Salif : « le rap français est un paradoxe à lui tout seul »
Interview

Salif : « le rap français est un paradoxe à lui tout seul »

Seulement neuf mois après « Curriculum vital », Salif est de retour dans les bacs avec « Qui m’aime me suive », projet audacieux qui donne quelques pistes sur le nouveau souffle qu’il devrait insuffler à sa carrière. Après l’interview fleuve qu’il nous avait donné l’an dernier, il nous a semblé judicieux d’aller une nouvelle fois à sa rencontre.

Abcdrduson : Salif, comment ça va depuis la dernière fois ?

Salif : Franchement, je suis au max mon pote. Un peu fatigué parce qu’on a grave taffé, mais sinon je suis au top. Je suis passé par une période en fin d’année où quelques problèmes se sont un peu accumulés mais là ça roule.

A : Tu as sorti ton deuxième album, « Curriculum vital », au mois de septembre 2009. Quel bilan tu en fais aujourd’hui, aussi bien en termes artistiques qu’en termes de ventes ?

S : Sur le plan financier, j’ai pris l’habitude de sortir des projets en mode auto-produit donc ça n’est pas la même chose. Je le savais en signant chez AZ et j’avais plus ou moins géré mes affaires de telle sorte que je m’y retrouve quand même. Ensuite, je fais un score qui est honorable puisqu’on va bientôt atteindre les 35 000 avec, comme d’habitude, aucune promo une fois que l’album est sorti. Dans des conditions pareilles, je trouve que faire 35 000, c’est pas mal.
Après, je te dirai qu’il y a un début de transition. Quand tu sors d’une grosse période de buzz, il y a un début de haine qui commence. Je pense que tous les artistes qui ont généré une grosse attente passent par ça. Il y a une longue attente et, une fois que l’album est dispo, tu vas avoir des réactions immédiates comme quoi l’album n’est pas bon. 6 mois plus tard : « Ah finalement j’ai réécouté l’album, il était bon !« . C’est le schéma habituel mais, pour moi, ça roule. Comme je t’ai dit, je suis dans une période de transition. On en avait déjà eu la discussion mais chacun de mes disques est différent et, à chaque fois, ça laisse certains de mes fans sur le carreau. Ça a eu lieu pour Tous ensemble, chacun pour soi, pour Boulogne Boy, pour Prolongations… Aujourd’hui, ce sont les mecs qui ont kiffé Prolongations qui sont déçus et les mecs qui ont kiffé sur Tous ensemble qui commencent à être resservis. Ça tourne quoi [sourire].

A : Justement, comment tu te situes par rapport à une catégorie du public qui ne jurait que par Salif et qui a commencé à retourner un peu sa veste quand l’album est sorti ?

S : Mais aux States c’est pareil ! Je ne me compare pas à qui que ce soit mais Drake va avoir droit à la même chose. C’est à dire que pendant plusieurs mois les mecs se montent la tête et tout ça retombe très vite dès que le disque est dans les bacs. Et puis il relancera son truc et ça repartira.
A un moment donné, tu reviens parmi le commun des mortels [sourire]. Et revenu dans le commun des mortels, tu recommences à faire ton histoire. Clairement, je m’ennuyais ces derniers temps. Mon disque est sorti depuis neuf mois, on a fait une grosse tournée mais je commençais à m’ennuyer. Je savais que mon prochain album ne sortirait pas en septembre 2010 et, comme je trouve qu’un an entre deux albums c’est juste ce qu’il faut, je me suis dit que j’allais sortir un projet entretemps.
Maintenant, et c’est quelque chose que j’ai toujours dit, quand tout le monde t’aime c’est que tu es sur la fin. Aujourd’hui, je pense que ça tue : il y a des gens qui aiment, d’autres qui n’aiment pas et ça crée le débat. Même mes fans s’y retrouvent parce qu’au moins ils ont une raison d’ouvrir leur bouche maintenant.

« Chacun de mes disques est différent et, à chaque fois, ça laisse certains de mes fans sur le carreau. »

A : Tu nous avais dit que ça te prendrait du temps d’arriver à faire des concerts comme tu le désirais vraiment. Comment s’est passée ta dernière tournée ?

S : Comme je te dis, c’est le début de quelque chose et c’est encore une tournée que j’ai faite en indé et pas avec la maison de disques. On l’a chapeautée nous-mêmes et fait toutes les dates qu’on pouvait. Je ne vais pas te mentir : j’ai fait des salles qui étaient aux trois quarts pleines. Je n’ai pas fait de salles pleines partout mais partout où j’ai été c’était toujours aux trois quarts plein. Parfois on me disait, « lui la semaine dernière il n’avait rempli que la moitié de la salle etc ».  Donc c’est assez honorable et je pense que le quart manquant est composé de ceux qui ont été déçus par l’album, qui ne l’ont pas trouvé assez dur.
Sinon, la tournée s’est super bien passée. Je commençais aussi à bosser des nouveaux morceaux donc j’étais dans un nouveau délire. Étant en période de transition, ça m’a parfois un peu saoulé de devoir faire certains morceaux mais quand tu vois la réception du public, tu te dis que ça tue. Ceci dit, je n’ai pas encore joué avec des musiciens. De la même manière, on avait un vrai bon décor qui n’était pas facile à déplacer systématiquement. Il faut un budget que les gens n’ont pas forcément. Ce qui signifie que j’ai encore investi dans une déco qui n’a pas toujours servi. Après c’est Salif hein, on essaye de faire le mieux.

Là je sors Qui m’aime me suive avec un packaging 3D collector. Honnêtement, je vais gagner moins de thune parce que ça coûte cher de faire en sorte de faire plaisir aux gens. C’est un investissement. Là d’où je viens, on dit qu’il faut savoir perdre pour gagner derrière. Au pire, on utilisera la déco sur la prochaine tournée et on va essayer de préparer un gros concert à Paris parce que je n’ai jamais joué à Paris.

A : Pour finir un peu avec « Curriculum vital », tu nous avais dit à l’époque que ça allait un peu faire office de thérapie et que ça te permettrait de ne plus avoir à parler de rue. C’est pour ça aussi que je suis un peu étonné quand les gens disent que l’album n’est pas assez dur parce qu’il n’avait que la rue comme thématique et n’était pas très facile d’accès. En tout cas, après avoir écouté « Qui m’aime me suive », on remarque qu’en effet, tu es passé à autre chose…

S : Ah mais moi je suis comme ça poto ! Les gens vont me dire que Curriculum vital n’est pas dur. J’avais rencontré un mec à Bordeaux sur le début de la tournée qui me disait « Ouais mais là j’ai pas pu, c’était pas assez violent etc« . Je lui ai dit « écoute, si tu veux je t’envoie les a capella et tu les mets sur des beats dark et tu verras que la violence que tu recherches, tu l’entendras. » C’est simplement musicalement que ça a bougé. Le mec a fait l’expérience, m’a rappelé derrière et m’a dit qu’il était désolé. Ok : les prods ont changé et c’est moins sombre, mais c’est aussi moi.
J’écoutais Pac, Biggie et ce sont des mecs qui te faisaient un tube de dingue et qui, derrière, allaient te sortir des morceaux super dark. Plus j’avance et plus j’ai envie de faire LE morceau dark qu’il faut. Même sur les albums de Jay-Z, tu sens qu’il y a un morceau qu’il va décider de faire pour la base, mais se contenter de rapper pour une certaine catégorie du public, ça te tue.

A : Sans dire ça péjorativement, est-ce qu’il y a eu une volonté sur « Qui m’aime me suive » de construire des tubes ? ‘Jean slim’, par exemple, est un single assez évident…

S : Regarde, ‘Jean slim’ était prévu pour Curriculum vital à la base. C’est un morceau qu’on a fait avec Canardo en 45 minutes voire 1H30 si tu comptes les petites retouches que j’ai faites après. Comme je cherche une cohérence quand je construis un album, ‘Jean slim’ ne rentrait pas dedans. Donc, je ne l’ai pas mis mais, oui, si j’avais voulu avoir un titre en rotation à la radio à tout prix, il fallait le mettre sur l’album. Quand j’ai vu Bouneau et qu’il a écouté Qui m’aime me suive, il m’a dit « je ne comprends pas, il y a plus de singles dans ce projet que dans ton album. » Moi, je ne calcule pas ça, j’ai fait les titres et je te les donne.
Après, je ne suis pas un dingue et, quand on a mis ‘Jean slim’ sur le net, tout le monde a dit qu’il fallait le sortir. Ceci dit, j’avais construit mon album avec un début et une fin et il ne s’insérait pas dedans. Dans le tiroir, j’ai un million de titres et Kool Shen n’arrête pas de me dire « mais pourquoi tu ne sors pas celui-là ?« . Moi, je fonctionne par projet. J’envoie ce que je fais sur le moment. Même dans mon entourage, certains me disent que j’ai donné trop de titres pour un street-album là. Je ne trouve que ça ne se calcule pas ça.
J’ai été un petit en studio et j’ai vu des rappeurs se dire que leur morceau tuait, mais qu’ils allaient le garder au chaud et le sortir un an et demi plus tard. Entretemps le mec se fait rendre son contrat, n’a plus de maison de disques, la tournure a changé, la prod qu’il avait pue la merde aujourd’hui, le titre est mort… Il faut de la spontanéité. Comme je te l’avais dit, sur Curriculum vital j’étais sur la fin de quelque chose. J’ai encore un doigt de pied là-dedans mais ça y est, je vais m’occuper du rap maintenant. C’est vraiment le début d’un truc. Il va y avoir des nouvelles choses, du gratuit, on ne va pas rigoler gros ! Tout simplement parce que je n’ai plus que ça à faire.

A : Curriculum vital a mis beaucoup de temps à arriver alors que Qui m’aime me suive a dû être annoncé il y a quelque chose comme deux mois à peine. Ça fait partie de ce côté spontané qui te pousse à enregistrer des titres et à les sortir immédiatement ?

S : Je vais t’expliquer quelque chose. Il a fallu que je me mette une date pour être obligé de le sortir et ne pas trop traîner. Il y a des titres qu’on a fait un ou deux jours avant la deadline parce que j’avais comme projet de le sortir avant l’été. Moi je m’en fous de qui sort en même temps, quand je te dis ‘On allume’ [NDLR: titre d’un morceau sur Qui m’aime me suive], c’est on allume et ça ne m’intéresse pas de savoir qui est dans le périmètre quand j’arrive.
Je voulais me mettre une pression et c’était aussi un moyen de pouvoir travailler mon album sereinement derrière. Même si entretemps il y a aura sûrement deux ou trois cochonneries mais il faut vraiment que je puisse ensuite me concentrer sur le prochain album qui va être important.

A : Tu as le titre ? Est-ce qu’il s’agira de « La fleur au fusil » finalement ?

S : Je ne sais pas encore, les gens autour de moi n’aiment pas trop ce titre d’album… Là je me suis entouré d’un staff qui est vraiment spécial [rires].

A : Justement, j’ai l’impression que tu es plus entouré que par le passé et beaucoup plus réceptif aux apports extérieurs…

S : Ah c’est clair et c’est nouveau parce que j’ai vraiment l’impression d’avoir fait le tour de quelque chose. Comme je te le disais, à un moment je n’écrivais plus mes textes. Mais je pouvais faire ça parce que j’étais rentré dans quelque chose de systématique où c’était finalement toujours les mêmes mots, les mêmes rimes… Ce qu’il faut c’est mélanger : de temps en temps je vais faire quelque chose de plus spontané, de temps en temps je vais me poser et vraiment écrire… Je pense que c’est comme ça que j’avancerai et que je livrerai des bons albums. Après, il faut tester. J’ai eu le labo Tous ensemble, le labo Curriculum vital et je pense avoir testé pas mal de choses. Maintenant, c’est comme dans Street Fighter : j’ai tous mes coups spéciaux et il faut que je les envoie au bon moment !

A : « Qui m’aime me suive » est un projet composé d’une partie plus « street » et d’une autre plus « musicale ». Est-ce que tu vois ce disque comme ton « Blueprint » à toi, ta transition vers quelque chose de réellement différent ?

S : J’espère que mon prochain album fera figure de Blueprint. Qui m’aime me suive serait plus…[Il réfléchit] C’est comme si j’avais un nouveau jouet. Au départ, tu ne le maîtrises pas complètement donc ça mitraille un peu dans tous les sens. C’est bien fait mais je pense que, derrière, on va plus taffer les prods. Si je m’écoute, il faudrait ramener un orchestre pour le moindre violon. Il y a des titres qui sont bien faits mais qu’on peut encore améliorer. C’est comme quand tu te mets en mode « Training » dans un jeu, c’est la situation dans laquelle je suis aujourd’hui. J’en tirerai le bilan quand j’aurai du recul parce que je m’apercevrai peut-être de certaines choses dans quelques mois seulement. Au moins, ça m’aidera pour mon prochain album. Les titres qui sont là sont mortels mais ça n’est pas mon prochain album. Même si j’ai déjà des titres du prochain, c’est encore différent. Dans le phrasé, dans les prods… Il faut encore que j’arrive à chercher autre chose.

A : Au niveau des producteurs, est-ce que tu es resté entouré des mêmes personnes (Sayd des Mureaux, Canardo, Blastar, J-Faze etc.) ou tu as voulu aller à la rencontre de nouveaux talents ?

S : J’ai appelé Sayd mais c’est quelqu’un qui est très carré et qui prend son temps. Là il fallait que ça aille très vite et il m’a dit « Ok, je te rappelle » mais dans son langage ça veut dire « c’est impossible pour moi de bosser sur le truc de fou que tu veux faire, je suis sur d’autres trucs mais je te rappelle après« . J’ai vu J-Faze en fin de projet et le titre qu’il ma donné avait beau tuer, il ne rentrait pas dans ce projet. Sinon j’ai rebossé avec Blastar (‘Ouais mon pote’), Cannibal Smith (‘Assurance Habs’, ‘Banlieue française’) et, surtout, j’ai repris Kilogramme Prod qui avait fait ‘Cash converter’ et qui a produit ici plusieurs sons. C’est un petit gars qui va être pas mal dans mon entourage et, aujourd’hui, pour les morceaux durs c’est vraiment mon orfèvre.  J’ai aussi bossé avec John des Enhancer qui a fait ‘O.D’, ‘L’homme de vers’ et ‘L’homme libre’.

A : Qui a produit ‘Nostalgie du bloc’ ?

S :  C’est un mec qui s’appelle Fabio. J’étais en galère de prods et on me dit qu’un mec a laissé des beats dans un coin et qu’il faudrait que j’écoute. J’écoute donc et j’ai bloqué sur cette prod. On a fait le morceau dans la foulée et on l’a mixé le lendemain. C’est le genre de titres dont on m’a dit qu’il fallait le garder pour l’album… Nan, si c’est bon je le sors.

« En France, on dit encore pas mal d’insultes et je parle aussi pour moi. Je comprends que ça bloque des gens qui aient envie d’autre chose. »

A : Est-ce que tu as pensé à ‘My block’ de Scarface en construisant ce titre ?

S : Maintenant que tu me dis ça, c’est pas faux. Ce qui m’a parlé c’est justement cette ambiance Scarface, Tupac. Ils savent bien faire ce genre de morceaux. On va être quinze à kiffer ces titres mais on sait pourquoi on va les kiffer. Quand j’ai entendu la prod, j’ai tout de suite dit « Wow, il y a un truc à faire là ! ». Je suis le premier à te dire que j’ai envie de me barrer de ma cité mais, honnêtement, quand tu es en tournée pendant longtemps elle finit par te manquer. C’est là où le thème m’est venu.
On me dit qu’il ne faut pas mettre ça sur un street-CD. Dans ma tête, c’est fini les street-CD’s. On va plus aller vers des albums concepts, des projets entre les albums. En revanche, je trouve que c’est normal qu’un jeune rappeur fasse des street-CD’s. Je ne suis pas dans la démarche qui consisterait à dire « je fais ça, je suis dans le vrai et tout le monde doit faire comme moi ». J’estime que je suis à un stade où je ne dois plus faire ce genre de street-CD’s si j’essaye de réellement évoluer. Après, si je suis amené à produire un petit gars demain, je vais le pousser à faire un street ouais. Mais donne moi un vrai bon truc alors ! Je suis toujours content d’entendre du bon vieux rap dur mais je ne pense pas que ce soit à moi de faire 16 tracks durs aujourd’hui. Après, c’est une décision qui peut créer une scission avec certaines personnes mais mon public évolue aussi. Par exemple, il y a mon gars Isma qui a toujours marché avec moi et qui avait détesté mon premier album quand il est sorti. Aujourd’hui, il me dit qu’il comprend mieux ce disque. Comme des petits ont regretté Prolongations à la sortie de Curriculum vital mais je pense que, quand ils le réécouteront plus tard, ils le verront différemment. Je t’ai déjà dit que je ne faisais pas dans le social mais, indirectement, je sais que ma musique touche les gens et que ce que je vis est vécu par des millions de personnes.
Après, c’est plus facile de faire un morceau genre ‘Caillera a la muerte’. Et, honnêtement, tu me donnes une instru et je te fais ‘Caillera a la muerte 2’ tout de suite. Là, on sera dans les mathématiques et le calcul. Je sais exactement quel mot il faut dire, où la rime doit être placée, quel refrain composer… Mais ce serait du calcul. Je préfère aller vers l’inconnu et me libérer de tout ça. Si le mec cherche ça, il vaut mieux qu’il aille réécouter mes anciens disques.

A : Je parlais de l’évolution du rap avec Grain de Caf et Oxmo Puccino qui me disaient qu’une partie du problème en France était due au fait que plusieurs rappeurs n’acceptaient pas que leur son vieillisse en même temps qu’eux. Est-ce que tu as envie de faire évoluer ta musique avec toi et de parler aussi aux gens de 30 piges  ?

S : Je pense que c’est possible de parler à ces mecs là mais ça va dépendre aussi de comment c’est fait, de quel langage tu vas employer dans ta musique, le champ lexical utilisé…
Il y a plein d’artistes qui pensent parler aux caillera mais qui, en réalité, parlent à d’autres gens. Mais, à un moment donné, ça passe par le langage utilisé. C’est ce que je te disais tout à l’heure quand je me suis rendu compte que j’en arrivais à utiliser souvent les même mots. Quand des gens sont en voiture avec leur gosse et qu’ils entendent un « Nique ta mère » ça va leur poser un souci. A partir du moment où il y aura un ‘Nique ta mère’ ce mec là n’écoutera pas ta musique. Un mec comme Jay-Z dit très peu d’insultes et c’est ce qui fait que sa musique peut s’inviter dans d’autres milieux. C’est pareil pour Lil Wayne ou alors il va les dire dans un argot que seul lui et ses potes vont connaître [rires]. Nous, on dit encore pas mal d’insultes. Je parle aussi pour moi. Dans ‘J’hésite’, qui est un soi-disant single, il y a un petit florilège. Je comprends que ça bloque des gens qui aient envie d’autre chose.
Ceci dit, il y a d’autres mecs dans le rap qui peuvent tout à fait satisfaire le besoin de ces gens là et qui proposent autre chose. Je reviens à Dabaaz mais j’avais posé sur son album et je pense que tu peux l’écouter et avoir 35 piges. Pour revenir sur ma situation, je pense que ‘Qui m’aime me suive’ est vraiment le début de quelque chose et je le vois comme une forme de rassemblement pour reprendre le titre de l’album d’Ali que j’attends justement. Il y a peut-être aussi une forme d’épuration : ceux qui kiffent vraiment vont rester et les autres vont lâcher.

A : Pendant les 3-4 années qui ont précédées ‘Curriculum vital’, tu as dû faire des featurings avec tous les rappeurs possibles et inimaginables et, pourtant, on peut lire depuis quelques temps que tu serais difficile à joindre. Comment tu réagis par rapport à ça ?

S : Je te répondrais que généralement je bosse avec les gens avec qui j’ai envie de bosser. Après il y a le rap et il y a la vie et, pendant un certain moment, j’ai été un peu absent… Et je te dirais que, moi aussi, je suis dans une période de changement et je n’ai pas nécessairement envie de bosser avec tout le monde. Et encore c’est des conneries tout ça. Regarde, je suis sur Street Lourd II,j’ai bossé avec plein de petits rappeurs que personne ne connaît…

Si tu veux que je te dise la vérité, je pense qu’il s’agit d’une mode. Je pense que tu es obligé de passer par une phase où les gens bavent un peu sur toi. Rohff, sorti de ‘5.9.1’, était la personne qu’il ne fallait pas côtoyer, qui n’était plus crédible… Il est revenu et tout le monde a dit que c’était le boss. Après ‘0.9’, si tu disais bonjour à Booba, t’étais un fils de pute. Là, la tendance elle s’inverse et, finalement, on aime bien Booba… Je pense que tout le monde passe par là et, quelque part, ça me motive. Les gens balancent tout un tas de rumeurs et c’est là que ça devient bon ! Il y a un enjeu.
Sincèrement, pour ce qui est de poser avec des gens, j’ai posé avec des gens. Après, c’est pas n’importe quel trou du cul qui va s’inventer une vie de caillera qui va m’avoir sur son projet. Les personnes qui s’inventent des vies, les personnes que je n’apprécie pas… Je ne vais pas rapper avec ! Mais je rappe avec les gens que j’apprécie et il y a des feats que j’ai envie de faire et que je prépare pour le prochain projet.
Après, j’ai toujours été difficile à joindre. Regarde, j’ai trois téléphones [il les sort] mais je n’ai jamais de téléphone [rires]. Ça a tout le temps été comme ça et avec tout le monde.

A : Ils te servent à quoi alors ces trois téléphones ?

S : J’ai un téléphone familial, un autre que je change toutes les trois semaines et un dernier pour les gens à qui j’ai envie de donner mon numéro [Rire]. J’ai toujours été comme ça. Au départ à IV my people, tout le monde se plaignait du fait que j’étais injoignable. Je ne le fais pas exprès.
Des fois, je vais être devant toi en train d’envoyer un texto et je vais te dire « nan nan mais j’ai pas de téléphone » [rires]. Je fonctionne comme ça.
Mais c’est sûr que je ne vais pas rapper avec n’importe quel gars qui va s’inventer une vie. Je ne rappe qu’avec des gens que je kiffe. J’ai été faire des morceaux avec Alpha et j’ai kiffé. Là, je vais faire un morceau avec VF Gang parce que je les ai rencontrés et qu’on s’est compris. Il y a un petit d’Aulnay, HND, que j’ai rencontré et qui est super bon. Pareil, Reda, un petit gars de Nîmes, est un homme à surveiller. Voilà, je rappe avec les gens que j’apprécie.
J’ai senti cette espèce de tourbillon négatif ambiant et je n’ai pas compris au début. « Qu’est-ce que j’ai fait de mal ? » [sourire] En plus, il y a eu ‘Stop’ et là les gens se sont dit qu’ils pouvaient m’allumer. « Il n’est même plus muslim ! » Tu vois ce que je veux dire ? [rires] « Là, on peut le terminer ! » Tout ça a contribué à créer cet effet là mais ça tue mec.

A : Pour revenir sur « Qui m’aime me suive », tu as invité Sensi, qui est un artiste reggae,  à deux reprises. C’est un genre musical que tu affectionnes ?

S : Je suis guadeloupéen/malien donc le reggae est quelque chose que j’ai toujours écouté.
Il y a plein de choses que j’ai envie de tester et ça fait longtemps que j’aurais dû faire des morceaux comme ceux que j’ai fait avec Sensi. Aujourd’hui, je me lance et c’est le début d’un délire. L’autre jour, on me demandait : « mais tu veux aller où exactement ? ». Même moi, je ne sais pas où je veux en venir. Je ne sais pas pourquoi mais je sais que je dois faire ça aujourd’hui. Je dois passer par là et ça donnera quelque chose.
J’ai été en Allemagne et on s’est pris la tête avec les Allemands. C’était au début du « changement ». Il me met une prod et je lui dis que je ne le sens pas trop. Ok, ça passe une fois, deux fois, trois fois… Les trucs tuent mais je sais que ça, en France, ça ne marche pas. « Shit man ! I can’t work like that man ! » [Rire]. On s’est vraiment pris la tête et, finalement, je lui ai dit « ok mec, on va aller dans ton délire. » On a enchaîné, on a fait ‘Qui m’aime me suive’, ‘Salif vs Salif’ dont j’avais déjà eu l’idée auparavant mais qu’on a rebossé depuis le départ avec lui,  deux autres titres qui figureront sur l’album… J’ai eu raison de sortir de la zone de confort « beat dur-grosse voix-on envoie ». Sorti de cette zone, c’est peut-être un peu plus dur mais on produit de nouvelles choses. Je n’avais jamais fait un morceau comme ‘Qui m’aime me suive’. Sur ‘Salif vs Salif’, c’est vraiment lui qui m’a tiré vers le haut et orienté vers la manière dont je pouvais au mieux créer une différence entre les deux Salif. Ça a donné quelque chose de nouveau. Après, on sait très bien que tout le monde ne kiffera pas forcément mais il fallait le faire.
La rencontre avec John des Enhancer s’est aussi faite dans cette perspective. J’étais en studio, en plein dans mon truc et c’est plus simple quand tu es en face de quelqu’un qui te donne exactement ce que tu recherches. « Tu veux une batterie ? Ok. Tu veux un violon ? Ok. Tu veux une flûte ? Ok. » Forcément, ça t’emmène autre part. J’ai encore quelques résidus de l’ancien Salif et je ne voulais pas mettre ‘O.D’ au départ. John et mon staff m’ont convaincu de le conserver et, aujourd’hui, je fais plus confiance aux gens qui sont autour de moi. Avant, c’était moi, moi et moi et aujourd’hui j’écoute ce qu’on me dit. Enfin, je te parle de mon staff là et pas de l’avis des médias. Par exemple, j’ai vu Laurent Bouneau en février et, quand il a entendu ‘Jean slim’, il a voulu que je lui donne tout de suite. Je lui ai répondu que j’étais en train de travailler ‘Stop’ et que ‘Jean slim’ arrivera plus tard. « Non, donne-le moi, je le veux tout de suite. » C’était pas le moment pour moi. Je fais mon truc et je vois Laurent Bouneau comme quelqu’un qui, à un moment donné, le récupèrera. C’est pas un starter. Il te le dit d’ailleurs : « tu as ton truc, si c’est bon je le passe. » Regarde, Tandem est passé sur Skyrock et, à mon sens, Tandem n’a jamais fait du son calibré pour Skyrock. Seulement, c’était un groupe qui fonctionnait bien et Sky avait intérêt aussi à passer leurs sons. Quand Lunatic vendait avec Mauvais œil, ils n’ont pas fait du son pour Skyrock et, pourtant, leur son y passait. Parce que Bouneau n’est pas un narvalo et si le son tue, le son tue. Point final.
Une fois mon disque fini, Bouneau aura mon disque et pourra en faire ce qu’il voudra mais il ne me dira pas quoi faire sur mon propre projet. Après, il me joue ou il ne me joue pas. Il n’a pas joué un seul son de Curriculum vital mais ça ne m’a pas empêché de faire mon score. Maintenant que j’ai fait mon score, il est obligé de me jouer et lui-même te dit qu’il ne peut pas passer à côté. Je ne suis pas sûr qu’il faille aller dans son sens et, quand tu parles avec lui, ça n’est pas ce qu’il te demande non plus. Son discours c’est plutôt « fais ton truc, si ça me va je le prends« .

« Bouneau n’est pas un narvalo et si le son tue, le son tue. Point final. »

A : J’ai une anecdote assez dingue au sujet de ‘J’hésite’. J’étais en Thaïlande dans un des plus grands centres commerciaux de Bangkok et, entre David Guetta et les Black Eyed Peas, ton morceau a été joué en plein milieu de la journée. Tu ne sais pas s’il y a un français fan de Salif qui bosse là-bas et passe tes morceaux toute la journée ?

S : Je ne sais pas mais c’est peut-être à cause de choses comme ça que j’ai des problèmes en ce moment sur ‘J’hésite’. Ils sont en train d’arrêter le disque à cause du sample. Je ne sais pas comment le titre a tourné parce que j’ai été attaqué à cause d’Universal UK pour ces raisons. Ils demandent soit d’avoir les thunes soit d’arrêter le disque. Avec la crise, les mecs se jettent sur le moindre billet à prendre. Je ne sais pas mais peut-être que le morceau a tourné un peu plus que ce que je croyais.

A : Sur ‘Jamais sans mes chaînes’, tu fais un refrain chanté. C’est une chose vers laquelle tu as envie d’aller ?

S : Même sur Tous ensemble chacun pour soi, je m’étais déjà essayé à ça sur des titres comme ‘Ghetto cailles’. Je ne chantais pas vraiment sur ‘Fugazi’ mais c’était un début. Après, on a plein de morceaux dans la valise où je chante mais on n’a pas tout gardé.
C’est vrai qu’il y a des morceaux sur « Qui m’aime me suive » où on a utilisé l’autotune et ça va faire parler. Mais bon, on était en studio et j’avais envie de voir comment fonctionnait ce bordel dont tout le monde me parlait. Je te dis honnêtement que j’ai dû dire au mec du studio de ne me plus laisser faire de l’autotune parce que tu es vite tenté d’en mettre partout.

A : Il y en a sur ‘Jean slim’ mais c’est clairement du second degré et, déjà, des gens commencent à critiquer le fait que Salif se soit mis à l’autotune…

S : Sur ‘Jean slim’, c’était clairement du foutage de gueule mais il faut que tu comprennes que nos amis les haters se saisissent du moindre truc pour essayer de te descendre ! Je te jure que c’est normal ça.
En revanche, l’autotune est un outil qui te permet d’habiller un morceau et ça fonctionne sur ‘Jean slim’. Après, tu as vite fait de tomber là-dedans et d’en abuser.
Sur ‘Jamais sans mes chaînes’, il n’y a que le passage à la fin sur lequel j’ai utilisé l’autotune parce que je trouve que ça ramène vraiment quelque chose. On est dans l’air du temps, c’est quelque chose qui est là mais il ne faut pas en abuser et il faut savoir s’en servir. C’est quelque chose qu’on n’a pas utilisé n’importe comment et je trouve qu’on l’a plutôt réussi.
C’est comme si j’allais jouer au foot et que j’utilisais les crampons qu’ils avaient en 1936 parce que je suis un vrai ! On est en 2010 et s’ils ont quelque chose qui te fait avancer plus rapidement sur la pelouse, il ne faut pas t’en passer. Tu as vu le vélo qu’ils ont sorti ? Tu appuies sur un bouton et le mec va pédaler plus vite [rires]. Après, tu veux que je reste avec mes petits crampons ? Non. Maintenant, je ne vais pas faire que ça mais c’est bien de s’y essayer et, après, on passe à autre chose.

A : Un des morceaux phares du projet est « Salif Vs Salif » qui assure un peu la transition entre les deux parties du disque. Comment as-tu eu envie de le faire ?

S : Parce que c’est une réalité. Je suis tiraillé entre ces deux Salif de la même manière que mon public est lui aussi tiraillé, certains veulent entendre le Salif de Tous ensemble, d’autres le Salif plus street etc.
En même temps, cette dualité existait déjà depuis le premier album où tu avais à la fois le Salif très technique et ghetto et Fon qui était différent. C’est une réalité. J’ai toujours été dans la rue mais, en même temps, j’ai été obligé de lire des bouquins ce qui m’a aussi amené à avoir une autre vision de la life. Tu vois ce que je veux dire ? J’ai été contraint de faire certaines choses tout en ayant ma propre vision.
J’ai des potes qui ne pensaient jamais à la possibilité de se faire péter et d’aller en prison quand on faisait des conneries. Ils étaient à fond dans leur truc sans se poser de questions. Moi, j’allais faire la connerie tout en sachant qu’il y avait des risques qu’on se fasse péter. C’est la même chose dans le rap. D’un côté, j’ai cette envie de faire du gros son lourd qui va être écouté par les lascars dans leurs caisses et de l’autre je veux aussi aller vers des choses plus différentes.
Pour aller plus loin, je pense que tous les rappeurs, qu’ils soient français ou américains, ressentent ce truc là. Regarde ce qui s’est passé avec Mobb Deep. On les écoutait, on kiffait mais on se disait qu’ils pouvaient aller bien plus loin. Seulement, ils se sont dits qu’ils avaient un créneau et ne voulaient plus en bouger. Quand les rappeurs se disent ça, c’est fini pour eux, ils ne peuvent que mourir. Et c’est au moment où ils vont mourir qu’ils vont essayer de tenter de nouveaux trucs. Mais ça ne passera plus. A mon sens ils auraient dû prendre leurs couilles après Hell on Earth et changer un peu de perspective. Après, ça peut marcher, ça peut faire un flop mais, en tout cas, ça donnera quelque chose. Je trouve que Mobb Deep est mort salement et c’est un vrai kiffeur de leur discographie qui te dit ça. C’est là où Jay-Z surclasse pas mal de monde puisqu’il a réussi à changer sa musique à un moment où ça n’était pas forcément le plus évident. C’est la différence avec Nas. Tu sais très bien que je ne l’aime pas, je te l’ai déjà dit [rires]. Il est bête. Il n’a jamais su prendre ce qui lui revenait. Même Jay-Z kiffe sur Nas mais il est capable de lui dire « regarde petit clochard, t’es meilleur que moi mais je vais te niquer. » A chaque fois, Nas se pose des questions, essaye de récupérer la street qu’il n’aura jamais. A un moment donné, il faut savoir prendre ses couilles et essayer.
« Les mecs, j’ai l’impression qu’il va se passer un truc. » C’est comme ça que je résumerais Qui m’aime me suive. D’où le titre. Je préfère avoir 10 000 mecs autour de moi qui me suivent que 100 000 parce que c’est la mode [sourire].

« La Sexion d’Assaut a mis en lumière le fait qu’il n’y avait qu’une formule de rap qui était mise en avant. »

A : Justement, puisque tu en parles, comment vois-tu le succès d’un groupe comme la Sexion d’Assaut aujourd’hui ?

S : Leur succès prouve qu’il n’y avait vraiment rien dans le rap français. Tout le monde proposait la même chose et le moindre truc qui s’en différenciait a suscité l’intérêt. La Sexion d’Assaut est la preuve qu’il n’y avait qu’une seule forme de rap français. Ils n’en sont pas très loin pourtant. « On est quand même noirs, on est quand même un peu des cailleras mais on fait du be-pop, on danse, on est joyeux. » Tu vois ce que je veux dire ? D’un seul coup, les gens se sont mis à dire que le rap ça tuait en fait.
Pour moi, ils ont mis en lumière le fait qu’il n’y avait qu’une formule de rap qui était mise en avant. Après, ce dont je te parlais tout à l’heure, ils vont l’affronter puissance dix. Tout le monde va commencer à dire que ça pue la merde, etc. C’est inévitable et presque normal. Sinon, sincèrement, je trouve qu’ils ont apporté un bon truc et c’est un petit vent de fraîcheur. Maintenant, il faut voir ce qu’ils vont faire. La suite peut être mortelle comme très dure. Ils partaient de zéro et ont mis la barre très haute. En plus, ils sont nombreux, les ego vont pointer le bout de leurs nez, « pourquoi est-ce que je ne suis pas dans le clip ? Pourquoi est-ce que je ne suis pas sur le single ?« … C’est là où tu vois si le groupe est soudé.
Mais je pense qu’ils ont fait un bon truc et quand je dis qu’ils mettent en lumière le fait qu’il n’y avait qu’une seule forme de rap, ça n’est pas péjoratif.

A : Peut-être que ça va aussi pousser le rap français à se diversifier ?

S : Le grand pronostiqueur que je suis t’affirme que ça va partir en électro très rapidement [sourire]. Je n’ai rien contre ça et je trouve ça bien de faire un ou deux morceaux mais j’ai le pressentiment que tout le monde va se jeter là-dedans. J’espère simplement que ça ne va pas faire comme avec le « dirty ». Les gens ont fait des albums dirty avant de se rendre compte que ça ne marchait pas ici et de revenir à ce qu’ils faisaient au départ.
Je crois aux cycles : 96-2000-2005-2010. Tous les cinq ans, il y a des nouveautés et des nouveaux délires qui sont apportés. Je pense qu’on va retrouver un contexte dans lequel chacun aura son délire, un peu comme ce qui se passait en 96-98. L’autre met des coups de poings, celui-ci met les coups de pieds, moi je mets des coups de coude… Je pense que chacun aura sa spécificité.

A : Tu es assez optimiste finalement.

S : Ouais ! Il n’y a plus qu’une seule manière de rapper et ça va pousser chacun à être dans son registre. J’ai l’impression qu’aujourd’hui, on peut commencer à définir un peu les styles de chacun, à reconnaître leur patte. Je pense que ça peut être vraiment bien.

A : On parlait de vente de disques. Outre les raisons contractuelles liées aux signatures en maison de disques, est-ce que tu penses que ça a encore du sens de faire une différence entre un album et un street-CD ? Ensuite, est-ce que tu penses qu’il faut continuer à vendre des CD’s ?

S : Tu me dis « vendre des CD’s » alors qu’il n’y a que très peu de gens qui en vendent en réalité.

A : Alors, pourquoi est-ce qu’on continue à vouloir en vendre à tout prix ?

S : Parce qu’on est des clochards ! [rires] Qu’est-ce que tu veux que je te dise ? Parce qu’en France, on est des clochards.
Et puis, il y a quelque chose qui m’a toujours rendu ouf. Il y a des mecs qui vont te dire « il faut que tu restes vrai« . C’est le premier truc. Ceci dit, si tu ne vends pas de disques, tu es tout pourri, ok ? Après, il faut que tu fasses des bons clips mais avec quelle thune étant donné que tu ne vends pas de disques et que t’es pourri ? D’autant plus que ces gens ne vont te parler que des mecs qui vendent des disques et qui, d’une manière, ne sont pas vrais. Est-ce que tu te rends compte de l’alignement des paradoxes que je viens de te faire ? Aujourd’hui, c’est ça le rap français, un paradoxe à lui tout seul. Ils vont me dire « Salif, tu n’as pas vendu » et, en même temps, me reprocher de faire un titre comme ‘Jean slim’. « Salif, t’es pas un vrai, t’as signé en major. » Enculé de ta race, j’ai signé en 2006 ! J’ai sorti Prolongations, mon projet le plus street, alors que j’étais en major. Comment on règle ce problème les gars ? Les gens sont remplis de préjugés et se prennent la tête tout seuls alors qu’il ne s’agit que de musique.
Il n’y a qu’en France qu’on regarde les chiffres de vente comme des affamés. Aux States, ils ne regardent plus le Billboard, ou alors quand il s’agit des gros. « Jay-Z, il a fait 900 000 ou un million ? »

A : Justement, tu as de plus en plus de rappeurs qui sortent des mixtapes et qui enchaînent ensuite les concerts sans même avoir signé en major là-bas…

S : Après, ils ont la chance de pouvoir le faire. Ici, à part la tournée des Sidi Brahim, tu ne vas pas aller loin. Ici, ça met toujours un peu plus de temps.
Mais je vais y venir à la gratuité et je vais casser le marché. Après, le problème ici, c’est qu’une partie du public est composé de petits qui réfléchissent comme des vieux. Et je ne te parle même pas des vieux qui restent bloqués dans un lointain passé.
Je trouve que les rappeurs commencent à comprendre qu’il faut changer mais j’ai le sentiment qu’une partie du public campe sur ses positions et ne veut pas comprendre l’évolution de la musique. Ils viennent te reprocher des choses alors qu’ils écoutent des Lil’wayne, des The Game qui font exactement la même chose. Ils sont fous ! [rires]

« Tout le monde m’a tanné pour que je sorte ‘Jean slim’ qui tournait depuis un moment. Une fois que c’est sorti, on m’a reproché le titre ! »

A : Il y a un dernier morceau sur « Qui m’aime me suive », ‘L’homme libre’, qui sera le morceau d’ouverture de ton prochain album. Cette notion de liberté et d’indépendance est très présente dans le disque…

S : [Il coupe] Parce que je connais le rap français. Le rap français c’est « vas-y, fais ton truc et si ça fonctionne, on sera avec toi. » Sinon, c’est comme dans Mission Impossible, « nous nierons avoir eu connaissance de vos agissements » [rires]. C’est la vérité. Quand tu as conscience de ça, tu sais que tu es dans une forme de guerre et que tu es plus ou moins seul. Si ça ne marche pas, je n’aurais même pas besoin de refuser les feats [sourire].
Le tout c’est de le savoir. On connaît le rap français et on a vu des gens super cotés devenir infréquentables. C’est arrivé à plein de monde. Je ne pense pas me retrouver dans cette situation mais, quand tu ne fais pas partie de « l’élite », chaque nouveau projet est un peu couperet.

A : Tu n’en fais pas partie de cette « élite » ?

S : Je dois avoir garder une arme quelque part parce que, quand je passe au portique, ça sonne toujours [sourire]. Je devrais te dire que je suis dedans mais, franchement, ça n’est pas le cas. J’ai encore ma petite secte qui est avec moi mais pas mal de gens me connaissent sans plus. Je ne suis pas encore dans la catégorie de ceux qui tuent au moindre petit truc qu’ils font [rires].
Je ne suis pas une grosse tête, je ne suis pas uniquement « street », je ne suis pas dans la catégorie « artiste qui ne bosse qu’avec des musiciens« … Je suis entre plein de trucs et ça n’a pas de prix. Et faites gaffe, ça fait bientôt onze ans que ça dure les mecs !

A : On arrive à la fin de cette discussion. Est-ce que tu as une dernière chose à rajouter ?

S : Qui m’aime me suive. Allez-y, déversez votre flot de haine. Nous sommes impatients de voir si ça va concerner mes chaussures, ma braguette, ma chaîne… En tout cas, je suis très content de ce projet et du travail qui a été fourni. Il y a eu beaucoup de discussions autour des morceaux qu’il fallait garder, de ceux qu’il fallait retirer. Par exemple, mon DJ et mon associé se sont pris la tête sur un morceau. L’un voulait que ça soit fait d’une certaine manière, l’autre qu’on change une partie du morceau… Au final, le morceau n’est pas sur le projet [rires]. Ça te donne une bonne idée du public rap français d’ailleurs. Tout le monde m’a tanné pour que je sorte ‘Jean slim’ qui tournait depuis un moment. Une fois que c’est sorti, on m’a reproché le titre ! Excusez-moi mais je fais encore partie des rappeurs qui respectent le thème choisi durant tout le morceau. Parce que les trois quart des rappeurs vont commencer en te disant que leur mère est morte pour te dire au couplet suivant qu’ils te niquent en freestyle [Rires]. A la fin du troisième couplet, ils vont se rappeler qu’il faut qu’ils parlent de leur mère et vont revenir dessus. Donc, là, le titre c’est ‘Jean slim’ donc j’ai fait un morceau dessus. C’est un délire.
Pour aller plus loin, je te dirai que ce sont les tapettes qui vont te dire de faire le gros dur alors que les vraies cailleras s’en battent les couilles et te laissent dans ton délire. Moi, j’ai toujours parlé de ma vie et tu regarderas, dans Qui m’aime me suive, il y a beaucoup moins de « je » quand je parle de la rue. Parce qu’aujourd’hui, « je » ne fais rien du tout dans la rue. Je fais des tournées, j’enregistre et c’est ce que tu entends dans la deuxième partie du disque. Voilà.

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