PLK, du charbon et des principes
Interview

PLK, du charbon et des principes

Disque d’or en moins de deux semaines avec son nouvel album Enna, PLK est l’homme de la rentrée. Entretien fleuve avec un outsider accroché à ses valeurs.

Photographies : Brice Bossavie

Il y a trois ans, l’Abcdr du Son rencontrait PLK. À l’époque encore identifié par le public comme un membre du Panama Bende, désireux de s’offrir une excursion en solo avec sa mixtape Ténébreux, le jeune rappeur de Clamart affichait alors autant son amour du rap que ses questionnements sur sa musique et sa carrière. Aujourd’hui, il est tout simplement devenu une tête d’affiche : à force de travail et de nuits blanches dans son studio emménagé dans sa chambre, l’auteur de « Pas les mêmes » a réussi, un peu par surprise, à devenir en seulement deux années un des visages les plus scrutés du rap français. En y réfléchissant, on sait pourtant peu de choses sur PLK, son parcours, sa trajectoire et sa méthode : jusqu’ici plutôt pudique (Polak, son premier album, évoquait ses origines sans non plus en creuser tous les détails), celui que l’on appelle Mathieu a donc décidé d’un peu plus briser la glace sur Enna, un deuxième album autant taillé pour les streams qu’il raconte par touches son auteur, sa famille et son quartier. Une bonne occasion de se poser durant une heure pour discuter avec PLK de qui il est, de sa musique à sa famille, en passant par ses valeurs.


Abcdr : Avant de commencer l’interview, je voulais te faire écouter un morceau. [« Enna », morceau de PLK dédié à son frère et à sa sœur sorti en 2015 sur son premier EP Peur de me tromper]

PLK : [Sourire] Ah ouais. T’es le premier à m’en parler [Il prend le temps d’écouter le morceau]. Je me suis pas appuyé sur ce morceau mais c’est vrai que j’y ai pensé quand j’ai choisi le titre de l’album. Mais c’est vraiment depuis cette période-là que j’avais ce titre-là en tête, je savais que j’allais appeler un de mes albums Enna. Mon premier album je savais qu’il s’appellerait Polak et que Enna arriverait un jour ou l’autre. C’est un truc qui ne bouge pas, la contraction des prénoms de mon petit frère et de ma petite sœur, ça ne va pas changer demain, donc c’est quelque chose qui était ancré en moi. Je l’ai même tatoué sur la main [il montre les phalanges de sa main gauche, avec les lettre ENNA sur chaque doigt, NDLR] donc ça fait un moment que ça me trotte.

A : Tu te souviens de ce morceau spécifiquement ? En le réécoutant il n’est pas ridicule.

P : Il avait son truc oui. C’était une période où j’étais profond dans l’écriture je trouve, beaucoup plus que sur certains morceaux aujourd’hui, même si je retrouve ça sur des morceaux comme « Mamie ». En vrai, comme j’étais moins écouté, je pense que j’avais peut-être moins peur de parler de mes histoires personnelles, c’était plus facile. C’était une bonne période pour moi, même si je ne gagnais pas du tout d’argent avec le rap, je faisais ça pour le kiff.

A : Cinq ans après, tu appelles aussi ton album Enna. Pourtant, ce mot, tu ne l’avais jamais trop sorti dans ta musique jusque-là.

P : Non jamais, parce que je savais que j’allais l’utiliser à un moment donné. Je n’allais pas l’exposer tout de suite, tout comme j’ai certaines choses en tête que je ne sors pas tout de suite aussi. Les noms d’albums pour moi c’est symbolique, ce sont des choses qui restent toute la vie, contrairement aux noms de mixtape. Mental par exemple, c’est un titre beaucoup plus léger qu’Enna. Je réfléchis tous les titres de mes projets, mais les noms d’albums, je sais que symboliquement, c’est très fort pour moi. Je suis un peu à l’ancienne dans ma tête là-dessus.

A : Tu différencies vraiment les mixtapes des albums ?

P : À mort. La manière dont je les travaille, le budget que je mets dedans, tout est différent. L’album c’est l’album, c’est costaud. Je pense que j’ai un petit côté buggé là-dessus, depuis petit.

« Mes origines, ma famille, ce sont vraiment les choses les plus importantes dans ma vie.  »

A : Pourquoi avoir voulu autant mettre en avant ton frère et ta soeur sur ce deuxième album ?

P : Parce que c’est une symbolique très forte pour moi. Sur le premier album, je voulais vraiment exprimer ma culture, mes origines, le côté polonais, alors que sur le deuxième je voulais évoquer le côté famille, qui est quelque chose de très ancré chez moi. Et les thèmes de mes albums seront je pense toujours principalement basés sur des choses comme ça. Pour moi ce sont des piliers très importants. Mes origines, ma famille, ce sont vraiment les choses les plus importantes dans ma vie.

A : Même dans tes textes, tu parles tout le temps de ton père, de ta mère…

P : C’est quelque chose de très ancré chez moi, et dans ma famille de manière générale, on est très entre nous. On a toujours été comme ça, quand on a été dans la merde on est restés soudés, et c’est pareil aujourd’hui quand les choses vont mieux. C’est un peu la mentalité qu’on a tous. C’est pour ça que je parlais de Mental sur ma mixtape. On a une vraie manière de penser dans ma famille.

A : Sur Polak, tu parlais de ta famille en racontant qu’il y avait des moments compliqués, que tu n’avais pas grandi avec tes deux parents, avec des demi-frères, des demi-soeurs [« À six ans, maman m’a présenté de nouveaux frères, m’a dit “ils sont plus vieux qu’toi, tu verras, tu vas t’y faire”, puis deux ans après, papa m’a présenté une nouvelle sœur m’a dit “c’est une demi, une moitié, barricade ton cœur” » sur « Idiote », NDLR] . Ton frère et ta soeur, ce sont des figures qui n’ont pas bougé, avec qui tu es resté très proche ?

P : Bien sûr. Déjà il faut savoir que mon petit frère et ma petite soeur se sont rencontrés que deux fois dans leur vie. Ils sont de 2007 et 2009, ils auraient pu avoir le temps. Moi je n’ai pas connu mes parents ensemble, ils se sont vite séparés, et j’ai grandi entre tous ces trucs-là. Donc c’est pour ça que le côté famille est très important dans ma vie, on a été très divisés pendant longtemps, et le fait de rassembler tout le monde par la musique c’est quelque chose de très fort pour moi. C’est d’ailleurs pour ça que le shooting de la pochette de l’album était un moment très particulier : mon frère et ma soeur ne se sont pas beaucoup vus dans leur vie, et c’était un moment énervé. C’était un beau souvenir.

A : La manière dont tu les as représentés sur la pochette, ton frère cagoulé et ta soeur qui te parle à l’oreille, il y a un sens, une signification ?

P : Oui il y a une symbolique, aussi bête soit-elle. Mon frère pour le côté caillera, c’est déjà un petit mec, et ma petite soeur qui est une fille, qui est en train de devenir une femme, elle me conseille. C’est la voix un peu plus calme, et même si on a dix ans d’écart c’est quelqu’un qui est très posé, qui ressemble beaucoup à ma mère dans sa mentalité. Ma mère c’est elle qui dirige tout le monde dans la famille chez moi, donc c’est sa descendance direct, ça se voit. [Sourire] C’est pour ça que je l’ai représentée comme ça.

A : Je voulais parler du morceau « Mamie ». Pourquoi est-ce que tu as voulu qu’il sonne comme ça, très mélodique, chanté ?

P : Parce que c’est un morceau très personnel, et ça reste un album, tout doit être travaillé. Je voulais vraiment amener ce morceau dans un autre registre, et passer un palier musicalement sur ce titre. Donc j’ai ramené des voix de gospel, la manière dont ça a été mixé, comment c’est écrit, travaillé, c’est différent un peu… J’ai travaillé avec mes producteurs habituels, et on a ramené quelques personnes en plus. Pour le choeur de gospel, quand j’ai conçu le morceau, dans ma tête au moment du refrain j’ai senti qu’il fallait ça. En fait j’ai une technique un peu bizarre pour écouter de la musique, c’est que j’aime bien « mal » entendre le son. Ca veut dire que je vais baisser le son au maximum pour qu’on entende à peine, et ça va attirer mon attention sur des choses que je n’entendrais pas avec le volume normal. Du coup ça me donne des idées parfois. Par exemple, je me souviens qu’au début de « Mamie », le son ne tournait pas fort et j’étais en dehors du studio à ce moment-là. Je n’entendais donc pas les basses, ainsi que pas mal d’autres éléments du morceau. Et au refrain j’ai senti que ça faisait vide, qu’il manquait quelque chose. Du coup je me suis dis qu’il fallait rajouter des choeurs. C’était ça qu’il fallait pour avoir un côté beau, spatial, et le gospel allait remplir cet espace.

A : Quand tu dis que tu écoutes « mal » le son, qu’est-ce que tu veux dire ? Tu écoutes avec le son très bas ?

P : Oui souvent ! Par exemple sur l’iPhone je laisse avec trois ou quatre barres, donc vraiment bas, et ça me fait entendre le morceau un peu différemment, ça me donne des idées de mélodies. Par exemple cet été j’étais à la plage, et j’entendais des voitures passer au loin avec de la musique en fond. Je ne reconnaissais pas le morceau mais la rythmique et les mélodies qui passaient au loin, de manière déformée, ça m’inspirait et je prenais des notes vocales en même temps. J’entendais la mélodie de manière tellement vague que ça me donnait des idées de nouvelles mélodies, comme une inspiration.

A : Tu fais tout le temps de la musique ?

P : Tout le temps. Même si je ne vais pas forcément enregistrer tout le temps, par exemple là je suis en promo donc… bon en vrai hier soir j’étais en train d’enregistrer. [Rires] Mais il y a quand même des périodes de dix ou quinze jours où je ne vais pas enregistrer et ne plus écrire. En tout cas il se passe toujours un truc avec la musique, c’est obligatoire. Sinon je ne me sens pas bien, au bout d’un moment il faut que je m’isole, que j’écoute des instrus, d’autres rappeurs. [Il réfléchit] C’est bizarre ce que je vais dire, mais je vois un morceau comme une construction un peu. C’est un truc avec des couleurs, des étages, je dois remplir des cases, c’est très imagé dans ma tête. J’ai mon plan de travail prérempli et je n’ai plus qu’à dérouler. Dans ma chambre je suis un gros bosseur, partout… En vrai, tu vas dire une phrase lourde là, je vais la noter, puis aller modifier dans un de mes morceaux. Le seul truc qui m’anime vraiment c’est de faire de la musique.

A : En fait tu penses tout le temps musique.

P : Un peu trop, ouais. [Rires]

A : Il y a des moments où tu es dans le silence ?

P : Non pas trop. [Sourire] La musique c’est devenu un travail mais ça reste un grand plaisir. Je sais d’où je viens, j’ai travaillé pour de vrai avant, et je sais que ça reste un travail très cool, c’est ma passion.

« Quand je fais ce que j’aime, ça fonctionne. Pourquoi changer la recette ? »

A : Sur Enna, tu rappes beaucoup par rapport à Mental qui était plus chanté. Pourquoi avoir eu envie de revenir au PLK des freestyles ?

P : Je suis assez d’accord avec toi sur Mental : si je dois en faire une conclusion c’est que ça manquait de rap par moment. Mais c’était une mixtape et j’étais là pour tenter des trucs, comme « Un peu de haine ». Et vu que je n’ai pas fait d’interviews les gens l’ont pris tel quel, et ont cru que c’était la direction définitive de ma musique. J’étais juste en train d’essayer des choses et je savais très bien que ça allait être différent sur l’album. J’ai essayé de m’amuser sur Mental, mais je savais que j’allais vraiment revenir au rap sur Enna. J’aurais pu faire un album dans la continuité de Mental pour faire du stream, mais je reste maître de ma musique. Les ventes je n’en ai rien à taper, si je commence à calculer en me disant « là je vais faire 100 000 ventes, là 50 000 ventes », on n’avance plus, on va patauger. Quand je fais ce que j’aime, ça fonctionne. Pourquoi changer la recette ?

A : Mental t’a permis de mélanger cet aspect très rap avec quelque chose de plus grand public ?

P : De kiffer, tout simplement. Quand je fais des morceaux un peu reggae dans Mental, ou quand je fais « Un peu de haine » ou « Problèmes » ça reste des grands kiffs. Je reste passionné par la musique donc tester plein de choses c’est vraiment ce que j’aime faire. On ne le dit pas mais quand tu fais 150 morceaux rap sur six mois ta tête elle explose à la fin. Alors que là j’ai pu aller voir à droite à gauche. Ça m’a vraiment permis de jauger et voir ce que les gens aiment ou pas. Et la mixtape s’est tellement bien vendue que je ne pouvais même pas trouver un truc qui n’avait vraiment pas du tout fonctionné.

A : Sur « 3 en 1 » tu dis quelque chose d’intéressant : « 23 piges, je suis pas un jeune ».

P : J’aime beaucoup cette phrase. Je pense que je suis quelqu’un qui aime etre décisionnaire de tout ce que je fais, et c’est le cas depuis très jeune. J’ai toujours été mature assez tôt, même un peu trop vite. Mon premier showcase je l’ai fait avec le Panama Bende quand j’avais 16 ans. Je n’avais même pas l’âge d’aller en boîte ! J’ai vite été confronté à plein de choses et ça m’a fait vite grandir par rapport à ça. À 23 ans j’estime avoir fait plein de choses que je n’aurais pas pu faire, ou que je n’aurais pas dû faire, et grâce à cette mentalité-là j’arrive à aller chercher certaines choses. Et puis dans la manière dont je réfléchis je suis un petit vieux, c’est pour ça que je dis ça aussi, j’ai une vie de vieux. [Sourire] Je ne suis pas quelqu’un qui sort énormément en boîte, ni un grand fêtard. Je préfère avoir une vie de petit vieux, à aller en vacances tranquille.

A : Tu penses que tu as dû grandir plus vite que certaines personnes ?

P : Oui comme d’autres ont dû grandir plus vite que moi aussi. Mais c’est sûr que je me suis retrouvé à rapidement devoir me prendre en main tout seul, et j’ai pris mes décisions tout seul. À 13 ou 14 ans je commençais déjà à faire mes trucs tout seul, à bouger tout seul, gagner mon argent tout seul, tout faire tout seul. Mais comme plein d’amis à moi, dans le 92, à Clamart particulièrement, on était dans mon équipe très matures très vite. C’est sûrement aussi lié au fait que je n’ai pas grandi en voyant mes parents ensemble. Mais il y en a d’autres qui grandissent deux fois plus rapidement que nous ! Je suis très content d’avoir eu cette maturité-là, parce que ça serait très difficile à gérer sinon. Quand je vois des rappeurs plus jeunes que moi, qui ont encore plus de buzz que moi, je ne sais pas comment ils font. On ne se rend pas compte de ça. RK il fait son premier disque d’or à 17 ans. Faut être très solide mentalement pour continuer et ne pas faire n’importe quoi, j’ai beaucoup d’estime pour ces mecs-là. Est-ce que je l’aurais géré pareil, est-ce que j’aurais eu cette maturité pareil ? Je ne sais pas. Des mecs comme Koba, comme Zola, il faut avoir un cerveau pour arriver à ce niveau-là pour ne pas craquer.

A : Sur Enna ou sur Polak, tu parles de la responsabilité d’être aîné, tu expliques que tu dois être l’exemple pour ton petit frère ou ta petite soeur. Ça a joué dans ton parcours ?

P : Même dans mon image ça joue beaucoup. Même si je peux être vulgaire dans ma musique, je sais que je représente ma famille, je ne peux pas faire n’importe quoi. Il y a des gens qui connaissent ma famille dans la vraie vie et je reste le petit-fils ou le fils de quelqu’un. Donc forcément que ça a un poids. Par exemple, j’ai du mal à comprendre tout ce qu’il se passe dans la télé-réalité, on dirait qu’ils ont pas de famille derrière. Je ne peux pas salir l’image de ma famille, c’est quelque chose de très très grave. Je préfère mourir que salir l’image de ma famille. Faire n’importe quoi, avoir une image de mec hautain, qui se la pète, je ne pourrais pas. On est tous d’accord sur les gens qu’on n’aime pas, faire la star, mettre des meufs pour mettre des meufs dans des clips, et je pense que ça serait salir l’image de ma famille.

A : Ça a une influence sur ce que tu fais dans ta musique ?

P : Oui vraiment. Après même si je viens d’une famille où on est pudique, on parle à la cool. Sur les mots je ne risque pas de choquer les gens. Mais c’est plus dans l’image et dans le comportement en dehors de la musique. Mes proches surveillent beaucoup ça chez moi, c’est très important je trouve. Tu ne peux pas faire le con.

A : Tu disais d’ailleurs avant l’interview que tu avais fait écouter ton morceau « Toutes générations » avec Rim’K à ton père. Pourquoi est-ce que tu as pensé à lui sur ce morceau ?

P : Comme je le dis dans le refrain, c’est un morceau qui peut lui parler à mort. Ça peut grave parler aux anciens, et je voulais son avis. Et il a kiffé de ouf. Je voulais me faire ce kiff-là avec Rim’K. Sur la trap, il a déjà fait un boulot énorme, quand tu vois « Air Max » ou le son avec SCH et Koba récemment, il est trop fort. Mais plus personne ne le ramène sur des morceaux à l’ancienne et ça lui a fait plaisir que je lui propose ça. Le thème de l’album c’était kiffer. Et faire un son à l’ancienne avec Rim’k c’était vraiment pour les kiffeurs de rap.

« Je respecte tous les artistes : à partir du moment où ils sont là, ce n’est pas pour rien.  »

A : On sent justement ton côté kiffeur de rap sur Enna, tu cites Salif, Nubi…

P : Oui « Salif, La Mafia, Beat 2 Boul, à l’époque ça rappait vite et pour la rue ». Ce sont mes références, je suis obligé d’en parler à un moment donné. Je ne pense pas spécialement au public quand je cite ces noms mais je revendique le fait qu’on a grandi sur ces trucs là, ça a fait partie de ma culture, et on a kiffé écouter ces trucs-là. C’est de la fierté plus qu’autre chose.

A : Dans le rap français, on a des débats sur les plus jeunes qui écoutent du rap et qui n’ont pas les références d’avant.

P : Je ne l’ai pas cité dans ce sens pour montrer que je connais mes classiques, si on rentre dans les détails de la discographie de Beat 2 Boul, je vais même pas tout connaître. Je voulais plus dire que j’écoutais ça, c’était grave cool, et celui qui veut y aller il y va. Je suis pas un expert du rap avec mon casque dans les oreilles à écouter dans le métro, mais ce sont des sons que j’ai kiffé écouter quand j’étais plus jeune. Et le fait que des gens de la nouvelle génération ne connaissent pas ce qui a été fait avant ce n’est pas quelque chose qui me dérange énormément, ils vivent avec leur temps aussi. Les nouveaux peintres ne sont pas obligés d’avoir étudié tous les trucs à l’ancienne pour être bons aussi, ça se saurait si c’était le cas. Pareil pour tous les corps de métier. On peut choisir d’avoir écouté ou pas ce qui a été fait avant, et être bon dans ce qu’on fait. Ca n’a pas d’impact pour moi.

A : Ça aide quand même de connaître ce qui a été fait avant, non ?

P : Oui ça aide. Mais c’est pas obligatoire du tout. Il y a par exemple des mecs qui n’écoutaient pas du tout de rap il y a quelques années et qui s’y sont mis récemment, et ils tuent. En fait je respecte tous les artistes : à partir du moment où ils sont là ce n’est pas pour rien. Les gens ont du mal à réaliser ça avec internet, mais ça reste un travail très difficile et périlleux.

A : Sur « 3 en 1 » tu critiques quand même les mecs qui n’ont rien à raconter.

P : Ce que je critique, c’est les mecs qui parlent de la rue alors qu’ils n’en sont pas. Ça par contre ça peut plus me gêner. Il y a plein de rappeurs qui ne viennent pas de la rue, qui le disent et qui sont très très bons. Ca ne me dérange pas du tout. Par contre quelqu’un qui va dire qu’il a braqué, qu’il a tiré, alors que derrière ce n’est pas la vérité, ça m’embête plus. Mais je ne suis pas la police des rappeurs à dire qui est un vrai ou un faux. [Sourire] C’est des piques, c’est de l’egotrip, on est là pour ça. Mais ça me dérange plus que les mecs qui ne connaissent leurs classiques.

A : Pourquoi ?

P : Parce que ça décrédibilise. Par exemple, dans mes sons je ne vais pas dire que j’ai fait de braquage, je ne vais pas mentir. C’est jamais arrivé et c’est pas prévu que ça arrive. Et je fais très attention à ça parce que je sais que ce sont des morceaux que je vais assumer, que je vais devoir faire sur scène. Si c’est pour qu’un grand de mon quartier vienne me voir et me dise « Frérot, je t’ai vu faire ci, ça, mais ça jamais »… C’est ça que j’ai du mal à comprendre. Si ce sont des mecs de quartier, il y aura forcément des gens de leur quartier qui vont venir les voir pour leur dire.

« J’ai tendance à ne voir que la mauvaise critique. La chance que j’ai c’est qu’il y a maintenant beaucoup trop de commentaires pour que je vois passer les négatifs.  »

A: J’ai relu ton interview sur l’Abcdr avec Narjes à l’époque de ton premier projet où tu n’étais pas aussi exposé, et tu avais dit à un moment que tu étais assez sensible à la critique. « Un commentaire YouTube ça peut me niquer pendant deux mois ». Est-ce que aujourd’hui c’est toujours le cas ?

P : [Rires] Alors ça l’est, mais plus pendant deux mois. J’ai tendance à être trop perfectionniste sur certains trucs, je vais vouloir que tout soit parfait alors que ce n’est pas ce qu’il se passe dans la vie. Et j’ai tendance à ne voir que la mauvaise critique. Mais la chance que j’ai c’est que maintenant il y a beaucoup trop de commentaires pour que je vois passer les négatifs. [Sourire] Mais j’ai dû me renforcer par rapport à ça. À l’époque je regardais tout, tout, tout, maintenant ce n’est plus possible. Et je commence à vraiment ne plus regarder du tout parce que je commence à toucher un peu trop de gens pour mettre tout le monde d’accord. Il y a forcément des gens qui ne vont pas aimer et ça fait partie du truc. Avant j’avais tendance à prendre les choses pour moi, si quelqu’un n’aimait pas c’était de ma faute. Aujourd’hui c’est moins le cas.

A : Mais ça n’a pas d’influence sur ta musique ? Je crois que tu disais à l’époque de Ténébreux et Platinum que vous regardiez avec ton manager les morceaux qui marchaient le plus sur les plateformes.

P : Non, maintenant on va plus regarder ça pour les clips. Avant, on avait une communauté plus restreinte donc on pouvait se fier aux stats, aujourd’hui ça part plus dans tous les sens. Si on se fie qu’aux stats on va partir nous aussi dans tous les sens. Il faut se fier à ce qu’on aime, ce qu’on veut faire, on est beaucoup plus déterminés qu’avant sur nos choix. On expérimentait plus sur les mixtapes. En fait à chaque fois que tu verras mixtape à côté de mon nom, tu sais que je vais tenter des trucs. « Un peu de haine », on mettait des gifles à des condés dans un clip sur une musique joyeuse, c’était risqué quand même. [Rires] Peut-être que sur un album on ne ferait pas comme ça. C’est passé mais ça aurait pu ne pas passer du tout. Mixtape on s’amuse, album on travaille.

A : Sur les textes d’Enna, tu parles du succès. En t’écoutant on a le sentiment que tu as l’impression d’être un outsider. Le mec qu’on n’attendait pas. C’est ton sentiment ?

P : Pas vis-à-vis du public, mais plutôt vis-à-vis de tous les gens que j’ai croisés dans ma vie professionnelle, à l’école. Quand tu disais que tu étais rappeur, les gens rigolaient rapidement. C’est comme le foot, il y’en a 1 sur 10 000 qui va vraiment le devenir. Je pense que les gens n’arrivaient pas à comprendre à quel point j’étais déterminé quand j’étais plus jeune, que pour moi c’était ma seule et unique porte de sortie. C’est comme si tu mets un mec au-dessus d’une marmite en feu, il va se débattre un peu. Moi j’étais déjà comme ça. Je me disais qu’un jour ou l’autre ça allait marcher dans la musique, peu importe la manière. Si ça se trouve j’allais finir ingé son ou beatmaker même si je suis nul dans ce domaine. [Rires] Mais cette petite revanche elle est kiffante.

A : Qu’est-ce que tu veux dire quand tu disais qu’on ne te prenait pas au sérieux quand tu voulais faire du rap ?

P : Ce n’est pas pour le niveau, mais c’était plus comme un petit qui disait qu’il voulait être footballeur. De là à en vivre, c’est tellement difficile que les gens ont du mal à y croire. Ils se disent « Lui, il va gagner de l’argent, vivre grâce à ça ? ». Quand un petit de 15 ans te dis ça, tu peux même pas y croire. Moi à 13 ans, en début d’année scolaire, quand on me demandait sur les fiches de renseignement ce que je voulais faire plus tard, j’écrivais que je voulais faire de la musique. J’avais honte de dire « rappeur » en étant plus jeune. Rappeur c’était vite catalogué cassos. Donc je disais « faire de la musique ». Mais même avant ça, j’ai toujours su que j’allais finir dans ce domaine.

A : Tu te souviens du premier moment dans ta carrière où tu t’es dit que tu pouvais vivre du rap ?

P : À partir du moment où on a commencé à m’expliquer comment les contrats fonctionnaient, comment j’allais pouvoir gagner de l’argent. J’ai compris que ça pouvait être une activité qui allait me faire vivre, ce dont je n’avais pas conscience avant. Pour moi le rap, ce n’était pas ça, et le jour où j’ai compris que ça pouvait être un travail, qu’il fallait être carré de A à Z, c’est allé vite en fait.

A: Tu parlais beaucoup au début de ta carrière du garage dans lequel tu travaillais avant de te lancer dans ta musique. Ton patron, il savait que tu rappais ?

P : Oui clairement. Il savait que je rappais parce que j’étais déjà dans le Panama Bende à l’époque et j’étais le plus petit de la bande. Quand on faisait des concerts le week-end, la semaine j’étais au garage. [Sourire] Il savait. Et ça reste un personnage très important dans ma vie. Je passe encore toutes les semaines au garage. Je bois le café là-bas, on discute. Aujourd’hui je suis sponsorisé par Puma, et ils bossent avec Mercedes sur des pulls, donc je leur ramène des fringues. Ça reste un lien très fort, et comme j’en parle sur l’album, je suis quelqu’un de très famille. C’est quelqu’un qui m’a beaucoup aidé dans ma vie, il m’a ramassé à un moment où personne ne l’aurait fait et c’est comme quelqu’un de ma famille pour moi. C’est important pour moi de conserver ce lien, ça reste les bases, et c’est comme ça qu’on ne se perd pas. Il faut garder la tête froide, et quand je suis là-bas je reste le petit qui a bossé pendant quatre ans en tant que garagiste. Surtout, c’est quelqu’un de tellement humble et dans le travail que je crois qu’il ne voit pas ma situation dans la musique. Il voit par le biais de ses enfants que ça marche bien pour moi, mais il voit vraiment Mathieu, l’apprenti qu’il avait, qui mettait les mains dans la merde tout le temps, toujours volontaire. Il s’en fout du reste. Et il est content de voir que je reste comme ça.

A : Dans les textes d’Enna, on sent que c’est important pour toi de rester proche de là d’où tu viens, de ton quartier, c’est ce que tu ressens ?

P : Complètement. C’est ce qui fait que je vais garder les pieds sur terre, que je ne vais pas péter les plombs, que je ne vais pas être tout seul aussi. Beaucoup d’artistes par le passé se sont retrouvés tout seul parce qu’ils avaient trop de succès, trop d’argent. Moi, le fait de rester dans mon quartier, avec les mêmes personnes, ça préserve une certaine sécurité d’amitié et de loyauté. Je ne vais pas avoir des rats morts qui viennent me prendre mon argent. Ce n’est pas possible parce que je suis dans un cercle très fermé. Avant de faire de la musique j’étais avec eux, et après la musique on fera d’autres choses ensemble j’espère. C’est comme ma deuxième famille, et je suis très attaché à ces choses-là. Après je vais devoir grandir et partir de mon quartier, je le souhaite, mais je resterai attaché à ces valeurs-là.

A : On sent que c’est important pour toi de rester au contact de cette réalité.

P : Dans le cadre dans lequel on est mis, on peut rapidement perdre pied. Le fait de garder ces amitiés-là met des grosses barrières qui te mettent tranquille. Si je n’avais pas eu ça, ça aurait été beaucoup plus compliqué, j’ai quand même été exposé assez jeune, j’ai 23 ans aujourd’hui. Là j’ai des gens, des amis de longues date qui viennent me dire « fais attention », « tu réfléchis trop »« prend des vacances ». J’ai tendance à trop bosser, et il faut des gens qui te disent stop, oui, ou non. Et j’ai la chance de connaître ces gens-là depuis assez longtemps pour savoir que ce ne sont pas des paroles en l’air.

A : Tu parlais de quitter le quartier, c’est quelque chose auquel tu penses ?

P : Je vais devoir grandir, quitter l’endroit où je vis avec ma grand-mère, c’est obligatoire. Au bout d’un moment je ne vais pas faire le Tanguy. [Rires] Il va falloir évoluer et ça me fait un peu peur. J’ai peur de perdre ce cadre-là. Mais je vais faire en sorte que ce ne soit pas le cas.

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