être un exemple et leur donner des raisons de croire en eux-mêmes. Je ne fais pas attention à toute la pression exercée par l’industrie parce que c’est à partir de ce moment qu’on se met à changer sa musique et à devenir « stratégique ». Ça n’est pas moi. C’est pour ça que je n’ai pas de problème avec les gens qui disent que ma musique ne vendra pas, ça n’est pas son but premier. Par contre, si ma musique se met à vendre, je serai contente de leur avoir prouvé qu’ils avaient eu tort.

A : Beaucoup de gens te comparent à Lauryn Hill et, même si c’est une comparaison un peu facile, vous avez un point commun puisque vous rappez et chantez à la fois. C’est obligatoire aujourd’hui d’être présent sur ces deux tableaux ?

LS : Je pense qu’on vit une période où les artistes veulent sans cesse explorer de nouveaux horizons et ne pas se contenter de répéter les anciennes formules. Je pense que c’est une excellente chose, surtout quand c’est bien fait. Il n’y a pas d’intérêt à le faire juste pour le faire mais j’adore quand les gens n’hésitent pas à expérimenter et à essayer de nouvelles choses. Cela signifie que tu n’as pas peur de prendre des risques et c’est quelque chose que je respecte en tant qu’artiste. La plupart des thèmes que j’aborde sont très personnels et ce n’est pas toujours facile d’exprimer ça à des étrangers. Mais c’est ma manière de me mettre en danger et j’aime retrouver ça chez les autres. En ce qui concerne le chant, je ne pensais pas avoir une voix calibrée pour ça. Je ne pensais qu’au rap et, quand je suis allée au collège, toutes les personnes autour de moi mélangeaient le rap et le chant. Être entourée de ces gens m’a permis de progresser. Ils me regardaient avec cet air : « Ok tu sais rapper. Et après ? » C’est là que j’ai appris le piano, la guitare, que j’ai travaillé mon chant… Je voulais étendre mes horizons. Maintenant je peux chanter, jouer du piano dans un groupe… Je suis plus complète. Je n’ai que 21 ans et j’ai encore beaucoup à apprendre.

A : Quand tu étais enfant, quels artistes t’inspiraient ?

LS : Missy Eliott au départ et Lauryn Hill quand j’ai grandi. Elle était tellement talentueuse, elle savait rapper, chanter, jouer, c’était une musicienne, c’était une superbe femme noire… C’était quelqu’un qui m’inspirait, à qui je voulais ressembler. Ce qu’elle représentait était puissant et a rassemblé toute une génération. Personne ne peut dire du mal à propos de The Miseducation of Lauryn Hill qui est toujours un classique. Je pense que c’est avec ce disque que je suis vraiment tombée amoureuse de la musique. Avant ça, je ne pensais pas que la musique pouvait me provoquer des frissons. A partir du moment où la musique peut avoir cet effet sur moi, quel effet serai-je capable d’avoir sur d’autres personnes ? Est-ce que moi aussi je pourrai influer sur la vie d’une personne comme Lauryn Hill l’a fait pour moi ?

A : Tu aimerais faire un morceau avec elle ?

LS : Une partie de moi a envie de te répondre « bien sûr« . Une autre partie de moi ne sait pas si ce serait vraiment une bonne idée. Elle représente quelque chose de spécial pour moi et je ne sais pas si j’ai envie d’y toucher. C’est une de mes idoles et je ne sais pas si c’est une bonne chose de rencontrer ses idoles.

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