Interview

Jneiro Jarel et Khujo Goodie sont Willie Isz

A : Peux-tu te présenter ? 

J : Mon crew, c’est Shape of Broad Minds. Nous venons de H-Town, Texas et Philadelphie. Le groupe est composé de mon pote Jawwaad  qui vient de Houston, et moi-même Jneiro Jarel. J’ai pas mal d’alias – Dr Who Dat, Rock One, Panama Black – pour apporter une saveur différente à nos morceaux mais officiellement, le groupe, c’est moi et Jawwaad. C’est un MC mais il n’a pas eu la chance d’être là ce soir. Le guitariste qui était sur scène ce soir fait partie du groupe, le DJ également. Ce soir, je me suis dit « Merde, je ne peux pas faire venir mon pote Jawwaad, pourquoi pas inviter Khujo Goodie ?« . Tu vois, je suis un grand fan de la Dungeon Family depuis bien longtemps, je connais tous leurs morceaux. Khujo pourra te le dire : je suis un fan officiel ! J’ai contacté Khujo pour une collaboration, et on a réalisé qu’on pourrait faire tout un album ensemble. Khujo représente une partie de moi que je veux montrer au public. Beaucoup de gens me connaissent par rapport au côté electronica-hip-hop-jazz de ma musique, mais moi j’ai le Dirty-Dirty en moi ! J’ai vécu à Atlanta, c’est un monde qui me parle. Alors j’ai fait signe à Khujo… et il est là aujourd’hui ! Clairement, nous avons voulu rendre hommage à OutKast et Goodie Mob…

A : Quand j’ai entendu le guitariste, j’ai immédiatement pensé aux productions d’Organized Noize…

J : Yeaaaaah ! [il se marre] T’as tout compris. On veut apporter ces éléments live et cet état d’esprit crunk à un hip-hop progressif, comme la Dungeon Family pouvait le faire. J’ai dit à Ray Murray – qui est membre d’Organized Noise et que je respecte – que c’était mon ambition.

A : C’est grâce à lui que tu as connu Khujo ?

S : Non, c’est Khujo qui m’a mis en contact avec le reste de la Dungeon Fam’. Et donc, j’ai dit à Ray au téléphone qu’il avait énormément influencé ma manière de produire, avec d’autres comme Jay Dee, Pete Rock ou J-Swift de Pharcyde. Je me devais de saluer la Dungeon Family. Ils ont tellement apporté au hip-hop qu’ils méritent cet hommage.

A : Tu as un morceau ou un disque préféré ?

J : Oh mec… [il cherche]  « Still standing » ? « ATLiens » ? Je pourrais en citer des tas. Les deux premiers albums de Goodie Mob, de sûr. J’aime beaucoup « The Love Below » d’Andre 3000. J’apprécie ce disque car ils n’ont pas eu peur de partir chacun dans une direction différente. En tant que chanteur, je respecte Andre 3000 pour ça, et je respecte Big Boi d’avoir conservé ce côté street d’Atlanta tout en innovant. J’aime aussi le tout premier album d’OutKast car il y avait ce morceau avec Goodie Mob, ‘Git out, git out’, que l’on a repris sur scène ce soir… Ce qu’il faut comprendre, c’est que moi, je suis un fan. Alors de me retrouver sur scène avec mon pote Khujo, c’est une vraie bénédiction. C’en est même irréel. C’est un vétéran, mais il restera dans le temps présent pour toujours.

A : Tu connais le groupe Cunninlynguists ?

J : J’en ai entendu parler. Je crois qu’ils ont sorti leur album à peu près au même moment que nous. Je ne connais pas bien leur musique mais c’est cool qu’ils aient invité Cee-Lo sur un morceau.

A : Khujo, tu sais peut-être que demain, il y aura Gnarls Barkley aux Eurockéennes. Qu’en est-il de Goodie Mob ?

K : Actuellement, nous remettons les choses à leur place, on réfléchit à de nouvelles chansons, donc tu pourrais bien entendre un nouvel album en 2009. Mais d’ici là, on va continuer à faire du hip-hop à l’ancienne. Tu vois, Jneiro Jarel, pour moi il est hip-hop car il produit, il a les textes, et il a cette dimension soulful qui me rappelle la bonne époque de la Dungeon Family pendant les années 90. J’ai aussi un nouvel album en vente sur iTunes actuellement, ça s’appelle « G’Mob Godfather ». Chope ça, mec. Pour moi, l’objectif c’est de proposer de la bonne musique. Il y a tellement d’amoureux de la musique, tellement de fans… Nous avons un héritage culturel à préserver, et il est laissé à l’abandon actuellement dans le hip-hop. J’ai la chance de toujours en faire partie malgré le temps qui passe. Le hip-hop était un enfant qui a grandi et aujourd’hui il est adulte.

A : Tu travailleras toujours avec ONP ? J’ai l’impression que tout le monde les ignore aujourd’hui…

K : Ouais, beaucoup de respect pour Rico Wade, Ray Murray, Sleepy Brown et mon pote Big Rube. Sans eux, tous ces instruments qu’on entend dans le rap d’Atlanta n’existeraient pas aujourd’hui.

A : Le dernier single de T.I. a cette vibe-là…

K : Mmmmh, ouais, tu vois…

J : Et d’ailleurs, je viens de voir un clip de T.I., on peut voir Big Boi et Sean Paul des Youngbloodz au début.

K : J’ai beaucoup d’amour pour T.I., c’est un bon ami à moi. Je sais qu’il est un grand fan de la Dungeon Family et il a connu la réussite. Much love to the Dirty South.

A : C’est la première fois que vous venez en Europe ?

K : Moi, c’est la première fois que je viens en France.

J : J’ai fait un concert à Lyon l’année dernière, et ce soir, c’est notre premier show ensemble sur le territoire français. Et c’est la première interview de Khujo en France [rires] !

A : Killer Mike vient de sortir un album également…

K : Much love to Killer Mike. Lui aussi, il est hip-hop. Il me fait penser à un Afrika Bambataa du sud. J’ai un morceau avec lui qui malheureusement n’est pas encore sorti mais vraiment, il faut faire attention à Killer Mike.

« Beaucoup de gens me connaissent par rapport au côté electronica-hip-hop-jazz de ma musique, mais moi j’ai le Dirty-Dirty en moi ! »

Jneiro Jarel

A : Il y a quelques temps, Killer Mike a fait une interview dans laquelle il expliquait que la Dungeon Family n’avait pas réussi à devenir une « marque » installée comme peut l’être le Wu-Tang. Qu’est-ce que t’as inspiré cette déclaration ?

J : Ouais, j’ai lu cette interview…

K : A l’époque, il existait un vrai tabou autour de la musique du sud. C’était impossible de passer à la radio ou d’occuper les premières places. Je pense qu’à cause de ce démarrage tardif, nous n’avons pas vraiment su profiter de la situation. Nous n’avions pas conscience du marketing, on savait juste faire de la musique, en espérant que les gens comprennent notre façon de parler et captent le truc. On n’avait pas idée de confectionner des t-shirts et les vendre au public. On est simplement satisfait d’être entendus dans le sud. On a été les derniers à être reconnus et désormais on est aux avant-postes. C’est notre bénédiction.

A : Il y avait aussi un côté familial, justement. Il y a quelques années, des dissensions ont eu lieu à l’intérieur de Goodie Mob… Aujourd’hui, quel regard portes-tu sur l’immense succès de Cee-Lo avec Gnarls Barkley ?

K : Ca ne m’a pas surpris car Cee-Lo est un artiste incroyable. Les gens le connaissaient, depuis 1995. Nous avons sorti trois albums en groupe, ensuite il y a eu l’album de la Dungeon Family, puis deux albums solo pour Cee-Lo. Son heure a fini par arriver. Much love to Cee-Lo. Je lui ai parlé hier, on s’est retrouvé ensemble au Danemark, on s’est bien marré.

A : En te voyant arriver sur scène tout à l’heure, j’ai cru que Cee-Lo allait arriver lui aussi…

J : Ca pourrait se produire un de ces jours… Sérieusement mec, reste aux aguets !

A : La suite pour vous, c’est quoi ?

J : Là, le plus important pour nous, c’est notre album. Le groupe s’appelle Willie Isz et l’album va s’appeler « Georgiavania » : je viens de Pennsylvanie, il est de Géorgie alors on a décidé de mélanger les deux. Je vais produire l’ensemble du disque. Tout le monde me connaît comme un producteur mais au final, je suis aussi un MC, un chanteur, je donne un peu de mon âme, et cette âme, cette soul, elle vient des premiers albums de Stevie Wonder, de Prince pour l’aspect soul-rock, et bien sûr d’OutKast, Goodie Mob, Cee-Lo Green, Andre 3000…

A : Tu te vois porter leur flambeau ?

J : J’espère, mec. Pour beaucoup, je suis un petit nouveau, mais j’ai le même âge que Cee-Lo, Andre et Big Boi. Si je porte le flambeau, c’est avec une autre tonalité de voix. Nous venons de la même école, mais c’est aussi notre tour d’être entendu, moi et mon pote Khujo Goodie. Willie Isz, « Georgiavania ». On ne va pas donner de date pour l’album, mais on va le boucler très bientôt. Par contre, je peux te dire qu’il y aura TV On The Radio sur l’album, les membres de Gorillaz, on a aussi discuté avec Big Boi et Cee-Lo Green, T-Mo Goodie… Et peut-être bien Radio G du groupe Hotstylz.

« On est simplement satisfait d’être entendus dans le sud. On a été les derniers à être reconnus et désormais on est aux avant-postes. C’est notre bénédiction. »

Khujo Goodie

A : Peut-on s’attendre à un retour de la Dungeon Family ?

K : Attend-toi à l’arrivée de la Dungeon East, la partie de Ray Murray, et la Dungeon West, celle de Rico Wade. Prépare-toi à nous voir injecter de la musique dans le système. On aime le hip-hop, nous avons grandi avec cette culture, elle est en nous. And it’s all good, mayne…

A : Quel regard portes-tu sur la scène rap actuellement à Atlanta ?

J : Je pense que c’est vraiment à Khujo de dire quelque chose à ce sujet, mais mon opinion, c’est que les gens ne voient qu’un côté d’Atlanta. Et ce n’est même pas un côté, c’est Soulja Boy, Arab, la danse, tout ces trucs-là. D’ailleurs les gens s’imaginent que je n’écoute que du J-Dilla, mais j’ai connaissance de ces choses-là, car ce qui m’intéresse, c’est la musique. A Atlanta, il y a aussi Gucci Mane, c’est quelqu’un avec qui on a collaboré et qui est beaucoup détesté parce qu’il parle du « trap », mais c’est là d’où il vient. Moi-même, je considère comme partie intégrante d’Atlanta, j’y ai passé beaucoup de temps et j’en ai ramené beaucoup de souvenirs. Je n’y suis pas né, mais j’y ai vécu quand j’étais petit. Et ma culture soul vient d’Atlanta. Un album comme « Purple Rain » de Prince, pour moi c’est la bande originale d’une ville comme Atlanta. Bref, mon point de vue, c’est qu’il y a beaucoup de recyclage dans la création à Atlanta. Et je ne dis pas ça pour manquer de respect à qui que ce soit. Mais à l’époque où OutKast et Goodie Mob sont arrivés, ils poussaient les gens à la réflexion. C’est ce que nous essayons aussi de faire avec Willie Isz : on s’amuse, mais on veut que les gens réfléchissent. On rapporte un élément qui s’est un peu perdu dans le rap grand public. Il y a beaucoup de styles différents à Atlanta, les gens se disent qu’il n’y a que de la snap music, mais il y a aussi du boom-bap pur et dur ! Mon pote Locksmith fait des beats comme ça. Inutile de caricaturer Atlanta pour à partir d’un seul type de son. Atlanta is music.

K : Pour moi, le hip-hop d’Atlanta se démène. Il y a de jeunes artistes qui portent le flambeau. J’adore ça, car ils permettent à des gens comme moi de conserver leur attrait pour la culture hip-hop. Ce sont des gens comme T.I., Killer Mike, Shawty Lo, Young Jeezy. On était les derniers, mais aujourd’hui nous sommes aux avant-postes. Je respecte ceux qui soutiennent le mouvement du hip-hop dans le sud. Il y a des talents par ici : en Géorgie, actuellement, il doit y avoir un millier d’MC’s qui enchaînent les open mics, les petites scènes, alors attend-toi à découvrir encore énormément de bonne musique qui vient de chez nous.

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4 commentaires

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  • mind,

    ‘tain khujo merde ! j’attends l’itw

  • Flow,

    Bonne ITW !

  • Marvine,

    Très fort !

  • rugga rugga,

    dope!