Saigon : « Je ne vise plus du contrat à long terme »
Interview

Saigon : « Je ne vise plus du contrat à long terme »

Enfin ! The Greatest Story Never Told devait à l’origine sortir en 2005. Un paquet d’embrouilles avec son ancienne maison de disques Atlantic Records ont freiné Saigon, celui qui était censé ramener New-York au tout premier plan. Régulièrement considéré comme le meilleur album de hip-hop jamais enregistré depuis des années, The Greatest Story Never Told est désormais une réalité.

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Abcdr Du Son : Tu vas sortir sous peu ton premier album, le très attendu The Greatest Story Never Told . Tu te sens comment en ce moment ?

Saigon : Je me sens vraiment bien. C’est vraiment le moment idéal pour que mon album sorte. C’est un nouveau départ et j’ai retrouvé un vrai nouveau souffle. J’essaie d’amener le hip-hop dans une nouvelle direction.

A : Dans quelle direction ?

S : Je pense qu’il faut de nouveau qu’on se mette à parler de la réalité. Franchement, ça manque aujourd’hui. On ne voit plus que des fantasmes. Le hip-hop est devenu un dessin animé : des images artificielles, tout le monde est un parrain de la drogue ou un maquereau fini. Tout ça, ce n’est pas bon pour la communauté. Cette musique, elle est faite par des Noirs à travers la lutte des Noirs. Aujourd’hui, on utilise le hip-hop pour promouvoir des conneries et des choses négatives.

A : Quand tu as débarqué début 2000, les rappeurs glorifiaient la violence, aujourd’hui, la tendance est à la glorification de l’ignorance. Qu’en penses-tu ?

S: Tout ça, c’est la même chose, la même mascarade ! Je ne dis pas que les mecs ne doivent pas rapper sur ce qui est leur quotidien. Je pense qu’il n’y a pas lieu de glorifier ce que tu peux vivre. Si je suis accro à la dope, je ne vais pas essayer de signer en maison de disque pour glorifier la drogue. Si tu es un gangster, tu sais que les gangsters n’encouragent pas les autres à être eux-mêmes des gangsters. Ils disent plutôt « ne mène pas cette vie » parce que c’est trop dangereux. Aujourd’hui, tout le monde est un maquereau, un parrain de la drogue, fait partie des Bloods, franchement ça fait de la peine. Si t’étais vraiment ça, tu ne rapperais pas là-dessus, tu la jouerais comme Big Meech : tu fermerais ta gueule. [NDLR : Big Meech est le co-fondateur de la Black Mafia Family, organisation criminelle qu’il a monté avec son frère Southwest T. Rick Ross le cite dans son morceau « B.M.F. » : « I think I’m Big Meech…« ]

« Le hip-hop est devenu un dessin animé : des images artificielles, tout le monde est un parrain de la drogue ou un maquereau fini. »

A : Dans le lot, il y a probablement des mecs qui ne veulent pas tomber dans ce jeu de la glorification… mais qui le font quand même, simplement parce qu’ils veulent être signés…

S : Exactement ! Le truc dingue, c’est que les maisons de disques vont te dire que le hip-hop c’est un truc de jeunots. Mais si tu sais que tu t’adresses à des jeunes, alors pourquoi tu ne leur donnes pas un contenu de qualité ? Autre chose que du sexe et de la violence. C’est pour cette raison que mon album vise autre chose.

A : Tu penses qu’en 2011, le public est prêt à écouter et vraiment comprendre ton album ?

S : Je pense que le public en a marre d’écouter de la merde. Les ventes catastrophiques, elles sont liées au niveau pathétique des sorties, pas au fait que les mecs n’ont plus quinze dollars à mettre dans un disque. Tout le monde dit « C’est la crise ça ! » Pour moi, c’est complètement faux. Et ça n’est pas non plus la faute d’Internet. La vraie raison c’est que les maisons de disques ne sortent pas d’albums qui méritent vraiment d’être achetés.

A : Apparemment Just Blaze a dû mixer l’ensemble de l’album en quelques jours pour que ça sorte à la date décidée. La version qui va sortir est-elle différente de celle que tu avais enregistrée à l’origine ?

S : Ouais, les beats sont vraiment différents. Les paroles sont les mêmes par contre. On a aussi du jouer pas mal de samples vu que Suburban Noize n’avait pas les thunes d’Atlantic pour déclarer les samples. On a modifié 60% de la production musicale. Il y a eu beaucoup de changements mais ça me va bien. Une fois l’album sorti, je mettrai en ligne le premier enregistrement.

A : Je me doute que tu dois aimer l’album dans son ensemble mais est-ce qu’il y a quand même un morceau que tu as envie d’extraire du lot ?

S : J’adore « Oh Yeah » [NDLR : Buckwild à la production]. A chaque fois que je l’écoute, j’ai la chair de poule. A mes yeux, c’est un de ces morceaux qui fait que tu as envie de suivre de près un artiste. C’est un morceau comme Nas ou Biggie ont su le faire. C’est pas un single mais un morceau qui fait que tu peux te dire « je suis fan de ce mec. » C’est vraiment ce que je ressens. Et au final, c’est pas un truc tordu. Le beat est simple, les paroles aussi, mais le morceau dégage un truc.

A : Just Blaze produit la quasi-intégralité de l’album mais tu as aussi des productions de Red Spyda, SC et Buckwild. Comment ça se fait qu’Alchemist et Scram Jones ne soient pas dessus ?

S : Scram et moi on avait fait un morceau ensemble mais on a eu un problème avec le sample. On a trop galéré pour le rejouer et en plus on manquait de temps. J’avais aussi fait un titre avec Alchemist mais au final on l’a mis sur une mixtape. Alchemit ne m’avait donné que deux prods. Deux bonnes prods, mais au final je ne les ai pas gardées. J’adorerais bosser de nouveau avec lui. Je l’ai vu il y a peu et on va probablement bosser ensemble pour mon prochain album. Cet album, c’est vraiment le regard de Just Blaze combiné au mien.

A : Est-ce qu’à un moment, quand vous avez commencé à galérer pour sortir l’album, vous avez voulu ajouter des morceaux ou même en supprimer ?

S : Oui et non. A un moment j’ai voulu apporter quelques changements mais Just était toujours là pour me dire que c’était important pour la cohérence globale. C’est un album. L’approche ça n’était pas trois singles avec des trucs autour. Chaque morceau a sa propre place dans ce projet. Certains titres font six minutes, d’autres une minute trente. On n’a pas utilisé la même approche tout au long du disque.

A : Tu as aussi changé la pochette. Au départ, c’était un lit dans une cellule avec des trucs écrits sur les murs. La nouvelle pochette est, elle aussi, riche de sens. Tu peux expliquer à nos lecteurs ce qu’elle signifie à tes yeux ?

S: La pochette que l’on voit aujourd’hui, ça n’est pas la version définitive [NDLR : L’interview a été réalisé quelques semaines avant la sortie effective de l’album.] J’aimais vraiment beaucoup la première pochette – celle avec la cellule – mais Atlantic avait les droits dessus. On n’avait vraiment pas le temps de négocier sa cession avec eux. C’est pourquoi on est parti sur une toute nouvelle pochette qui me représente plutôt bien. J’ai un micro dans une main, une boite dans l’autre et du scotch sur la bouche, tout ça en face d’un building gouvernemental. Tout ça, c’est à l’image de The Greatest Story Never Told. Le scotch m’empêche de dire combien le système peut être pourri de l’intérieur. Quelque part, ça dit aussi « il faut que je trouve un moyen de m’en sortir« . Ça fait aussi référence à ma situation et au fait que je ne puisse pas sortir mon album, vu ce qu’il contient. C’est vraiment le seul truc qui a empêché qu’il sorte.

« A un moment, je saturais avec toutes ces conneries. »

A : Aujourd’hui, tu es signé sur Suburban Noize/Sony et tu as une nouvelle équipe à tes côtés. Comment as-tu rencontré Sway et Rich Nice ?

S: Je connais Sway depuis des années. Ça a été toujours un grand frère pour moi. Il me donne pas mal de conseils. Je l’ai appelé l’autre jour vu que j’avais pas mal de propositions. Je voulais écouter les conseils d’un mec qui connait très bien le business. Il est là pour moi depuis. Il bosse avec Rich Nice, et je l’ai rencontré avec lui et Just Blaze. C’est à ce moment là qu’on a décidé de leur confier la production globale de l’album.

A : Tu as signé avec eux uniquement pour cet album, ou tu as en tête de sortir d’autres trucs avec eux ? 

S: Aujourd’hui, je n’en sais rien. On verra bien comment ça se passe. Étape par étape. Je ne vise plus du contrat à long terme. Jusque là, je suis vraiment content de notre relation, ils s’occupent très bien de moi. Ils sont plus dédiés à ma cause qu’Atlantic ne l’a jamais été.

A : Dans des interviews il y a quelques temps, tu disais que ton album portait un message social fort. Quelques années sont passées depuis. Est-ce que tu considères que la portée sociale de tes paroles demeure ?

S : Compte tenu de ce qu’on peut vivre aujourd’hui, oui. Et pour ce qui concerne la communauté noire, c’est clairement plus que jamais d’actualité ! Je ne rappe pas à propos de la dernière bagnole, de la boisson du moment, du dernier truc à la mode. Je ne fais pas ça parce que les tendances évoluent. La pauvreté demeure. La criminalité de Noirs contre d’autres Noirs également. Cette situation, elle est là, depuis toujours. Il y a encore des mecs accros au crack dans notre communauté. Pourquoi est-ce qu’on a accès si facilement à des flingues ? On doit comprendre et analyser tout ça. Je parle de tout ça dans mon album.

A : Est-ce que tu es toujours fondamentalement passionné par la musique, ou tu considères que tu as dépassé ce cap, que tu es plutôt en mission, en tant qu’artiste et homme noir qui a passé pas mal d’années en taule ?

S : Je considère que je suis en mission vu qu’il y a pas mal de monde qui veut de la vraie musique et ne la trouve pas. Tu as tout un public qui ne veut pas de ces trucs simplistes, un public qui veut écouter une musique à même de te faire réfléchir. Si tu écoutes un peu ce que les gens répondent quand on leur pose la question  » que pensez-vous du hip-hop ? « , la plupart vont te dire qu’ils n’en écoutent plus vu que la nouvelle génération ne fait que de la merde. Ça ne te fait pas réfléchir, la passion n’y est plus et ça ne vient pas du cœur. Concrètement, il s’agit juste de pondre un gros succès pour se faire un paquet de fric. Tu regardes un mec comme Michael Jackson, tout le monde a adoré « Beat it » ou « Bad » mais les morceaux que l’on a vraiment saignés c’était « We are the World » ou « Man in the mirror ». Ces morceaux là, ils ont fait pleurer le public mais ils ont aussi contribué à faire de lui une icône incroyable.

A : Michael Jackson a été victime de l’industrie musicale. Avec tout ce que tu as vécu ces dernières années, est-ce que ta vision du business de la musique a changé ? Quel regard tu portes là-dessus aujourd’hui ?

S : L’industrie musicale n’a pas changé. Le fric est toujours au centre de tout et tu es entouré par des mecs qui en veulent toujours plus. Ils te sortent les grands sourires, te disent qu’ils ont confiance en toi, que tu fais partie de la famille mais dans leurs regards tu ne vois que des billets verts. S’ils estiment que tu ne fais pas ce qu’il faut pour qu’ils se prennent des liasses de frics rapidement, les bons sentiments à ton égard, je peux t’assurer qu’ils disparaissent aussitôt.

A : Tu as déjà pensé à prendre ta retraite ?

S : Grave ! Je ne vais jamais arrêter d’être créatif parce que j’aime vraiment tout le processus artistique mais pour ce qui est des affaires, c’est autre chose, ça m’a rendu dingue. A un moment, je saturais avec toutes ces conneries.

A : Mais aujourd’hui, tu vis des jours plutôt heureux…

S : Ouais, complètement. J’ai eu l’opportunité de sortir l’album que je voulais. J’espère que le public va le kiffer comme moi j’ai pu le kiffer. Je sais déjà ce que certains vont dire, des trucs du genre  » il s’est trop radouci Saigon. » Je sais qu’ils vont chercher les morceaux super hardcore et ils ne vont pas les trouver. Il n’y a pas de discours de gangster sur mon album. Il n’y a aucun morceau comme « Stocking Cap » ou « Bust Ya Gunz. » C’est l’album que j’ai eu envie de sortir. Ton premier album, il te représente tel que tu es vraiment. Sur une mixtape, tu peux faire ce que tu veux, mettre des freestyles, raconter des conneries. Mais sur un album c’est autre chose. Tu dois te livrer tel que tu es, avec un vrai discours. Je suis fier de ce disque, je pense que c’est un putain d’album.

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