Interview

François Bonura : « Mon objectif c’est de faire participer le lecteur »

Français exilé à New-York depuis plus de dix ans, photographe devenu journaliste, François Bonura est aussi l’auteur de plusieurs interviews anthologiques pour le défunt Radikal. Rencontre avec « un photographe qui écoute beaucoup de rap. »

et

Abcdr : Peux-tu te présenter pour ceux qui ne te connaissent pas…

François Bonura : Je suis né à Rome et suis arrivé en France quand j’étais gamin. J’ai d’abord habité en province (Nice, Le Havre, Avignon, Saint Julien en Genevoix, Vauvert) avant d’atterrir à Paname dans le onzième. J’étais à Faidherbe-Chaligny sur la 8. Ensuite, j’ai déménagé à Boboche (Bobigny, 93) où je suis resté jusqu’à mon départ pour New York.

A : Comment as-tu atterri à New-York ?

F : J’y allais souvent en étant au bahut. Le soir et les week-ends, je bossais au Mc Do du centre commercial Bobigny 2 pour me faire un peu de thunes et me payer des petits séjours. Je venais pour pécho du son, un peu de sape et surtout pour kiffer New York… Petit à petit je suis tombé amoureux d’Harlem, de son ambiance, de ses habitants, etc… A l’époque, la 125 ressemblait à un souk avec son marché africain à l’angle de Lenox, ses vendeurs de mixtapes écrites au marqueur « DJ Juice », « Ron G »… Le mercredi soir, j’allais au studio Rock n’ Will pour les open mics ; on pouvait y voir des mecs comme Lord Finesse en freestyle et pour moi c’était déjà inespéré…

A : Comment es-tu venu à t’intéresser au Hip-Hop ? Tu es du genre à avoir grandi dedans ?

F : Grandi dedans c’est un bien grand mot ; non, j’ai plutôt pris le train en marche à la fin des années 80 avec Run DMC, les Beastie etc. Ensuite y’a eu le breakdance à la télé et enfin Nova avec Lionel D et surtout les mixes de Dee Nasty… Avant ça j’entendais plus que j’écoutais. Bien sûr, comme tout le monde, je me suis pris la grosse baffe quand j’ai vu Beat Street en 84 mais à l’époque, j’écoutais vraiment de tout. Petit à petit, quand j’habitais près de Bastille, je me suis intéressé aux graffs de Mode 2 dans la cage d’escalier de la radio ; y’avait aussi les concerts d’IZB. C’est vraiment devenu ma passion à ce moment là…

Pour mon éducation musicale j’ai eu beaucoup de chance comparée à la plupart des mecs qui sont des autodidactes. Ma mère est plutôt Rock et Blues mais mon deuxième papa, Jean-François Thulau a toujours bossé en radio, c’est un gros spécialiste de la musique au sens large. C’est d’ailleurs lui qui a créé et animé la toute première émission de rap français sur Radio France, dans le Vaucluse.

Y’a toujours eu une platine Technics à la maison et j’ai grandi entre Vivaldi, Fela, Supertramp, Lou Donaldson, Curtis Mayfield, Police, Genesis, Donny Hathaway, AC/DC, les Last Poets, toute la Motown, Gérard Manset, Higelin, Prince etc..
Niveau rap français, j’entendais Rockin’ Squat en freestyle à la radio et je me disais : « O.K, le mec prend le beat et le flow de ‘Watch me now’ (Ultramagnetic MC’S), et ça, n’importe qui peut le faire« . Par contre, un soir, Jean- François est rentré de la radio avec le 45 tours de ‘La formule secrète’ ; on s’est regardé et là, on a compris que le rap français passait à la vitesse supérieure… Pareil la première fois qu’on a vu NTM à Nulle Part Ailleurs, on s’est dit : « c’est bon, cette fois-ci c’est parti« .

Au fait, Kool Shen, si tu lis ça : je bande encore sur ses Adidas Torsion édition spéciale Jean Colonna [rires]…

A : En tant que simple auditeur, quels sont les albums et les artistes qui t’ont le plus marqué ?

F : Y’en a tellement ; j’sais pas moi… Tout… J’aime tout… Allez, si je devais me faire un top 20 à emmener sur une île, y’aurait sans doute, et ce dans le désordre le plus complet, Livin’ Like Hustlers (Above The Law), Till Death Do Us Part (Geto Boys) The World Is Yours (Scarface), The Big Picture (Big L), Done By The Forces Of Nature, (Jungle Brothers), Southerplayalisticadillacmusik (Outkast), A Wolf In Sheep’s Clothing (Black Sheep), Dah Shinin’ (Smif N’ Wessun), Step In The Arena (Gangstarr), Reel To Reel (Grand Puba), The Chronic, Illmatic, Enter The Wu- Tang, Business As Usual (EPMD) , Firing Squad (M.O.P), etc, la liste est longue… Y’a des mecs pour qui c’est dur de choisir; franchement, pour Ice Cube, E-40, KRS One, NWA, ou encore Public Enemy, je saurais pas quoi emmener…

Y’a de tout comme cas de figure ; y’a des mecs comme Kokane, Tupac ou Rakim, dont je suis fan jusqu’à la mort et dont je vais acheter tous les albums sans même les écouter. Y’a des mecs comme Bushwick Bill par exemple, que je respecte ne serait-ce qu’à cause d’un seul morceau dans leur carrière, ‘Ever so clear’. Quand Coolio fait ‘N da closet’, tu peux que t’incliner parce qu’avant lui, jamais personne dans le rap game n’a osé avouer sa dépendance au crack. Quand Krumb Snatcha fait ‘Closer to god’ ou quand Cheeks des Lost Boys fait ‘Renée’, t’es vraiment avec eux. Pareil pour Eight Ball, quand il fait ‘My homeboy’s girlfriend’ c’est chaud, c’est très visuel, y’a autant de drama et de sincérité que dans un film de Scorcese.

Y’a trop de mecs que je kiffe, elle est chaude ta question… Too $hort j’en parle même pas, c’est le mec le plus constant qui soit. Tu te rends compte que mine de rien on arrive au vingtième album ? Comment choisir entre ‘Get In Where You Fit In’ ou ‘You Nasty’ ? Too $hort, plus il prend de la bouteille, plus il est bon ; j’ai envie de dire « à l’inverse de tout le monde« …

A : On dit parfois que derrière chaque journaliste véritablement passionné par le rap et l’écriture, il y a un rappeur qui sommeille, est-ce que c’est ton cas ?

F : Pas du tout ; c’est vraiment pas pour moi. Je suis du genre à même pas essayer quelque chose dès que je sais qu’il y a meilleur que moi. Y’a un Akhenaton ? Y’a un Oxmo ? Y’a un Fabe ? O.K, alors désolé, à plus, je pourrais pas leur arriver à la cheville même si j’essayais pendant des années…

A : Quel a été ton parcours avant de faire des interviews pour Radikal ?

F : Après mon service militaire outre-mer, dans la Marine Nationale, je me suis dit : « O.K, sa mère les allers-retours, faut que je bouge là- bas définitivement« . Le problème c’était de trouver quelque chose à faire pour vivre. Avec ma mère Dominique et un ami dominicain, j’ai monté le Bed & breakfast Off The Park, un petit hôtel de 20 chambres à Harlem sur la septième Avenue entre la 120 et la 121ème rue. Tout allait bien mais après le 11 Septembre 2001, quand les gens ont arrêté de prendre l’avion, on a perdu notre business.

A : Aujourd’hui, tu vis à New-York ?

F : Ouais et franchement je suis pas près de rentrer en France parce que la mentalité est pas terrible. On pourra dire que j’ai essayé ; je suis repassé pour la première fois au début 2002. Je devais organiser quelques concerts avec deux potes qui étaient des anciens clients du bed & breakfast: Amad et Issa. On a monté une petite boîte : Entrepreneurs Entertainment ; à partir de là, on a ramené des artistes comme Afu-Ra, Masta Ace et The Beatnuts.

«  La première fois que j’ai parlé avec Grandmaster Flash ou Kool Herc, je me chiais dessus. »

A : On a appris il y a quelques semaines que Radikal était officiellement mort. Que s’est-il passé ?

F : Pour ce que j’en sais, le groupe de presse qui possédait le titre a déposé le bilan. C’est un peu con parce que Radikal s’en sortait plutôt bien… Niveau vente, niveau connections aussi, bref, je trouve ça dommage. Mine de rien, on en était au numéro 97 ; on a pas idée d’arrêter « si près du but« …

A : Quelles sont tes relations avec Olivier Cachin ?

F : Avec Olivier ? Tout va bien, il m’a toujours donné le plus d’espace possible pour mes tofs et mes interviews donc rien que pour ça : merci. La première fois que je l’ai vu c’était à la télé, quand il présentait Rapline. Comme la plupart des fans de Hip Hop, je me foutais gentiment de son costard et de son « tchax, O ». De toutes les façons, je crois qu’on se serait foutu de n’importe qui si ça avait pas été lui…
Aujourd’hui, non seulement j’aime son « tchax, O » parce que je suis un grand nostalgique mais en plus, je l’appelle quand ça va pas, quand j’ai besoin de conseils ou de renseignements. Le mec, il a une culture générale de taré et ce, dans je sais pas combien de domaines…

A : Un magazine rap pour les plus de 18 ans, sans plus-produit, sans poster, entièrement centré sur l’écrit et l’image, c’est encore possible en France ?

F : Bien sûr que c’est encore possible et si tout va bien, tu devrais en avoir la preuve courant 2006. Pourquoi c’est possible ? Ben déjà, parce qu’il y a une grosse part de marché à prendre : le public il est là, il va nulle part, il attend bien sagement qu’un ou plusieurs investisseurs aient les couilles de lancer un nouveau produit. Pour reprendre tes mots, moi aussi je rêve d’un magazine « basé sur l’écriture et les images » ; si c’est pour avoir un énième titre avec des photos DR et des interviews par téléphone, non merci.

A : Quel regard portes-tu sur la presse musicale US (XXL, The Source, Mass Appeal, Elemental,…) ?

F : Mmmm… The Source ça fait longtemps que j’ai lâché l’affaire. XXL ça dépend : je m’arrête au kiosque, je feuillette et j’avise en fonction des articles. Mass Appeal j’aime bien ne serait-ce que pour la qualité du papier mais il est relativement dur à trouver, faudrait que je m’abonne. Elemental, petit à petit, y’a moins de Hip Hop et plus de fashion mais attention, ça reste très soigné. Michael Cusenza, le rédacteur en chef, est un vrai passionné et il envoie rien à l’imprimerie tant qu’il est pas content du produit fini.
Faut pas oublier qu’aux States t’as plein de titres qui franchissent pas l’Atlantique et qui sont mortels ; ici, le marché est tellement énorme que certaines publications s’en sortent en s’adressant aux lecteurs d’un seul et même état. Truc de ouf…

A : Si aucun repreneur ne se manifeste pour Radikal, j’imagine que tout ça va sérieusement te manquer…

F : Bien sûr que ça va me manquer ; ça me manque déjà grave… Ça fait plus de trois mois que les mecs (labels, artistes indés, majors) m’appellent et moi, comme un con, je suis obligé de dire « non, merci, peut-être plus tard mais là, j’ai pas de débouché« .
Si ça continue comme ça, je monte mon propre magazine avec des potes, sérieux… Je rêve d’une publication qui justement laisserait chaque reporter s’exprimer avec sa propre plume. Pareil pour les photographes et les graphistes, faudrait finalement que chacun ait un max de liberté.

A : Est-ce qu’on a refusé de publier certaines de tes interviews ou articles, si oui, pourquoi ?

F : Ça m’est arrivé qu’un mag’ américain me prenne les photos et pas l’article ou l’interview. Il paraît que mon style n’est pas assez « académique ». Pour Radikal, Olivier ne m’a jamais refusé un article mais c’est déjà arrivé qu’il en écourte un, le plus souvent pour des raisons de mise en page. Des fois il a dû reporter un papier au mois d’après tout simplement par manque de place. Faudrait que tu lui demandes à lui ; c’est plutôt une question pour un rédacteur en chef…

A : En étant dans la presse musicale, j’imagine que tu as eu la possibilité de rencontrer pas mal de mecs intéressants, quels sont ceux qui t’ont le plus surpris, où tu t’es dit que l’image qu’ils pouvaient donner ne correspondait pas du tout à la réalité…

F : T’es toujours surpris, quoiqu’il arrive. L’artiste il est humain, comme toi, comme moi, il a des mauvais et des bons jours, faut essayer de le choper au bon moment. Après, c’est au cas par cas, disons que t’as des mecs comme Mos Def qui sont toujours adorables en plus d’être intéressants et puis t’as des mecs comme Kanye West qui se la pètent mais tu fermes les yeux parce qu’ils sont super talentueux.
T’as des artistes que tu dois rencontrer en coup de vent et au final, tu finis par passer la soirée avec eux, c’est toujours sympa. Y’a des artistes qui renversent la situation et à la fin, c’est eux qui t’interviewent parce qu’ils sont curieux et qu’ils veulent en savoir plus sur tes goûts ou sur ton boulot de journaliste…

« L’artiste il est humain, comme toi, comme moi, il a des mauvais et des bons jours, faut essayer de le choper au bon moment.  »

A : J’aime bien l’émotion qui se dégage souvent de tes articles, on sent que tu prends un plaisir certain quand tu mènes la plupart de tes interviews. Celle de Rakim, c’était le summum, on sentait que plus que le journaliste c’était le fan qui parlait…

F : Merci, je le prends comme un compliment. Tu sais, j’ai mon bac mais point barre. J’ai bien essayé d’aller à la fac pour un DEUG de langues à Paris VIII, Saint Denis, mais j’ai pas tenu un an, je m’emmerdais grave surtout que j’étais déjà bilingue. Bref, tout ça pour te dire que j’ai aucune formation de journaliste. Je suis juste « un photographe qui écoute beaucoup de rap« . Pour en revenir à ta question, Rakim, pour moi -et je suis pas le seul-, c’est le rappeur ultime. Quand je l’ai eu devant moi, c’était le Hip-Hop que j’avais devant moi. Ça m’a fait pareil la première fois que j’ai parlé avec Grandmaster Flash ou Kool Herc, je me chiais dessus… C’est pas que le mec m’impressionne, c’est juste que quand je le vois, je vois 20 ans de ma propre vie… Je sais pas comment t’expliquer ; c’est vrai que c’est super émouvant quand tu rencontres un mec que tu admires depuis que t’es ado.

A : Un autre truc qui m’a marqué, dans le ton de tes interviews : on a toujours l’impression que tu es super pote avec les mecs dont tu fais l’interview. Tu dis même à Fat Joe que les morceaux qu’on t’a fait écouter cassaient pas des briques… Merde c’est le Don Cartagena quand même !

F : Oulah… Ça dépend des fois, sérieux, demande à Fabolous si on est potes [rires]…
Mon objectif c’est de faire participer le lecteur. Je veux que le mec qui lise ait l’impression d’être avec moi. Quand j’arrive pour faire une interview, j’ai quelques notes qui sont plus des trucs à pas oublier que des questions, donc j’impose rien à mon interlocuteur.
Dans 80% des cas, je fais des mecs que j’admire alors pour Fabolous c’est pas le bon exemple. J’arrive plus pour avoir une discussion que pour faire un boulot fastidieux, ennuyeux. Je viens pour passer un moment avec la personne, exactement comme un fan le ferait en approchant un artiste backstage. C’est comme ça que j’ai commencé d’ailleurs, j’allais voir un artiste à la fin d’un concert et c’était à base de « je peux te prendre en photo ? Au fait, y’a deux ou trois trucs que j’ai toujours voulu te demander, t’as cinq minutes ? » C’est peut-être pour ça que t’as l’impression que je suis « pote » avec l’artiste.

Ensuite, y’a des détails que je m’impose dans la forme, des trucs qui me paraissent évidents comme tutoyer les mecs quand je retranscris une interview. J’essaie aussi d’être le plus idiomatique possible dans la traduction. En français, on a la chance de pouvoir jouer avec les mots et il faut pas s’en priver. Notre langue est hyper riche par rapport à l’anglais parlé par beaucoup de ricains.
Pour ce qui est de Fat Joe, il était le premier à être dégoûté. Quand il a su que le staff d’Atlantic ne m’avait passé que du « radio friendly« , il a donné des consignes à son manager pour qu’on me fasse écouter autre chose que des featurings avec J-Lo… Tu sais, tout dépend de la façon dont tu critiques quelqu’un. Avant de lui dire que les premiers sons entendus étaient merdiques, je lui ai d’abord dit que j’étais un fan depuis « You gotta flow » et surtout que pour moi, il représentait le D.I.T.C avant tout. Quand tu sais de quoi tu parles, tu peux tout te permettre, faut juste avoir des arguments. Si le mec est vraiment un artiste, il préfère une critique censée plutôt que la petite japonaise qui lui demande où il a acheté ses Nike…

A : Pour l’avoir vécu quelques fois et pour le lire très régulièrement dans les magazines, j’ai l’impression que la plupart des interviews ne peuvent aujourd’hui durer, dans la plupart des cas, plus de vingt minutes, du coup les mecs ont tendance à toujours répéter la même chose, j’imagine que c’est particulièrement frustrant pour toi.

F : Comme je t’ai dit, en général je suis chanceux et j’arrive à concilier travail et plaisir. J’essaie de ne pas interviewer des mecs « imposés » par des accords tacites entre les magazines et les majors. Même quand je fais un artiste « mainstream », j’essaie de le faire dans des conditions sympas, je vais me débrouiller pour le rencontrer en dehors des bureaux, loin de son PR ou de son agent.
J’essaie surtout de ne PAS rencontrer les mecs qui n’ont que cinq minutes à m’accorder et ce, pas parce qu’ils sont busy, mais comme tu dis, peut-être qu’ils n’ont rien à raconter. En général ça se recoupe : le mec qui n’a rien a dire est peut-être un produit et pas un artiste…

A : Parmi toutes les interviews que tu as pu faire, quelles sont celles qui t’ont le plus marquées ? J’imagine que tu dois avoir un paquet de souvenirs en tête, pas mal d’anecdotes croustillantes…

F : J’ai beaucoup aimé ma rencontre avec Easy Mo Bee. Le rêve: le mec arrive à l’heure, il a des tonnes de disques à me faire écouter et en plus il est intarissable sur tout. On parle de Miles Davis, de old school, de Biggie en détail, on parle de bouffe, d’apparts à louer, d’Harlem, de tout… J’étais surpris parce qu’on m’avait dit qu’il était un peu renfermé, comme pas mal de producteurs.

Pareil avec le père de Nas: je l’appelle et je me rends compte qu’on habite à même pas dix blocs l’un de l’autre. Il passe à la maison et là on parle mais en même temps on se bourre la gueule bien bien. Résultat, on a papoté pendant très, très longtemps… Il a beaucoup d’humour et en Jazz, il m’a appris plein de trucs. Y’a des mecs que j’ai plaisir à revoir et avec qui je suis devenu pote parce qu’on s’est vu plein de fois: Saigon, Buckshot, Prodigy, Finesse, Tony Touch et j’en passe… On se voit une première fois, ça se passe bien et les mecs sont réglos donc on reste en contact, on s’aide genre : « t’as le numéro d’untel ? »
Un bon exemple c’est Masta Ace : on s’est vu plusieurs fois pour des interviews, des séances photo, nos meufs sont devenues copines, Entrepreneurs organise ses premiers concerts à Paris, ça se passe bien et boum ! Un an plus tard il m’appelle et me demande de faire les tofs de son dernier album A Long Hot Summer. J’étais flatté parce que pour moi, Ace, c’était et ça restera toujours une des pierres de l’édifice Juice Crew. Ace c’est aussi le mec dont Eminem s’est inspiré pour le flow, faudrait pas l’oublier…

A : En parlant d’interview, celle de Bang’em Surf défonçait vraiment. Y’avait un coté super pittoresque, les mecs qui se font sucer et boivent du Hennessy avant et après l’interview…

F : C’est un cas celui-là ! Rien à cacher, plein de trucs à dire et en plus, on s’est vu dans une impasse de son quartier, seuls, pas de hype autour; bref, dans de bonnes conditions. Au fait, l’album est finalement sorti, j’espère que tous les mecs qui ont kiffé l’interview l’ont entendu. J’ai compris que l’interview était bonne quand je me suis rendu compte que Cachin m’accordait dix pages alors que Rakim qui était en couv’ n’en avait que huit au final.

A : Est-ce que c’est toi qui faisait aussi les photos ?

F : Ouais, toujours. J’ai commencé par la photo d’ailleurs. Ma toute première publication c’était dans un magazine allemand, je m’en souviendrai toute ma vie. C’était une photo noir et blanc de Kool G Rap en double page. A l’époque je faisais pas d’interviews, je sais pas pourquoi, je la sentais pas… L’avantage quand tu fais le texte et les tofs, c’est que le mec que t’as en face se relâche complètement vu que c’est du seul à seul. Pas de stress, pas de sensation d’être « écouté » alors qu’il l’est. Je suis toujours en solo et c’est très bien comme ça. Par contre je filme tout, je pose mon petit camcorder DV sur un trépied et c’est parti…

A : Tu as développé un certain type d’articles axé sur le crime et la rue à New-York, donnant un ton différent à Radikal. Je pense à la saga J-Roc ou à l’interview de Chazz [célèbre gangster New-Yorkais, condamné à quatre-vingt quinze (!) années de prison, finalement sorti au bout de quinze, et fondateur de Black Hand Records]

F : Mmmm, je l’attendais celle-là… Disons que le rap s’inspire le plus souvent de la rue et de temps en temps, c’est intéressant de remonter à la source. Faut croire que pas mal de lecteurs ont kiffé puisque J-Roc est devenu populaire dans les mois qui ont suivi la première partie de sa « saga ». Après Blaq Poet, c’est sur lui que 45 Scientific va se concentrer. Il est d’ailleurs en featuring sur deux tracks de Déjà Screw, l’album de Blaq Poet produit par 45 Scientific ; les mecs vont enfin pouvoir se faire une idée de son talent en tant que rappeur. C’est marrant que tu me parles de lui parce qu’hier il était à la maison pour choisir ses beats…

A : Olivier Cachin expliquait dans une interview qu’il préférait un papier « hors-musique » à un papier banal sur un disque, ses featurings et ses producteurs. Penses-tu que les rappeurs parlent mieux en musique qu’ils ne parlent de leur musique ?

F : C’est vrai qu’un papier « hors musique » peut toujours être intéressant, faut juste bien choisir son sujet. Maintenant, est-ce que les mecs parlent mieux EN musique que de LEUR musique ?  Grave ! Des fois j’hallucine et je me dis : « c’est pas possible, c’est pas lui qui a écrit ça« . J’ai toujours une petite appréhension avant de rencontrer un vrai MC parce que certains mecs savent s’exprimer devant un micro mais dès que tu les a devant toi c’est fini…

« J’ai toujours une petite appréhension avant de rencontrer un vrai MC parce que certains mecs savent s’exprimer devant un micro mais dès que tu les a devant toi c’est fini… »

A : T’as jamais eu envie d’écrire un bouquin autour du rap ?

F : Trop fastidieux pour moi. J’ai pas assez de patience, je suis comme un gamin trop pressé d’ouvrir les cadeaux sous le sapin. En général, au bout d’un mois, je suis comme un fou en train d’attendre le colis de la rédaction avec le magazine dedans ; faut que je vois tout de suite à quoi ça ressemble. Qu’est-ce qui a été enlevé ? Qu’est-ce qui a été corrigé ou reformulé ? Comment le graphiste a exploité mes photos ? Lesquelles ont été choisies ?

En plus, le rap a tellement pris d’envergure que tu peux plus faire un bouquin sur le mouvement en général. Faut choisir un angle et dans mon cas, franchement, j’aime tout alors c’est pas possible. A la rigueur un bouquin de photos mais c’est plutôt couillu quand t’as déjà un « Who Shot Ya? » de Ernie Paniccioli…

A : Que penses-tu des webzines ? Sont-ils une alternative à la presse papier ou un concurrent sérieux ? Penses-tu que leur émergence, notamment la forte réactivité du format, a contribué à la mort d’institutions comme Radikal ou l’Affiche ?

F : Non, je crois que les deux médias sont complémentaires. Franchement, je suis le premier à me précipiter sur un site comme 90 BPM dès que j’ai un message à faire passer. Le magazine c’est différent, le contact avec le papier est un plaisir irremplaçable, surtout pour les photos. Y’a un côté « pour toujours » que je sens pas avec le web.

A : Quelles sont tes relations aujourd’hui avec Blaq Poet et le label 45 Scientific ? Tu les as juste mis en contact ?

F : Géraldo et Jean-Pierre de 45 Scientific, je les ai rencontrés au Midem à Cannes en Janvier 2002, c’est Chimiste qui nous a présenté. Et merci à lui ! C’est aussi là-bas que j’ai eu le contact de Cachin via le stand de Radikal.

J’étais un peu perdu, je connaissais personne, c’était la toute première fois que j’étais en France depuis presque dix ans ! J’étais là-bas pour représenter Entrepreneurs Entertainment et filer des flyers pour le concert d’Afu-Ra pendant que mes deux associés assuraient toute la logistique à Paname. En parallèle, je devais assurer la promo de Where the sidewalk ends, le film de Harald Rumpf auquel j’avais participé. Un soir, je leur ai laissé mon laptop pour qu’ils matent le film tranquillement, dans leur chambre d’hôtel. Ils ont kiffé, on a parlé Hip-Hop pendant une semaine et j’ai tout suite senti que j’avais deux passionnés en face de moi. On s’est promis qu’un jour on bosserait ensemble. Voilà pour la petite histoire…

Blaq Poet et son fils William Poet c’est un des plus grands rappeurs de l’histoire, LE vétéran de QB toujours d’actualité mais qui n’a jamais eu l’occasion de sortir un vrai album solo. C’est surtout un de mes meilleurs amis ; c’est le mec que j’appelle quand j’ai besoin de parler à quelqu’un qui comprend tout sans longues explications…
Niveau rap, je peux t’assurer que la grosse baffe arrive d’ici très peu de temps et que beaucoup de gens vont enfin réaliser ce qu’est l’essence même du hardcore. Franchement, l’album est une tuerie. Le mix est fait et en ce moment on peaufine le mastering. Ça arrive, encore un peu de patience…

A : En fait t’es un peu le Lucien de la presse rap française ? [rires]

F : Waouh, c’est super flatteur! Lucien c’est le mec j’envie vachement ; comme dirait IAM : « quand j’y allais, il revenait« . Il a connu New York à la bonne époque des Native Tongues entre autres. La première fois que j’ai fait gaffe à sa voix sur un disque, je me suis dit : « putain, comment il a atterri là lui ? »

A : Après autant d’années passées dans le rap, n’éprouves-tu pas une forme de lassitude ?

F : Non ; enfin si, la plupart des productions actuelles ont tendance à me gonfler mais je persiste à croire qu’on est dans un mauvais cycle. Je refuse de croire qu’on ait du Bow Wow après avoir eu du Onyx, y’a pas moyen… Je me console en pensant à tous les anciens que je dois encore rencontrer en attendant que la nouvelle vague se réveille…

A : Le rap français t’intéresse ou absolument pas ?

F : Ben, j’ai un peu décroché en quittant la France en fait… Je constate juste que ça devient assez « crowded » comme si tous les mecs qui en écoutent voulaient en faire. J’aurais trop peur de te dire une connerie, je suis sûr qu’il y a des tonnes de mecs qui déchirent mais à part Ali, je connais pas grand monde en rap français ; je me suis arrêté avec les deux ou trois mecs que je te citais tout à l’heure.

Par contre, la France a de super bons producteurs qui apportent une sacrée fraîcheur dans le marasme ambiant du rap ricain. Que ce soit des mecs comme Aurélius, Adams ou encore des collectifs comme Grim Team, Get Large ou 45 Scientific, ça rigole pas…

A : Qu’est-ce qu’on peut te souhaiter de cool dans les mois à venir ? Qu’un repreneur mette des thunes dans Radikal ?

F : Qu’un repreneur foute des thunes dans un mag, Radikal ou pas Radikal. Tout ce que je veux c’est continuer à écrire comme j’aime. En attendant, comme y’a pas moyen, je bosse comme tout le monde, dans des trucs qui n’ont aucun rapport, faut bien bouffer…

A : Je te le laisse le mot de la fin.

F : Désolé pour ceux qui veulent seulement des news et des paillettes. Quand y’a rien de nouveau qui m’intéresse, j’aime mettre l’accent sur des trucs qu’on connaît peut-être déjà mais qui n’ont jamais, ou trop peu, ou pas du tout reçu l’attention méritée…
Je tiens juste à dire merci à tous mes lecteurs assidus pour leurs mails de soutien et d’encouragement. Merci aussi à ton site, ça fait chelou d’être interviewé…

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