Interview

DJ Damage

On ne connait pas forcément le plus discret des DJ’s du Double H. Pour le décrire on pourrait simplement dire que DJ Damage c’est quelqu’un. Quelqu’un qui est resté fidèle à son idée d’un Hip-Hop intimement lié au Jazz donc quelqu’un d’atypique dans la petite faune des pionniers français de ce mouvement. Mais surtout, quelqu’un qui respire la musique…

Photographie : Nicolas Favrichon

Abcdr: Pour commencer, un an après la sortie de Clin d’oeil, album que tu as produit avec les Jazz Liberatorz, qu’est-ce que tu as à dire pour justifier la très longue attente qui a précédé l’arrivée en bac du projet?

DJ Damage : Parce qu’on avait des métiers à côté, parce qu’on est sur un label indépendant, que ça coûte du fric, parce que l’industrie de la musique quand on a commencé l’album commençait déjà à se casser la gueule et qu’il faut prendre des risques calculés parce que sinon c’est pas possible. On y allait au coup par coup pour enregistrer les artistes américains. Quand on avait un peu de pognon, on s’en faisait un, on attendait deux mois, rebelote. C’était assez complexe.

Le truc surtout c’est que vues les activités qu’on avait autour, je parle pour moi mais pour les collègues c’est pareil, quand tu fais 10/11 heures de taf par jour, que t’as une vie à côté, que tu fais le DJ. Tu rentres d’une journée stressé, quand t’allumes le sampler il se passe rien. Faut quand même que tu aies une espèce de plénitude pour créer,  ça rentre en ligne de compte, et puis après l’économique est certainement le vecteur le plus important dans l’attente de cet album et puis aussi savoir comment on allait le distribuer sans perdre de plumes. Comme les distributeurs se cassent tous la gueule, ils te laissent les ardoises, quand tu fabriques tes vinyles et que tu te retrouves avec 1000 vinyles à l’autre bout de la planète et qu’on te les enverra plus jamais. Il faut déjà prévoir en amont de pas se faire refaire avant de faire le disque. Tout ça mis bout à bout fait qu’il y a eu ce retard. Un an en fait. A l’instant T où on a décidé de le faire, je pensais mettre deux ans . En fait ça a pris trois ans.

A: On peut justement revenir sur le label Kif, quand j’ai appelé là bas je suis tombé sur toi, tu es dans le staff?

D: C’est parce que j’étais en train de répéter, ça arrive jamais que je réponde au téléphone, c’est impossible ce qui t’es arrivé. Le label Kif c’est un seul et même gars qui s’appelle Mickael Darmon.

A: Faster Jay…

D: Qui était à mon sens avec Crazy B, les deux meilleurs DJ’s Hip Hop de Paris pendant de longues années, on peut rajouter Clyde, Dee Nasty. En fait après ils ont fait Alliance Ethnik qui a fait un carton notoire,  il allait signer comme directeur artistique mais comme il est vachement rock and roll il a dit niet et il a voulu monter son label et tout le monde s’est foutu de sa gueule. Sauf qu’il sort un maxi indépendant d’ électro Hip Hop et qu’il en vend un bon paquet. Suite à ça comme il avait travaillé pendant deux ans dans un bureau chez Delabel, en face de lui y avait un daron qui allait prendre sa retraite et qui connaissait tous les métiers de la musique, il lui a transmis le savoir et donc il s’est mis à faire de l’édition aussi et c’est comme ça qu’il a signé Crazy B, Guts, et nous aussi.

A: Donc il est aussi à la base du projet?

D: Je me souviens qu’au début il était complètement dans l’électro genre futur funk, house sur son label alors qu’il a un passif Hip Hop que tu peux pas test mais qu’il avait un peu oublié. Quand je suis arrivé avec mon concept Hip-Hop/Jazz machin, il m’a dit « ouais t’es sûr que ça marche ça ? » je lui ai dit: « écoute t’es rock and roll ou t’es pas rock and roll? » Il m’a dit banco. Donc on a fait le premier maxi avec Aloe Blacc à l’époque, ça a stagné dans les bacs pendant deux mois et d’un seul coup les ventes se sont faites et on a enchainé les deuxième, troisième, quatrième, cinquième maxis et puis l’album.

A: Est-ce qu’il y a des gens  sur cet album que tu n’as pas pu avoir, d’autres que t’es super content d’avoir eu?

D: Je t’avouerais franchement que y en a un et je l’ai rencontré il y a une semaine, c’est Gift of Gab, le gars il est onze mois par an sur scène et le mois qui reste, il est en studio. Il est pas du tout studio donc pour le chopper c’est dur. Lui, il aurait dû poser avec Apani B-Fly sur ‘The Process’ et donc c’est Apani en solo. C’est la seule collabo qui n’a pas pu se faire pour des raisons de timing. Après y a quelques chanteuses avec qui on voulait bosser, je vais pas te dévoiler les noms puisqu’on va sûrement les avoir pour le deuxième album. Je garde la surprise. Mais globalement cet album s’est fait super naturellement dans le sens où on a enregistré la moitié au studio chez Kif avec les artistes et l’autre moitié des feats on les a fait à distance, sans avoir de déchets, ni de mauvaises surprises parce que c’est toujours complexe de bosser à distance. On leur envoyait des morceaux, ils choisissaient et posaient dessus, mais on ciblait quand même nos feats parce qu’on les connaissait par coeur à travers toutes leurs sorties précédentes. Franchement là-dessus on a eu quand même un peu de pot, parce que bosser à distance c’est pas easy et puis je trouve que globalement le rendu est pas mauvais.

Mais tu sais étant donné qu’on les avait pas à portée de main, on glissait leurs acapellas sur nos beats. Tu mets une acap’ d’Apani, tu te dis que ça sonne bien et tu lui envoies…

A: Tu peux expliquer comment Asheru se retrouve à poser sur le beat du remix que vous aviez fait de son ‘Truly Unique’?

D: Je lui ai envoyé deux tracks et il me fait « nan mais t’inquiètes pas je vais en France« . Je l’avais interviewé à l’époque à la radio et le gars a découvert super sur le tard ce fameux remix et il arrive et il dit: bon les gars je vais être super relou mais moi je veux poser sur ce beat. Nous on lui dit: ouais mais les autres beats? On insiste, il insiste et ça finit en: « bah défonce-le, vas-y… ». Donc c’est un choix de rappeur.

A: Le gros morceau pour moi c’est ‘Cool Down’, il faut absolument que tu me dises d’où vient la basse.

D: Elle est rejouée à travers un plug, c’est un truc joué, en fait c’est un plug de contrebasse électrique. Oui c’est un son de ouf. C’est aussi le morceau préféré de Headnodic des Crown City Rockers, c’est ce qu’il m’a dit récemment.

A: Ouais j’ai pas mal de points communs avec lui, on me le dit souvent…[rires]

D: Faut que t’ailles en Californie, il est à Oakland, tu devrais t’y plaire…

A: Autre question traditionnelle sur l’album, pourquoi pas de rappeurs français alors que je te sais proche d’un Black Boul ou des Svinkels?

D: Tu viens de citer les rappeurs français avec qui je suis down. On y a pensé un moment, on s’est dit, on va mettre Oxmo, et on s’est dit qu’on allait mettre un ou deux rappeurs français au milieu de plein de ricains, ça va faire style on n’est pas américain [rires]. Et puis Madhi et Dusty ont quand même pas mal travaillé dans le rap français donc avec les Jazz Lib, ils avaient envie de faire autre chose.

A: Y’avait eu un remix pour Triptik, c’est pas une envie que t’as de faire ça, de bonifier le rap français?

D: A part quelques morceaux de NTM, la Cliqua, les vieux IAM, les Cool Sessions… Il y a eu des jeunes dans les années 2000 genre Sokrates, ‘Les Portes de Clignancourt’ reste un des derniers morceaux de rap français qui m’ait plu. Pourtant il est bien racailleux et adressé à une génération bien en dessous de moi. Mais en règle générale tu te dis: « le flow… « .

Même les rappeurs ricains, les Buckshot ils te le diraient, faut prendre des cours de chant. Je me souviens de studios dans les mid90’s en France où les mecs arrivaient avec des instrus super riches et une fois que le rappeur était passé, il restait le high-hat, le snare, le kick et la basse et t’entendais le mec beugler dessus. Le sample avait disparu parce que les mecs étaient incapables de se caler sur les samples.

A: Bilan du projet Clin d’oeil ?

D: Quitte à n’en faire qu’un, autant marquer les esprits et j’ai l’impression qu’on a marqué les esprits. Même si on a pas vendu 100 000 comme ça aurait été le cas il y a sept ans. Maintenant c’est 1/5 en moyenne. Avec 20 000, on est déjà disque de crépon…

A: Maintenant vous le faites vivre sur scène, j’avais entendu parler d’un projet plutôt alléchant où vous diffusiez des vidéos des rappeurs en arrière scène…

D: On a commencé à monter un show vidéo mais on a abandonné. Comme on n’avait pas nos rappeurs avec nous sur scène, et qu’avec le Serato tu peux piloter de la vidéo, on était parti sur l’interactivité vidéo. On a fait un ou deux concerts où il y avait de la vidéo mais pas sur la totalité de l’album. On avait trois morceaux donc j’ai préféré qu’on arrête les frais. Imagine, demande à un rappeur ricain de se filmer pour une vidéo, à part un Raashan Ahmad qui est un mec super.

Après il y a J.Sands qui m’a fait une vidéo où ils sont bourrés dans une chambre d’hôtel, Stacy Epps m’a fait une belle carotte aussi, je l’a fait venir quatre jours à Paname dans un bête d ‘hôtel à Belleville, je lui trouve une date donc elle est payée alors que c’était pas prévu, je lui fais rencontrer Mos Def et je lui demande juste si je peux la shooter faisant un playback sur son morceau et elle me fait sa Pretty Woman genre « je suis pas maquillé, ma coupe de veuchs… » Quand t’es sur un label indépendant t’as pas les moyens d’aller shooter sur place. T’es sur une major, on te file une enveloppe de 20 000 eus et tu vas sur place tu fais tes prises et basta. Nous, on ne peut pas se permettre ça.

« Même les rappeurs ricains, les Buckshot, ils te le diraient, il faut prendre des cours de chant.  »

A: En quoi consiste le projet Fruits of the Past annoncé sur le Myspace des Jazz Lib’ ?

D: C’est une compilation qui regroupe tous les anciens maxis et à l’intérieur y aura 5 morceaux remixés par des beatmakers français dont 20Syl et il y a un morceau inédit des Jazz Lib avec Mos Def.

A: Tu peux raconter l’épopée de tes mixtapes Independent Addict et comment le dernier volet s’est retrouvé à sortir chez Universal sous le nom Rotation Result ?

D: C’est une histoire contractuelle avec Universal, et comme je voulais garder mon nom Independent Addict et que eux quand ils te prennent ils te la font à l’envers comme toutes les maisons de disques,  j’ai appelé ça Rotation Result mais j’ai quand même subtilisé Independent Addict vol.5.

J’ai appelé ça vol.5 parce que y avait eu déjà quatre Independent Addict que j’avais fait en solo, Y’a eu trois autres mixtapes dont deux avec Pone et un mix d’été de copain que j’avais fait pour Alliance Ethnik parce qu’ils étaient en tournée et qu’ils avaient pas assez de sons.

A: Et il te reste des exemplaires des quatre premières?

D: Figure toi que mon disque dur de multipistes numérique a pété il y a très longtemps et je n’ai plus du tout les matrices. Moi j’ai les cassettes et j’ai deux cédés. En plus le mec qui faisait la dupli a sauté comme c’était de la bicrave. Il est parti en prison et tout est parti avec. Les seuls supports numériques sont sûrement chez les flics quelque part, un jour j’irai peut être en prison aussi… [rires]

Par contre les mixtapes Pone/Damage c’est encore plus dingue, on les faisait sur magnéto à bande. Moi j’étais un malade mental de ça, j’ai commencé par faire du jingle, du medley des mégamixs c’était mon délire quand j’étais jeune, j’avais même inventé des partitions pour faire des édits rythmiques. Complètement barge.

A: Justement en vous voyant aux balances je me demandais si t’avais une formation musicale?

D: Pas du tout, j’ai des musiciens dans ma famille mais comme je suis le vilain petit canard j’ai pris des platines, on m’a jeté des pierres… Maintenant je regrette un petit peu.

A: Comment tu communiques avec les musiciens sur scène ou en studio?

D: Parce que j’ai de la musique plein la tronche et j’ai un peu de vocabulaire. Maintenant, quand je cherche mes accords je mets trois heures alors que si t’as un tant soit peu de solfège, tu claques ça en 2-2… C’est comme le flic qui tape avec deux doigts sur la machine à écrire, là c’est le beatmaker qui tape avec deux doigts sur son clavier. C’est frustrant et à une époque on m’a proposé de faire du solfège, j’avais quinze ans, je voulais faire le DJ, j’ai chié dedans.

A: Tu es à la fois DJ et beatmaker, je sais qu’il t’arrive de rallonger les boucles pour des mixs, est-ce que tu as d’autres exemples d’interaction entre ces deux casquettes?

D: C’est ce que faisaient les mecs au tout début des années quatre-vingt, ils rallongeaient les boucles au passe-passe puis ils finissaient par le mettre sur bandes, de 80 à 83 t’as beaucoup de breaks de soul, de funk qui sont bouclés à travers une bande, avant l’avènement du sampler avec le S900 d’AKAI.

Ce qui se passe c’est que quand t’es DJ à force de jouer la musique des autres t’as envie de faire la tienne. Quand on commence à te donner les moyens de piquer la musique des autres pour en faire autre chose. Tu te dis: je vais essayer.

Même si j’ai réfuté le numérique longtemps, j’aurais pû commencer beaucoup plus tôt. Je me suis mis au sampler que fin 80 début 90. Mais j’étais puriste du truc j’aimais que l’analogique, le numérique pour moi c’était de la merde. Le jeune vieux con rétrograde.

A: Et maintenant c’est l’ère du Serato…

D: A force de porter des disques depuis vingt ans j’ai le dos qui est en vrac. Ca me pose pas de problème le Serato, alors il y a beaucoup de puristes qui me disent : « mais gars, pas toi qui a une collection de vinyles de fou ». Il faut pas non plus aller à l’encontre du progrès, après je peux comprendre certains mecs de ma génération, voire même plus vieux, qui crachent là dessus, les Grand Master Flash…Mais les gars, réveillez vous parce que vous allez vous faire gratter.

Quand tu vois les possibilités qu’ont ces machines là actuellement et moi je ne l’exploite qu’en tant que banque de sons mais si je mets la tête dedans je commence à taper de la loop dans tous les sens, ce que fait Pone, laisse tomber, et après t’as des Kentaro et là on atteint le sommet du bordel. Mais tu peux t’éclater, tu peux faire un medley en direct, c’est pas un rêve de DJ de faire un medley en direct dans une soirée. Les bons albums, je les achète en vinyles. Et puis les disquaires disent que les ventes remontent et on le constate aussi avec nos ventes.

Effectivement, c’est plus les ventes d’il y a cinq ans, mais faut pas se voiler la face, c’est une histoire de pognon, les gens arrivent déjà plus à faire croûter leurs gosses ils vont pas acheter des vinyles non plus. C’est le début du déclin de la société capitaliste. Nos arrières petits enfants vont en chier.

« J’ai des musiciens dans ma famille mais comme je suis le vilain petit canard j’ai pris des platines, on m’a jeté des pierres… Maintenant je regrette un petit peu. »

A: En soirée, il t’arrive encore de ramener tes vinyles de temps en temps?

D: Je suis en Serato. Le seul truc c’est qu’avec le Serato il te manque plein de trucs, des gestes comme fouiller tes bacs, les pochettes… Ca, ça me manque. Mais j’ai tellement diggé à travers le monde. Et quand je vois la facilité qu’ont les mecs à chopper une pièce, une rareté sur le net. Maintenant c’est tout, tout de suite. A l’époque on allait chercher les disques, je suis allé dans des endroits guedins, limite à me faire caner parce que j’allais pécho un skeud. Mais moi, mon disque il a une histoire, quand je le joue même en Serato maintenant j’ai toujours cette petite pensée.

J’ai bon nombre de disques que je peux te sortir et je te raconte une histoire sur le skeud et je pense qu’un Dee Nasty c’est la même, qu’un Crazy B c’est pareil, tous les mecs de cette génération là, tous les disques on allait les chercher, ils arrivaient pas chez nous comme ça. On allait chercher notre culture, il y avait une démarche de se sortir les doigts. Maintenant tu bicraves les disques et en plus tu les as instantanément chez toi. C’est pas si mal encodé que ça et je te dirais franchement si t’as envie de claquer un son vinyle derrière ton Serato, tu fous un petit pré-ampli et t’es le roi du monde, d’ailleurs c’est ce que font les ricains.

A: La question « longueur de zizi » du collectionneur: combien de disques dans ta collection?

D: Pas dingue par rapport à bons nombres, j’ai des copains qui ont 60 à 80 000 disques mais moi dans la pièce où je fais du son je dois avoir 8000 skeuds et chez mes darons je dois en avoir à peu près 15 000 mais il y en a bien 3000 qui sont cramés parce que c’est des disques de club que j’ai passé 100 fois. Parfois je regrette parce que j’ai cané un skeud, ça aussi c’est un autre délire, t’achètes ton skeud, tu le ranges, tu l’ouvres, tu le joues une fois, parce que j’ai un trop gros respect pour l’artiste pour éviter de le garder scellé, après tu le fous dans ta bécane (Serato) et puis c’est fini, tu le joues plus jamais. Parfois je les ressors et y a soirée privée chez Damagio à MeauxTown…

A: Oui j’ai vu ça, d’ailleurs outre le fantastique jeu de mot, MeauxTown c’est aussi un collectif d’artistes de Meaux…

D: A Meaux dans les trentenaires il y a plein de mecs qui ont réussi dans l’artistique que ce soit les graphistes, en graff, je pense à Obsen, le mec qui fait les graphismes chez EdBanger: So Me, c’est un mec de Meaux, on a Pone, les gars de Scenario Rock. Mathias le champion du monde de danse Hip Hop debout. Alors que ma génération dans les 40 balais y avait 3 péquins on se regardait , il y avait pas toute cette dynamique. C’est marrant quand on est arrivé avec cette histoire de MeauxTown, un soir de beuverie parce qu’on boit beaucoup à Meaux – globalement le bon DJ Hip Hop est épicurien, il aime bien la tise, la bouffe et le cul, j’ai remarqué ça globalement – quand on est arrivé pour défendre un peu le blaze, ça a tout de suite accroché sur Paname, les mecs ont tout de suite trouvé le truc kiffant, c’est resté. Y en a même qui ont bicrave le blaze pour faire des t-shirts…

A: Tu disais que Pone était aussi meldois – y’a un jeu de mot que je me refuserais à faire – c’est toi qui lui as mis le doigt dans l’engrenage via les championnats DMC…

D: J’avais fait les championnats solo en 90/91 je m’étais vautré comme une merde, trop de stress, les platines qui sautent, ça marche bien chez toi mais tu arrives et c’est la merde. Ca m’a gavé. En même temps j’étais pote avec Wilfried De Baise qui était le patron du DMC en France et il me demande si je veux les refaire, je lui dis que ça me gonfle, et il me dit: « Par contre toi t’as des bonnes feuilles, ça te dit pas de faire jury? » Je lui réponds que j’ai aucun palmarès dans le DMC, c’est beau là l’histoire… Et je me suis mis à faire ça, et je râlais à chaque fois je me disais mais pourquoi les mecs ils ont pas des petits medleys, des shows. Et en 95 Crazy B me dit : « Gars, si ça te plait pas t’as qu’à le faire ». Donc je commence à faire un petit show et je rencontre Thomas [NDLR: Pone] qui me dit qu’il vient d’acheter des platines, qu’il faut qu’il me fasse voir ses passe-passe, je vais chez lui, petit passe-passe propre, je lui propose le délire de l’équipe, il me dit « Ouais, mais c’est chaud », je lui dis: « T’aimes ça c’est ton kif? T’es venu à la radio, tu nous as vu avec Crazy B, t’as kiffé? T’as envie de faire ça? T’as bosser tout l’été pour t’acheter des platines, maintenant je te dis: on va faire le championnat et tu veux pas le faire? ».

L’ego du bonhomme était là, même à quinze ans. Donc on s’est mis à s’entraîner comme des bourrins, genre six mois, limite on le respire le show et on finit à la 2ème place en 96. Comme il y avait le Double H qui existait, le quintet de base (Dee Nasty, Cut, Abdel, LBR et Cutee B) chaque DJ a adoubé d’autres DJ’s. Avec Anouar [NDLR: Cut Killer] on se connaissait, c’était le DJ de IZB, mais bon à l’époque mi-80, t’étais DJ à Meaux t’étais pas DJ parisien.

Au Trocadéro, on était les derniers à breaker, y’avait plus de cartons pour nous…Cut je le croisais de temps en temps comme ça, par contre je connaissais un peu mieux Abdel qu’était un pote à Nasty, et j’étais pote comme un dingue avec Crazy B et on s’est retrouvé à former le Double H DJ Crew avec cet album complètement bringuedingue et sept ans de Bumrush pour moi.

A: Tu te sens encore dans cette famille?

D: Ah nan pas du tout. Je réfute pas non plus. Amicalement mais pas musicalement. On n’a pas la même vision du Hip Hop, Crazy B il est parti dans un truc super électro avec BNN. Cut c’est Cut Killa, et je t’avouerais que la grosse artillerie, c’est pas ma tasse de thé. Abdel maintenant il est rangé, il s’en bat le coquillard, il fait de temps en temps une soirée où il maille vénère, il a un business qui n’a absolument rien à voir avec la musique au Maroc, c’est lui qui a vraiment maillé le plus, beaucoup d’habillages sonores, c’est énorme… Et tant mieux, le mec sort de la rue, moi je suis très américain là dessus, si le gars en est là, c’est qu’il a réussi. Je trouve ça plutôt positif. Et des mecs comme Cut ou Abdel, quand tu vois d’où ils viennent, quand t’en arrives là, tu peux t’estimer heureux et c’est plutôt positif.

A: Même avec le créneau tardif, c’était classe de passer ses disques sur une telle radio, presque le ver dans la pomme…

D: Quand Cut m’a proposé de faire cette émission de radio, comme j’avais un contentieux avec Laurent Bouneau (pour des histoires de megamix de Prince datant de 90) en fait j’ai dit tout de suite non. J’ai dit: « Skyrock? Laurent Bouneau? Dans ton cul! ». Et puis j’ai réfléchi et je me suis dit que c’était l’occasion d’aller vilipender de la bonne musique dans la France entière. Pas pour la gloriole, j’m’en foutais, limite quand je faisais le Bumrush, je finissais à 5h du mat’, j’arrivais chez moi, je prenais une douche, j’allais au taf. Je faisais nuit blanche une fois par semaine et ce pendant 7 ans. C’était funky, et pour gagner des clopinettes, ça payait même pas mes skeuds, c’est pour te dire… Je l’ai fait, j’avais quelques retours et en fait j’ai beaucoup plus de retours maintenant. Je rencontre des gars comme toi, de ta génération qui me disent qu’ils faisaient des cassettes la nuit et qui se passaient les enregistrements. Pour Pone, c’est la même.

Maintenant avec du recul, je me dis que j’ai bien fait, si j’ai pu créer des vocations, si grâce à ça, y a eu un 20Syl, c’est chan-mé. Mon plus grand fait d’arme qui n’a pas du tout plu à Bouneau, c’est un soir de fête de la musique (que je ne fête pas, parce que je fais la fête à la musique toute l’année), j’étais tout seul au studio, tout le monde était parti en soirée et je me retrouve patron du Bumrush et je joue du rare groove de ouf, à minuit juste derrière l’autre espèce de trou du cul de Difool. Et je me fais insulter dans les messages d’un côté et encenser de l’autre sur internet et Bouneau était survénère, il appelle Cut qui était en soirée et Cut me rappelle à 1h30 du matin en me demandant ce que je fous. Je lui réponds que je passe du bon son, il me dit: « T’as raison » et il raccroche. C’était mon petit bras d’honneur à Laurent Bouneau. Tu as raison en fait, Pone, Cutee B et moi étions un peu le ver dans la pomme…

A: Toi et Pone vous avez un parcours parallèle, qu’est-ce que tu penses du tournant électro pris par les Birdy Nam Nam?

D: Honnêtement je trouve que c’est la bande-son d’un spectacle.

A: La bonne bande-son d’un spectacle?

D: Moi j’ai connu l’électro, comme Crazy B. d’ailleurs, au début du truc, les TR et tout on était ado, on avait 12 ans quand c’est arrivé tout ça, donc j’ai une vision de l’électro qui est tout autre que ce qui se passe maintenant. Si ça fait kiffer des tonnes de gamins de vingt ans, c’est qu’il se passe quelque chose, bon ou mauvais j’en sais rien. Personnellement ça me touche pas vraiment, je suis trop mélomane pour m’écouter ça chez moi. Par contre demain soir je serais à Perpignan à leur concert et je serais au premier rang, à faire ma groupie de merde et à gueuler parce que je vais kiffer. J’ai pas trop de clivages musicaux, je suis capable de faire mon DJ de rave à te passer de la Tek de ouf. Les BNN, je préfère les bouffer en concert et en plein air si possible.

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