Killer Mike
Interview

Killer Mike

Son album produit intégralement par El-P a été l’une des sensations de 2012 et a ouvert Killer Mike à un nouveau public, lui offrant un succès allant au-delà des seules limites du rap. Nous l’avons rencontré lors de son récent passage à Paris et avons brièvement évoqué avec lui cet album, ses références, ses collaborations et ses projets.

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Nous avions déjà échangé avec Killer Mike en 2008, à la veille de sa signature chez Grand Hustle. Depuis, le MC radical et hyper actif d’Atlanta n’a pas chômé : sortie de trois albums dont un double, collaborations en tous genres, développement de son label Grind Time, et une foule de projets annexes. Lorsque nous le rencontrons, il sort à peine de scène après un concert archi-complet qui aura prouvé que l’imposant géant d’Atlanta a encore de la ressource. Assis dans sa loge, lunettes de vues vissées sur le visage, il s’exprime sur son parcours avec un enthousiasme enfantin désarmant.


Abcdr du son : Comment as tu rencontré El-P ?

Killer Mike : Nous avions un ami commun, Jason DeMarco, qui est cadre chez Adult Swim [NDLR : chaine de cartoon indépendants américaine]. J’ai pas mal d’amis là-bas, comme Nick et Samantha Weidenfeld. J’ai fait des voix-off pour eux et El-P et moi avions tous deux travaillé là-bas, moi sur des chansons, et lui sur des sons. Jason m’a demandé il y a peut-être un an et demi de ça si je serais intéressé par l’idée de réaliser un album chez Williams Street Records, un label qui appartient à la chaine. Il voulait dépoussiérer le label. Je n’aurais aucune contrainte artistique, le droit de dire et faire comme bon me semblerait. La seule pensée de cette totale liberté était hallucinante. Personne n’avait dit ça à un rappeur depuis 1991 ! Il fallait que je le fasse. El-P et moi devions à la base enregistrer uniquement deux ou trois titres pour l’album et nous avions une semaine de studio pour le faire. En définitive, on est ressorti du studio avec cinq morceaux, tous fantastiques. Après ça, je l’ai appelé presque tous les jours pendant quatre ou cinq mois en lui disant que nous devions faire l’album entier ensemble. Avec Jason, nous avons fini par réussir à le convaincre. Je dis souvent à propos de ce disque que j’ai été payé pour me faire un ami. J’ai l’impression qu’une grosse compagnie nous a payé, El et moi, pour faire ce disque mais que bien au-delà d’un disque, nous avons développé une véritable amitié pendant cet enregistrement. Donc merci à Jason DeMarco et à l’argent du grand capital !

A : R.A.P signifie « Rebellious African People ». Trouves-tu que le Rap a perdu son côté rebelle comme les premiers Public Enemy, NWA ou Geto Boys ?

K : Je ne pense pas que le rap ait perdu quoique ce soit de plus que ce que les gens ont eux-mêmes perdu. Il y a vingt ans, quand Public Enemy et NWA faisaient le tour du monde et régnaient, les jeunes étaient en colère, les jeunes refusaient qu’on leur marche dessus, les jeunes avaient du répondant. Ces jeunes sont maintenant des parents et leur révolution n’a pas abouti. Ils en souffrent je pense, mais doivent subvenir aux besoins de leur famille et surprotègent leurs enfants pour justifier leurs choix. Je pense que les 30-45 ans ont, quelque part, laissé tombé l’attitude qu’ils avaient cultivé à travers le rap et c’est quelque chose qu’ils devraient chercher à retrouver en eux-mêmes. De la même façon que mon père écoute toujours Zeppelin ou Springsteen, je pense que les hommes et les femmes de notre génération devraient continuer à écouter la musique qui leur a fait bouillir le sang quand ils étaient adolescents. La lutte n’est pas finie. Nous sommes plus vieux, et nous avons changé mais la lutte n’est jamais finie. Cela dit, je pense que toute la société a besoin d’un bon coup de pied au cul, et pas uniquement le rap.

« Je pense que toute la société a besoin d’un bon coup de pied au cul, et pas uniquement le rap. »

A : Tu es de plus en plus comparé au Ice Cube de ses débuts pour le contenu politique et social ainsi que la hargne au mic. Apprécies-tu cette comparaison ?

K : J’apprécie évidemment grandement cette comparaison. Toute personne qui est familière avec mon catalogue sait que j’ai un album inédit qui s’est retrouvé sur le web, Ghetto Extraordinary sur lequel figurait un morceau, « Bad Day / Worst Day », dont j’ai fait un remix avec Ice Cube. Il y a aussi eu « Put the Pressure » en 2008. Ice T, Ice Cube et Scarface, en particulier m’ont aidé à me construire politiquement parce que ce qu’ils disaient était juste et vrai, mais ils le disaient du point de vue brut de la rue et c’est ce que je vivais à cette époque. Je suis complètement influencé par Ice Cube. Je lui suis humblement reconnaissant à chaque fois qu’il m’invite sur un de ses morceaux ou lorsqu’il m’appelle pour me demander de faire sa première partie lorsqu’il passe à Atlanta.

A : Tu as un parcours très riche : Membre de la Dungeon Family et du label Purple Ribbon de Big Boi puis signé sur le Grand Hustle de T.I. après avoir monté ton propre label Grind Time. Quel est le déclic qui t’a décidé à partir dans la direction de R.A.P. Music à ce moment de ta carrière ? 

K : Les aléas du hasard. Tout le mérite revient au hasard. Ça ne faisait pas partie d’un grand dessein. S’il y a bien un plan, je ne le contrôle pas. J’ai juste toujours été ouvert aux opportunités qui me permettaient de faire au mieux avec ce que je possédais. Outkast et Big Boi m’ont bien aidé à mes débuts, la Dungeon Family a beaucoup fait pour moi, et j’aurai jusqu’à la fin de mes jours une dette envers Tip après tout ce qu’il a fait pour Grind Time. Je suis simplement le chemin qui se trouve sous mes pas et profite des opportunités que l’on m’offre. Il en a été ainsi à mes débuts, il en va de même pour Pl3dge et R.A.P Music et leurs succès respectifs. Il n’y a pas de grand schéma directeur ou de plan de carrière. Juste de la chance et les aléas du hasard.

A : Tu viens de passer du temps en studio avec El-P et Matt Sweeney [NDLR : guitariste américain réputé]. Peux-tu nous en dire plus ?

K : C’est vraiment tout frais. El et moi avons enregistré la première moitié d’un nouvel album ensemble. Nous rappons tous les deux sur l’intégralité de l’album. Je vais me rendre au prochain SXSW [NDLR : festival où se négocie la plupart des financements de projets musicaux aux États-Unis] et ramasser un peu d’argent puis partir à New York pour que nous finissions ce projet. Il s’agira d’un album commun El-P – Killer Mike. Un groupe. El-P se chargera d’annoncer le nom un peu plus tard [il esquisse un sourire].

A : C’est une pochette assez peu conventionnelle pour un album de rap…

K : Oui, la pochette a été réalisée par Fahamu Pecou, un incroyable artiste neo-pop qui vit a Atlanta. J’adore son travail. Il vient d’ailleurs tout juste d’exposer à Paris, à la galerie Backslash.

A : J’ai été assez intrigué par les écrits sur la pochette « Readers of the books, leaders of the crooks », et les paroles raturées de la chanson titre.

K : Oui, c’est dans « R.A.P Music », c’est comme ça que je commence le morceau. Je dis  « What I say might save a life, what I speak might save the street, I ain’t got no instruments, but I got my hands and feet. » J’ai emprunté ça à Nina Simone. Je trouvais ça tellement juste. C’est tout ce que je possède vraiment, mes mains, mes pieds, ma peau. Ça c’est réel. Tout le reste gravite juste autour de moi. Ce n’est pas moi. Sur la couverture, c’est Pony, mon fils, qui est représenté. Il a dix ans et il me ressemble comme deux gouttes d’eau. Je l’ai appelé Ponyboy, du nom de mon personnage littéraire préféré [NDLR: dans The Outsiders de S.E de Hinton]. On l’a mis sur la pochette car il me ressemble vraiment au même âge.

« T.I. est mon pote. Ça va bien plus loin que tout accord de maison de disques. »

A : Sur R.A.P Music, un de tes seuls invités, exception faite de El-P et sa conjointe, est T.I., ton boss chez Grand Hustle. Comment ça se passe entre vous ? Es-tu toujours signé chez Grand Hustle ?

K : T.I. est mon pote. Ça va bien plus loin que tout accord de maison de disques. Il est réellement mon ami. Lui et son associé chez Grand Hustle, Jason Geter. Nous faisons des affaires ensemble et nous allons continuer à en faire. Il est l’un des rares amis que j’ai dans l’industrie musicale et nous mettons cette relation au-dessus du reste. Cette amitié m’est précieuse, pas de celle que l’on puisse facilement acheter. Au tout début de ma carrière, il n’y avait que moi, T.I. et Bun B. J’ai enregistré R.A.P Music en famille !

A : Au sein de ton label, Grind Time, tu as travaillé avec SL Jones et Pill. Tu les côtoies toujours ?

K : Bien sûr que je les vois encore, ils sont comme mes petits frères ! Pill doit participer à un projet que je prépare avec Big Boi. Nous allons bientôt passer en studio. Et je suis super fier de Jones. Ce nouvel EP qu’il a sorti, Trapper’s Delight, est vraiment bien. Tout le monde devrait écouter ce projet, il tue. Il vient de clipper le premier extrait « Let’m Talk ». Je suis très fier de lui. Je pense que Jones deviendra une vraie star. J’ai toujours pensé ça d’eux. Pill m’a laissé écouter huit nouveaux sons avant que je parte en tournée et ils étaient tous fous. Je suis à fond et j’aurais tellement souhaité pouvoir les amener au sommet, mais les choses ne se passent pas toujours comme on le souhaite. Ce que je peux faire, à défaut de mieux, c’est continuer à être un véritable ami. Et je sais que nous ferons encore beaucoup de musique ensemble.

A : Que penses-tu de leur carrière respective, Pill avec MMG et SL Jones avec Dj Burn One ?

K : Je ne pense pas à leurs carrières comme étant associées à tel label ou telle référence, parce que ce qui m’importe, c’est eux. Quelles que soient leurs décisions professionnelles, elles les concernent eux, et seulement eux. Je suis fan de MMG et un grand fan de Gunplay. Ca n’a pas marché entre MMG et Pill, ça ne change pas pour autant ce que je pense de MMG, ni le fait que je veuille voir Pill prendre la place qui lui revient.  Je suis un grand fan de Burn One. Lui et moi devons aussi travailler quelques sons ensemble bientôt. Mais je veux voir Jones avancer. Donc, cela ne me dérangerait pas que Jones passe également du temps avec Burn One. Tout ce qui compte, c’est qu’il obtienne une opportunité de montrer au monde l’étendue de son énorme talent. Tant qu’ils gardent l’esprit d’équipe, je ne leur souhaite que le meilleur.

A : Tu sembles avoir beaucoup de projets…

K : Oui, des tonnes ! Il y a d’abord Graffiti’s Swag, un projet que j’ai développé avec ma femme. Nous possédons ce barbershop depuis près de deux ans. Je voulais un nom qui rappelle le hip-hop. Je pense que lorsque l’on s’assoit et qu’on se fait faire la barbe, raser, ou coiffer, on devient une oeuvre d’art vivante. Un maître artisan s’occupe de nous et nous transforme en oeuvre d’art en mouvement. Ça me rappelait la gestuelle du graffiti. J’y ai ajouté Swag, pour ce que le mot représente dans l’imaginaire des gens, mais aussi en tant qu’acronyme de « Shaves, Washes And Grooms, » la définition de ce qui s’y passe. Les épouses de riches rappeurs viennent s’y faire faire les cils. Je n’y comprends rien mais elles dépensent de véritables fortunes sur leurs cils. Puis les enfants adorent. Je collectionne les Hot Wheels [NDLR : équivalent américain des Majorettes], je les photographie, puis je les poste sur Instagram. Curren$y aussi, d’ailleurs, est un grand collectionneur de Hot Wheels. C’est un de nos sujets de discussions préférés. Il y a quelques temps, j’ai commencé à en donner aux petits garçons qui venaient se faire couper les cheveux et maintenant, ils ne viennent plus que pour ça ! Je voulais ouvrir un barbershop car ce genre de lieux a eu une énorme influence sur l’homme que je suis devenu. Mon grand père m’y amenait, j’y ai appris la dignité et l’intégrité. Je voulais recréer ce genre de cadre social positif dans ma communauté. C’est une de mes grandes priorités.

Musicalement, El et moi allons finir cet album commun. Puis je vais me mettre à travailler soit sur Pledge 4, soit sur Rap Music 2, soit sur The Elegant Elephant. The Elegant Elephant est un projet qui me tient particulièrement à coeur, mais le réaliser va me demander un travail sur moi-même afin de changer mon style ou mon flow, donc il risque de prendre un peu plus de temps à produire. J’essaie encore de trouver le bon univers sonore dans lequel le construire. Cet album sera un classique. Il se doit d’être aussi élégant que peut l’être un éléphant. Et je sais que les gens ne me comprennent pas quand je leur dis ça. As-tu déjà regardé un éléphant ? Regarde les éléphants africains : ils sont énormes, ils sont massifs, ils sont effrayants et ils sont magnifiquement gracieux. La musique de ce projet devra se résumer à ça, être un concentré de tout ça : massive, sauvage, passionnante, et extrêmement gracile.

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