DJ Screw entre à l’université de Houston
Patrimoine

DJ Screw entre à l’université de Houston

A Houston, le rap fait son entrée au patrimoine : un segment des bibliothèques de l’Université va être dédié au rap local et son héros DJ Screw, pionnier du style Chopped and Screwed. Interview avec Julie Grob, coordinatrice de l’événement.

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Abcdr Du Son : Comment est né ce projet d’exposition autour de DJ Screw ?

Julie Grob : Depuis un an, nous archivons des documents sur le hip-hop dans les bibliothèques de l’Université de Houston. Comme vous le savez, de nombreux rappeurs et DJ’s viennent d’ici, nous avons notre propre culture. Mon département, les Collections Spéciales, a pour vocation de collecter des documents sur les arts locaux : des papiers d’architectes, des manuscrits d’écrivains, des captations pour les arts du spectacle… Je me suis dit que nous devions aussi couvrir le hip-hop, même si c’est un sujet qu’on n’associe pas forcément à une bibliothèque académique. Je me suis d’abord concentré sur DJ Screw vu l’étendue de son influence, non seulement à Houston, mais partout dans le monde via le style qu’il a inventé, le chopped and screwed. L’exposition à venir va nous donner l’opportunité de partager l’histoire de DJ Screw et celle du hip-hop à Houston, ainsi que des objets que l’on a réuni. L’expo se déroulera du 19 mars au 21 septembre 2012.

Julie Grob et Z-Ro annonçant l’exposition dédiée à DJ Screw à l’Université de Houston

A : Cette exposition fait partie de la Houston Hip-Hop Collection. De quoi s’agit-il ?

J: La plupart des objets de l’exposition sont issus de cette collection. Ça inclut du son, de la vidéo, des photographies, des posters, des objets promotionnels et même des textes manuscrits. Il y a aussi une autre collection, DJ Screw Sound Recording, avec des vinyles qui lui ont appartenu. Quand cette collection sera accessible au public, les gens qui voudront en faire usage pourront venir les consulter dans notre salle de lecture ou écouter nos archives sonores.

A : Quelle est l’étendue de l’héritage de DJ Screw à Houston ?

J : Énorme. Il est vraiment considéré comme une légende ici. Dans les concerts ou les car shows, on voit systématiquement des gens qui portent des T-shirts DJ Screw. Les gros artistes hip-hop à Houston mentionnent souvent son nom dans leurs morceaux, et évidemment l’influence de son style de production se fait toujours entendre.

A : Plus globalement, qu’est-ce que le rap local à Houston dit sur la ville de Houston elle-même ?

J : Houston est une ville multiculturelle, mais c’est aussi une ville de ségrégation. Pas à cause de la loi, mais à cause de la répartition des gens. Il faut imaginer Houston comme une grande pizza : il y a une large part de la ville, au nord-est, qui abrite principalement des Afro-Américains. Il y a une autre part de la ville, dans le sud-est, qui est aussi à dominante afro-américaine. DJ Screw et la Screwed Up Click venaient du Southside, et ils ont crée une identité pour cette partie de la ville. Des artistes comme Slim Thug et Paul Wall, quant à eux, ont trouvé leur motivation  dans leur désir de représenter le Nord. Ces divisions sont basées sur une séparation entre les quartiers noirs qui est évidente quand on regarde une carte de la ville. Un autre aspect intéressant de Houston, c’est qu’avec l’accroissement de notre population latino, on trouve des rappeurs locaux avec une grosse base de fans hispaniques. C’est le cas d’artistes comme Chingo Bling ou Lucky Luciano.

« Gray Tape » (1999)

A : Ça a été compliqué de convaincre l’Université pour qu’elle soutienne ce projet ? 

J : Non, pas du tout. Le caractère particulier de l’Université de Houston complète vraiment ce projet. Nous sommes la deuxième Université de recherche aux États-Unis en termes de diversité ethnique. Environ trois quart de nos étudiants sont originaires de Houston ou ses alentours. Le campus est situé à côté du Third Ward, qui est un quartier noir historique de la ville. Des rappeurs de la Screwed Up Click en sont originaires, notamment Big Moe et Big Pokey. Quand j’ai proposé le projet, les gens du campus ont vu immédiatement son potentiel pour réunir à la fois nos étudiants et nos voisins de la communauté. Dès le départ, le staff et l’administration à la fac ont été très enthousiastes.

A : Et les rappeurs ? Ils ont joué le jeu ? 

J : Ils ont été géniaux. Les gens qui ont été proches de DJ Screw savent qu’ils ont fait partie d’un mouvement culturel important, et ils savent que c’est un patrimoine à préserver pour le futur. Ils sont tellement attachés à DJ Screw qu’ils soutiennent à 100% toute initiative qui pourrait honorer sa mémoire, et celle de leurs autres amis disparus : Fat Pat, HAWK, Big Moe, Big Steve et BG Gator. J’ai vraiment apprécié de travailler avec les rappeurs, les DJ’s, et les proches de DJ Screw pour ce projet.

A : Qui ont été les principaux donateurs ?

J : Les deux principaux sont Robert Davis Sr, le père de DJ Screw, et Meshah Hawkins, la femme de HAWK. A l’heure actuelle, je suis encore entrain de collecter des objets pour l’expo.

A : Combien de disques avez-vous réuni ?

J : La collection DJ Screw Sound Recordings représente environ 1500 disques. La grande majorité d’entre eux sont des disques de rap. Comme Screw était DJ, ce sont principalement des maxi singles. Sa collection couvrait des styles de rap très différents, avec un accent sur les artistes de Houston, du Sud et de la côte ouest. Mais on y trouve aussi beaucoup d’artistes de la côte est ainsi que des groupes pionniers comme Sugarhill Gang. DJ Screw était ouvert à des genres très différents, il y a beaucoup de R&B dans sa collection, et j’ai été étonnée d’y trouver un exemplaire de l’album Coda de Led Zeppelin.

Liste de morceaux destinés à une cassette réalisée pour « Steve » (1999 ?)

A : Il y a une pièce de cette collection à laquelle vous êtes particulièrement attachée ?

J : L’un des objets qui me tient à coeur, c’est un carnet manuscrit avec des textes de HAWK, de la Screwed Up Click. Dans ce carnet, on peut voir HAWK expérimenter avec des couplets et essayer différents schémas de rimes. Comme les universitaires commencent à étudier le processus créatif derrière le rap, ce carnet sera une grande ressource. C’est aussi un support sur lequel HAWK avait griffonné d’autres choses, notamment des numéros de téléphone d’amis, et ça donne une image de sa vie quotidienne. C’est aussi un document triste car HAWK, qui était un homme très apprécié, a été assassiné en 2006.

A : Le magasin de DJ Screw, The Screwed Up Records & Tapes, risque d’être fermé sous peu. Quel effet ça vous fait ?

J : C’est triste de voir l’adresse originale disparaître. Il y a une atmosphère particulière, DJ Screw lui-même l’avait ouvert, et on a pu voir le magasin dans un tas de clips. Mais on dit que la boutique pourrait rouvrir ses portes dans un autre endroit.

A : DJ Screw est aussi connu pour sa consommation excessive de sirop de codéine, ce qui a provoqué sa mort. Savez-vous quelle a été l’impact de cette boisson sur la communauté ?

J : Vu de l’extérieur, je ne suis pas en mesure de parler en connaissance de cause sur les effets de la purple drank sur la communauté locale. Je crois qu’elle est encore très largement consommée à Houston. Ceci dit, l’une des choses que j’ai constaté, c’est qu’il y a actuellement beaucoup de boissons disponibles dans le commerce qui essaient d’imiter la drank. Elles ont des noms comme Drank, Purple Stuff, Lean ou Sippin Syrup, et elles contiennent des ingrédients à base d’herbe, comme la mélatonine, qui ont des effets relaxants. Le problème, c’est que ces boissons sont disponibles pour tout un chacun, et elles banalisent l’usage de la drank aux yeux des enfants.

A : Le rap de Houston semble très autonome, presque isolé du reste du monde, et ce malgré son explosion en 2005. Comment l’expliquez-vous ?

J : Je l’ai remarqué également. La scène rap à Houston me rappelle la culture traditionnelle de la musique à la Nouvelle Orléans, dans le sens où elle fait constamment référence à elle-même. Je ne peux que spéculer sur les raisons pour lesquelles c’est ainsi, mais Houston a aussi une tradition d’artistes qui ont pu réussir sans avoir à se coucher devant des labels extérieurs, notamment grâce à Rap-A-Lot Records et la puissance promotionnelle des cassettes de Screw. Malgré tout, on observe beaucoup d’interactions entre des artistes locaux et l’extérieur, comme les morceaux récents de Trae Tha Truth avec Wiz Khalifa, ou Bun B avec Drake.

Funérailles de DJ Screw (novembre 2000)

A : DJ Screw est mort sans voir l’impact qu’aura eu le style « chopped and screwed ». Sa famille a-t-elle pu profiter malgré tout de son héritage ?

J : Même si DJ Screw n’a pas pu voir l’impact national qu’a eu le style qu’il avait inventé, il a eu énormément de succès au cours de sa vie à Houston, qui est la quatrième plus grande ville des Etats-Unis. Via Napster et le bouche à oreille dans le milieu hip-hop, il est devenu célèbre dans d’autres coins du pays. Il a aussi sorti une poignée d’albums populaires et il a ouvert son propre magasin. Dix ans après sa mort, sa famille en est toujours propriétaire et gérante.

A : Et vous-même, quelle est votre histoire avec le rap de Houston ?

J : Avant ce projet, je n’y connaissais presque rien. Je venais plutôt du rock underground. Je savais que DJ Screw était une figure marquante à Houston, aussi bien culturellement que musicalement, et je me suis dit que ça devait être documenté. Avec mes connaissances limitées, je savais que je devais avoir une approche collaborative pour que le projet réussisse. Je devais contacter les artistes pour qu’ils me guident. En chemin, je suis devenue une vraie fan !

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