Le mouvement perpétuel de Lee Boma
Interview

Le mouvement perpétuel de Lee Boma

Si ce n’est pas la première sortie de Lee Boma, l’EP Moleelee a des airs de nouveau départ pour le rappeur genevois qui avant de se présenter musicalement a fait des siennes dans le football, puis dans la danse. Rencontre avec un hyperactif.

Photographies : Bagdad 794

Abcdr : Ton nom de scène Lee Boma vient-il du nom du peuple Boma, au Zaïre dont tu es originaire ?

Lee Boma : Non ça ne vient pas du peuple Boma. « Liboma », en un mot cela signifie la folie, ça veut dire « dingue » en lingala. Mais je suis bien originaire du Zaïre, et je suis né à en Suisse à Fribourg, en 1988.

A : Dans un premier temps de ta vie, tu as surtout évolué dans le football n’est-ce pas ?

L : Oui, j’ai commencé super tôt. Vers quatre ans je faisais déjà du foot, avant d’arrêter quelques années dans mon enfance. À l’âge de sept ou huit ans j’ai repris et j’avais vraiment un bon niveau, j’évoluais dans des bonnes équipes à Fribourg, ma première ville. En 2001, j’ai déménagé à Genève et j’ai directement été transféré au Servette FC, à un très bon niveau junior. De mes treize ans à mes vingt ans, je jouais à un niveau d’élite, toujours au Servette FC malgré beaucoup de tests à l’étranger : Bastia, Ajaccio, Auxerre…

A : Durant cette époque où tu es très investi dans le football, trouves-tu le temps de t’intéresser à la musique, d’en faire ? 

L : Non, à cette époque je n’étais pas du tout dans le son, vraiment pas. Il n’y avait que le sport ! Je ne faisais pas de musique, par contre j’en écoutais beaucoup, surtout du rap américain au début, dont le Wu-Tang. Mon gars sûr à moi c’est Redman, c’est mon rappeur préféré, celui qui m’inspire le plus ! J’écoutais donc le Wu-Tang, Def Squad, les sons de New York.

A : Tu fais ton initiation seule ?

L : Il y a toujours eu des rappeurs autour de moi, j’ai grandi entouré d’eux, ça faisait beaucoup de freestyles et tot . Des grands frères, des potes à moi, qui sont artistes, rappeurs, danseurs… Moi-même je fais du krump, donc mon initiation s’est faite comme ça, par des potes assez proches.

A : Tu fais du krump dis-tu ?

L : J’ai commencé le krump vers dix-sept ans, suite à une vidéo que j’ai vue : une intervention pendant les MTV awards qui durait à peine une minute. Les mecs sont arrivés dans le show et ont tout pété, ils ont retourné l’événement. J’ai trop kiffé, c’était en 2005. Directement après ça, j’ai commencé à pratiquer. J’ai fait ça en même temps que le football pendant quelques années, puisque j’ai arrêté le foot à bon niveau autour de la vingtaine. Si j’ai arrêté, c’est pour me consacrer au krump, j’ai vu que ça marchait mieux pour moi que le foot, alors j’ai lâché d’un coup ! Avec mon collectif Warriorz on a été les premiers en Suisse à faire ça, on a importé le krump et créé le mouvement ici. Il y avait des vidéos de nous partout, on était dans tous les événements et en tant que pionniers du krump en Suisse, on était reconnus dans toute l’Europe. À Genève on était proches des rappeurs de Marekage Streetz, on apparaissait souvent dans leurs clips. Eux c’était le côté rap, nous le côté danse de La Jonction, et on faisait souvent des événements communs.

A : Quel était alors l’état de la scène hip hop genevoise ? 

L : Franchement c’était calme. En Suisse on est grave en retard… Côté rap ça va, c’est normal et côté danse le niveau n’est pas terrible. Dans le krump il n’y avait que nous, on n’avait pas de concurrence et même aujourd’hui il n’y en a pas. Tous ceux qui ont du niveau sont dans notre fam’, qui a beaucoup grandi. Ça c’est pour le krump, mais pour la danse en général je te donne mon avis personnel : je trouve le niveau général assez moyen, voire faible. Pour ce qui est du rap, chacun essaie de s’en sortir avec ses moyens, ça se passe mais ce n’est pas facile, il n’y a pas beaucoup d’infrastructures.

A : Comment en arrives-tu au rap justement ? 

L : Je commence le rap grâce à un pote, vu que je ne traîne qu’avec des gars qui rappent c’est eux qui m’ont mis dedans. Je les voyais faire et franchement j’avais très envie de m’exprimer. Mes potes faisaient ça bien et je me suis dit que je pouvais le faire aussi. Ça a commencé comme ça, bêtement, avec mes potes autour de 2008. Au début je faisais des petits freestyles,  je participais à des open mics.

A : Qu’était le Skinny Gang, dont on retrouve le nom en faisant quelques recherches sur toi ?

L : Skinny Gang était un petit collectif familial, avec mes cousins. On était que des petits renois, issus de deux familles, que des cousins et on a décidé de faire un petit crew. Ça n’a pas duré très longtemps, un an environ, on était tous de Lausanne et Genève.

« Je ne peux pas rester sur place, il faut que je bouge mon corps.  »

A : Tu commences la musique sans ambition particulière, par pur amusement ?

L : Au tout début non, je fais ça en mode freestyle, cool. C’est avec Puff puff passe en retrait que je deviens plus sérieux, en 2014. Ce projet visait à montrer que je prenais ça beaucoup plus au sérieux, et à me présenter au public, parce que j’ai senti qu’avec la musique je pouvais faire quelque chose. Ça me tenait vraiment à cœur.

A : Tu donnes rapidement une suite à ce Puff Puff passe en retrait, avec le volume deux sur lequel on retrouve notamment Déza’Roi. Sur ton nouvel EP Moleelee on entend A’s, également issu de Marekage Streetz. Que représente ce collectif pour toi ?

L : On est grave proches, on vient du même quartier de Genève, La Jonction. C’est directement ici que je suis arrivé quand je suis venu à Genève, j’y connais tout le monde, on a grandi ensemble, c’est vraiment la famille. Quand je krumpais j’étais tout le temps dans les clips, on fait tout ensemble. Marekage Streetz c’est Warriorz et inversement. C’est la Jonction, c’est New Crack City.

A : New Crack City, dis-tu… A’s comme Mr Bil nous ont parlé des ravages de la drogue dure sur votre ville. C’est toujours aussi dramatique ?

L : Ah je pense… Si tu passes du temps dans les rues sombres, il y a des shlags partout… C’est pire qu’avant, des shlags, des dealers… Vers la gare, vers le centre, c’est le pire, ils sortent de nulle part. C’est le zbeul, chez nous c’est devenu normal un mec qui bicrave de la white : normal. [Un temps de silence] Ça empire, les métiers à la mode à Genève c’est être une pute et vendre de la coke.

A : Malgré le manque d’infrastructures que tu évoquais précédemment, on ne peut pas nier qu’il y a une certaine lumière portée sur la ville par le biais de Colors Records et des Xtrm Boyz. Qu’en penses-tu ?

L : Oui c’est vrai qu’eux et leur équipe ont eu un gros impact ! Ils ont changé le game, ils ont un bête de public. Il ne faut pas les jalouser, ils apportent de la lumière sur Genève et ils ouvrent une porte, c’est à nous de la prendre. Je suis content pour eux de les voir signer en maison de disques, et en plus les yeux se tournent vers la Suisse, vers nous après ça. C’est à nous de faire le taff.

A : Tu viens de sortir ton EP Moleelee, depuis quand étais-tu dessus ?

L : Ça doit faire environ six mois que je le prépare. J’avais des titres déjà prêts auxquels j’ai décidé d’en ajouter pour concevoir Moleelee, qui compte donc huit morceaux. C’est un tournant, avec cet EP j’ai apporté une nouvelle touche à ma musique, une nouvelle fraîcheur. J’ai tenté des choses neuves, des expériences, il y a des trucs afro, il y a un peu de dancehall, ce sont des tests à partir desquels on s’adaptera selon ce qui plaît au public. Ce projet est un peu une transition.

« Moleelee est un projet de recherche, pour trouver une identité musicale propre et qu’elle dépasse le rap. »

A : Cela t’a poussé à travailler avec de nouvelles personnes ? Quels sont les beatmakers de Moleelee par exemple ? 

L : Sur l’EP il y a MohCiss et le beatmaker du Batmobb Label, Cortez. Et on a aussi pris un beat sur internet. Mais ça a été un gros challenge pour les beatmakers, parce que je suis arrivé avec des maquettes, et on a voulu tout changer. Les beatmakers ont dû repartir de mes voix pour créer les instrus. J’étais avec eux quand ils le faisaient, et on a beaucoup retravaillé les prods. Un son comme « Buildingue » a plusieurs variantes : d’abord une avec le beat de base pour lequel on n’avait pas les droits puis d’autres par MohCiss. Idem pour « Dos diamanté », il y a trois versions. Et à chaque fois on a pris la meilleure, celle qui nous convenait le plus à la fin par rapport à l’ambiance du projet, qui se résume par son titre, Moleelee qui vient d’un mot lingala signifiant « sombre ». C’est la connotation de l’EP.

A : Le morceau « Joga » détone du reste de l’EP, avec ses sonorités afrotrap. C’est pour t’inscrire dans une tendance, c’est une envie que tu avais ? 

L : Je suis congolais et ça ressemble vraiment à notre musique, c’est de l’afro et je trouve que ça me convient, je me suis dit pourquoi pas. En plus, vu que le thème du morceau est le football, ça me ressemble totalement ! Quand j’ai écouté la prod, j’ai vraiment kiffé l’ambiance qu’elle dégageait. J’ai pensé que ça pouvait faire danser les gens, il y a une énergie. J’aurais aimé le sortir en été mais le temps ne l’a pas permis.

A : Effectivement le morceau parle de foot, ou du moins c’est le foot qui te sert de fil rouge pour servir un egotrip, et c’est un procédé que tu utilises souvent. Tu es encore piqué par ce sport en vrai ?

L : De fou, le foot m’inspire et puis même je suis toujours en mouvement… Là je reviens du basket. Je ne peux pas rester sur place, il faut que je bouge mon corps. Je suis un gars qui aime la compétition aussi, un athlète. Quand je joue avec toi je m’énerve si tu rates un truc, je prends ça très à cœur, n’importe quel match c’est la Champion’s League ! [Rires] Je suis à fond dans tout ce que je fais, je ne peux pas accepter de perdre. Si on perd, il faut que ce soit dans des bonnes conditions, qu’on ait tout donné.

A : Hormis « Joga », il y a « Sukalee » qui détone, plus mélodieux que les autres c’est un morceau qui tend vers le dancehall, tu toastes quasiment. Tu es amateur du genre ?

L : Il faut savoir que moi j’écoute beaucoup de reggae et de ragga, c’est grave mon univers. Mes influences ce sont Capelton, Aidonia, Vybz Kartel, tous ces gars. Je trouve que les Jamaïcains sont les artistes qui ont le plus de flows, ils les ont tous. J’écoute grave du dancehall, et quand je réécoute « Sukalee », j’ai l’impression que c’est Aidonia dont je me suis inspiré. Mais je n’y pensais pas en le faisant, c’est arrivé inconsciemment. En tout cas j’ai voulu tester ce registre, quand j’ai entendu la prod c’est pareil que pour « Joga », j’ai kiffé sa saveur, c’est bounce, ambiançant, même pour les filles c’est bien ! Alors j’ai voulu essayer, j’ai chantonné, j’ai toasté, j’ai même mis de l’autotune alors que je ne suis pas trop dans ça. C’est un peu un essai, on commence gentiment à mettre du chant dans ma musique.

A : Peut-être qu’on peut voir ça comme annonciateur de ce qui viendra par la suite ? L’EP indique des pistes sonores ? 

L : To-ta-le-ment ! C’est un projet de recherche, pour trouver une identité musicale propre, et qu’elle dépasse le rap. D’ailleurs j’ai déjà le squelette du deuxième projet.

A : Quand tu fais ton son, penses-tu à ses destinataires ? À qui va l’écouter et comment il va être reçu ? Je pense au fait d’atteindre les Français par exemple.

L : Pour moi le but est quand même d’atteindre le maximum de monde, tous les pays francophones. Je voudrais que ma musique traverse les frontières, de partout et même au-delà des pays francophones. J’aimerais que la musicalité atteigne les gens au-delà des paroles.

A : C’est possible depuis Genève aujourd’hui ? 

L : Bien sûr ! Il y a les moyens, il faut juste être vif d’esprit. Avec Batmobb on est en train de monter une structure très solide, on est équipés. Il faut être vif, avoir des contacts et taffer. Il faut être passionné, avoir de l’ambition et y  aller à fond. Il n’y a pas de secret, mais c’est possible.

A : As-tu des ambitions particulières avec Moleelee, et des plans ou des rêves pour la suite ?

L : Dans un premier temps comme je disais, c’est de faire entendre ma musique au plus de monde possible. Après, pourquoi pas des collaborations avec d’autres artistes ? Selon les rencontres, on ne sait jamais. Mais déjà, je veux me faire un nom et me faire entendre.

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