Reportage

Une semaine à Compton

Ces deux dernières années, le journaliste Nicolas Rogès a suivi le fil de l’un des artistes les plus importants de cette décennie : Kendrick Lamar. Alors qu’il décortiquait le parcours du rappeur, notre confrère s’est logiquement retrouvé à Compton. Kendrick y est étroitement lié, mais la ville est d’abord mondialement connue pour être le cœur d’une branche sulfureuse du rap américain : le gangsta rap. Le genre a conquis le monde au début des années 1990, dans un cycle troublant. Depuis plus de vingt ans, cette branche du rap américain voit les naissances d’albums cultes danser un sordide pas de deux avec les morts violentes de leurs auteurs. Le public est fasciné. Par cette musique, mais aussi par tout le style de vie qui l’entoure, cela jusqu’à l’exotisme. La prison, la drogue et la mort par balles ne sont pourtant pas juste des moments d’adrénaline à vivre dans un clip ou dans un bon hood movie. À Compton comme dans une large partie de la périphérie de Los Angeles, tout cela est bien réel. Ça peut sembler évident, mais il est pourtant indispensable de le rappeler : mourir pour les couleurs d’un gang, trébucher pour avoir vendu de la drogue sur le mauvais territoire, se faire (au mieux) passer à tabac par la police, pour les habitants de Compton, ce ne sont pas des scènes qui n’existent que sur Youtube, mais bel et bien du concret. Et si la population de la ville ne renie rien de cela, si elle sait que le rap sera toujours au cœur de son histoire et de la vie de la cité, elle a pourtant quelque chose à dire à ceux qui vont à sa rencontre : nous ne voulons pas être résumé uniquement à ce que le gangsta rap a montré de nous et de notre ville. Ce n’est pas une question de rejet d’une musique, juste une volonté de ne pas tronquer des existences.

Nicolas Rogès, accompagné du photographe Julien Cadena, a donc passé du temps avec ces hommes et ces femmes navrés qu’on n’aille pas voir l’envers du décor des clips et chansons nés dans leur ville. Qu’ils soient activistes politiques, artistes, rappeurs, animateurs radio, en train de monter leur label ou original gangsters, ils sont les visages de Compton. Ils en sont aussi la mémoire – souvent hantée – et l’avenir – rempli d’espoir. De cette immersion dans une cité dont le nom fait frémir autant qu’il excite par les fantasmes qu’il transporte, il ne ressort rien d’autres que ce qui fait la beauté du monde, même quand il est sinistré : de grands morceaux d’humanité y sont à dénicher, et ils sont autant peuplés de rêves à réaliser que de fractures de vie à réduire. Finalement, ici, il s’agira un peu de la même chose que ce que l’Abcdr a proposé en juin de cette année à travers le fantastique reportage d’Yveline Ruaud sur la ville des Ulis : rappeler que le rap a un ancrage territorial qui ne doit jamais être réduit à des clichés ni à des classements en zones dites « sensibles ». Dire et redire que cette musique, comme toutes les autres, est avant tout faite de trajectoires de vies et de réalités locales qui sont plus complexes que ce que le folklore du genre laisse croire. C’est que fait Nicolas Rogès dans ce reportage parallèle à l’élaboration de son livre dédié à l’œuvre de Kendrick Lamar : donner la parole à ceux qui font la vie de quartiers ayant posé leur sceau sur l’histoire du rap autant qu’ils en ont été marqués au fer rouge. Il n’est même plus question de commenter la musique ici, ni d’en faire la chronique, mais de journalisme pour ce qu’il a de plus évident : montrer la réalité d’un lieu en laissant la parole à ceux qui y vivent. Et comme c’est publié sur l’Abcdr du Son, la rédaction reste fidèle à elle-même en proposant tout au long de ce reportage des focus sur des moments fondateurs de l’histoire du rap de Los Angeles. Ice-T, Eazy-E, Myka 9, les Jurassic 5, MC Eiht, Mozzy et évidemment 2Pac Shakur seront à croiser le long de cet article, publié en trois parties du lundi 31 août au vendredi 4 septembre. Ce sera également l’occasion de mettre en avant certaines de nos archives, pour mieux éclairer cette Californie et son rap : riche, diverse et complexe. À l’image de Compton et de ses habitants. Straight Outta Abcdr !