Kalash l’Afro, cracheur de vérités
Interview

Kalash l’Afro, cracheur de vérités

Après plusieurs années de silence, Kalash l’Afro (Berreta) sort un nouvel EP, Ikki, né de l’urgence de l’époque. Discussion avec une figure du rap des années 2000.

et Photographies : Rachel Akn pour l’Abcdrduson.

Kalash L’Afro est un vétéran du rap. Sa carrière commence du côté de Berre-l’Étang, petite ville en périphérie de Marseille, au sein du groupe Berreta. Bien avant Aubagne et SCH, Berreta sera la première formation des Bouches-du-Rhône hors Marseille à rencontrer une résonance nationale. Mais c’est surtout en solo que Kalash l’Afro – au début, juste l’Afro, auquel il ajoute “kalash” en référence au débit rapide de son rap – se fait connaître. Rappeur de mixtape par excellence, il passe la décennie 2000 à écumer les compils et croise le micro avec toute une génération de légendes du rap français, de Salif à Lino en passant par Le Rat Luciano. Pur produit d’une époque où la couleur dominante du rap français était le gris foncé de la rue, il développe une esthétique sombre et sans concession, où priment des paroles empreintes de réalisme sociologique et d’appels au soulèvement. S’il n’aura jamais été à proprement parler une tête d’affiche, ces années d’activisme musical auront toutefois inscrit définitivement le nom de Kalash L’Afro dans la mémoire collective du hip-hop français. Le bien titré Cracheur de Flammes sorti en 2007 et à ce jour son seul album solo, reste une pièce emblématique du rap marseillais des années zéro.

Après un quasi-silence de près de 10 ans, il revient sur la scène rap français avec quelques singles, puis avec IKKI, sept titres redynamisés par les vagues trap et drill de la décennie 2010. Dans cet entretien accordé à l’Abcdr du Son, il revient sur son parcours et les raisons de son retour. Rencontre avec un témoin et acteur important de cette période charnière, que l’état catastrophique du monde a conduit aujourd’hui à reprendre le micro.


Abcdr du Son : Ikki, ton dernier disque, fait référence à Saint Seiya, mais aussi à un de tes anciens morceaux, « Comme un Phoenix. » Tu reviens après une dizaine d’années sans sortir de disque : utiliser cette image du phénix c’est une manière de signifier ta renaissance ?

Kalash l’Afro : C’est clair que ça résume un peu cette absence, mais il n’y a pas que ça. C’est une image qui m’a toujours suivi, aussi parce que dans le rap, je suis quelque part toujours l’outsider. C’est une renaissance à chaque projet. À la base, l’image vient du fameux dessin animé que toute notre génération a connu, Les Chevaliers du Zodiaque. Cet aspect guerrier et en même temps justicier, c’est devenu l’essence de mon rap, l’essence de mon message. L’image du phénix me parle beaucoup : elle fait passer cette idée d’une éternelle renaissance, d’un éternel combat. Cet esprit guerrier au quotidien, c’est ce qui fait qu’on peut avancer.

A : C’est vrai que dans le refrain de « Comme un Phoenix » (« on tombe, on se relève, on tombe, on se relève »), il y avait l’idée de se battre tous les jours.

K : C’est clair. Je pense que quelle que soit notre condition sociale, on fait tous face à des combats, des épreuves. On doit les affronter, sinon on se replie sur soi-même. Aujourd’hui, peut-être y a-t-il beaucoup de cas de dépressions parce que les gens n’acceptent plus le fait que dans la vie, rien n’est facile. On nous lisse beaucoup de choses, et on croit que la vie va aller comme sur des roulettes, mais tout devient difficile. Le travail devient difficile, le couple, la vie de famille… Il faut savoir affronter tout ça.

A : Tu parles beaucoup de te relever, mais aussi de se soulever : “IKKI” désigne aussi les ligues armées du Japon médiéval, qui appelaient à l’insurrection. À l’écoute du disque, on a l’impression que tu l’as écrit avec une sorte de nécessité, comme si l’époque rendait obligatoire le fait de prendre la parole.

K : Quelque part, c’est un peu ça. Après beaucoup de projets dans les années 2000, jusqu’en 2010-2011, j’avais l’impression d’avoir dit tout ce que j’avais à dire. Quelques années plus tard, c’est comme une nécessité de revenir, pour pouvoir dire certaines choses à un moment où il faut les dire. Pourquoi ? J’ai eu l’impression que le système avait gagné, vraiment. On savait qu’il était beaucoup plus fort que les meilleures intentions du monde, mais aujourd’hui on est sur le constat où ce système gangrène tout, que ce soit l’éducation, la musique, le cinéma, la vie sociale, la vie quotidienne, la vie de famille et de couple. L’être humain est devenu un produit. J’ai l’impression qu’on regarde ça et qu’on suit le flot, on n’a même plus le courage de vouloir changer les choses parce qu’on les accepte. Attention, je n’ai pas la prétention de représenter, d’être un porte-parole ou quoi que ce soit, mais c’est un besoin pour moi, déjà. Comme je le disais, le message c’est l’essence même de ma musique : j’ai voulu faire du rap pour dire des choses. Ce qui m’a intéressé dans ce genre musical, c’est le fait que des personnes qui n’avaient pas la parole ont pu la prendre et exprimer plein de choses, leurs vérités. Alors, il y avait du vrai et du pas vrai, du bon et du pas bon, mais pour moi, ça reste la base du rap.

A : Tu dis que le capitalisme, le système, touche aussi le rap. En écoutant IKKI, on a l’impression que tu voulais dire « eh, rappelez-vous à quoi ça sert le rap, de base. »

K : C’est exactement ça. À mon âge, j’ai vu beaucoup de générations de rappeurs, et malheureusement j’ai aussi vu beaucoup de personnes changer, et suivre cette voie, justement. Ça m’a beaucoup touché, j’ai été déçu par la tournure que ça a pris. J’ai eu l’impression que certaines personnes n’étaient pas sincères au moment où elles faisaient un rap beaucoup plus engagé, beaucoup plus politique. Aujourd’hui, beaucoup qui ont suivi ce mouvement de rap « popisé » et ont perdu tout ce qu’ils avaient à la base. Personnellement, j’ai trouvé ça très hypocrite. Les nouvelles générations, c’est différent, elles font avec leur époque : ce n’est pas à nous d’en juger parce qu’on n’a pas leur âge, on ne vit pas les choses comme eux. Je parle plutôt pour les anciennes générations, beaucoup de déceptions.

« Avec Cracheur de Flammes, j’ai eu l’impression d’avoir dit tout ce que j’avais à dire »

A : Tu commences à faire ton retour vers la sortie des compilations de Jul, 13 Organisé puis Classico Organisé, sur lesquelles tu apparais. Ça fait aussi partie des éléments qui t’ont donné un nouvel élan de motivation ?

K : Non, c’était un hasard ! J’avais déjà bossé sur quelques morceaux avant ça, j’avais sorti deux singles qui s’appelaient « Lumière » et « LeBron James », et puis le timing a fait que j’ai été invité sur les projets de Jul. Mais justement, cette coïncidence m’a conforté dans le truc, comme si c’était un signe qu’il était temps de ressortir un projet.

A : Au sujet de ces titres: les prods sont un petit peu inspirées de la UK drill, plus version Pop Smoke. Cette nouvelle mode dans le rap français, elle t’a parue plus cohérente avec ce qu’est cette musique ?

K : Clairement, il y a des sonorités trap, drill qui vont beaucoup mieux avec la rue. C’est le côté rue que j’aime dans le rap, dans la mesure où ce n’est pas une musique lisse. On trouve ça dans le rock aussi, ce côté où à la base, c’est une musique rebelle. La trap ou la drill ont ramené ce truc là, donc clairement ça m’a parlé.

A : Tu vois une continuité entre le rap que tu faisais dans les années 2000 et l’arrivée de la UK drill ?

K : Clairement. Après, les propos ne sont pas forcément les mêmes, comme je le disais les générations se suivent et ne se ressemblent pas. Ce que vivent les jeunes aujourd’hui, nous on ne le vit pas, et je m’interdis de penser à leur place. Les codes ont changé, le langage et les visions ont changé, et si ça a changé en moins bien, on ne doit pas imputer ça aux jeunes mais plutôt à la société qui les a éduqués et emmenés vers cette manière de penser et de vivre. Eux, ils en subissent les conséquences, ils se construisent comme ça. J’ai pas ce discours de vieux con de dire « c’était mieux avant » ou « les jeunes d’aujourd’hui font n’importe quoi ». Non, les jeunes se construisent avec les armes qu’on leur donne.

A : Ces titres-là, tu les as aussi défendus sur scène, tu étais par exemple au festival Rest In Zik à Bordeaux en 2022. À ce moment-là de ta carrière, quel rôle ça jouait pour toi d’aller à la rencontre de ton public ?

K : On a fait le Rest In Zik, mais aussi le Demi Festival et le Fonky Festival de Djel, et puis quelques dates dans des petites salles. J’aime beaucoup l’ambiance des petites salles, c’est à échelle humaine et ça me correspond beaucoup plus. Les festivals aussi c’est super cool, il y a toujours un esprit très ouvert et les gens viennent pour kiffer la musique avant tout, surtout pour les événements qu’on vient de citer, où c’est vraiment esprit hip-hop. Donc ouais, c’était clairement un kiff, c’est toujours un plaisir. Nous, on s’est faits par la scène ! On a sorti l’album Berreta en 2005, mais ça faisait trois ou quatre ans qu’on tournait. On a fait énormément de scène avant de faire notre première session studio. Aujourd’hui, c’est le contraire, les rappeurs font beaucoup de studio avant la première scène.

A : Qu’est-ce qui s’est passé pour toi entre 2015 et 2021, quand tu sors les premiers singles ?

K : Il y a une vie sociale à côté de la musique. Nous, on est de cette génération un peu maudite, quand on sortait nos projets et qu’on avait un peu de lumière, c’était en plein dans la période où la musique était complètement gratuite : les disques sortaient et se retrouvaient sur Internet. Il n’y avait pas les plateformes, le streaming et tout ça, donc on investissait beaucoup d’argent pour au final donner notre musique gratuitement. Attention, c’était kiffant au niveau des retours et tout ça, mais concrètement on ne gagnait pas d’argent avec ça, quoi. Donc après, il y a la vraie vie derrière. J’ai toujours été quelqu’un de raisonné et de raisonnable, et ça ne m’intéressait plus trop de faire de la musique dans ces conditions-là. Ça peut aussi entamer le plaisir, et à partir du moment où ça a commencé à me poser plus de problèmes que de kiff, je me suis concentré sur ma vie sociale. Je me suis marié, j’ai eu des enfants, et aujourd’hui je ne regrette pas du tout mon choix, au contraire.

A : Félicitations, déjà ! Est-ce que tu veux dire ce que tu fais dans la vie aujourd’hui, pour gagner ta vie ?

K : Bien sûr ! Je travaille dans une boîte de transport, UPS, les fameux camions marrons. J’ai commencé tout en bas de l’échelle, comme agent de quai, à décharger des camions et trier des colis. J’ai aucun problème avec ça, c’est la vie, faut travailler, faut gagner son pain. Et puis petit à petit, en quelques années, j’ai évolué, je suis passé chef d’équipe de nuit. Ça m’a aussi beaucoup servi, dans la mesure où je me suis rendu compte qu’on pouvait évoluer socialement à condition de se battre, même si c’est plus difficile pour des gens de ma communauté et de ma classe sociale. En quelques années, je me suis retrouvé chef d’équipe dans une boîte de transport, à gérer une équipe de vingt personnes, à avoir des responsabilités. C’est aussi gratifiant que de réussir dans la musique. Je me suis marié et j’ai eu deux enfants, et quand j’ai eu mon deuxième enfant, je me suis dit : « Bon, maintenant que les bases sont solides et installées, je peux me remettre à faire de la musique et à kiffer pleinement. »

A : Le fait qu’une nouvelle économie se soit développée autour du rap, avec davantage d’argent dans l’industrie de la musique, ça fait partie des raisons qui t’ont poussé à reprendre ?

K : Très honnêtement, pas vraiment. Je le sais aujourd’hui, je suis un artiste, j’aime faire de la musique et je pense plus ou moins faire de la bonne musique, en tout cas pour moi et pour tout ceux qui me suivent. Après, je suis un très mauvais businessman. Je le savais déjà et je le sais encore plus aujourd’hui. Donc pour moi, non, c’était vraiment un retour pour la musique, économiquement je n’ai aucune attente. Après, vous dire que je voudrais pas que ça marche, c’est pas vrai, on aimerait tous que ça marche un jour. Mais en tout cas… Je n’aime pas ça. Ce travail de créer une entreprise, faire la promo… C’est un plaisir aujourd’hui de venir faire une interview avec vous, parce que justement on peut prendre le temps de parler de vraies choses et de faire honneur à notre discipline. Parce que ce n’est pas en mettant deux phrases dans un contexte bidon qu’on va faire avancer notre discipline, c’est plutôt en prenant le temps d’en parler profondément. Et pour revenir à ce que tu disais sur les plateformes… C’est un bon outil, mais c’est un outil qui sert aux plus gros. Pour les petits artistes indépendants, ce n’est pas Spotify qui va nous faire gagner notre croûte ! Aujourd’hui, la musique est dématérialisée, mais concrètement, c’est comme si elle était gratuite, on ne va pas se leurrer. Ils ont trouvé un moyen de mettre tout ça sur une même plateforme, et que ça soit accessible. Alors, c’est super, mais au niveau des revenus il ne faut pas se mentir, c’est surtout pour les gros.

A : C’est vrai que le modèle de ces plateformes qu’on nous a vendues comme le remède au téléchargement illégal est finalement très injuste.

K : C’est juste une manière de ramener les clients au même endroit. Alors c’est très bien fait, on te livre tout à l’instant T, ça permet d’écouter les projets dès qu’ils sortent, c’est un très bon outil. Mais économiquement, le système est injuste. Se dire que ça sert pour des petits artistes, c’est faux. Je pense qu’un petit artiste ferait mieux de se concentrer sur son réseau social, et d’y mettre exclusivement sa musique. Je pense que ça serait plus intéressant pour lui. D’ailleurs, c’est l’axe sur lequel j’ai envie de travailler maintenant.

A : Tu as entendu parler de Spotify qui créerait des artistes par IA, pour qu’ils accumulent les vues et pouvoir moins payer les vrais artistes ?

K : C’est la cour des miracles, on trouve de tout ! C’est tellement facile de faire ce que tu dis, je n’étais pas au courant mais ça ne m’étonne pas du tout. Le seul vrai gagnant de cette économie, ça reste les services de streaming eux-mêmes, l’argent finit toujours par revenir dans leurs mains. C’est un monopole organisé.

« Quand des groupes comme Ärsenik, FF ou plus tard Lunatic sont arrivés, c’est la rue qui a pris la parole.  »

A : Tu peux nous parler de ton premier groupe, Berreta, et de comment vous vous êtes formés ?

K : J’ai commencé le rap à dix-huit ans, avec Belek, l’ancien membre du groupe Berreta, qui lui faisait déjà de la musique depuis ses 15 ou 16 ans. On était tous les deux de Berre-l’Étang, et on allait dans le même lycée à Vitrolles. Pour la petite histoire, comme tout ado, l’hiver on cherchait un endroit où se poser au chaud. Une structure qui s’appelle le Forum des Jeunes mettait un local à disposition pour ceux qui voulaient faire de la musique. On avait un grand frère du quartier qui s’appelait Mounir, un chanteur soul qui avait même un groupe avec lequel il tournait. Il nous a ouvert le local pour qu’on puisse faire de la musique, il taffait un peu avec nous, c’était très convivial. C’est une chance, il faut le rappeler, aujourd’hui il y a de moins en moins de structures dans les villes, l’État abandonne un peu ça, en oubliant que c’est très important. Moi, à cet âge-là, ça m’a sauvé. Ça nous a donné quelque chose à faire, on avait une raison de ne pas faire n’importe quoi. On se posait là-bas, on écoutait du son, on branchait des micros et c’est parti comme ça, d’un premier freestyle, d’un délire. Ensuite s’est greffé à nous Sheir, qui lui a grandi à Berre mais a déménagé à Vitrolles ensuite. Pareil, de son côté à Vitrolles il s’était un peu initié au rap. Vu qu’on était des amis d’enfance, ça a matché tout de suite et on a fait un groupe à trois. Aujourd’hui, le Forum des Jeunes existe toujours. On a de la chance d’habiter dans une ville cosmopolite, même si le RN gagne du terrain – merci aux chaînes d’infos, qui arrivent à matrixer même les habitants des lieux les plus paisibles… – ils ont organisé une fête de la musique très cosmopolite avec différents styles, une soirée de musique kabyle. Je les remercie pour ça.

A : Tu viens de le rappeler, à tes débuts tu évolues entre Berre-l’Étang et Vitrolles. Quelle différence ça fait d’être en dehors de Marseille, et quel regard vous portiez sur la scène marseillaise ?

K : Déjà, c’est une fierté d’être le premier groupe hors Marseille à s’imposer sur la scène du Sud, ou en tout cas à faire du bruit. Au départ, le rap à Marseille, l’épicentre était dans le centre-ville. Ensuite, il y a eu les quartiers nord avec des groupes comme Psy4, qui se sont mis à faire du son aussi quelques années plus tard. Il faut savoir que nous, notre génération, le rap c’était un peu perçu comme une musique de rigolo. On était un peu les Américains du truc, ma génération ils écoutaient surtout beaucoup de funk, ou de la soul. Pour eux, on était des extraterrestres, alors qu’aujourd’hui tout le monde écoute du rap. Le fait de voir que ça prenait petit à petit, que notre ville était fière de nous… Quand on faisait un concert à Marseille, on avait des supporters de notre ville qui venaient à quarante, cinquante, soixante. Et quand ils voyaient que sur Marseille on remplissait les salles, que la foule était en folie et connaissait les morceaux, évidemment ils étaient fiers ! Après il y a eu SCH à Aubagne, Kamikaz à Arles… Aujourd’hui, il y a plein d’artistes du 13 et même d’autres villes du Sud qui arrivent à faire des bonnes choses, mais nous on était vraiment le premier groupe en dehors de Marseille.

A : À Marseille et ses alentours, il y a beaucoup de MCs qui ont commencé comme graffeur ou danseur, il y avait encore le côté culture hip-hop. Toi, c’était direct le rap ?

K : Oui, j’évite de me revendiquer de la culture hip-hop, parce que ce serait faux. Je suis pas quelqu’un qui s’est beaucoup intéressé au graff ou au break. Essentiellement, j’avais besoin d’écrire, et le support c’était le rap parce que c’était une musique qui me parlait, un rythme qui me correspondait.

A : Tu dis souvent que c’est ce qui compte le plus dans ton rap, l’écriture. Est-ce que ce goût pour les mots, il te vient spécifiquement du rap, ou aussi peut-être d’ailleurs ?

K : Je pense qu’on a tous des prédispositions dans la vie, même à l’école j’étais très nul en maths mais très bon en français. C’est vraiment quelque chose qui m’a toujours plu, l’écriture, la lecture, la connaissance des mots, les rédactions… Je pouvais avoir de très mauvaises notes dans tous les domaines, mais j’étais toujours très bon en français. Les livres, l’écriture, ça m’a toujours parlé. Il y avait clairement un livre qui m’avait marqué, où c’était l’histoire d’une maman en difficulté avec son fils. Je me souviens que ça se finissait par un suicide, où elle se noie dans la mer avec son fils. C’étaient déjà des choses assez graves qui me parlaient beaucoup, j’ai toujours ce goût pour les histoires difficiles. Je m’intéresse aussi beaucoup à l’histoire, la politique, la géopolitique surtout, l’histoire des peuples… Souvent, on m’a vanné avec ça en me disant « ouais, toi tu fais du rap social » mais je l’assume complètement. La sociologie m’intéresse beaucoup, les gens m’intéressent beaucoup.

A : Tu as continué les études après le lycée ?

K : Non, j’ai réussi à arriver en seconde, justement grâce à mes bonnes prédispositions en français et dans d’autres domaines un peu littéraires. En troisième, on m’a laissé le choix de redoubler ou de passer en seconde. Je voulais aller avec mes amis donc j’ai choisi le lycée, mais cette année-là j’ai complètement abandonné. Comme pour beaucoup de ma génération, c’était une période assez difficile, parce qu’on se retrouve au lycée avec une vraie mixité sociale, et des élèves de notre âge mais qui ont beaucoup plus de moyens. Forcément, le sandwich au thon de midi et le paquet de clopes qu’on se partage… ça démotive. C’est aussi quelque chose sur lequel j’aimerais insister, si on veut que les jeunes puissent faire de longs parcours dans leur scolarité, il faut absolument les aider et les soutenir. Je pense que l’État a abandonné ça depuis un moment : quand on voit les étudiants qui vivent dans des situations horribles, c’est inacceptable. Le leurre des longues études nous a fait beaucoup de tort, aussi. Il y a des plombiers qui ont fait des CFA, à l’époque on se moquait d’eux en disant « tu vas aller à l’école en bleu de travail » mais au final, c’est eux qui gagnent le mieux leur vie aujourd’hui.

A : Dans les années 2000, tu participes à beaucoup de compilations et de mixtapes, pourquoi ce format te parle autant ?

K : Comme je le disais, je n’ai jamais pensé à monétiser ma musique. Pour moi, ça avait une valeur humaine et pas forcément économique. Donc quel que soit l’artiste, quel que soit le projet, quand on m’invitait – avec bien sûr une direction artistique cohérente et une même vision, je n’allais pas aller sur n’importe quel type de projet – j’y allais avec plaisir. Le fait de m’inviter, c’était déjà une marque de respect que je me devais d’honorer. J’ai fait énormément de mixtapes et de compils, mais aussi énormément de titres avec des artistes essentiellement régionaux, qui n’ont peut-être fait qu’un projet dans leur vie. Je ne refusais pas d’invitations, pour moi c’était un partage. J’ai fait énormément, énormément de musique, avec tout le monde.

A : Quand on préparait l’interview, grâce à toi on a découvert le rappeur Ange Le Rital…

K : Effectivement, ouais [sourire] ! Dans le clip il faisait de la boxe, il était sur un ring.

A : Tu te retrouves aussi à rapper sur tous types de prods. Tu te voyais comme quelqu’un de tout terrain prêt à attaquer n’importe quelle instru, ou tu avais des styles de prédilection ?

K : J’ai pas vraiment de style de prédilection, j’ai plutôt une couleur. J’ai une préférence pour les sons un peu sombres et assez solennels. Mais justement, c’est un kiff de performer, que ce soit sur un rythme drill, trap, boom-bap, sans beat ou quoi que ce soit. À partir du moment où ça m’inspire, au contraire, j’aime bien m’avancer sur des terrains que j’avais pas forcément arpentés avant. Je ne me vois pas travailler avec qu’un seul beatmaker, par exemple.

A : C’est aussi un moment où tu fais beaucoup de musique avec des artistes hors Marseille, et où tu commences à avoir une certaine caisse de résonance à Paris.

K : J’ai eu beaucoup de plaisir à mettre un pied dans le milieu du rap parisien, j’aimais beaucoup la manière de travailler, tout cet élan qu’il y avait à cette époque là. C’était vraiment un kiff de participer à tous ces projets, c’était aussi une forme de reconnaissance de la part du rap. On a toujours ce truc où on vient d’une petite ville, donc forcément, avoir des artistes confirmés comme ça qui nous invitent sur leurs projets, et qui « valident » notre musique, c’est une grande fierté, et j’ai fait en sorte de l’honorer au mieux. À l’époque, on n’avait pas ce truc d’aller vers les maisons de disques pour proposer des feats et on était beaucoup moins dans la proximité avec les artistes. Aujourd’hui, avec les réseaux, tout ça, les gens sont ou se sentent plus proches des artistes. Pour nous en tout cas, c’était une forme d’irrespect d’aller contacter des artistes et de se proposer, on avait trop de respect pour eux. C’était plutôt aux grands frères de nous inviter et de valider ce qu’on faisait. Aujourd’hui, c’est beaucoup plus facile pour les jeunes d’envoyer un message en privé et de proposer un feat, chose que nous n’aurions jamais osé faire.

A : Ton seul album studio sort en 2007, qu’est-ce qui te décide à passer le cap du long format à ce moment-là ?

K : C’était la suite prévue. Après l’album Berreta, j’ai sorti la mixtape Ghettoven, et l’album devait sortir après, on avait prévu de faire ça comme ça. Par ailleurs, ça s’est très bien passé, je crois que c’était le bon timing. Je trouve que c’est un album très cohérent, très complet au niveau de ce que je voulais faire. Tellement complet que j’ai eu l’impression de ne plus rien avoir à dire après cet album ! Bien sûr, j’ai refait des sons et il y avait toujours cette inspiration, mais j’avais l’impression d’avoir tout dit. J’aimais beaucoup le côté technique mais la revendication et le fait de dire les choses étaient vraiment l’essentiel pour moi. Le côté technique, je l’avais déjà mais je l’ai plus développé maintenant par exemple. Je reviens avec l’envie d’apporter une technique dans ma manière de poser, dans mon flow, chose qui n’était pas principale pour moi à la base. Par exemple, si je dois retenir un morceau de cet album, ce n’est pas le plus technique, c’est le dernier, « Juste un homme », qui pour moi définit complètement ce que je conçois dans le rap.

A : Sur ce disque, il y a Le Rat Luciano en feat, mais il a aussi fait certaines des instrus.

K : Oui, effectivement ! Pour moi, le fait d’avoir pu inviter Lino, Luciano et Soprano sur un même album, c’est une énorme fierté. Soprano, on est un peu de la même génération donc on était plus proches, mais Monsieur Lino et Luciano, c’était… wow. Et en effet, il y a aussi le titre « R.A.S. », qui est aussi l’un des meilleurs titres pour moi. En le réécoutant aujourd’hui, il y a aussi des morceaux qui ont mal vieilli, enfin on ressent qu’ils ont vieilli. Mais ce morceau, « R.A.S. », pour moi il sonne hyper frais jusqu’à maintenant.

A : C’était quoi votre relation avec le Rat, à l’époque ? Est-ce que tu as des souvenirs de lui comme beatmaker ?

K : C’était quelqu’un de très politique, hein. On avait des relations d’artiste à artiste, on n’était pas des amis qui se fréquentent au quotidien, ni même très souvent. Mais c’est venu logiquement avec Djel [DJ de la Fonky Family, ndlr], avec qui on bossait depuis un moment. D’ailleurs, Djel, je tiens à lui tirer mon chapeau car il nous a impulsé une vraie force, il nous a vraiment permis d’exister dans le paysage du rap marseillais, et il nous a soutenus pendant de nombreuses années. C’est aussi quelqu’un de très entier, qui aime profondément les gens et la musique. Pour moi, c’est vraiment le phare du rap marseillais, jusqu’à maintenant. Donc, c’est grâce à lui que j’ai eu l’occasion de rencontrer Luciano, qui était pour moi le best rappeur français, et qui l’est toujours. Plus que son côté beatmaker, ce qui me parlait complètement chez lui c’est la dimension sociale et sociologique de son rap. Le titre s’appelle « Vendeur de rêves », et c’est exactement ce que je voulais dire en faisant un morceau avec Luciano.

A : Il y a aussi Keny Arkana sur cet album ! Vous avez une collaboration de longue date, tu es aussi sur son disque à elle, et vous êtes encore ensemble sur un titre de Bande Organisée. Tu peux revenir sur votre parcours musical ensemble ?

K : Au temps pour moi, j’ai zappé la frangine sur l’album ! C’est vrai qu’on avait fait beaucoup de sons ensemble, ça a coulé de source. On avait le même côté revendicateur et social dans notre musique, et on s’est connectés tout de suite. On a échangé, et on s’est tout de suite invités sur des morceaux, des projets, j’ai aussi eu la chance de faire sa tournée sur plusieurs dates. Quelque part, c’était évident.

« Djel est le phare du rap marseillais, encore aujourd’hui »

A : En revoyant toute cette période des années 2000, on se rend compte que tu es témoin d’une histoire du rap qui est finalement peu connue, que ce soit à Marseille ou à Paris. Si tu devais résumer les enseignements que tu tires de cette période, qu’est-ce que ce serait ?

K : Il y en a plusieurs, positifs comme négatifs. On a vu arriver le rap comme une musique underground, qui n’était pas commerciale et qui était très brute, antisystème, libre de pensée. On était très fiers de voir des groupes comme Ärsenik ou la Fonky Family faire disque d’or avec un discours libre, des morceaux qui durent cinq minutes avec des propos qui pourraient même être condamnables par la justice – qui le seraient aujourd’hui. Et puis, on a vu doucement l’argent engrainer un peu le truc, l’appât du gain. Les petits qui arrivent grandissent tout de suite avec ça. Mais aussi, ils grandissent avec de nouveaux outils, comme les home studio. Le fait que ce soit accessible à de plus en plus de monde, ça a été très positif et en même temps très négatif, parce qu’on a commencé à voir la musique à travers un autre prisme. J’ai vécu le passage d’une époque où un bon rappeur, c’était quelqu’un qui te choquait dans ses placements, dans ses propos, dans ces rimes, dans ce qu’il dit, dans sa poésie, à une époque où t’es un bon rappeur si tu gagnes beaucoup d’argent !

A : Est-ce que tu trouves toujours aujourd’hui des artistes qui correspondent à ta vision du rap ?

K : Bien sûr, il y en a beaucoup et je leur tire mon chapeau parce que je sais que c’est un énorme travail. Après, comme je le disais, moi j’ai vraiment du mal à donner beaucoup de contenu et à me concentrer pleinement sur ça. Et au-delà de ne pas aimer, j’en ai pas envie en fait ! J’ai plein d’autres choses que j’ai envie de faire dans ma vie, je suis très proche de mes enfants et je n’ai surtout pas envie de rater ce temps qu’on a avec eux et qu’on ne retrouvera jamais plus tard. La musique, ça implique beaucoup de sacrifices, de temps et de don de soi, c’est quelque chose qui ne m’intéresse pas foncièrement. Après, évidemment qu’il y a beaucoup d’artistes qui me parlent, dans la nouvelle génération comme dans l’ancienne. Des rappeurs comme Souffrance, comme Limsa d’Aulnay ou Furax… Si des rappeurs comme Souffrance arrivent à intéresser les jeunes à ce genres de discours et de sujets, je pense que socialement on pourra avancer. Pas de secret. La musique, beaucoup disent que c’est futile, que c’est du divertissement, mais je n’y crois pas. La musique, on l’écoute et elle nous conditionne, elle nous fait réfléchir, elle nous dirige. Le corps est composé à 80% de liquide, et ce liquide capte les vibrations. Là je pars dans un délire [sourire], mais même les paroles ont un impact. J’ai clairement vu des jeunes écouter des musiques qui les ont matrixés complètement, et qui ont pris quinze ans de prison derrière. Ce n’est peut-être pas ça qui les a fait basculer complètement, mais ça a été la goutte d’eau qui les a poussés à aller vers ça. Il y a aussi un jeune de chez nous qui s’appelle Eniah que j’aime beaucoup, et des rappeurs dans d’autres styles, comme Zamdane. Dans le style musical c’est vraiment pas ce que je fais moi, mais ça me parle parce que ça exprime, ça fait passer des choses, des sentiments… C’est intelligent ! On a besoin de choses intelligentes.

A : Dans les titres sortis en 2021, ou même sur IKKI, tu as dû adapter ta plume à certaines actualisations du rap d’aujourd’hui, tu as des refrains un peu chantonnés, des refrains trap ou drill… Qu’est-ce que ça a changé dans ta manière de rapper ?

K : Déjà à l’époque de Berreta, on avait un morceau qui s’appelait « Vendetta » où le refrain était complètement chanté. On n’a jamais été fermé à ces choses-là. Je suis d’accord avec l’idée que, par rapport aux sonorités, le rap c’est mieux maintenant, c’est beaucoup plus riche. En termes d’instrus, de mix, d’originalité, le rap a évolué dans le bon sens. En termes de textes, pour un vieux con comme moi, je l’assume, je trouve que c’était beaucoup mieux avant. Mais musicalement, c’est plus riche maintenant, et ça me plaît beaucoup. Je ne suis pas fermé à travailler sur des trucs frais, au contraire. La trap, par exemple, ça permet de placer des rimes différemment, de casser ses placements, d’aller chercher des trucs beaucoup plus techniques, des rimes multisyllabiques, peut-être même sur une phrase entière. Ça laisse beaucoup de place au flow. La drill, c’est un peu plus limité parce qu’on revient toujours au même flow, mais ça donne une grosse énergie. Sur scène, ça permet vraiment de faire des trucs… Par exemple, sur “Tapis rouge”, ça m’a permis de vraiment passer en mode “kalash.”

A : Il y a quelques phrases sur IKKI qu’on avait envie de te faire commenter. Sur « Qui on est » tu dis « Y’a des survivants à Lampedusa / Nos galères, ils seraient prêts à ramper pour ça ». Qu’est-ce que tu as voulu dire ?

K : Avec l’âge, j’apprends à peser mes mots. C’est facile de dire « on veut faire une révolution, on va tout changer ». Tout changer pour quoi ? Pour faire quoi derrière ? La première des révolutions à faire, c’est notre manière de vivre. Si on fait une révolution en espérant avoir toujours des iPhone, des chaussures à deux mille euros, des sacs à trois mille et le confort d’avoir toujours deux ou trois véhicules par famille… Ce monde-là n’est pas possible si on veut l’égalité. Si on veut une justice dans le monde, et une révolution dans laquelle les êtres humains sont un peu plus égaux, ça passe forcément par de l’austérité. Quelque part, on est des enfants gâtés, et on n’accepterait pas de faire un peu plus de marche à pied, de manger moins de viande et d’économiser un peu d’électricité, ou de s’habiller plus sobrement. Je pense qu’on n’est pas prêt pour ça. La première révolution à faire, c’est de vivre plus sobrement. Si on consomme moins d’iPhones, il y aura moins d’ouvriers dans les mines de cobalt. Donc quand je fais cette phrase, ça veut dire que oui, on est des enfants gâtés. Ça ne va pas, certes, il y a encore de l’injustice et de l’inégalité, des gens qui souffrent vraiment même dans les sociétés les plus développées, mais il faut mesurer ce qu’on dit.

A : « Les petits ils partagent, les riches ils partouzent. »

K : Aujourd’hui, on est heureusement dans un partage, mais on partage le bon et le mauvais. Quand il n’y a pas de travail c’est la faute des immigrés, la violence c’est la faute des jeunes qui regardent et écoutent n’importe quoi… Par contre, les puissants ne sont jamais remis en cause. En Colombie, il n’y a que des Colombiens, et il y a des meurtres tous les jours. Ceux qui tuent, ce ne sont pas des étrangers, des Noirs, des Arabes, une culture différente… Ce sont des pauvres. C’est la pauvreté qui crée ça. Si dans les quartiers à Marseille il n’y avait que des Polonais, ce seraient eux qui tiendraient les réseaux et qui tireraient à la kalash ! Il faut arrêter ces bêtises, « oui, il vient d’une autre culture où ils utilisent la machette, ils appliquent la charia », c’est strictement n’importe quoi. Il faut arrêter de stigmatiser telle ou telle population. On le voit d’ailleurs aujourd’hui, avec des gens issus de l’immigration qui ont un statut social beaucoup plus confortable, et qui eux-mêmes se retournent vers les étrangers. C’est n’importe quoi ! Les riches, eux, ne sont jamais inquiétés. Ils sont toujours dans leur confort, et on se tire dessus les uns les autres alors qu’on n’est pas les fautifs.

A : C’est vrai que dans IKKI, on sent vraiment la volonté de réveiller une conscience de classe, on te voit avec le poing levé…

K : Clairement, c’est ça. Le poing levé avec les bijoux, ça veut justement dire ça : la révolution, oui, mais si c’est pour notre confort… Non, si on doit faire une révolution aujourd’hui, c’est pour plus de justice dans le monde, et peut-être plus d’austérité pour nous. On sera perdants, mais il faut qu’on s’y prépare. On vit avec énormément de choses futiles, et on a des générations d’éternels adolescents. Ma génération, et peut-être celle d’un peu en dessous, on n’a jamais vraiment grandi. Beaucoup de quarantenaires ont encore des mentalités d’adolescents, et ça c’est inquiétant.

A : Il y en a dans le rap !

K : Évidemment, il y en a partout donc dans le rap aussi. Quelque part, on sait aussi que c’est une volonté des grands lobby de globaliser le client, pour lui vendre le même produit qu’il ait quinze ou soixante ans. Je le disais dans un morceau qui s’appelle « Légitime », « des gosses de quarante piges, des nouveaux-nés qui froncent les sourcils ». C’est la réalité ! Aujourd’hui, les enfants grandissent trop vite et les parents ne grandissent jamais.

A : Il y a aussi le refrain de « Tout le monde sait », avec un petit jeu d’oppositions qui te permet de dire beaucoup de choses en peu de mots. Tu peux expliquer pourquoi tu as écrit ce son ?

K : C’était vraiment une volonté de témoigner de ce qui se passe, essentiellement bien sûr autour de la question palestinienne. C’était clairement par rapport à ça, même si j’ai généralisé à beaucoup d’autres situations dans le monde. La Palestine, c’est vraiment révélateur. Tout le monde voit, tout le monde sait, mais personne ne fait. Déjà, qu’est-ce qu’on pourrait faire ? On ne sait même plus, on a l’impression que le système a déjà gagné. Concrètement, on se retrouve pieds et poings liés, essentiellement par cette société de consommation. Beaucoup appellent au boycott, mais moi le premier, je me mets dans le lot, c’est très difficile ! On n’a pas d’autre choix, et on a peur de frustrer nos enfants quand ils se comparent à d’autres. Il faut absolument qu’on sorte de cette société de surconsommation, parce que c’est ça qui fait que même si on voit, même si on sait, on continue à faire.

A : Autre chose qui est marquant dans la direction artistique d’IKKI et des clips qui l’accompagnent, c’est l’importance du noir et blanc. C’est en rapport avec ton goût pour les esthétiques sombres ?

K : C’est ça ! Un côté intemporel et très sobre, très brut.

A : Dans un des clips on voit apparaître le visage de Jul sur un mural dans Marseille, pourquoi ?

K : C’était une manière de le remercier, parce que réunir tous les artistes marseillais sur un même projet, c’est très compliqué à faire. Il a une mémoire qu’on doit respecter, il n’a pas oublié. C’est un énorme travail, qu’il n’avait pas besoin de faire. Donc s’il l’a fait, c’est vraiment par amour de la transmission et du partage. Je le remercierai toujours pour ça. On voulait aussi mettre Marseille en images, le clip est un peu une carte postale. Un artiste comme Jul, même s’il fait débat parce que beaucoup considèrent que ce qu’il fait n’est pas qualitatif mais seulement quantitatif, ça c’est subjectif et je laisse le choix à chacun d’en décider, il a complètement compris sa génération et son époque. Qu’on soit d’accord ou pas, ça s’impose, c’est un fait. Il a compris sa génération, et il est en connexion directe avec le peuple marseillais. Il fait clairement partie de cette carte postale.

A : On parlait de cette nouvelle génération, sur IKKI il y a aussi des rappeurs plus jeunes que toi, comme Kamikaz ou L’Antidote. Tu as aussi une volonté de transmission ?

K : Oui, bien sûr, je l’ai toujours eue. Même à l’époque où je faisais beaucoup de rap, j’ai rappé avec énormément de jeunes pour qui c’était souvent le premier projet, pour qui ce n’était pas encore tout à fait mature, tout à fait mûr. Pour moi, ce n’était pas important. L’important, c’était de transmettre et de partager. Ça me plaît de faire plaisir à un artiste et de le motiver, de voir que certains ont réussi à continuer et à faire de belles choses. Kamikaz et L’Antidote, ce sont des artistes que j’ai rencontrés et qui m’ont clairement dit qu’ils kiffaient ma musique, ils connaissaient les projets, ils les avaient écoutés… Pour moi, c’était une manière de les remercier, et de partager puisque forcément on était dans la même veine.

A : Tu peux nous parler de la suite ?

K : Très honnêtement, je n’ai pas d’agenda fixé. Je suis en train de bosser sur un deuxième EP, que je sortirai quand il sera prêt. Après, on est aussi en train de réfléchir au support, pour revenir sur Spotify et tout ça. Ça demande beaucoup de budget en promo, et je ne suis pas certain que ça nous soit utile. J’ai surtout envie de développer sur mes réseaux, auprès des gens qui me suivent, d’être en contact direct avec eux et de leur partager ma musique. Je pense que c’est ce qui arrivera prochainement, je mettrai beaucoup de ma musique directement sur mes réseaux. Aussi, l’album Berreta fête ses vingt ans cette année, avec le groupe, on a reconnecté pas mal de choses. On a préparé un petit EP sept titres, qui devrait sortir vers l’automne, vous êtes le premier média à qui j’en parle et je suis très content de vous l’annoncer. On a très hâte de le sortir, on est très fiers de ce qu’on a fait et on espère que vous le kifferez !

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