Genezio, essor d’un scientifique
Interview

Genezio, essor d’un scientifique

Révélé il y a deux ans avec sa musique entre rap et chant, Genezio aime les mélanges et les expérimentations. Il le prouve à nouveau sur son troisième EP VIBESTARS : SAISON 2 où il décortique, analyse et combine ses contrastes émotionnels et musicaux.

Photographies : Nour Aucomte pour l’Abcdr du Son

L’espace de deux années aura suffi à Genezio pour dévoiler 3 opus : VIBESTARS-Pré saison , VIBESTARS : SAISON 1 et VIBESTARS : SAISON 2 permettant d’apporter, touche par touche, les teintes qui composeront sa grande toile. Le rappeur et chanteur tend à devenir un scientifique musical pour qui les éprouvettes, la blouse et les pipettes se métamorphosent en enceintes, sons de guitare et 16 mesures. De fait, l’artiste s’inscrit dans un créneau où le rap et le chant ne font qu’un, un mélange généralement qualifié de « mélo ». Cette tendance est installée depuis quelques années notamment avec des artistes tels que Dadju ou Naza, que l’on retrouve sur VIBESTARS : SAISON 2 aux côtés de Genezio. 

Originaire de Villeneuve Saint-Georges, Genezio épingle l’unité du rap et de la mélodie sur la carte du Val-de-Marne en fusionnant les sonorités propres à la rumba congolaise avec ses influences trap et parfois drill. Les mélodies qu’il livre sont emplies d’une énergie fédératrice qui place la passion au centre de ses différents élans créatifs, où les punchs évoquent son quotidien, ses tourments et ses agissements pour tracer son chemin car le rappeur n’a qu’une envie : « C’est d’choquer” » (« ENFANTS DU GHETTO »).

Ce troisième volet de la série VIBESTARS méritait bien de prendre une heure afin d’échanger avec « La Pépite » sur le début de sa carrière, de la construction de sa musique et particulièrement de la saison 2. C’est autour de deux grands verres d’eau, assis face à face, que nous commençons. 


Abcdr : Ton nouvel EP est la suite de celui sorti en février dernier. Pourquoi avais-tu cette volonté de réécrire un second volet ?

Genezio : Pour appuyer ma touche, pour approfondir ce que j’ai déjà livré. J’ai commencé d’abord avec 5 sons sur la pré-saison puis 11 sons avec la saison 1. Sur la saison 2 j’avais besoin de m’inscrire tout seul, de rafraîchir mon délire, d’apporter quelque chose de nouveau. Je souhaitais garder la même couleur que les EPs précédents avec une manière d’interpréter le changement de vie entre la saison 1 et la saison 2. 

A : Tu chantes beaucoup en plus de rapper, est-ce que ça a toujours été dans ton ADN ? 

G : Selon moi, je suis un rappeur qui a développé des talents de chanteur. En réalité, je deviens un artiste sous plusieurs versions en essayant de rajouter quelque chose de différent dans ma musique, dans la manière d’être un artiste. J’ai commencé avec le rap, puis la chanson est venue après. Je me suis plus démarqué avec la chanson certes, mais j’accentue aussi ma partie rap pour devenir un artiste complet. Je ne veux pas me limiter, me mettre de barrières. Mon but c’est simplement de m’améliorer donc combiner le rap et le chant y participe. 

A : Tu as récemment dit à Brut que tu as commencé la musique en groupe sous un autre nom : « L’instruvor”. Tu disais être un « mangeur d’instrus ». Comment as-tu eu l’idée de ce surnom ? 

G : Je me suis donné ce nom. Je m’appelais le « mangeur d’instrus » et ce nom corrèle avec ma période où je rappais beaucoup. Je suis une personne qui fonctionne avec plusieurs versions de moi-même. L’art me permet de développer des alter egos. Par exemple, on est passé de « l’instruvor » sur VIBESTARS : SAISON 1 à « Gé LA PEPITE » sur la saison 2 et je pense que demain on sera sur un nouvel alter ego, c’est déjà écrit. Je suis devenu Genezio après avoir été l’instruvor.

A : Tu définis à l’avance sous quelle facette tu es ou elles viennent spontanément ? 

G : Je n’énonce pas tous les alter egos car je pars du principe que sur mon côté artistique j’essaie tellement d’être complet que je peux avoir plusieurs faces, voire trop. J’essaie de combiner celle qui est un peu comique, la sérieuse, la triste, c’est une question de vibe, si j’ai envie de rapper ou de chanter par exemple, d’où le nom de VIBESTARS. Aujourd’hui ça fait quatre ans que je suis sur la vibe du chant parce que je voulais chercher un ensemble assez puissant, qui se démarque, puis l’approfondir et me trouver au fil de ces expériences.

A : Ta musique est très mélancolique dans ses textes, mais très joyeuse dans ses sonorités. Ça t’intéresse de faire ce mélange ? C’est volontaire de ta part ? 

G : Oui totalement. Je suis quelqu’un qui aime faire des mixtures. Quand je rentre en cabine je suis comme un scientifique. Quand je suis devant les enceintes je suis en mode scientifique. Quand je rentre chez moi, je suis en scientifique aussi. Mon but premier c’est de chercher. De chercher des sonorités qu’on n’a pas entendues, de mélanger des influences que j’ai pu recevoir étant jeune, des nouvelles influences que j’ai pu recevoir plus tard aussi. Je vois la musique en couleurs et je vois ce projet avec ce mélange d’euphorie et de mélancolie donc un mélange d’orange et de bleu/violet un peu. Une sorte de contraste qui au final se mélange bien et donne vie à de nouvelles couleurs. Ce que j’aime avec ce projet c’est d’avoir réussi à trouver la bonne mixture, la bonne fréquence, celle qui parle c’est surtout celle du cœur. Mon but c’est de toucher les gens. 

A : Parle-moi de ce mode scientifique, pourquoi tu cherches autant à parfaire tes mélanges, tes contrastes ? 

G : Je suis là pour te faire bouncer. Je suis un enfant de la bounce d’Atlanta, ça fait partie de la naissance même du hip-hop. Mon but dans ma musique et surtout dans ce projet c’était de faire ressentir le même état d’esprit et les mêmes émotions que j’ai mis dans ma musique à ce moment donné. Et surtout de le faire sans barrière, sans même la barrière musicale en vérité. C’est comme si j’étais en face de la personne qui m’écoute en voulant lui donner les mêmes frissons que je peux avoir. Je suis beaucoup dans la transmission de sentiments. L’émotion vient avant tout, la technique vient après et en soi, même mettre de l’émotion est technique. D’où le mode scientifique ! Je fais mes mixtures, je teste beaucoup, même si “j’échoue” je le vois simplement comme une expérience et je prends note. Ça me permet de voir mes lacunes et de pousser toujours plus haut.

« L’émotion vient avant tout, la technique vient après et en soi, même mettre de l’émotion est technique. »

A : Est-ce que tu prépares déjà à l’avance ce que tu vas mélanger ? Ou c’est en fonction de ton humeur du moment ? 

G : Je prépare, tout se passe dans ma tête. Je réfléchis beaucoup, je me vois un peu comme RZA du Wu-Tang Clan avec cet esprit de méditation. Aller chercher ce dont les gens ont besoin. Comme un chef cuisto qui doit impressionner sa table remplie. Les gens ne te donnent pas de menu, tu as quelques indications sur ce qu’ils aiment mais c’est tout et tu dois composer avec ce peu d’informations. Je cherche constamment à développer et surtout à ne pas rester sur mes acquis, musicalement et personnellement.

A : Est-ce que tes influences musicales t’ont mené sur cette voie de recherche constante ? 

G : Au début, j’ai beaucoup été influencé par le rap français comme Sinik, Booba, Rohff ou Sexion d’Assaut. Puis j’ai commencé à écouter ce qui se faisait chez les Américains, à l’époque de Chris Brown, Tyga, T-Pain, Young Thug, Lil Wayne, Meek Mill, Rick Ross, Chief Keef. Et je retrouvais vraiment cette volonté d’innover et d’apporter un nouvel air à la musique. Alors je suis rentré dans cette vague-là. Le but c’est de créer un mouvement et d’emmener tout le monde dedans. Comme XXXTentacion ou Playboi Carti ont pu le faire ! Après, j’ai beaucoup éduqué mon oreille à écouter de tout : des musiques françaises, congolaises, des openings aussi qui m’ont mené sur la musique asiatique. C’est important d’avoir une vision d’ensemble de tous les horizons musicaux. 

A : Tu es d’origine congolaise et on entend beaucoup d’influences de la rumba congolaise dans ta musique. Tu écoutes ce genre musical depuis longtemps ? C’est naturel de l’utiliser dans ta musique ? 

G : Ça fait partie de mon identité, ce n’est même pas voulu, c’est juste moi. Mes origines ressortent inconsciemment. C’est plus qu’une fierté, c’est un lien indéfectible qui me tient au Congo. Je suis beaucoup allé au bled depuis tout petit, donc j’ai toujours été proche de mon pays. Même mes parents y ont contribué. Il y a beaucoup de facteurs qui font que j’ai toujours baigné dans ma culture, en passant évidemment par la musique. La répétition des morceaux, des rumbas dans ma tête, mon oreille est éduquée par ça, c’est une de mes plus grandes influences et je ne le fais même pas exprès, c’est en moi. C’est ma richesse, c’est tout simplement moi. C’est comme si j’étais une partie de la rumba. 

A : Tu continues d’aller aussi souvent au Congo ? 

G : Ça fait quatre ans que je n’y suis pas allé. Je me suis promis quelque chose, c’est que quand je reviendrai au Congo, je me dois de revenir avec une grosse date. J’essaie de construire une base solide ici pour qu’ensuite je puisse tout casser là-bas. Ils partagent déjà mes sons, ils écoutent, ils sont investis dans mon art donc ça fait plaisir. Je vois la vie par chapitres, j’ai envie de finir mon chapitre ici et après il y aura un autre chapitre où on ira là-bas, ce serait un vrai accomplissement pour moi. Peut-être qu’il n’y aura que de la promo au Congo, peut-être qu’il y aura que cette partie-là dans ma musique, je me laisse porter !

A : Sur le premier morceau « SI » tu dis « Dans le pire j’ai cherché mieux ». Est-ce que tu te considères comme quelqu’un d’optimiste ? 

G : Je suis joyeux de nature mais il y a beaucoup de mélancolie qui se cache derrière, c’est ce contraste-là qui se transmet en musique. Dans « SI » c’est vraiment ce que je cherchais à mettre en valeur. C’est le fait qu’on se dise toujours “y’a pire” mais il y a mieux aussi. Avec du recul c’est vraiment que du bon qui en ressort, je sais que je vais mieux en me disant ça, il y a toujours mieux donc je vais aller le chercher. Et  dans le pire aussi je compte le chercher ! Je suis dans le pire, je viens d’en bas, d’endroits défavorisés. On est déjà dans le pire donc on va y aller même si ce ne sont que dix secondes de mieux ! 

 

A : Tu as nommé un de tes morceaux « Enfants du ghetto ». Comment était ta jeunesse à Villeneuve-Saint-Georges ? 

G : J’étais dans le 94, limite 91, et le 94 ça a toujours été “state”, avec ce côté un peu street avec les gros cuirs, les anciens qui viennent en bande, on a toujours été éduqués par ça. Aujourd’hui, je vois Villeneuve-Saint-Georges comme une ville qui mélange Atlanta et New York. C’est une mentalité bounce avec beaucoup d’artistes : rappeurs, chanteurs, footeux, que je compte comme de réels artistes, guitaristes… Ma ville, c’est le berceau de ma musique, de mon univers. Pour aller où tu veux, il faut savoir d’où tu viens. Je prends ma ville comme une base et je m’y appuie à chaque fois car elle est solide. 

A : Qui sont les enfants avec toi sur la pochette ? Des enfants de ta ville ? Pourquoi cette photo de classe ? 

G : J’ai envie que l’on se dise « Genezio c’est un mec qui unit, qui fédère » parce que c’est ma culture, c’est mon éducation d’être dans l’entraide. Et les petits sont le futur. Donc si je veux impacter le futur je dois être avec les enfants, pouvoir leur donner tout ce que je n’ai pas pu avoir, comme certaines clés de compréhension de la vie. On ne sait jamais ce qui peut se passer demain. On vient d’en bas, on est toujours sur le qui-vive, en état d’urgence et on ne sait pas ce qui peut arriver, dans le pire comme dans le meilleur. Donc le but c’est de donner un maximum d’amour. Je n’ai pas besoin de mettre de nom ou de statut sur ça comme une association. Je le fais juste car il faut le faire, il n’y a rien derrière, c’est avec le cœur. Mon producteur Loss m’a beaucoup appris à être dans cette mentalité. Il y a une personne qui a cru en moi et regarde où j’en suis, tu vois ce que ça peut faire ! Le secret c’est le travail et que quelqu’un croit en toi, comme All for One dans My Hero Academia .

« C’est plus qu’une fierté, c’est un lien indéfectible qui me tient au Congo. »

A : Tu parles beaucoup de ne pas oublier d’où l’on vient dans les textes de ton album. Sur « L’ATTERRISSAGE » tu as l’air de parler de quelqu’un que tu connais, qui a oublié d’où il venait. Comment est-ce que tu as eu l’idée de ce morceau ? 

G : Pour enregistrer ce son j’étais en séminaire et j’aime bien raconter des histoires de base. À ce moment-là j’étais matrixé par le Wu-Tang Clan et RZA parlait beaucoup de l’atterrissage où il y a deux faces. Tu peux tomber sur un côté ou sur un autre en fonction de toi, ta chance et tes choix. Je ne parle pas forcément d’une personne que je connais mais c’est un peu comme dans Black Mirror, ce sont des histoires indépendantes mais qui arrivent à te toucher. C’est ce que j’essaie de faire ressentir et d’apporter dans la musique. Je veux transporter l’esprit des gens, le mettre en image, faire ressentir le personnage que je décris. 

A : D’ailleurs à la fin tu samples le dialogue « L’important c’est pas la chute, c’est l’atterrissage » du film La Haine de Mathieu Kassovitz. Pourquoi ?

G : Ça représente intégralement l’atterrissage. C’est un film que j’ai beaucoup regardé et qui collait parfaitement avec l’identité du morceau. Tu peux décoller très facilement, dans le bon comme dans le mauvais, mais au final quand tu atterris tu ne sais pas où tu retombes. Tu peux te crasher, comme tu peux retomber sur tes quatre pattes comme un chat. C’était vraiment comme un rappel, pas qu’aux autres mais aussi à moi-même. Des fois je me pose et j’écoute ce que j’ai pu dire et là je me dis « ah ouaaaais », ça résonne en moi. Ce sont aussi des rappels aux plus jeunes comme aux plus vieux, de garder la tête froide. Ce mec-là a oublié les gens mais dans cette histoire je développe aussi toute une partie de conseils que je me donne à moi-même. Comme dans le morceau « INGRAT » je dis : « Je fais comment quand le loup se cache dans la bergerie, quand l’ennemi fait partie de mes amis, dois-je commettre un acte de barbarie ou faire preuve de diplomatie. » J’aime remettre les gens en question et je vais le faire dans la rhétorique. Ah cette prof de français depuis le jour où on a vu la rhétorique je n’ai jamais oublié ! [rires]

A : Avec VIBESTARS : SAISON 2 tu penses que la trilogie est aboutie (en comptant la pré saison) ? Ou tu aimerais continuer sur un autre volet ? 

G : J’aimerais même continuer peut-être sur deux ou trois volets. Et encore, je ne suis même pas sûr qu’un jour je sortirai une suite. Ce n’est vraiment pas fixe, c’est sur le moment, en fonction de ce que je veux et de ce que le public demande. En ce moment j’aimerais bien travailler sur le format d’album. J’ai envie de chercher une autre direction artistique. Sur ce projet c’était un peu gospel et là pour l’album je veux mettre en avant la bounce. Je montrais des facettes de moi avec cette continuité de VIBESTARS. Le projet à long terme c’est de chercher des sonorités différentes, de voyager, de me mettre en difficulté, de sortir de ma zone de confort, ça me challenge. Le jour où je n’ai plus de challenge dans la musique, je m’arrête. J’ai encore des mixtures à faire, j’ai montré une palette de couleurs et je veux les mélanger. Au lieu de voir quelques touches de peinture parsemées je veux travailler et montrer l’ensemble du tableau. Je veux explorer, ne pas me fermer l’esprit, essayer d’aller en profondeur. Je laisse un bout de moi à chaque fois donc c’est à vous de le récupérer. 

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