Ol Kainry
Interview

Ol Kainry

Il est dans les bacs depuis 1998 mais ne le qualifiez surtout pas de vétéran. Interview rétrospective avec Ol’Kainry.

Les débuts avec Agression verbale

A : Comment est-ce que le groupe s’est formé ?

Ol’Kainry : Ça remonte quand même… Quand je revois les images, je me dis que j’étais un gamin. On était juste des potes de quartier, plus ou moins en avance dans le rap sur notre secteur. Kodjo de Nouvelle Donne a monté un label et nous a signés très jeunes puisque j’avais seize ou dix-sept ans. C’est avec lui qu’on a sorti Ce n’est que le début, notre premier projet. Ensuite, il y a eu les compilations Nouvelle Donne et puis les aléas de la vie ont fait qu’il a fallu que je me mette en solo. Mes potes n’avaient pas la même passion et j’aurais perdu trop de temps à les attendre. J’ai pris les devants et j’ai sorti mon EP et mon album en 2001.

A : Il y a quand même eu trois ans d’écart entre l’EP Agression verbale et ton album solo. Est-ce que la fin du groupe t’a un peu freiné ?

O : En fait, j’ai été solo par défaut… Et à cet âge-là, il y a le quartier, les études, c’est la fin de l’adolescence… Il s’est passé plein de choses et c’est ce qui explique les trois ans d’écart entre les projets.

Au-delà des apparences, le premier album

A : En 2001, on sortait vraiment d’une époque dans le rap où les disques se vendaient bien pour rentrer dans une période beaucoup plus compliquée. Comment as-tu vécu ce changement ?

O : Déjà, j’ai toujours été reconnaissant envers Kodjo parce que signer si jeune m’a fait gagner énormément de temps. J’ai quand même sorti mon premier album à vingt ans ! Je viens d’Évry, j’ai grandi dans ma banlieue et je n’en suis pas beaucoup sorti. Quand tu signes en major du jour au lendemain, tout est magique. Tu vas à Paris dans un building où tu vois des disques d’or accrochés aux murs… J’étais un gosse qui fantasmait sur une carrière qui s’annonçait bien. C’était le chemin rêvé.

A : La major te manque ?

O : Oui et non. Oui parce que tu n’as aucun souci financier quand tu y es et qu’on t’ouvre plus facilement les portes. Non parce que c’est un monde un peu bizarre. Après, on ne m’a jamais imposé de contrainte en maison de disque. Par contre, on ne me suivait pas dans ma folie. Aujourd’hui, je peux vraiment me lâcher.

A : Sur le premier album, il y avait déjà plusieurs invités et c’est une constante chez toi. Est-ce que finalement le groupe du début ne te manque pas ?

O : Peut-être que tu as mis le doigt sur quelque chose dont je n’avais jamais pris conscience…En fait, je m’ennuie tout seul. D’où Facteur X, d’où un album avec Dany Dan, d’où un album avec Jango Jack… J’ai besoin de croiser le micro, d’échanger les idées, de mélanger les concepts. Je pourrais faire un dix titres super épuré, sans invités mais, parfois, tu écris un morceau et tu te dis que tu verrais bien untel dessus. Il n’y a rien de forcé. Il a plein d’artistes que j’aime bien mais que je n’ai pas invités, faute de morceaux qui auraient pu leur convenir. On fera ça plus tard, c’est pas grave.

Il faut savoir que je suis mon seul DA et que je fais beaucoup de choses à l’instinct. Je m’occupe de tout. De la recherche des prods à celle des thèmes, de la structure des morceaux… J’ai toujours fonctionné comme ça. D’ailleurs, j’aurais aimé changer de méthode sur cet album mais, pour ça, il te faut une équipe à qui tu fais vraiment confiance. Et je ne l’avais pas.

L’expérience Facteur X

A : Après le premier album, il y a eu la formation de Facteur X avec Kamnouze et Jango Jack. Comment est-ce que ça s’est fait ?

O : De manière très spontanée. Nouvelle Donne fêtait ses cinq ans d’existence et voulait sortir une compilation. On a réfléchi et on s’est dit que c’était super classique comme concept. Finalement, Kodjo a voulu prendre le noyau du label et créer un groupe autour, histoire que ça mette de la lumière sur tout le monde. Facteur X était censé être un one shot et, finalement, ça a pris plus d’ampleur que prévu. C’est la raison pour laquelle on en a fait un deuxième derrière.

A : Vous avez eu beaucoup de succès avec les singles de ces albums. Est-ce que tu as conscience que c’est quelque chose qui est presque devenu culte pour une génération ? Ladéa parlait du premier album de Facteur X comme un de ses classiques.

O : Je ne réalisais pas à l’époque. Je n’avais même pas l’impression d’avoir plus de succès avec Facteur X qu’en solo… En même temps, j’étais différent à l’époque. Je restais dans mon quartier, j’en sortais uniquement pour faire ma promo… Aujourd’hui, tu prends plus facilement la température du buzz avec des outils comme Facebook et Twitter. Même sans parler de Facebook et Twitter, je n’allais même pas sur Internet à l’époque ! Finalement, tu prenais la température avec la télé et, oui, on passait un peu sur M6. En tout cas, j’ai réalisé bien plus tard qu’on avait pu avoir un certain impact.

A : Une question que certains se posent : que devient Kamnouze ?

O : Avec Kamnouze, on se voit tout le temps. Comme on nous voit tout le temps ensemble, les gens sont à chaque fois étonnés qu’on ne refasse pas des morceaux. On a même fait un grand barbecue dimanche dernier au Parc de la Villette ! [Rire] Sinon, Kamnouze est auteur et s’occupe de plusieurs chanteuses de zouk. Là, il va sortir un single mais il est passé à autre chose et ne fait plus du rap pur et dur. Il est dans un autre registre, un peu plus juteux, un peu plus large.

Les chemins de la dignité et Demolition Man, albums de transition

A : Sur Les chemins de la dignité, tu avais invité Raekwon à l’occasion d’un morceau qui a fait date. Vu ton nom de scène, c’était une obligation pour toi de croiser le micro avec des rappeurs américains dès le début de ta carrière [NDLR : Buckshot avait déjà été invité sur le premier album] ?

O : C’était pas une obligation mais on aime bien aller au bout des concepts. Je pense qu’on était dans une époque où le faire était encore bénéfique. Aujourd’hui, si tu ne ramènes pas Jay-Z ou Rick Ross, ça ne parle pas au public. A l’époque, il y avait encore la magie du rappeur américain underground. Un morceau avec Raekwon demain n’aurait absolument pas le même impact qu’il y a dix ans.

A : Sur ce même disque, la complicité avec Jango Jack était déjà palpable. C’est une sorte d’alter ego chanteur ?

O : En vrai, je suis un fan de Jango. Je suis fan de sa vibe, de sa culture musicale et il trouve un truc magique à chaque fois que je l’invite. En fait, on avait même commencé à travailler ensemble avant mon premier album. J’avais été invité sur la bande originale de Yamakasi et le chanteur initialement prévu avait bugué. Il fallait un nouveau chanteur et on m’a présenté Jango Jack qui venait de signer dans le label. La vibe qu’il avait envoyée… Pff, il avait tout tué ! Ensuite, j’ai enchaîné sur l’album et je l’avais invité pour le refrain de « Lady »… Et, avec du recul, il est sur tous mes projets, y compris sur Dyfrey qui arrive.

A : Il y a une constante chez toi, c’est la densité de tes albums qui comportent souvent beaucoup de titres.

O : Et c’est encore le cas sur Dyfrey d’ailleurs… J’sais pas pourquoi. J’ai peut-être un problème pour sélectionner les morceaux. Ou je me dis que je tue le morceau si je ne le mets pas dans l’album parce que je n’aurais nulle part pour le mettre après… Quand je finis d’enregistrer des morceaux, j’ai tout de suite envie de passer à autre chose, d’aller dans une autre direction. Si je ne garde pas le morceau, le morceau est mort. Et c’est toujours un crève-cœur pour moi.

Là, je suis déjà sur autre chose. On est dans une ère où il faut être hyper productif. C’est pour ça que j’ai un peu de mal à parler de mes débuts parce que c’est tellement loin… Quand j’en parle avec un petit, ça me vieillit beaucoup plus que je ne le suis [Sourire]. J’étais précoce et des mecs comme La Fouine ou Sefyu ont le même âge que moi mais sont arrivés plusieurs années après… Je vais faire figure de grand frère pour eux alors qu’on est de la même génération ! Cette image de vétéran me dérange parce que j’ai toujours les crocs d’un mec de vingt-et-un ans.

La cour de récréation avec Dany Dan et Jango Jack

A : On a l’impression que Soyons fous n’a pas eu le succès qu’il aurait dû avoir…

O : Exactement. Mais, pour moi, c’était un projet intermédiaire, limite une petite mixtape en attendant. Plus on avançait sur le projet et plus on se rendait compte de la qualité des titres, il y avait des tubes, des morceaux susceptibles de plaire à un large public… Je me suis dit que, pour un truc fait en trois ou quatre mois, on avait quelque chose de bien sérieux. Le projet n’a pas eu un gros succès commercial mais, en réalité, c’était un projet différent. Et un projet différent doit se travailler différemment. On a sorti ce projet comme s’il s’agissait d’une mixtape, avec un petit distributeur et je pense que le même projet travaillé chez une major aurait eu un autre impact. Il faut savoir qu’on n’a démarché personne pour ce projet et que c’était vraiment un disque fait entre potes à la base. Je pense que Soyons fous, avec des moyens et une exposition supplémentaires, aurait pu créer un buzz.

A : Le projet avec Dan est un petit peu vu comme un classique aujourd’hui et Dan disait récemment qu’il souhaitait refaire quelque chose avec toi. Est-ce qu’une suite est envisageable ?

O : Ouais, je pense qu’on va se faire ça. On arrive dans une période où la performance est revenue au goût du jour. Le public commence à comprendre ce que c’est et je pense qu’un projet avec Dany Dan où on envoie du vrai rap tout le long a sa place aujourd’hui. En 2014, ce serait sympa.

Iron Mic 2.0, le pari réussi

A : La sortie de Iron Mic 2.0 avait été un peu entachée par la polémique avec Christian Louboutin. Comment est-ce que tu regardes ça rétrospectivement ? [NDLR : Suite au morceau « Sexy legging et Louboutin », la marque Louboutin avait porté plainte contre Ol’Kainry, l’obligeant ainsi à retirer le morceau et à repousser la sortie du projet]

O : C’est quand même quelque chose qui m’a freiné. En fait, cette histoire, c’est un peu comme gagner au Loto… mais à l’envers ! Il y avait une chance sur un million pour que ça tombe sur moi et qu’on me casse les couilles pour avoir cité une marque. C’est un truc que tout le monde fait sans qu’il ne se passe rien, il a fallu que je le fasse et ça a créé un mini-scandale… Et puis, j’aimais bien ma chanson ! [Rire] Devoir la faire disparaître m’a vraiment fait chier… Mais, au final, ça a redonné une autre couleur au projet puisque ça m’a poussé à faire de nouveaux morceaux et à transformer un disque simple en double album.

D’ailleurs, pour ce projet, j’avais été un peu déçu du bilan commercial final. Je m’attendais à beaucoup mieux parce que, si j’avais invité autant de monde, c’était justement pour répondre aux attentes du public. Toutes les questions qu’on me posait du style « pourquoi tu ne rappes pas avec lui ? On ne t’entend jamais avec d’autres gens, pourquoi ? Tu restes toujours dans ton 91, pourquoi ? » ont été la source de ce projet. Je me suis dit que j’allais faire quelque chose où j’allais inviter tout le monde ! Tous les gens que vous aimez, ceux avec qui vous vouliez que je me mélange étaient dessus. Je trouve que c’était un projet réussi, sorti à une bonne période mais il n’a pas eu les ventes que j’escomptais. C’est une mentalité qui est spéciale. Aujourd’hui, le fan en France n’a pas conscience qu’être fan signifie acheter le projet. Il se contente de cliquer sur YouTube et de te complimenter sur Twitter ! [Rire]

[Il y a un CD d’Aelpéacha sur la table] D’ailleurs, pour revenir sur les invités, j’estime que je suis un des rappeurs qui s’est le plus mélangé au cours de sa carrière. Je vois qu’il y a un CD d’Aelpéacha et c’est quelqu’un que je ne connais pas. Si demain il me ramène une prod qui me parle, on pourrait faire quelque chose de super lourd. Je reste ouvert.

Dyfrey, nouvel album et nouveau combat

A : Dyfrey est ton cinquième album solo ce qui témoigne d’une réelle longévité. Comment est-ce que tu abordes ce projet ?

O : Certains pourraient se dire que, au vu de ma carrière, c’est un album que je pourrais faire les doigts dans le nez… Mais, en fait, j’ai tout à prouver. Toutes mes facettes, toutes mes capacités, le fait que je sache encore kicker, que j’ai encore une plume, que j’ai encore des idées de thèmes originaux, que j’ai un univers à part… Voilà comment je vois ce disque, comme un nouveau combat. Mais sûrement pas comme le vétéran qui dit « respectez-moi et regardez tout ce que j’ai déjà fait« . Non, c’est comme si je n’avais rien fait et que je devais reconquérir le terrain. Je dois prouver aux gens que je suis plus chaud que les rappeurs de vingt ans. C’est pour ça que je suis là, que je suis ouvert à toute collaboration et ça me permet de rester dans le coup.

A : Sur un morceau sorti l’an dernier, tu disais « Viens on fait comme Youssoupha » et il est invité sur Dyfrey. Sa réussite est un exemple ?

O : Oui ! Je pense que c’est une réussite qu’il n’imaginait même pas dans ses rêves les plus fous. Il y a cru jusqu’au bout et, comme on se connait bien et qu’on se côtoie, je l’ai vu aussi quand il était dans le trou, que tout le monde lui tournait le dos, que personne ne croyait en lui… Aujourd’hui, ces mêmes personnes laissent des appels en absence sur son téléphone [Sourire]. C’est un exemple et un signe d’espoir.

A : Il y a aussi un morceau avec Nekfeu. Quel regard tu as sur cette nouvelle génération de rappeurs dont on parle beaucoup ?

O : Je me reconnais en eux et je pense que, si ça avait été l’inverse, j’aurais été pareil. Je citerais aussi ouvertement mes références comme eux. Je me reconnais en 1995, moi aussi j’étais un kiffeur et c’était fou de côtoyer les Sages Po’ ou la Cliqua quand je suis rentré dans le game. C’est à la fois par respect et par kif que j’invite un Nekfeu. Je ne pouvais pas tous les inviter mais on va dire qu’il en est le représentant en chef.

A : Tu écoutes du rap français ?

O : J’écoute tout ! Pas uniquement par kif, parfois je le fais aussi pour m’informer. Des fois, j’ai vraiment besoin de prendre des gifles. « Ah il sort un nouveau truc lui ? Je dois l’écouter« . Il arrive que ça me booste, il arrive que ça me déçoive…

Honnêtement, ça arrive de moins en moins d’être giflé. J’aime beaucoup Tito Prince et je me reconnais aussi en lui. Il a le flow, la rime, le fond, la forme… l’ensemble. Quand j’écoute certaines de ses prestations, je prends de vraies gifles. Si je devais miser sur quelqu’un, ce serait lui, les yeux fermés. En même temps, je ne sais pas si le public le voit de la même manière mais, à mes yeux, c’est très très lourd. Quel autre artiste va me mettre des gifles pareilles ? Il y en a peu. J’ai aimé le dernier album de Youssoupha, à la fois en termes de plume mais également d’univers. S’il y avait d’autres noms qui me viendraient directement à l’esprit, je te le dirais mais ça m’arrive de moins en moins d’être impressionné. Je ne sais pas si c’est parce que je vieillis, que je suis dans une autre sphère et que la nouvelle ère a ses codes que je ne comprends pas… Je ne sais pas. En tout cas, j’écoute toujours autant de rap.

A : Ni vétéran, ni rookie, comment est-ce que tu te situes dans le paysage du rap français ?

O : Mon statut dans le rap français est très aléatoire. Je vais arriver dans certains endroits où personne ne va me connaître et, cent mètres plus loin, on va m’aduler de fou ! [Rire] Parfois, je réfléchis et je cherche un artiste français dans la même situation que moi… Et je n’en trouve pas. Peut-être que c’est dû aux extrais d’albums qui sont envoyés pour la promo. La plupart des gens vont me connaître par rapport à ça alors qu’il y a un univers beaucoup plus large à l’intérieur du disque mais, pour s’en rendre compte, il faut aller l’écouter ! C’est compliqué parce que t’envoies ton morceau patate pour capter l’attention mais ça ne reflète pas toujours ton disque. Est-ce qu’un morceau comme « Frédéric » aurait le même succès aujourd’hui ? Je pense que Dyfrey ressemble à mes deux premiers albums et j’espère que les gens feront l’effort de réellement se plonger dedans.

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