Meel B, singulière plurielle
Interview

Meel B, singulière plurielle

Productrice révélée en 2020 et pierre angulaire de sa génération, Meel B dévoilait mi-février son nouvel EP UFONY. Retour avec elle sur son début de parcours et sa recherche constante de singularité.

et Photographies de Meel B par Brice Cassagn pour l’Abcdr du Son.
Photographie de Brodinski par Camille Gorin.
Photographie de Kay The Prodigy par Shaun’s Eyes.

Depuis son premier placement, en 2019 sur Le tournesol de Khali jusqu’à ses dernières envolées auprès de TIF ou La Fève, Meel B n’a cessé d’attiser la curiosité chez ses auditeurs et auditrices. Cultivant le mystère autour de son identité, sa trajectoire, et son âge, la productrice rouennaise refuse d’imiter qui que ce soit et quoi que ce soit, fuyant autant que possible les compromis dans tout ce qu’elle compose. 

D’un parcours atypique, démarré très rapidement via une première collaboration avec Khali sur Instagram, Meel B tire donc une philosophie : faire ce qu’elle veut, quand elle veut, comme elle veut. L’Abcdr du Son la rencontre pour la sortie de UFONY, son nouvel EP : un nouveau « délire », teinté de la patte qu’elle a progressivement trouvée entre trap, techno ou encore  musique arabe, qu’elle a pris le temps de longuement nous raconter. Sans non plus tout dire : pour continuer à préserver une part de mystère, et – aussi – rester fidèle à son instinct. 


I. Du rock au rap

Abcdr du Son : Parlons de ton parcours d’auditrice dans un premier temps. Dans quel.s genre.s tu as baigné étant plus jeune ?

Meel B : C’était beaucoup de rock : Guns N’ Roses, Arctic Monkeys… J’écoutais aussi beaucoup de musiques kabyles, c’était dans la voiture, dans les mariages. Je suis d’origine Algérienne, donc dans les mariages, il y avait beaucoup de musique kabyle, de raï et c’est resté ancré en moi je pense. Mais ce que j’écoutais de mon plein gré, c’était du rock. J’écoutais The Kooks, tous les groupes un peu autour des Arctic Monkeys. Et Tracy Chapman, Bob Marley aussi, des choses comme ça. Je n’écoutais pas de rap en tout cas. 

A : Quand est-ce que tu as commencé à t’y intéresser ?

M : Ça a commencé via MTV que je regardais beaucoup quand j’étais petite. Je regardais Britney Spears avec « Toxic », OutKast, Usher, toute cette époque. J’écoutais ça et du rock, c’était un peu un mélange des deux. Dans mon MP3, j’écoutais du rock et à la télé, j’écoutais Usher. Après, je crois que c’est en 6ème que je suis tombée sur « Beat It » de Sean Kingston. Et tout ce qui gravitait autour : les Chris Brown, Trey Songz… J’écoutais beaucoup de R&B. Et Booba aussi, avec l’album Lunatic. Une fois que j’ai commencé à écouter du rap et du R&B, j’ai alors écouté du rap US, Young Thug par exemple.

A : C’était à quelle période de ta vie ?

M : Tout le collège et le lycée. Mais je pense que la période qui m’a le plus marquée musicalement parlant, c’est 2014-2015-2016. Avec Rick Ross, Young Thug, Future, toute cette scène d’Atlanta.

A : Comment tu les découvres ?

M : Franchement, YouTube. J’étais beaucoup dessus et je regardais des clips. J’écoutais PartyNextDoor, French Montana, Lil Durk, et la scène de Toronto beaucoup aussi. Il y a un artiste qui m’a marquée, c’est Nav quand il est arrivé sur SoundCloud – je crois en 2015 ou 2016. Les premiers sons qu’il a sortis, qu’il avait produits, m’avaient choquée. Je n’avais jamais entendu ça. Nav, ça doit être un des artistes qui m’a le plus mis une claque musicalement parlant avec Eli Sostre.

A : Est-ce que tes parents ou des frères, des sœurs, ont eu une influence dans ton attrait pour cette la musique ?

M : Non. Mes parents écoutent de la musique mais ce n’est pas la story où ils sont musiciens et où je suis née dans la musique. C’est plus mes cousins qui écoutaient beaucoup de musique. Ils écoutaient Pink Floyd, des trucs qui n’avaient rien à voir. Mes potes n’étaient pas trop dans la musique, c’était vraiment moi la diggeuse. Par contre mon cousin m’a appris à jouer de la guitare. J’ai ensuite diggué sur YouTube, à essayer de reproduire des trucs. 

A : Pourquoi la guitare plutôt qu’un autre instrument ?

M : Honnêtement, je ne sais pas du tout.

A : Parce que tu étais fan des Arctic Monkeys ?

M : Oui [rires]. J’étais en mode rockstar. Après, je peux jouer de la basse par exemple, parce que c’est un instrument à corde. Le piano, je tâtonne. Mais je ne dirais pas que je sais en jouer. 

A : Pourquoi tu passes de l’autre côté, comment tu commences la musique ?

M : C’était fin 2019. Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais je voulais faire des sons. J’en ai fait, je me suis dit que ce n’était pas mal et j’ai cherché des typebeats sur YouTube. Les typebeats ne me parlaient pas du tout et j’ai décidé de faire moi-même mes prods. Une amie à moi en faisait et m’a dit d’installer Fruity Loops. Et au final, j’ai kiffé. Je sentais qu’interpréter, ce n’était pas fait pour moi. Je n’étais pas à l’aise. Je chantais en anglais, mais je n’avais rien à dire en vrai [rires]. J’ai arrêté, j’ai fait mes petites prods, tranquille. Un jour, j’ai mis une prod dans ma story. Et Khali me suivait déjà à l’époque parce je publiais des petits extraits ce ce que je faisais. J’avais mis celle de “Sans peur” en story, et il m’a envoyé un message en me disant « envoie-moi ». Il a fait le son le soir, et après c’était parti.

A : Ça faisait combien de temps que tu faisais de la musique ?

M : Franchement, ça faisait un ou deux mois.

A : Ah oui ! Donc tu t’es vraiment mise la tête dans Fruity Loops ?

M : Je kiffais. J’étais en mode try hard, comme un jeu. Au début, ma pote m’a aidée un peu sur les bases. Ensuite, je suis partie voir des tutos. Les mélodies, c’était assez simple pour moi, c’était plus les drums et le mix que je ne connaissais pas trop. Au fur et à mesure du temps, je me suis améliorée, jusqu’à aujourd’hui.

A : Tu sais comment Khali t’avait trouvée sur Instagram ?

M : Je ne sais même pas ! Vraiment, le destin. Après avoir placé ma prod, j’ai fait d’autres trucs à côté. J’écoutais souvent un artiste de Toronto et j’ai décidé de le DM. Il a posé sur ma prod et j’ai fait un mini EP « hiver » avec lui et un autre mec de Toronto, 96, et ça a donné ma première sortie qui s’appelle Winter’s over?

A : À partir de « Sans peur », les gens ont commencé à te démarcher ou l’inverse ?

M : C’est plus les gens qui me démarchaient. Ensuite, j’ai fait beaucoup de sons avec La Fève. J’avais placé pour Khali, Kosei m’a suivi et m’a dit qu’il taffait avec un artiste : La Fève. Je l’ai follow, il n’était pas aussi connu que maintenant. Je lui ai dit « viens on taffe ensemble ». On a fait des sons, des sons, des sons. La Fève, j’aime trop. Musicalement parlant, on s’entend trop bien. On a fait “Bas monde”, un morceau qu’il devait donner pour la chaîne SUCCESSOR de Vinzy [Vincent Le Nen, ndlr] et il a donné celui-là. Le son a très bien marché et les gens m’ont demandé de le sortir sur les plateformes. Je l’ai sorti et à partir de là, j’ai commencé à vouloir faire de la musique en tant que productrice solo. J’ai fait des placements mais je me suis plus concentrée sur ce truc-là.

A : Est-ce que très tôt, tu as eu des beatmakers qui étaient des références pour toi ?

M : Je dirais Soriano, et aussi Nav. En fait, ce sont vraiment les sonorités de Toronto qui m’ont marquée. C’est vraiment PartyNextDoor en fait. Et Eli Sostre. Ce n’est pas un mec de Toronto mais dans le genre un peu dark, c’est vraiment quelqu’un qui m’a beaucoup inspirée. Il avait ce truc avant-gardiste quand il arrivait avec un projet. En 2017 par exemple, il arrive avec Sleep Is for the Weak et pour moi c’était du jamais vu musicalement parlant. Ensuite, j’aurais dit Ponko, Hamza. Les prods m’ont vraiment choquée dans Zombie Life. C’était vraiment avant-gardiste.

A : En 2021, tu sors un EP avec Khali, Zinée, La Fève. Dessus, tu as un son un peu funk avec La Fève, l’outro et les deux autres sons ont les sonorités un peu orientales dont tu parlais tout à l’heure. Tu te cherchais ?

M : Je me cherchais de fou. En tout cas, ce n’est plus ce que je propose maintenant. Maintenant, je commence vraiment à trouver mon délire. Mais c’est bien parce que ça fait partie du processus, donc c’est cool aussi de laisser des traces.

A : Sur S&S, je trouve qu’il y a presque une couleur de musiques arabes.

M : Ah ouais ? Peut-être dans les mélodies, mais ce n’est pas l’intention. L’outro par contre, c’était le but, il y a des sonorités orientales. Je pense que c’est dans le sang, c’est comme avec des mecs comme TIF et Khali qui ont fait des sons un peu orientalisés. Je ne dis pas qu’on est obligé de faire ça, mais ce sont des sons qui nous parlent.

« À chaque projet, j’ai un délire et ce ne sera jamais la même chose. C’est mieux que l’artiste kiffe ton délire et que tu feates avec plutôt que de s’adapter à lui.  »

A : Un peu plus tard, tu sors un EP totalement différent avec Irko. Un EP avec une couleur, une vision. Comment se fait cette connexion ?

M : J’avais écouté son projet, Ghillie in the Mist, et beaucoup aimé l’ambiance sombre. C’est pour ça que je te parlais de Toronto, du rock, c’est vraiment mon délire le côté sombre. J’ai demandé à Sely – son manager à l’époque – s’il était dispo et on a calé une session. Je les ai rencontrés le jour même. J’ai dit à Irko « j’aime trop ce que tu fais, viens on fait un projet commun ». Il était chaud direct. Ça m’est venu comme ça. On est partis dans son studio et en une semaine, on a fait le projet. J’ai fait des prods, il a kiffé, ça lui a parlé aussi et du coup, on a fait ça comme ça. J’étais dans ma période synthés à ce moment-là. À chaque projet, j’ai un délire et ce ne sera jamais la même chose. C’est mieux que l’artiste kiffe ton délire et que tu feates avec lui plutôt que de s’adapter à un artiste. Je préfère qu’on se capte musicalement et qu’on fasse un truc bien.

A : Est-ce que l’EP avec Irko a été ta première “grosse” sortie après le morceau avec Khali ? J’ai l’impression qu’on a beaucoup commencé à parler de toi avec cet EP.

M : Oui, je pense que les gens n’avaient jamais entendu ça. Ça a interpellé leur oreille, c’était différent et c’est pour ça que ça a fait parler. Même Irko, la manière dont il pose, ses glitchs, son mix de voix… c’était inédit, personne ne faisait ça, à part Khali qui avait déjà fait des glitchs de voix. Mais l’intention qu’Irko mettait n’était pas la même, la manière dont il chuchotait dans les sons, c’était super original.

A : Très tôt aussi, tu as envie de faire des EPs solo. Pourquoi ?

M : Ce n’était même pas calculé. C’était à l’instinct. Je fais S&S, c’est cool, et à partir de là je fais un projet commun et ça commence à se préciser. Ceux qui ont ouvert la voie en France là dessus, c’est Ikaz Boi et Myth Syzer. C’est cool qu’ils aient eu cette démarche. Ils ont ouvert une brèche pour nous, pour ceux qui arrivaient après.

A : Tu mets ta musique en avant très rapidement, mais par contre tu montres le moins possible ton visage dès le début. Pourquoi ?

M : Parce qu’il faut se préserver [sourire]. Je ne ne sais pas, en vrai. Déjà de base, moi en tant que personne, en dehors de la musique, je ne me prends pas trop en photo. Et c’est pareil dans la musique, je ne me montre pas tout le temps, ni ce que je fais. Après, ça ne me dérange pas de me faire prendre en photo. Je préfère qu’on écoute ma musique que moi. Mais je pense qu’à l’avenir, on va un peu plus me voir. Parce que j’ai envie de m’affirmer. Déjà, les gens croient encore que je suis un mec [sourire]. Pourtant je mets des photos. Mais ça me dit encore que je suis un mec !

A : Tu parlais d’Ikaz Boy et Myth Syzer : tous les deux ont commencé à sortir de la musique en solo sur le label de quelqu’un que tu as déjà croisé plusieurs fois, Brodinski. Il me semble que vous vous êtes rencontrés.

M : On s’est rencontré il n’y a pas longtemps. Quelques mois. Et c’est grâce à lui que j’ai pu faire mon feat avec Nutso Thugn. C’est vraiment quelqu’un de cool. Il n’est pas aigri, alors qu’il pourrait dire « j’ai connu une certaine époque et ceux qui arrivent n’ont pas les codes ». Lui continue à digger des nouveaux artistes, à s’intéresser et à comprendre les sonorités des nouveaux artistes. Ce n’est pas tout le monde qui a connu une époque et qui arrive à repartir sur un autre délire. Il a beaucoup été dans l’électro, et j’aime vraiment comment il a réussi à créer son délire, son nom, son identité en tant qu’artiste et en tant que français. Comment il a réussi à collaborer avec des Américains, c’est super inspirant.

A : Il a aussi ce truc de « pas de compromis ». Il produit pour Kanye West sur Yeezus, pourrait collaborer avec des stars américaines, et au final part ensuite plutôt travailler avec des tout petits d’Atlanta.

M : Oui ! On en revient au fait que la musique, ce ne sont pas des calculs. C’est de l’instinct : tu aimes un truc, tu le fais. Tu ne fais pas ça pour les chiffres. Bien sûr, on est dans une industrie, et à un moment donné, il faut faire des chiffres si tu veux manger. Mais moi, je ne le vois pas comme ça.

II. Au coeur d’UFONY 

A : Tu viens de dévoiler ton nouvel EP, UFONY. Pourquoi l’avoir appelé comme ça ?

M : Euphonie ça veut dire “harmonie”. Et j’ai voulu faire un mélange entre UFO [OVNI en anglais, ndlr] et « euphonie ». Ce qui donne UFONY.

A : Tu te considères comme un OVNI dans ce que tu fais ?

M : En vrai, je ne suis pas là à dire « je suis un OVNI » [rires]. Mais je pense que c’est un peu le cas. Je n’essaie même pas d’être singulière, je suis juste comme ça. Certains essayent d’être différents dans leur musique, mais ça sonne forcé. Je pense qu’il faut juste essayer de faire les choses à sa sauce. 

A : Tu as fait UFONY à l’instinct ? Il y a quand même une couleur globale sur l’EP.

M : Oui, parce que j’ai choisi les morceaux en fonction. Sur cet EP, j’étais dans ce son-là, et ça s’est matérialisé. Je n’ai pas eu à faire beaucoup de choix. Je pense qu’il ne faut pas toujours réfléchir sa musique, se dire « la rythmique c’est ça ». J’ai du mal avec le fait de dire « ah oui ça c’est du… » et je n’aime pas qu’on m’étiquette en disant : « Elle fait ça ». Ma musique reste hybride et il y a des sonorités trap comme il y a des sonorités d’autres genres. À la fin, ça reste moi. Tu peux reconnaître mes prods aujourd’hui.

A : Tu as aussi l’air d’avoir fait attention à l’aspect visuel de cet EP, notamment la pochette.

M : C’est une vraie pièce qu’on a conçue ! [Elle montre des photos sur son téléphone]. J’ai quelqu’un avec qui je travaille à l’image et à la DA de mon label, Nelson, et je lui ai dit que je voulais un logo pour UFONY. À la base ça devait être du métal, au final ça a été de l’argile. Et je leur ai dit de rajouter des paillettes dessus, et ça a donné ça. Ce n’est absolument pas une illustration sur Photoshop ! On voulait matérialiser le truc. Dès le départ je voulais quelque chose de réel, pas une cover Photoshop. 

A : Pourquoi quelque chose de réel ?

M : Parce que justement je trouve que ma musique a ce côté un peu métallique. Et je me suis dit que ça correspondait bien avec ce côté brut. Et j’en avais un peu marre des covers sur Photoshop. J’aime bien les pochettes un peu photos, réelles. Je ne dis pas que je vais faire que ça, mais j’aime bien l’intention. Ce sont des vrais trucs.

A : Il y a quelqu’un avec qui tu travailles particulièrement ces derniers temps et qui est sur cet EP, c’est Kay The Prodigy. Comment vous êtes-vous rencontrées ?

M : On a fait une session ensemble avant même qu’elle sorte son premier EP Eastern Wind. Elle avait sorti seulement deux sons et je me suis dit qu’elle avait un potentiel. Et après, on s’est vraiment bien entendues humainement parlant et c’est pour ça qu’on fait de la musique ensemble. 

A : Sur l’EP, elle fait quelque chose qui n’est pas du tout rap par rapport ce qu’elle fait d’habitude. 

M : Oui, c’est moi qui l’ai poussée, je lui ai dit « Je te verrais trop sur cette prod ». J’avais une prod un peu comme ça et je voulais avoir une fille qui chante dessus. Et pour moi il n’y avait qu’elle. Elle a tué ça, j’aime trop sa perf’. Elle est encore dans un délire très rap, mais je pense qu’elle va s’ouvrir et se mettre à chanter. Ca lui va vraiment bien en tout cas. De toute façon j’aime trop les mélodies. C’est vraiment quelque chose qui me parle. 

A : Selon toi, qu’est-ce que tu as fait de nouveau sur UFONY ?

M : Je pense c’est vraiment le genre. Pour moi c’est vraiment quelque chose d’unique. Dans la proposition, c’est la musique la plus unique que j’ai sortie pour l’instant. J’ai un peu plus affirmé ça, et au fur et à mesure de mes projets, ça va plus se préciser. Mais là je commence vraiment à créer mon genre, créer mon délire. Créer vraiment le son Meel B.

A : Depuis cet EP ?

M : Depuis Dirty Synths & Nice Bars. C’est à partir de là que j’ai commencé à avoir une autre gamberge dans les prods. Après je commence à chercher à faire de la vraie musique, avec des vrais synthés, enregistrer des vraies guitares. Récemment j’ai fait un séminaire en Belgique, et j’ai mis de la vraie guitare sur des prods que j’ai faites. Avec de la distortion notamment, c’était vraiment cool.

A : Faire tes propres mélodies, c’est quelque chose qui t’intéresserait ?

M : Oui avec des vrais synthés. Parce que la texture n’est pas pareille. Elle est plus organique. D’ailleurs, sur UFONY, je trouve qu’il y a quelque chose de plus organique dans mon son. Il y a moins ce côté digital que sur Dirty Synths and Nice Bars

III. Le son Meel B

A : Aujourd’hui, des artistes très différents font appel à toi comme TIF, Beendo Z, Old Pee, La Fève… . Comment est-ce que tu choisis avec qui tu travailles ?

M : On me propose et je vois si j’aime ou pas. J’aimerais bien aussi placer pour des artistes comme Ojerime, c’est une anglaise qui fait du R&B. Ma musique, je ne la considère pas comme du rap. Même mes prods. Ce que j’aspire à faire, c’est vraiment créer un autre genre. Qu’on ne puisse pas se dire « Meel, elle fait de l’electro ». Je n’ai pas envie de nommer mon genre, je me verrais plus comme un Kaytranada, qui a plein d’influences et qui crée son truc. Il y a de la house du hip-hop… Moi ça découle d’autres genre. Et c’est tout au feeling. J’essaie de m’inspirer de rien et de créer quelque chose de différent. Après c’est utopique de dire qu’on ne s’inspire de rien. On a tout des influences en nous. Mais je pense qu’avec mes influences, j’arrive à créer un truc unique. 

A : C’est dur de trouver son propre son ?

M : Je pense que c’est en toi. C’est toi qui travaille pour ça. Mais si tu te mets trop de barrière en te disant « Je veux faire comme tel » ça va te perdre. Il faut vraiment suivre ce que tu as envie de faire toi. Et même si ça donne un quelque chose de bizarre, c’est toi. Personne ne pourra faire comme toi.

A : Dans ta musique, il y a énormément de synthétiseurs. J’ai l’impression que tu aimes bien en mettre, comme si tu mettais l’auditeur dans l’espace.

M : Oui, en mode cloud [sourire]. On en revient à Toronto, tu as beaucoup ça chez eux. Quand tu écoutes les sons d’OVO c’est beaucoup de pads, c’est très aérien, c’est vraiment quelque chose qui me parle. Je ne fais pas que ça, mais le côté aérien, avec de la réverbération, c’est un élément de ma musique.

A : Il y a aussi quelque chose d’un peu apocalyptique dans ce que tu fais au niveau des sonorités 

M : Sombre, en vrai, c’est vraiment le terme [sourire]. Mais ce n’est pas voulu, c’est instinctif encore une fois. Je m’exprime dans ma musique comme ça. Et pour le côté apocalyptique, j’aime trop écouter de la musique… pas hardcore, mais qui tabasse. Mais j’aime bien aussi le R&B, ça dépend de mon mood. Mais généralement, j’aime vraiment les trucs qui tabassent. 

« Je ne vais pas me brider ou lisser ce que je fais pour plaire à la masse. Si je fais de la musique à la base ce n’est même pas pour plaire. C’est juste pour moi. »

A : D’ailleurs, tu écoutes beaucoup de genres musicaux ?

M : Oui. J’écoute énormément de rap mais je commence de plus en plus à m’ouvrir à l’electro. Shygirl, Sega Bodega… Le reggaeton aussi. Et Arca. Je réécoute ses projets, c’est fou. En plus elle sort souvent des projets 100% instrumentaux. Il y a 15 prods, c’est hyper expérimental. 

A : Faut s’accrocher.

M : Oui, faut s’accrocher [rires]. Mais pour moi cette scène, les gens qui poussent grave leur délire et qui ne se lissent pas, ne se brident pas et continuent à faire leur truc, c’est ça que j’admire le plus.

A : Tu parles souvent de créer ton son mais tu parles aussi souvent d’un autre genre, la trap. C’est vraiment un sous-genre qui t’as marqué ?

M : Complètement. J’ai fait de la trap pendant longtemps et ça m’a peu lassé à un moment, je me suis dit « Je ne vais pas faire de la trap toute ma vie, il faut que je créé un nouveau truc ». Et j’ai galéré, j’ai fait des prods, des prods, des prods… Au début ça ne sonnait pas comme je voulais, et là ça commence à être le cas. Notamment dans le fait de créer des nouvelles rythmiques, créer vraiment un autre genre. Mais il y a quand même des influences trap, c’est en moi, je ne peux pas changer ça. Je n’ai pas envie de partir dans l’electro totalement. Dans les éléments, dans l’essence de ce que je fais, je veux que ça reste trap. Les 808, c’est quelque chose de tellement important dans la trap que j’aime garder ce côté hard.

A : Il y a quelque chose que tu fais et ce n’est pas tout le temps le cas chez les producteurs c’est des DJ sets. Qu’est-ce qui a fait que tu as envie d’aller passer des morceaux sur scène ?

M : En vrai, je ne sais même pas. J’ai commencé à en faire il y a un an / un an et demi et pour moi c’est une corde en plus à mon arc. Je vais par exemple mixer à une soirée pour Crystallmess  et ce sera plutôt  dance, riddim, reggaeton, des choses dansantes. Parfois je fais des sets plus rap. Ca dépend vraiment des soirées, je m’adapte. Si je fais un DJ set à Londres, il y aura peut être plus de drum’n’bass, des choses rock. Et à l’avenir j’aimerais bien faire des DJ Sets uniquement avec des morceaux où j’ai fait les prods. 

A : Tu penses que le fait de passer ta musique en soirée a une influence sur ce que tu composes ?

M : Oui je pense. Ca me fait prendre conscience du côté dansant de la musique. Tu n’es pas toute seule avec tes écouteurs à écouter tes morceaux, en gros. Peut être que dans les prochains mois ou les prochaines années je vais sortir des sons clubs, c’est important d’avoir aussi des morceaux dansants. Mais ce ne sera pas calculé.

A : Justement, qu’est-ce que tu as envie de faire maintenant, que tu n’as pas encore fait ?

M : Sortir un projet entièrement instrumental je pense. C’est vraiment ce que je n’ai pas fait pour l’instant, et ça me fait envie. Et ça ne s’est pas encore fait vraiment en France, les gens qui assument ce côté entièrement instrumental, tout en faisant en sorte que ça s’écoute facilement. Par exemple là j’écoutais un artiste comme Burial, il ne sort que des minis EPs entièrement instrumentaux, et je trouve ça hyper intéressant. Si c’est bien fait. Il faut que la prod parle, qu’il n’y ait pas besoin d’une voix. Ce n’est pas un truc que j’ai encore exploré et j’aimerais bien le faire, avec une structure de morceau précise, où il se passe des choses… 

A : Tout à l’heure, tu parlais d’Arca et du fait qu’elle ne se lisse pas dans ce qu’elle fait. Quand tu sors un morceau ou un projet, est-ce qu’il y a une part de toi qui appréhende les retours ?

M : Pas trop. Dans ma tête je ne pense pas au public. Je me dis juste que je fais de la musique. Si je commence à me prendre la tête en me disant « Ah j’ai un public » ce n’est pas bon. Je préfère faire comme si personne ne me connaissait en faisant ma musique de la manière la plus pure possible. 

A : Tu regardes quand même un peu ce que dit le public ?

M : Oui bien sur, les gens t’envoient des messages en te faisant des retours. Je regarde. Mais ça ne va pas m’affecter plus que ça, que ce soit positif ou négatif. Dans tous les cas, tant que moi j’aime, l’avis des autres, ça ne compte pas vraiment. Enfin, ça ne va pas m’influencer dans ce que je vais faire.  

A : Tu penses avoir envie de rester underground ?

M : Je ne sais pas. C’est la musique qui va parler pour moi. En vrai je pense que j’ai envie de rester dans mon délire jusqu’au bout. Je ne vais pas me brider ou lisser ce que je fais pour plaire à la masse. Si je fais de la musique à la base ce n’est même pas pour plaire, c’est juste pour moi. Si moi j’aime, je partage. Mais je ne fais pas pour les gens. Je fais d’abord pour moi, et si les gens aiment, c’est encore mieux. 

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