Chronique

Booba
0.9

Tallac - 2008

Les poses en disent parfois long sur ce que la prose nie crânement.

D’abord il y a cette pochette, un régal pour chercheur en sémiologie. Buste nu tatoué, sculpté aux haltères et aux pâtes protéinées. Tête qui chasse en arrière, cou de boa, le dedans de la nuque en excédent de morgue, façon ceinture marron de judo au matin de sa première pesée senior… Titre de l’album tatoué sous le nombril, casquette qui indique la capitale administrative d’un eldorado pour grand ado – en français, les deux lettres peuvent aussi se lire “décès”. Et ce titre, comme traduit du langage SMS : “Zéro neuf”… Les poses en disent parfois long sur ce que la prose nie crânement.

Quatrième solo de Booba, 0.9 est la suite des aventures pas si impudiques que cela d’un homme devenu joint-venture 367 jours par an. Comme lors des opus précédents, le son est calqué sur les tendances US du moment, avec recours répété à l’engin qui permet de chanter en mode R2D2. Comme lors des opus précédents, les invités viennent d’où nul ne les attendait et le flow redouble de nonchalance calculée. Comme lors des opus précédents, l’auteur se livre au compte-gouttes. Oui il y a une âme derrière ce déluge d’enjoliveurs en ivoire, de tartines de poudre et de barils de strings.

De quoi ces quinze plages sont-elles le nom ? Officiellement, le titre de l’album renvoie au must de la pureté en matière de cocaïne. Un moyen de s’évader, une occasion de s’affirmer. Un signe extérieur de richesse de plus, surtout, avec l’”écran plasma dans les chiottes”, les moyens “de te siliconer si jamais tu vieillis mal” ou la montre si chargée en diamants que son propriétaire ne sait “plus quelle heure il est”. Et qu’importe si Booba s’empresse ensuite de préciser en interview qu’il ne consomme pas le produit évoqué. “J’ai fait la guerre pour habiter rue de la Paix”… “Porche d’immeuble devient Porsche Cayenne”… “Dehors ma limousine, une troisième pute suce le chauffeur”… L’avalanche de formules prête à sourire, tant elle tient de la méthode Coué du nouveau riche qui se pince tous les matins pour être sûr de ne pas rêver. Après tout pourquoi pas. Booba a le talent pour. Il est si à l’aise avec l’enchaînement de jongles et de reprises de volées rhétoriques qu’il pourrait tenir des heures dans l’énumération de ses conquêtes matérielles, lucidissime qu’il est quant à son standing du moment (“Tu me serres la main, tu crois déjà au featuring”)… Mais il y a autre chose, dont le lancer de bouteille de Jack Daniel’s sur un spectateur du concert Urban Peace n’était qu’un avant-goût.

… Tonnerre, pluie, fouet. Tintements métalliques, inspiration des narines, apnée. “Tallac records… présente… 0.9… Izi”. Fin de l’intro. Vingt-et-une secondes chrono. Vingt-et-un comme grammes, comme siècle, comme le total des six faces d’un dé – comme trisomie aussi, diront les rieurs. “On ne m’a jamais dit ce que j’allais devenir, que mes démons fuiraient mais qu’ils allaient revenir” glisse-t-il sur fond de chœurs quelques secondes après. “Je suis heureux à l’occasion”… “Sinon rien de neuf dans ma vie à part que je pèse, toujours pas de petite amie, que des meufs que je baise”… “Je ne me laisse jamais aller, négro, oui je suis le boss” poursuit-il comme allongé sur un divan dans le morceau pivot de l’album, ‘R.A.S.’, dont le titre et le refrain font écho au mal-être sous-jacent entraperçu dès l’intitulé de la pochette : “Ne me dis pas qui je suis, ne me juge pas, le ciel le fait déjà… J’ai tellement d’ennemis qui me fuient, le 92I ne laisse pas le choix… Rien à signaler, R.A.S., R.A.S., R.A.S…  » Du haussement d’épaules de ‘R.A.S.’ au soupir de “Zéro neuf”, il n’y a qu’un pas, vénéneux mélange de vanité et de vacuité, la chute silencieuse d’une larme sur une table basse en or massif. Le tout sous autotune, moyen le plus respectable pour les mâles MC d’exprimer leur part de féminité – même le morceau le plus entraînant de l’album, ‘Pourvu qu’elles m’aiment’, est un clin d’œil humide à Mylène Farmer, celle d’’Ainsi soit-je’, de ‘Tristana’ et de ‘Désenchantée’.

L’air est rare au sommet des podiums. L’air et les amis. Les vrais, les fiables. Ceux dont Sako rappait hier qu’ils tenaient ”de l’unicité, mille fois plus riches que dans le nombre”. Dont Calogero chante aujourd’hui qu’ils sont la seule richesse d’un homme. “Froideur, cynisme et dents longues : ce monde contre l’exception m’impose ce masque livide qui m’encombre” constatait encore Sako, dont les mots semblent taillés sur mesure pour le Booba de l’an 09… Comme Thomas Sankara en 1987 ou Dieudonné aujourd’hui, l’affranchi de Lunatic se trouve engagé à vélo sur une côte à peine plus large que ses pneus. A droite, un précipice. A gauche un ravin. S’il s’arrête de pédaler, il est mort. Il le sait. Alors il pédale, clashe au kilomètre (“MC échange rondelle contre liquidités ; NTM, Solaar, IAM, c’est de l’antiquité”) et à Dieu vat…

Etonnante société narcissique que celle d’Occident, où l’homme s’estime vieux lorsqu’il atteint trente ans. Ne lui reste-t-il pas la perspective du double, du triple voire du quadruple à vivre, dans un confort que n’effleureront jamais la plupart des non-Occidentaux ? A quoi rime une vie aux trois-quarts vécue avec un sentiment de déclin ? Seth Gueko, la Sexion d’Assaut, Orelsan, Esco, Despo, Lalcko, il y a toujours eu pléthore de MCs aux trousses du maillot jaune de Bakel. Le Sénégaulois d’Afrance feint de s’en foutre, de les toiser tous. Il s’autorise même une ultime introspection sur le dernier titre, ‘0.9’… Prod crépusculaire comme la plupart de ses outro, mental parano façon Albert “P.“ Johnson, il dédicace Gorée et fait sienne l’histoire des leaders noirs d’Amérique du Nord et d’Afrique du Sud, comme un lointain prolongement à ses “423 ans” de jadis. “Jeune, Noir, rien à foutre, c’est comme ça que je me définis. Rien n’a commencé, je me dis que tout est fini” souffle-t-il d’une voix cassée. “Je suis condamné à vivre, je me ferai jamais sauter le couvercle”… Les poses en disent parfois long sur ce que la prose nie crânement.

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