Rufyo, la nouvelle vague
Interview

Rufyo, la nouvelle vague

Mais qui est donc Rufyo ? Si vous avez écouté 00h92, son premier EP, vous vous êtes déjà posés la question. On est donc allé prendre contact avec un jeune adulte étonnamment mature.

Photos : Ojoz

Abcdrduson : Je t’ai découvert avec 00h92. Qu’est-ce que tu as fait avant ?

Rufyo : « Hilton & de Brignac » est le premier morceau que j’ai fait. La version finale a été réalisée par Frensh [NDLR : Frensh Kyd, devenu le producteur attitré de Rufyo, est présent pendant l’interview]. Mais la première version était une sorte d’élaboration un peu scientifique, on avait trouvé des productions sur Soundcloud, on voulait déjà proposer un morceau progressif et évolutif, développer une atmosphère… Mais on ne savait absolument pas où on allait dans la musique. J’ai écrit ce titre en février 2013 quand je revenais des États-Unis. Il faut savoir que Automne [NDLR : également présent pendant l’interview] m’a toujours encadré et c’est lui qui s’occupe de tout le « décor vocal ». A la base, on n’est pas musiciens et on essayait de créer avec ce qu’on avait.

A : Comment on passe de cette façon de travailler à la rencontre avec Frensh ?

Frensh Kyd : On avait une connaissance commune qui nous avait branché il y a un moment à un apéro Qhuit. On s’est croisés rapidement mais je pense qu’il y a tout de suite eu une estime réciproque. On a continué nos parcours respectifs, il m’envoyait ses premières tentatives… Je voulais qu’on attende le bon moment. Un jour, on se croise par hasard dans le métro et il me rappe le morceau « Funambule ». J’ai été très touché parce qu’il n’y avait pas de calcul, juste cette personne sincère que je connaissais à peine et qui voulait me donner quelque chose. C’est ce qui a enclenché l’ouverture vers le processus créatif. Un jour, Rufyo et Automne viennent chez moi avec les démos de « Hilton & de Brignac » et « Bangarang », posées sur des faces B. Finalement, je me suis servi d’eux comme d’instruments : on a reconstruit tous les morceaux à partir du matériau existant. Sur « Bangarang » par exemple, la version finale contient l’acapella de la démo.

R : Il y a aussi des morceaux qu’on a été incapables de réenregistrer parce qu’ils correspondaient à des moments très précis de nos vies. Pourtant, on a réessayé de les refaire avec du meilleur matériel… Mais on n’arrivait pas à avoir la même émotion.

FK : Au-délà de l’affection pour la démo, il y avait aussi plein de petits défauts qu’on est peut-être les seuls à ressentir mais qu’on ne voulait pas gommer. On s’est pris la tête pour faire quelque chose de très contrôlé mais, en même temps, il y a des fêlures que tu ne peux pas corriger et qui correspondent à la vérité de ce projet.

R : A l’origine, je ne faisais que des freestyles de dix minutes devant le Mcdo. C’est Automne qui m’a dit : « c’est bien ce que tu fais mais personne ne va comprendre. Si c’est juste thérapeutique, continue comme ça mais, si tu as envie de créer quelque chose, il faut que tu penses à construire des morceaux, faire des refrains, etc. » Travailler avec Frensh nous a fait grandir.

A : C’est un projet qui a donc été muri pendant longtemps. Vous arrivez à le réécouter maintenant que c’est sorti ?

R : En tant qu’interprète principal du projet, j’ai une écoute assez spéciale du projet. Les morceaux sont tellement intenses et réels qu’il suffit d’un rien pour modifier la situation et l’espace. Quand on était au mixage, on écoutait le morceau « 00h92 » et il était empli de tellement de tristesse et de souffrance que j’étais vraiment ailleurs… Et puis Automne est arrivé dans le studio et le morceau a pris une toute autre dimension. D’un coup, le morceau, avec l’arrivée des trompettes notamment, est devenu extrêmement joyeux et j’ai eu un autre type de souvenirs qui est venu se mêler au sentiment de départ. Je pense qu’il y a plusieurs teintes dans les morceaux du projet, qu’il y a un ensemble de nuances d’émotions qui ont été placées au même endroit.

A : Du haut de ton jeune âge, il y a déjà une grande mélancolie qui se dégage de tes textes.

R : Quand on discutait du projet avec Automne, avant même de le finir, on se disait que soit les gens n’allaient rien comprendre, soit il allait se passer quelque chose. Parce que les textes racontent vraiment des choses très précises. Pendant une longue période, j’ai utilisé l’adjectif « sombre » pour qualifier le projet et Frensh m’a fait remarquer que c’était peut-être davantage de la lucidité. On a tous un vécu, on a tous des souffrances et je ne suis vraiment pas en train de dire que j’ai plus souffert que les autres… C’est juste que, à un moment donné, tu regardes en arrière et tu peux te sentir écrasé par le monde. Cet EP, je l’ai écrit à une période où j’étais plus jeune et c’est marrant parce que, quand je l’écoute, j’ai l’impression d’entendre mon petit frère qui rappe. J’ai l’impression que c’est lui qui me parle et j’en suis content parce que je voulais que ce projet ressemble à un souvenir. J’ai une phase qui n’est pas dans le projet mais qui fait « les souvenirs me font sourire et ça me rend triste. » C’est un peu ça 00h92, il me fait sourire et il me rend triste en même temps.

A :  Tu as parlé des États-Unis, tu es en partie originaire des Caraïbes, je sais que tu étais en Thaïlande il y a peu… J’ai l’impression que tu voyages beaucoup.

R : Je parle beaucoup de la notion de « vague ». Au-delà de l’émoji, j’utilise ce mot parce que c’est la chose qui me manque le plus ici. Je pense qu’on devrait chacun être notre propre vague au lieu de chercher à se noyer dans quelque chose de plus grand. Je suis parti un mois en Thaïlande mais ça faisait deux ou trois ans que je n’étais pas parti, notamment à cause du projet, j’avais vraiment la tête dans le guidon… J’étais concentré sur le passé et c’est difficile d’évoluer en tant que personne dans ces conditions. On n’a pas tous les moyens de voyager mais ça fait du bien de voir autre chose. Ne serait-ce que par Internet. Même si ce n’est pas suffisant en termes de sensation, ça aide pour ne pas avoir l’impression que tout ce qu’on voit est la vérité, qu’il n’y a que ça qui existe. Le quartier de La Défense, où on a grandi, est un des meilleurs exemples. La journée, c’est un flux de 500 000 personnes, des tours en cristal à un milliard d’euros… La nuit, les lumières restent allumées mais c’est extrêmement froid… J’appelle ça « le tombeau des anges ». Si tu vas dans les souterrains, tu vois des crackheads, des mecs sur le matelas mais aussi des gens qui y travaillent la nuit. Les deux mondes sont tellement opposés alors qu’ils ne sont pas séparés par plus de dix mètres de béton. Ces gens ne se côtoieront jamais et, moi, j’habite entre les deux.

FK : Le soleil à la fin de « 00h92 » est important parce qu’il met en évidence le fait qu’on a vraiment voulu écrire un récit. Pour moi, 00h92, c’est l’histoire de ce mec tout seul au pied de tours immenses, qui voit la nuit qui tombe et qui ne sait pas comment il va faire pour devenir plus grand que ces tours. C’est de là que vient cette mélancolie : « comment est-ce que je vais faire pour rattraper mes rêves ?« . Après tout le doute, après toutes les émotions, après toutes les déceptions, ce moment de soleil final est une manière de dire « ça ira« . C’est aussi l’histoire de notre relation. Quand je l’ai rencontré dans le métro, sa vision des choses était très sombre et moi, par principe, j’aurais trouvé dommage de ne pas laisser une tâche d’optimisme et d’humanité. Cette touche finale sonne comme des vacances. C’est pour ça qu’on est parti un mois en Thaïlande. On n’avait pas eu ces vacances et on voulait les mettre dans le projet.

A : Pourquoi avoir appelé ton EP 00h92 ?

R : Initialement, je concevais vraiment ça comme un court-métrage. 00h92 ça correspond à 1h32 mais c’est surtout ce moment entre hier et aujourd’hui ou entre aujourd’hui et demain. En tout cas c’est une heure qui n’existe pas comme La 25ème heure de Spike Lee. Tu seras toujours tout seul à ce moment-là et c’est là qu’il faut tout régler. Quand j’ai écrit ce projet, j’avais l’image d’un type dans la brume qui court de la Grande Arche jusqu’à l’esplanade de la Défense. Il ne sait pas pourquoi il court, il sait juste qu’il doit courir, il n’a pas conscience du monde qui est autour de lui, il n’a presque pas conscience de sa propre personne, il a juste conscience de son action. L’idée était celle-ci : je ne comprends pas le monde, je sais juste que je dois courir. 00h92 est une course, une course épisodique. C’est la raison pour laquelle tous les morceaux s’enchaînent naturellement.

A : On retrouve cette continuité dans les clips de « Funambule » et « Bangarang ». Pour rester dans l’esprit court-métrage, on a l’impression que tu voulais mettre en images l’intégralité du projet.

R : C’était l’idée et « Danse pour moi » devait être la troisième pièce. On n’a pas encore eu l’occasion de le faire mais ça n’est pas trop tard, il y a un bon retour sur le morceau qui est passé sur Mouv’ donc c’est cool. J’ai l’envie de faire un court-métrage depuis longtemps. Andrade, qui a réalisé mes deux clips, est un ami qui a fait une école de cinéma. Je lui ai dit que je voulais tout clipper en lui demandant combien ça couterait. Bon, j’ai compris que ce serait compliqué [rires]. Finalement, on s’est dit qu’on allait faire un court-métrage en trois parties, je lui ai amené les références, je lui ai dis que je voulais des plans séquences, tel type de détails etc. Je ne suis pas cinéphile mais j’ai regardé beaucoup plus de films que j’ai lu de livres… Tout simplement parce que c’est plus facile [sourire]. Il a vraiment dynamisé mes idées et, même si ça a été dur à mettre en œuvre, ça s’est super bien passé.

FK : Au-delà de ça, il y a une vraie vision d’ensemble qui vient de Rufyo. 90% de la composition des morceaux a été faite avec Rufyo à mes côtés qui me donnait des indications. Et ça allait plus loin : la vision du clip de « Bangarang » était déjà présente avant que la production ne soit finie. C’est exactement à ça que ça devait ressembler.

A : Puisqu’on parle de références visuelles, on apprend en lisant ta bio que tu es fan de Baz Luhrmann…

R : J’ai vu beaucoup de ses films quand j’étais plus jeune, hormis Roméo + Juliette que j’ai vu récemment. Mais le personnage de DiCaprio dans Gatsby le Magnifique m’a beaucoup parlé, je comprends un peu ce qu’il vit dedans… Il y a cette notion de perte et de déni. Au-delà de DiCaprio lui-même, j’aime le côté baroque du film. Quand tu regardes la scène de la soirée, tu te dis que c’est un monstre de synchronisation pour faire en sorte que tout ça fonctionne et c’est un peu de ça qu’on essaye de se rapprocher. Le côté extrêmement méthodique et travaillé qu’il y a dans la musique classique et qui ne nous parle pas parce que c’est trop éloigné de nous, je le retrouve dans les films de Baz Lurhmann ou dans Inception de Nolan.

A : La question la plus importante de cette interview : est-ce que Rufyo est une référence au personnage dans Hook ?

R : Complètement. Il y a même des gens qui pensent que je suis asiatique à cause de ce nom. Si tu regardes en profondeur l’œuvre de Peter Pan, tu te rends compte que c’est un pervers narcissique. Il prend des enfants qui appartiennent à des familles, les met à un endroit et les y laisse… Pour qu’ils se battent contre des pirates. Le concept est spécial quand même. Quand Peter Pan part faire sa propre vie et abandonne les autres, Rufio a joué le rôle du grand frère.

A : Tu y as vu un écho par rapport à ta propre vie ?

R : Oui, beaucoup. Pas le côté sauveur, plus le côté « je sais comment ça fonctionne, je pense qu’on peut aller là-bas ensemble. » Kanye se prend pour Jésus, moi je me prends pour Rufio.

« 00h92, c’est l’histoire de ce mec tout seul au pied de tours immenses, qui voit la nuit qui tombe et qui ne sait pas comment il va faire pour devenir plus grand que ces tours.  »

Frensh Kyd

A : Tu ne montres pas dans tes clips, tu avais un masque de protection lors de ton concert à l’International, ton Twitter est très énigmatique… Est-ce que ce mystère autour de ta personne est voulu et travaillé ?

R : Je sais que les artistes utilisent les réseaux sociaux comme un outil de promotion. J’ai juste décidé de les utiliser comme des réseaux sociaux… Et tout le monde me le reproche. A la base, c’est un moyen de parler aux proches. Il n’y a aucun calcul dans ces tweets. Le seul truc crypté et calculé, c’est la pochette du projet. Il y a du braille sur la pochette. Pour lire le braille, il faut le toucher et donc l’imprimer. En réalité, tu as des traducteurs de braille donc tu peux réussir à déchiffrer ça. Je l’ai aussi mis en morse sur certaines photos Instagram.
Après, le côté crypté n’est pas volontaire et ne résulte pas d’une envie d’être perçu comme étant énigmatique. Sur Instagram, je n’ai pas mis mon vrai nom parce que je pense que ça ne sert à rien d’avoir énormément de followers pour avoir dix likes sur une photo… Je sais que les gens qui me suivent sur Instagram m’apprécient vraiment pour ce que je suis, et pas pour un éventuel effet de mode. Après c’est cool l’effet de mode, ce serait bien de percer, j’étais très heureux de lire une chronique de 00h92 dans Les Inrocks… Je crois que la dernière personne qui avait écrit un truc aussi gentil sur moi était ma mère pour mes dix-huit ans [rires] ! Je pense juste qu’on a perdu de vue la vraie utilité des réseaux sociaux et je les utilise juste comme un mec lambda.
Le fait que je ne montre pas mon visage dans les clips est une anticipation de tout ça. Il y a aussi une réalité. Je rappe depuis peu mais la personne que j’étais au moment où j’ai écrit « Funambule » est très différente de celle que je suis aujourd’hui et je ne me voyais pas incarner ça. J’ai récupéré beaucoup de choses depuis et ça aurait été faux de présenter mon visage avec ces titres. Je ne me voyais juste pas dans ces clips.

FK : On a aussi envie de prendre le temps de construire quelque chose. 00h92, c’est ni le milieu, ni la fin… C’est vraiment le début. Si on doit montrer Rufyo dans le quinzième clip, ce n’est pas grave. L’industrie va trop vite, il faut trop donner, tout le temps, la meuf doit être à poil dans le premier clip sinon personne ne va regarder… On veut y aller progressivement. Dans la musique, il y a tellement de choses qui ont pris du temps avant de germer. Ce matin, je lisais que l’album que tout le monde kiffe de Stevie Wonder, Songs in the Key of Life, était son dix-septième. Avant ça, il a fait seize disques dont la plupart des gens se foutent. On voulait que les premiers morceaux de Rufyo soient à leurs places de « premiers morceaux ». On était en phase sur tout ça. Il m’a fallu du temps pour comprendre exactement là où il voulait aller, pour traduire ses envies en quelque chose de concret musicalement. Au départ, quand il me disait « je veux un nuage« , j’étais un peu perdu [rires]… On a créé un climat de confiance et c’est pour ça que ça n’avait pas de sens d’avoir des invités extérieurs sur ce projet.

A : Et pourquoi ce masque de protection sur scène ?

R : Il y a plein de raisons, je revenais de Thaïlande, je faisais de la moto donc je le portais tout le temps… Comme Frensh le disait, ça va vite dans ce milieu et tu peux rapidement devenir marketable. Dans une interview, on demandait à Kanye pourquoi il mettait un masque et il expliquait que, étant donné qu’on ne le voyait pas, c’était le seul moment où tu étais complètement libre de tes émotions. On s’en fout de la tête que tu fais, ce qui est important c’est le son que tu sors. Le masque me permettait de ramener l’énergie de Thaïlande et d’être libre en même temps. Emotionnellement, je donne beaucoup et le masque est une façon d’en garder un peu pour moi. Par contre, je ne le mets plus que sur scène. Dans la vie, ça me ramenait trop de contrôles de police [rires].

A : Tu parles beaucoup de Paris. Qu’est-ce que représente cette ville pour toi ?

R : Quand je parle de Paris, je parle surtout de La Défense et du milieu dans lequel on a grandi. La Défense est entre Puteaux, Nanterre et Courbevoie, c’est le croisement entre des milieux très différents… T’es au milieu de tout ça, tu as des potes qui viennent d’un peu partout et tu ne sais plus trop où tu en es. Paris c’est d’abord ça pour moi, un mélange informe où tout va trop vite. Tu es pris dedans et tu dois te définir malgré tout.

A : « Je me suis endormi dans mes rêves« . Ils ressemblent à quoi tes rêves aujourd’hui ?

R : Je sais pas… J’ai écrit cette phrase il y a un moment et elle n’a plus vraiment de sens pour moi aujourd’hui. Cette phase est extraite de « Quand la nuit vient (21) ». A l’époque, je dormais avec mon frère et, les nuits où il découchait, je culpabilisais de ne pas lui avoir envoyé de message en me disant qu’il serait peut-être mort le lendemain matin. C’est compliqué quand tu t’endors avec le sentiment que toutes les personnes qui sont à côté de toi vont mourir. Ce n’est pas que je n’ai plus de rêves mais la vie que j’ai est cool en comparaison de ce que j’ai connu il y a quelques années. On fait de la musique, des concerts, j’ai une paire de baskets… Je suis content et je n’ai pas besoin de plus. Après si je deviens milliardaire, c’est cool, je pourrai rester sur Paris et, sinon, j’irai au bled profiter du soleil et de la mer. Peut-être que j’irai tout en haut mais c’est pas grave si je n’y arrive pas.

A : Tu commences à envisager une carrière aujourd’hui ?

R : Attention, quand je parlais de « tout en haut », je ne parlais même pas de musique. Ca pourrait être une entreprise, je ne sais pas… La musique est arrivée de manière thérapeutique et c’était une façon d’exister. Après, une carrière signifierait en faire un métier. Ce serait bien. Etre payé pour des lives et sortir des albums, c’est cool. Pour l’instant, je pense que j’ai besoin de me développer. Si tu me proposes de signer demain pour un million d’euros, ça dépendra du laps de temps qu’on me laisse pour sortir mon album, de ce qu’on m’imposerait éventuellement en termes de production… J’ai une vision précise de ma musique et de l’endroit où je veux aller. Faire un hit à la « Papaoutai » ou « Hold On We’re Going Home », ça me ferait le plus grand plaisir. Mais j’ai envie d’avoir le niveau pour le faire et l’assumer. Je ne veux pas percer du jour au lendemain et me retrouver avec une fan base indifférente. Je veux que les gens qui me suivent pour le moment comprennent ma musique. On a déjà fait des rendez-vous dans la musique avec des mecs qui te parlent de sommes folles, qui veulent te faire bosser avec Rihanna ou Kavinsky… Ok, c’est cool mais j’ai fait deux morceaux et ils ne sont même pas finis. Laissez-moi me développer.

A : Tu viens de citer Drake et vous partagez avec lui une musique assez éthérée et aérienne. C’est une influence ?

FK : Je pense que le froid canadien de Drake et The Weeknd était une influence commune très forte quand on s’est rencontrés. J’ai toujours eu énormément d’affection pour un froid qui était beaucoup plus européen : les Björk, les Radiohead, les Portishead… Un des premiers morceaux que je leur ai fait écouté était « Stone In Focus » d’Aphex Twin, sorti dans les années quatre-vingt-dix. C’est une boucle de synthé de dix minutes qui est hyper vaporeuse et nuageuse… Et hyper Drake quelque part alors que ça vient d’un compositeur irlandais. En tant que compositeur et musicien, je comprenais la pertinence de s’intéresser à ce qui se passait à Toronto parce que c’est la vérité aujourd’hui mais je trouvais ça dommage que personne ne fasse le pont avec cette froideur européenne à partir de laquelle il y a beaucoup de choses à tirer. Je pense avoir permis de créer ce pont qui fait que notre musique ne ressemble ni à Toronto ni à Portishead. Elle ressemble à La Défense. « Qu’est-ce que ça donne si Björk et Partynextdoor sont dans un studio ? » A mon sens, « Dis-moi » répond à cette question. Quand j’ai composé les drums de « Dis-moi », c’était très inspiré de ceux de « Unravel » de Björk. Au final, ça n’y ressemble plus du tout mais c’était l’idée de départ. Si Daniel Balavoine était tombé dans une vague au lieu de s’écraser dans le désert, je pense que « Dis-moi » serait le genre de morceau qu’il ferait aujourd’hui. J’ai énormément d’affection pour la chanson françaises, les Bashung, les Michel Berger, les Balavoine, les Cabrel et, là encore, je trouve ça dommage qu’il n’y ait pas eu de vrai pont entre cette culture et la nôtre. Je voulais qu’on puisse réussir à créer une ouverture vers ça.

A : Est-ce vous vous retrouvez dans la scène rap français actuelle ?

R : Je n’irai pas jusqu’à dire que je ne fais pas du rap mais j’ai l’impression de faire du Rufyo. Après, c’est notre métier la musique donc j’écoute tout ce qui sort.

FK : L’intention avec le EP n’était pas de s’inscrire dans une scène particulière mais de créer la nôtre ou, au moins, de raconter notre histoire. Peu importe à quoi on doit la rattacher.

R : On essaye de développer quelque chose, on ne sait pas encore quoi. Après, ça ne veut pas dire qu’on ferme la porte ou qu’on n’apprécie pas les autres. Il y a plein de gens qu’on apprécie qui sont en développement comme nous et on préfère attendre le bon moment pour traverser le pont parce que ça ne servirait à rien de le faire trop tôt ou trop tard.

A : Si les médias commencent à s’intéresser à toi, ils vont sans aucun doute te mettre dans la case « rappeur alternatif ». Tu sais que tu vas devoir composer avec ça ?

R : Honnêtement, ça fait longtemps que ce que les gens disent sur moi ne me touche plus. Je suis plus touché par ce que les gens pensent d’eux-mêmes. On n’a rien mais on essaye quand même de donner un peu de ce rien et les gens en font ce qu’ils veulent. S’ils veulent en tirer quelque chose de positif, ils peuvent, s’ils veulent en tirer quelque chose de négatif, ils peuvent et s’ils veulent le catégoriser, ils peuvent. Mais ça ne sert à rien de vouloir donner un nom à quelque chose qui en a déjà un. Il y a inscrit Rufyo sur le disque. Ce n’est pas arrogant, c’est juste comme ça que je vois les choses.


00h92 est en écoute libre sur le soundcloud de Rufyo.

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1 commentaire

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  • Turo,

    Super article et belle découverte ! ∞