Immortal Technique
Interview

Immortal Technique

Authentique enragé au charisme fascinant, le MC de Harlem Immortal Technique déborde d’une énergie contagieuse, remettant constamment les pendules à l’heure sur tous les sujets. Présentation.

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Abcdr : Peux-tu te présenter, nous dire d’où tu viens, ce qui t’a poussé à rapper et à aborder ce que tu dénonces ?

Immortal Technique : Immortal Technique, New York, à Harlem, noir du Pérou, né en Amérique du Sud et vivant actuellement aux Etats-Unis, enfoiré. Je rappe sur ce qui est authentique à mes yeux.

A : Pourquoi ce nom ? Peux-tu nous éclairer sur sa signification exacte ?

I : On ne se débarrasse pas facilement d’un enfoiré comme moi, physiquement ou spirituellement.

A : Dans quelle mesure as-tu été influencé par des rappeurs comme KRS-One et Chuck D, certainement à L’avant-garde pour les messages à caractère social et politique dans le rap ?

I : Je n’ai pas plus été influencé par eux que par des personnes comme Malcolm X, Marcus Garvey, Che Guevara, Jose Carlos Mariategui, et les anciens sur lesquels j’ai beaucoup lu, ceux qui ont eu un rôle dans les luttes de pouvoir et de la vie à travers L’histoire de L’humanité. J’ai le plus grand respect pour KRS-One et Chuck D, Paris, X-Clan, Brand Nubian et tous ceux qui étaient là avant eux et qui ont représenté notre peuple par leurs messages. Mais j’essaie de porter plus d’attention à L’histoire du business du rap qu’à ce que les rappeurs ont pu dire, ça s’adresse bien plus au coeur du problème d’aujourd’hui.

A : Quelle a été L’influence de ton séjour en prison, sur toi, en tant que personne et en tant que rappeur, écrivant et exprimant ton opposition à cette société et face à tous ces politiques véreux ; les mêmes qui, en coulisse, manipulent les médias pour propager la peur dans les foyers afin de mettre en place un véritable état policier ?

I: La prison c’est L’humiliation. Dans leurs films ils font en sorte que ce qu’ils te montrent te paraisse crédible, avec des noirs, des latinos aux airs méchants mais quand ce blanc, le chef propriétaire d’esclaves se ramène, tout ce bla-bla de mecs durs s’arrête, à moins que tu ne veuilles qu’ils t’éclatent à coups de pieds ou qu’ils t’électrocutent comme une merde. Se voir enfermé, pour ce qui est en réalité de L’esclavage, m’a fait comprendre la nature du système que j’avais en face de moi. Un système qui se nourrit jour après jour avec d’avantage d’armes, de pauvres gosses, de personnes qui ont besoin de soutien psychologique. Pour en arriver au résultat final : on produit des criminels professionnels pour continuer à entretenir des entreprises comme General Electrics qui paient leur hébergement. Il n’y a aucune gloire à être comme les mecs que l’on faisait venir en Amérique par bateau et qui devaient ensuite bosser des années pour rembourser le prix du voyage. Vraiment aucune gloire à tirer, quand les blancs racistes contrôlent ta vie, où l’on te parle, te nourrit, t’habille et te loge comme un animal.

A : Tu t’es fait connaître dans L’underground grâce aux battles auxquelles tu participais. Quel regard portes-tu là-dessus, avec le recul ? C’était un moyen de te faire un nom avant de sortir ton premier album ?

I : Vu que je sortais de taule, cela n’a pas été un moment vraiment difficile. Je voulais m’assurer que les gens sachent que je n’étais pas un de ces backpackers à la con qui riment au milieu d’un cercle. J’allais aux shows avec plein de gars et j’ai toujours fait fermer sa gueule à celui qui avait un problème. Mais les battles, c’était différent. J’y allais seul. Pas même avec un pote. Je laçais mes Timberland, entièrement vêtu de noir et je partais en guerre et si les juges ou le public votaient pour L’autre mec (ce qui est arrivé trois ou quatre fois sur environ quatre-vingt battles), j’avais toujours le respect de tous et ils reconnaissaient que j’emportais avec moi un morceau de cet enculé. Personne ne m’a détruit ou grillé, point final. Le menteur qui prétend le contraire condamne son père à se faire gifler et sa mère à se faire jeter dans un escalier. Je le dis froidement et je sais qu’un petit bâtard lit ça et se dit Non pédale. Je suis seulement qui je suis et c’est pourquoi je suis le champion des battles et que toi tu es là à faire la pute sur le coté, à porter ton costume de pom-pom girl pour ton copain homo. Si tu vas à une battle en te sentant moyen, alors tu seras moyen. J’y allais, prêt à gagner ou mourir, c’est tout. Et quand les gens ont vu ça, avec mon style sans pitié, j’imagine que ça a suscité de l’intérêt sur le thème de mes morceaux. Ensuite, je leur ai explosé la tête parce qu’il ne s’agissait pas seulement de violence gratuite ou de fausses histoires de crack. Je parlais de ma vie dans le morceau, je parlais de la rue et aussi de la vérité révolutionnaire dont nous sommes tous témoins.

« Je suis prêt à me battre. Où vous voulez, quand vous voulez. »

A : Tu étais dans la rubrique Unsigned Hype du magazine The Source en novembre 2003. Est-ce que cela t’a aidé à accroître ta renommée ? L’as-tu vécu comme une forme de reconnaissance ?

I : Ce n’était pas le Unsigned Hype régional, et même si cela n’a pas le poids industriel que cela aurait pu avoir s’il était sorti entre 1994 et 2000, j’en reste fier. Je l’ai eu, je l’ai montré à quelques personnes, je L’ai envoyé et je me suis remis au travail. Certains connards ont ça et ensuite se rassoient et attendent des appels qui n’arriveront jamais ou bien ils se comportent comme des stars du ghetto. Pee Wee Kirkland [NDLR: légende du basket New-Yorkais], ça c’est une star du ghetto; tu peux être un rappeur de la rue, un rappeur sur cassette, un négro de L’underground, moi je vis toujours à fond. Je ne peux pas imaginer être arrivé ou penser que les gens devraient venir à moi. Je suis là tous les jours à faire la liste de ce que j’ai accompli et à m’assurer que j’avance. Énormément de gens ont des conneries à redire sur The Source et comment ça s’est cassé la gueule mais ça reste le premier magazine sur le Hip-Hop. Je conserve toujours mes anciens numéros, L’histoire du rap est là-dedans.

A : ‘You never know’ est le morceau le plus triste que j’ai entendu depuis un moment et sans doute L’un de tes plus personnels. Ce morceau constituait-il une façon de soulager ta douleur ?

I : Ça soulage que dalle mon négro. Ça met juste la vie en perspective. J’ai entendu des gens se plaindre quand ils se retrouvent drogués, comment ils ont du arrêter le teushi ou les alcools forts parce que ça pourrait les mener à des drogues plus sérieuses… J’ai entendu des gens se plaindre d’avoir des problèmes avec leur meuf, ou d’être juste disque d’or, ou bien d’être un peu trop gras ou trop maigre. Ces enfoirés sont heureux de pouvoir marcher et de voir, de ne pas être en phase terminale de cancer ou du sida, de ne pas avoir été frappés par leurs parents depuis le jour où ils ont pu se tenir debout. J’ai rencontré des gens comme ça toute ma vie et c’est pour ça que je me sens béni d’avoir une famille qui a tenu le coup au lieu de m’abandonner en prison. J’ai perdu des proches dans ma vie, nous perdons tous des gens mais je refuse de m’en servir comme d’une excuse pour gâcher ma vie ou de devenir un négro aigri par toute cette merde. Je suis prêt à me battre. Où vous voulez, quand vous voulez.

A : Dans quel état d’esprit étais-tu pendant L’enregistrement de ce morceau ?

I : J’ai enregistré ce morceau quand je finalisais Revolutionary vol.2 mais L’écriture de ce titre remonte à bien avant, donc je voulais être sur que le morceau soit bon. Je n’avais même pas le refrain à L’époque. Je dois beaucoup à Jean Grae pour ce morceau. Elle est venue et a fait que ce morceau est ce qu’il est aujourd’hui.

« Ça soulage que dalle mon négro. Ça met juste la vie en perspective. »

A : Quand j’ai écouté Revolutionary vol.2, je pensais honnêtement que tu allais porter le rap conscient sur tes épaules et changer la donne. Penses-tu que la révolution est possible dans une industrie du Hip-Hop tournée vers le spectacle depuis des années ?

I : Je ne peux porter ça sur mes épaules, je ne me considère pas comme un rappeur conscient, je ne suis pas un oracle, une perfection qui saurait tout sur tout et qui pourrait te dire comment sauver ta vie. Je mets en perspective la lutte avec des faits historiques que les gens interprètent comme ils le souhaitent. Je rappe sur le quartier, et pas seulement des États-Unis mais également du tiers-monde dont je suis issu. Changer cette industrie est impossible. Essayer de rétablir une forme d’équilibre, de la rendre plus favorable pour nous, malgré ses vices demeure un objectif pour le reste de ta vie. Les mecs ne restent pas longtemps en place, j’essaie donc de dégager un maximum d’obstacles pour la personne qui viendra après moi. Je fais de la musique révolutionnaire et hardcore qui vient de la rue. Je me bats pour être plus révolutionnaire mais c’est tout un processus : il ne s’enclenche pas du jour au lendemain en lisant un bouquin acheté au coin de la rue. En tout cas, personnellement, c’est ma vision des choses et ma méthode pour me faire entendre face aux sceptiques.

A : Contrairement à ce qui se passe dans certains pays d’Amérique du Sud ou d’Afrique, où le simple fait de contester le pouvoir en place t’envoie directement en prison, il y a une relative liberté d’expression aux États-Unis. Malgré cela, il semble que la plupart des gens se comportent toujours comme un troupeau de moutons, à avaler constamment ce que les médias et l’industrie du spectacle en général leur donnent à manger. Comment expliques-tu cela ? La surpuissance des médias ? L’ignorance du public et le fait que les gens ne veulent pas apprendre par eux-mêmes ?

I: Les gens sont paresseux, ils se complaisent dans le confort de leur ignorance et les préceptes qui se sont insinués psychologiquement au sein de leurs schémas de pensées. Le rap n’est pas commercial, le rap EST une publicité pour tout, les drogues, la prison, le statut économique et social, l’argent, les fringues, le sexe, les noms de marques, les jus de fruits, l’alcool, les labels, les voitures et les quartiers. Les médias facilitent cela mais notre propre ignorance entretient ce phénomène, le Pharaon a maintenu les Hébreux au statut d’esclaves, mais il ne les a pas amenés à croire au veau d’or et à le vénérer après leur avoir donner leur liberté.

A : Beaucoup de rappeurs semblent vouloir satisfaire tous les publics pour vendre des disques. Il y a le morceau pour les filles, le morceau dancefloor, le morceau gangsta, hymne aux ghettos, ect. As-tu ressenti le besoin de diversifier le thème des morceaux figurant dans ton album ?

I: La vie n’est pas unidimensionnelle. Je fais des morceaux sur beaucoup de choses très différentes et faire des morceaux sur un seul thème précis rendrait l’album ennuyeux et incomplet. Ne me confond pas avec un de ces puristes ou petits enfoirés de backpackers, j’aime ce son qui fait remuer les gens dans les clubs, cette putain de rythmique, qui ne veut pas voir les nanas danser ? On avait ça au début du Hip-Hop. On avait ce matérialisme, cette misogynie, et le rap n’en avait rien à foutre des ressentiments d’un petit PD ou du gouvernement américain. La diversité culturelle du public Hip-Hop n’a pas changé la face du rap, un plan dicté par l’industrie s’en est chargé et c’est ce qui fait que le Hip-Hop est une musique, un album unidimensionnel avec un seul type de morceau. Cette époque arrive bientôt à son terme, j’espère juste qu’ils ne vont pas essayer de commercialiser la révolution, faire des albums de rap conscient traitant de trucs que ces mecs ne vivent pas, je peux accepter les faux gangsters, mais le faux révolutionnaire impossible.

A : Je sais que tu as refusé un certain nombre de propositions de majors. As-tu l’intention de signer un jour avec une major ou as-tu l’intention de rester indépendant ? Quand on écoute ‘The message and the money’, on se dit que tu as déjà choisi ta voie

I : Je ne peux m’imaginer être signé en tant qu’artiste sur une major, ce serait comme me retrouver de nouveau en prison. J’aimerais être distribué par une major, ça, ce serait mortel. J’ai vendu environ 55 000 exemplaires de Revolutionary Vol.2. Maintenant, je vais essayer de vendre deux fois ce chiffre et peut-être que si je réussis, ils m’écouteront.

A : Quand j’écoute un album comme Let’s get free de Dead Prez je me dis que le rap conscient hardcore peut toujours être vendu et commercialisé par des majors. Qu’en penses-tu ?

I: Je pense que c’est possible si les groupes sont commercialisés par quelqu’un qui, culturellement, est en phase non seulement avec son époque mais aussi avec la musique et le rythme de l’industrie. Mais réussir à la radio, à la télévision est d’avantage une question de pots de vins et de connaissances, quelqu’un qui te prétend le contraire est impliqué dans ce genre de pratiques ou connaît quelqu’un qui se fait du fric avec ce putain de système.

A : A quel niveau se situe ton implication dans le processus de création musicale ?

I : Je participe à toutes les étapes, la production, le mix, le mastering, les beats, le choix des morceaux, absolument tout. C’est pour ça que j’indique sur mes disques : producteur exécutif Immortal Technique. Je suis producteur exécutif.

A : As-tu reçu des échos du documentaire « Live from New-York » où tu étais au centre des débats ? C’était un gros truc en France

I : Je l’ai vu et je l’ai trouvé mortel. Je me rappelle quand mes potes sont venus ici pour filmer. Je les avais amenés dans mon quartier à Harlem et Washington Heights et ces enfoirés fumaient de la weed sur le toit et balançaient des os de poulets sur des voitures de flics. C’était un grand moment. C’était juste après la sortie de Revolutionary Vol.1 et je luttais pour commencer le volume deux. Je faisais toujours des battles. J’espère que le public en France a compris combien ça a été dur de ne pas accepter l’argent de ce deal et ne pas édulcorer mon message. Il y a beaucoup de pression pour faire de l’argent parce que vivre à New-York coûte tellement de fric mais je ne changerai pas, je resterais toujours le même.

A : Peux-tu nous en dire plus sur ton prochain album, quels thèmes vas-tu aborder ? Quand sortira-t-il ?

I : The Middle Passage sortira fin 2005, début 2006. Réaliser cet album est une tâche particulièrement difficile, les beats sont différents, les concepts sont aussi surpuissants mais la rythmique est complètement différente. C’est très cru, Street Hip-Hop, mais il y a un coté très profond qu’uniquement certaines personnes pourront vraiment comprendre. Ils savent qui ils sont.

A : Quand aurons-nous la possibilité de te voir en concert en France ?

I : Bientôt j’espère. Je n’ai jamais donné de concert là-bas, et un jour je montrerai pourquoi des gens essaient de me flinguer. J’espère que quelqu’un lit ça et ne croit pas en moi, ça me rend plus fort et me donne envie de travailler encore plus dur. Je vais débarquer dans ce pays comme les Maures il y a 800 ans négro.

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